Mouche Sèche ou Noyée? par Gérard Bilodeau

     Il est 6 heures du matin. Je viens tout juste d'arriver sur le bord d'une de mes fosses préférées sur la rivière Bonaventure : la Salmon Hole, dans le secteur C. Les nuages couvrent le ciel, aucun vent ne souffle.

Mouche Sèche ou Noyée?
     Comme j'ai souvent péché cette fosse, je choisis immédiatement d'explorer le premier ciré, plus d'une trentaine de mètres en bas du rapide de tête; souvent, les saumons arrêtent là au cours de leur montaison. La vitesse de l'eau m'apparaît idéale pour y faire nager une mouche noyée. Les pluies des derniers jours ont en effet maintenu les eaux à un niveau intéressant. En scrutant attentivement le lit de la rivière, j'essaie de distinguer des saumons. Je vois bien quelques «barres grises» suspectes, mais je ne réussis pas à distinguer un mouvement de queue, indice sûr de la présence du saumon.

     Je décide de tenter ma chance avec une noyée de couleur noire. Prenant place quelques mètres en amont du secteur, je lance ma mouche en travers du courant et explore ainsi chaque centimètre de la fosse en descendant lentement. Rien ne se passe. Je recommence le même manège en gardant une mouche aux couleurs sombres mais dont l'hameçon est un peu plus gros que celui de la mouche précédente, histoire de varier la présentation. Cette fois-ci, comme la luminosité est meilleure, je prends le temps d'observer encore plus attentivement la fosse tout en la couvrant avec ma mouche. Grâce à une portion d'eau calme passant vis-à-vis une «barre grise», j'aperçois clairement la queue d'un saumon. Je finis quand même de couvrir soigneusement la fosse avec ma noyée.

     Ma décision est maintenant prise. Je pécherai de nouveau la fosse mais cette fois-ci avec une sèche; l'eau lisse et claire permettra au saumon de bien la voir. Un «Oiseau Brun» de grosseur 4 vole maintenant au bout de ma soie à moucher. Il se dépose sur la surface de l'eau, les ailes bien déployées en forme de V, et dérive à la vitesse du courant. J'exécute comme cela deux ou trois lancers, en aval de la position du saumon, histoire de me donner un bon «timing». Un dernier lancer dépose ma sèche juste en amont du saumon, presque au bout de son nez. Immédiatement, il bouge, sans prendre la mouche toutefois; son ventre blanc et ses flancs argentés l'ont trahi.

     Je laisse quand même dériver la mouche jusqu'à ma hauteur, la retire, exécute quelques faux-lancers et la dépose au même endroit. Dès qu'elle touche l'eau, le saumon se laisse dériver sous la mouche tout en montant vers elle. Dans un «vlouff» sonore, il happe l'offrande et disparaît sous l'eau. Je ferre fermement. La bataille s'engage avec le saumon qui fait preuve, comme d'habitude, d'une vigueur et d'une détermination sans pareilles. Une dizaine de minutes plus tard, je retire des eaux froides de la Bonaventure un beau saumon frais de près de 6 kg (13 lb).

Saumon et choix de mouche

     Je tenais à présenter cette histoire vécue en guise d'introduction, afin de mettre en lumière une des questions les plus fondamentales de la pêche du saumon : quelle mouche dois-je attacher au bout de mon bas de ligne? Comment faire ce choix pour augmenter mes chances de faire mordre le saumon?

     J'ai encore tout frais à la mémoire les réactions d'un ami que j'accompagnais lors de sa première excursion de pêche du saumon. Il n'en revenait tout simplement pas de voir l'indifférence que les saumons affichaient malgré le soin qu'il prenait à faire le choix de ses mouches et les efforts qu'il mettait pour les présenter adéquatement. Il était habitué à des poissons beaucoup plus «collaborateurs» qui obéissaient à une seule logique : mordre à un leurre bien choisi et bien présenté parce qu'ils voulaient manger. Est-il nécessaire de rappeler que dans le cas du saumon, ce n'est pas du tout le cas, car une fois engagé dans la rivière pour aller frayer, il ne mange plus du tout.

     Alors pourquoi le saumon mord-il à une mouche? Personne ne peut le dire avec précision, et c'est tant mieux comme cela car ça enlèverait une bonne partie du plaisir. Malgré cela, des saumoniers obtiennent régulièrement du succès tout au long de la saison, peu importe les conditions. Leur expérience leur a enseigné à faire un choix de mouche qui tient compte du contexte dans lequel la pêche est pratiquée et à y adapter le mode de présentation de l'artificielle.

