Achigan; Stratégies pour moucheurs par Jacques Juneau

     Bien qu'il soit vrai que les achigans évoluant en rivière se laissent facilement leurrer par un streamer ou un bucktail en début de saison, il en est tout autrement lorsque arrive la canicule au cours des mois de juillet et août. Cette espèce devient alors très sélective, tout autant d'ailleurs que la truite brune. Bon nombre de pêcheurs délaissent alors l'achigan pour se concentrer sur d'autres espèces plus voraces. Il n'en demeure pas moins que cette période offre l'occasion de merveilleuses sorties et que le niveau d'eau relativement bas des rivières facilite les déplacements pour le pêcheur muni de bottes, tout en forçant les achigans à se regrouper dans des fosses bien définies.
 
     À ce moment, le régime alimentaire de l'achigan est très varié, mais pour le pêcheur à la mouche, c'est surtout à partir de la fin de l'après-midi que l'action débute, période où les poissons se concentrent dans les fosses sises de part et d'autre du chenail principal de la rivière. L'achigan devient alors très sélectif et se nourrit principalement de nymphes et d'insectes aquatiques lors des éclosions. La capture d'un de ces batailleurs acharnés à l'aide d'une artificielle imitant un de ces insectes représente un défi de taille pour le moucheur.

Les plécoptères

Les éphémères
     Pour le débutant, l'idéal est d'amorcer la pêche en utilisant de grosses nymphes, comme celles des plécoptères (stone flies); l'achigan succombe plus facilement à la présentation de ces insectes de bonne dimension et à l'apparence plantureuse. Les rivières à courant rapide abritent normalement de bonnes populations de plécoptères et il est fréquent que les nymphes dérivent au gré du courant. Il est préférable de commencer à pêcher quelques heures avant le début des éclosions d'éphémères, car l'achigan devient alors encore plus sélectif et s'intéresse presque uniquement à ces derniers ou aux phryganes.
 
     Une artificielle de type Brown Stone Fly est toute désignée pour plaire simultanément aux achigans et aux dorés qui cohabitent à l'occasion dans les mêmes fosses. Montez ces grosses nymphes à l'aide de matériaux duveteux et souples; ceux faits de produits synthétiques sont trop rigides et ne semblent pas produire l'effet de vie recherché par l'achigan.
 
     La Casual Dress, une grosse nymphe construite de fourrure de rat musqué, est aussi très productive. Bien que cette nymphe n'imite aucun insecte particulier, son aspect général évoque plusieurs espèces de nymphes de grande dimension. La couleur de la fourrure utilisée ainsi que la souplesse des poils la rendent irrésistible.
 
     Ces grosses nymphes doivent être présentées en utilisant la technique de la dérive; lancez en amont de la fosse, de manière à ce que le courant l'y amène naturellement. On peut aussi lester légèrement l'artificielle afin qu'elle dérive plus près du fond, là ou le courant est moins violent. Il est très important que votre soie ne soit pas tendue à ce moment, sinon l'achigan refusera de s'emparer de la nymphe. Vous devrez également demeurer vigilant en tout temps, car vous ne saurez qu'un poisson s'est emparé de votre offrande qu'au moment où celui-ci l'aura dans la bouche et qu'il redescendra vers son poste de guet.

Les éphémères

Les nymphes fouisseuses
     Lorsque les achigans se manifestent et semblent se nourrir de nymphesd'éphémères sur le point d'éclore, la situation se corse. Ils se montrent alors très pointilleux et vous devez faire preuve d'imagination pour raffiner vos montages et votre technique de présentation. Les nymphes de dimension moyenne, telles la March Brown, la Bicolor ou les imitations de nymphes fouisseuses, doivent se rapprocher le plus possible des couleurs de l'insecte réel. Encore ici, les matériaux servant au montage se doivent d'être souples; la fourrure pour former le corps et des plumes de perdrix ou de flancs de canard pour confectionner les pattes sont des atouts certains.

     Si les préférences des poissons vont pour de petits éphémères, comme la Light Cahill ou les modèles de type sulphur, plus que les détails de construction, c'est surtout la couleur du corps qui prime. L'utilisation de matériaux souples pour les pattes et la queue est prépondérante, ces éléments permettant le mouvement de vie de ces artificielles de petite dimension.
 
     L'utilisation d'un bas de ligne délicat est primordiale pour assurer une présentation réaliste. Un montage simple qui ne vise pas la perfection mais qui présente une illusion de vie grâce à des matériaux souples semble plus productif qu'un autre très sophistiqué, mais trop rigide.
 
     A la veille d'une éclosion, surveillez les migrations possibles des nymphes dans les fosses. Les achigans auront normalement tendance à se regrouper dans certains secteurs de celles-ci.

LES NYMPHES FOUISSEUSES

     Ce type de nymphes évolue normalement en dehors des eaux vives, préférant les bordures de courant. Les éclosions se produisent le plus souvent près des rives ou des hauts-fonds. Des nymphes comme la Green Drake (Ephemera guttulata) ou celle de l'Hexagenia limbata sont de forte taille et doivent être pêchées en imprimant des saccades à la soie.
 
     Les petites nymphes de ce type, telle celle de l'Ephoron leukon par exemple, possèdent un corps plus transparent que les autres nymphes et les éclosions sont extrêmement abondantes. Au début de l'éclosion, les artificielles faites de plumes souples (soft hackles) sont recommandées, mais votre pauvre mouche sera vite perdue dans la masse imposante des milliers de nymphes en éclosion.
 
     L'éclosion d'Ephoron leukon sur la rivière Bécancour, au mois d'août, est un spectacle extraordinaire. On croirait assister à une première neige automnale, alors que des milliers d'insectes adultes virevoltent dans toutes les directions. Ceux-ci se transforment rapidement en «spinners» au cours de la même soirée, avant d'effectuer la ponte; la surface de l'eau se recouvre à ce moment d'une masse blanche, composée d'enveloppes nymphales et de spinners qui pondent et terminent ainsi leur brève existence, agonisant à la surface de l'eau.
 
     Inutile de dire qu'en de telles circonstances, la pêche devient impossible. Les achigans, occupés par l'abondance des nymphes, délaissent les insectes adultes qui s'envolent rapidement plus près des rives. Il faut pratiquement attendre le crépuscule avant que les poissons s'intéressent suffisamment aux spinners déposant leurs oeufs. Ils s'attaquent alors aux insectes qui flottent bien dans l'eau vive et laissent pour compte les moribonds. Je vous recommande à ce moment l'utilisation d'une imitation au corps fait de poils de chevreuil blancs, monté comme une tête de muddler, puis taillé en fuseau mince et élancé. Ce montage flotte bien et vous permettra quelques captures.

En fin de saison

     En fin de saison, on assiste aux éclosions d'Isonyehia bieolor, avec des périodes d'activité variant selon les changements de température. Il est vrai qu'à la fin d'août et au début de septembre, les journées chaudes voisinent les soirées très fraîches. Cet éphémère, qui habite les eaux vives, entreprend alors une migration vers les roches ou les hauts-fonds en queue de fosse afin que son éclosion se produise à l'extérieur de l'eau.
 
Les achigans attendent évidemment ce moment avec impatience, et ils n'hésitent pas à se placer en queue de fosse en prévision du festin. Les éclosions se produisent normalement à plusieurs reprises au cours du mois de septembre et suscitent beaucoup d'intérêt chez ce poisson, d'autant plus que les éclosions d'autres espèces d'insectes se font beaucoup plus rares à cette période de l'année.

Sur une mouche sèche

     L'achigan se nourrissant abondamment lors d'éclosions de phryganes ou d'espèces d'éphémères à éclosion rapide, cette préférence l'amène à capturer ses proies en dehors de l'eau, au moment où l'insecte amorce son vol. C'est un spectacle formidable que de voir cet acrobate se propulser en dehors de l'eau et planer parallèlement à la surface pour y capturer l'insecte en vol. Ce jeu l'amène même à délaisser les quelques éphémères flottant à la surface. On comprend dès lors l'exploit que représente la capture d'un achigan sur une mouche sèche.
 
     L'achigan est très exigeant quant à la présentation d'une sèche; votre artificielle devra flotter bien haut. Lorsque le prédateur vient voir votre mouche et la bouscule sans la prendre, oubliez-le et lancez plutôt vers un autre achigan, car il ne reviendra pas avant une dizaine de minutes. C'est à croire qu'il est en mesure de déceler la supercherie. Au prochain lancer, asséchez bien votre mouche et assurez-vous qu'elle flotte haut à la surface.
 
     Le gobage de la sèche se produit délicatement mais franchement, alors que l'achigan referme ses mâchoires sur celle-ci pour ensuite l'entraîner vers le fond.
 
     Lors des éclosions de Bicolor, concentrez vos efforts vers les fins de fosses, là où la plupart des achigans se rassemblent pour se nourrir des nymphes en migration et d'insectes nouvellement adultes mais paresseux; négligez les achigans qui s'affairent dans le courant.
 
     Les températures plus fraîches du mois de septembre ralentissent la vitesse d'éclosion des Bicolor, et les insectes fraîchement éclos demeurent plus longtemps à la surface que lors des jours chauds de l'été. C'est probablement là une des raisons pour lesquelles l'achigan gobe davantage les insectes à la surface, plutôt que de se propulser en dehors de l'eau comme il le fait lors d'éclosions rapides.
 
     Les insectes qui émergent à la fin de la queue de la fosse dérivent dans le courant plus en aval et l'achigan posté dans ce rapide fait face à des éphémères prêts à s'envoler. Sa réaction est ici différente du gobage et il est difficile de le capturer sur une sèche.
 
     Voici d'ailleurs deux montages qui ont fait leurs preuves. Le premier est simple, construit sans ailes et très productif. Le second imite la nymphe de l'insecte.

BICOLOR

Hameçon: Mustad #94840, #10;
Fil: noir 6/0.
Queue: 2 Poils d'orignal noirs.
Corps: Mélange de fourrure rougeâtre: 2 parties de brun moyen, 1 partie de rouge et 1 partie de noire.
Hackle: 1 Gingembre en arrière et 1 brun en avant.
Tête: Noire.
 
Nymphe bicolor
 
Hameçon: Mustad #9671, #10.
Fil: Noir 6/0.
Queue: Une pincée de fibres de pèlerine de faisan doré.
Corps: Plume de queue de paon.
Thorax: dubbing gris (rat musqué).
Élytre: Plume grise d'aile de canard.
Pattes: Pincée de plumes de flanc de branchu.
Tête: Noire.

Pour amateur avertis!

     Je ne saurais recommander aux pêcheurs qui souffrent de problèmes cardiaques de présenter une imitation de Bicolor à un achigan de rivière. Le premier contact s'effectuera peut-être sans douleur, mais le combat et l'anticipation du prochain gobage feront monter votre tension au point critique.
 
     La capture d'un achigan de rivière sur une sèche, c'est un grand moment à vivre et un souvenir mémorable. Pêcheurs à la mouche, c'est la grâce que je vous souhaite!

Références

» Texte et photos : Jacques Juneau (Juillet 1989).
» Illustration: Jeannot Ruel.
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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