Critères de sélection

     Le choix de la mouche à saumon se base, dans l'ordre, sur les critères suivants : une noyée ou une sèche, sa grosseur, sa fabrication et sa couleur. Ce choix doit tenir compte du temps qu'il fait, du moment de la journée et des conditions de l'eau de la rivière, à savoir son niveau, sa température et sa turbidité.

     Vient ensuite la question du mouvement. Elle a été longuement traitée dans le livre «Saumon atlantique» que j'ai écrit avec Gilles Aubert et André Bellemare et que le Groupe Polygone, éditeur de Sentier CHASSE-PÊCHE, a publié il y a quelques années. Nous avons acquis la certitude que le mouvement de la mouche, dans l'eau ou sur l'eau, constitue un élément majeur dans la pêche du saumon. Rappelez-vous donc ceci : le choix de la mouche n'a de sens que si elle a du mouvement. Bien sûr cette règle, comme toutes les autres, comporte des exceptions, mais dans l'ensemble elle a fait ses preuves. Pour être attrayante, la mouche doit donc se déplacer à la «bonne vitesse»; je reviendrai là-dessus plus loin.

Mouche noyée

     Quand utiliser la mouche noyée? Lorsque l'eau est haute, au printemps ou à la suite de fortes pluies, dans les secteurs de la fosse où les eaux s'écoulent vivement (comme le rapide de tête), dans une fosse en coulée (communément appelée run), quand l'eau est brouillée, ou encore très tôt le matin ou tard en fin de journée, périodes où la lumière est faible. Évidemment, la mouche noyée peut être efficace en d'autre temps comme, par exemple, lorsque la mouche sèche n'a donné aucun résultat.

    La grosseur de la mouche noyée lui permet de bien caler sous l'eau. Ainsi, plus la vitesse de l'eau est grande, plus la mouche devra être lourde afin de bien pénétrer dans l'eau et d'y demeurer tout au long de la dérive. Plus l'eau devient basse et chaude, plus la mouche doit être petite. Une mouche décrivant un V en surface au cours de la dérive signifie qu'elle est trop légère. Dans un tel cas, le saumon n'y prêtera guère attention.

    La mouche peut être montée sur un hameçon simple ou sur un hameçon double. À grosseur égale, un hameçon double est plus lourd qu'un hameçon simple; toutefois, cette règle ne vaut que pour les hameçons fabriqués par la même compagnie. La réglementation québécoise de la pêche du saumon impose des limites de grosseur selon le type d'hameçon utilisé. De plus, il est strictement défendu de plomber la mouche.

    J'observe attentivement ma mouche dériver sous l'eau, et si j'ai un doute j'augmente la grosseur de la mouche ou je change pour un hameçon double afin qu'elle cale un peu plus. L'utilisation de la soie à bout calant peut compenser pour une mouche trop légère. En plus d'entraîner la mouche plus profondément sous l'eau, la soie à bout calant permet de présenter la mouche différemment, ce qui parfois peut déclencher une réaction chez le saumon.

Fabrication, couleur et mouvement

     Il ne faut pas sous-estimer les avantages que représente l'utilisation de certains matériaux entrant dans la fabrication de la mouche noyée en raison de leur mouvement dans l'eau. Par exemple, les hackles souples enroulés autour du corps, ou ceux formant le jabot ou la collerette, les poils souples de toutes sortes formant les ailes de la mouche, les matériaux reflétant la lumière, comme le tinsel ou le Crystal Flash que l'on insère en petite quantité dans les ailes, sont tous des matériaux susceptibles d'attirer l'attention du saumon, voire l'inciter à mordre.

     L'œil du saumon contient des cônes qui lui permettent de distinguer les couleurs lorsque la lumière est vive. Quand elle s'affaiblit, à l'aube ou au crépuscule, ou lorsque le ciel est couvert de gros nuages noirs et gris, l'œil du saumon perd cette capacité de percevoir distinctement les couleurs.

    Comment tenir compte de ce qui précède dans le choix de la couleur de la mouche? Je vous rappellerai tout simplement une bonne vieille règle que les pêcheurs à la mouche ont toujours mise en pratique : par temps clair, on utilise une mouche claire et par temps sombre on utilise une mouche sombre. Par ailleurs, quand l'eau de la rivière est brouillée, je n'hésite pas à utiliser une grosse mouche aux couleurs très voyantes comme le jaune, l'orange ou le rouge. Le streamer Mickey Finn représente un choix pertinent dans ces circonstances.

    Comme je le soulevais plus tôt dans le texte, le mouvement de la mouche noyée dans l'eau revêt une importance capitale. Le déplacement de la mouche noyée à la «bonne vitesse» a de meilleures chances d'attirer l'attention du saumon. Or, quelle est cette vitesse? Je vais vous décevoir, mais je dois avouer que seule l'expérience, ou les conseils avisés de guides ou de compagnons saumoniers, sauront vous indiquer la vitesse idéale de déplacement de la mouche dans l'eau. Je ne peux malheureusement être plus précis, mais laissez-moi vous dire ceci ; selon mon expérience, le saumon préfère une mouche se déplaçant trop vite plutôt que trop lentement.

    On ne peut dissocier vitesse et lancer de la mouche. Dans des conditions d'eau haute ou très rapide, je dépose ma soie à moucher dans un angle variant entre 30 et 45 degrés par rapport au rivage. Si j'ai l'impression que la mouche se déplace trop rapidement, j'en ralentis la vitesse en déplaçant ma soie vers l'amont aussi souvent que nécessaire au cours de la dérive. D'un autre côté, plus la vitesse de l'eau ralentit, plus l'angle de mon lancer tend vers 90 degrés. Le courant applique alors davantage de pression sur la soie à moucher, ce qui augmente la vitesse de déplacement de la mouche.

    Afin d'ajouter davantage de mouvement à leur mouche, des saumoniers agitent le bout de leur canne de haut en bas tout au long de la dérive de la mouche. Quand le courant est très lent, voire inexistant, comme dans certaines rivières qui connaissent une période d'étiage extrême, le saumon peut réagir à une mouche que le pêcheur retire par saccades (dans notre langage commun, on appelle cela «stripper» la mouche).

Mouche sèche

     Pour pêcher à la sèche, il faut absolument que le saumon soit en mesure de la voir. Pour cela, il y a deux conditions : il faut que l'eau soit claire et il faut que la surface soit la plus lisse possible. Des eaux agitées par le courant ou par le vent ne présentent pas de bonnes conditions pour pêcher à la sèche, car le saumon a alors de la difficulté à apercevoir clairement un objet flottant en surface.

    Des saumoniers croient que le saumon prend moins bien la mouche sèche quand l'eau est froide. Selon moi, le saumon doit d'abord et avant tout très bien voir la mouche flottant en surface pour qu'il puisse manifester une forme quelconque d'intérêt. En conséquence, la capture de saumons à la sèche est possible dès le mois de juin. Plus tard durant l'été, alors que le niveau de l'eau baisse de façon significative, la vitesse du courant dans les fosses subit des modifications importantes, à un point tel que la noyée semble exercer moins d'attrait.

    La mouche sèche doit flotter librement en surface. Élémentaire me direz-vous, mais je tiens à le rappeler car c'est de cette manière qu'elle obtient le maximum d'efficacité. Les matériaux utilisés pour fabriquer une sèche doivent donc lui permettre de remplir cette fonction. Les hackles rigides enroulés autour du corps et devant les ailes, les poils creux de chevreuils ou mieux encore, de caribou, pour faire le corps et les poils de jeune chèvre, de queue de veau ou de chevreuil pour faire la queue figurent parmi les principaux matériaux utilisés pour la fabrication de mouches sèches. J'enduis toujours les parties de ma sèche avec une pâte à base de silicone afin que l'eau se détache plus facilement de la mouche lorsque je fais des faux-lancers. Dans des conditions d'eau normales ou hautes, je pêche avec des mouches numéro 2 ou 4. Si l'eau est basse et chaude, j'emploie des mouches plus petites, de numéros 6, 8,10 et même 12, afin de ne pas effrayer le saumon.

    Tout comme pour la mouche noyée, la règle du «temps clair mouche claire, temps sombre mouche sombre» peut s'appliquer. Personnellement, j'ai longtemps cru que la couleur de la sèche avait une importance secondaire. Je dois reconnaître maintenant qu'il est préférable que le saumonier compte dans sa boîte à mouches un assortiment de mouches sèches comportant différentes couleurs. Les mouches, du genre «oiseau», dont le corps est brun ou blanc demeurent très populaires. Mais de plus en plus de saumoniers, moi y compris, utilisent des mouches sèches dont le corps en poils de chevreuil ou de caribou est vert, jaune ou orange.

Mouvement de la sèche

     Tout comme pour la noyée, le mouvement de la sèche a son importance. Généralement, les saumons qui se tiennent dans un courant où l'eau circule à la «bonne vitesse» ont de meilleures chances de prendre la mouche. Dans la plupart des rivières, les queues de fosse représentent les meilleurs endroits pour pêcher le saumon à la sèche. La précision du lancer a aussi une grande importance : une mouche qui tombe à quelques centimètres devant le saumon, dans son champ de vision binoculaire, risque de le faire réagir immédiatement.

     Je ne fais pas partie des saumoniers qui provoquent le mouvement de la sèche en la faisant patiner en surface. Une fois seulement, sur la rivière Sainte-Anne, un saumon de bonne taille m'a fait sursauter en se ruant littéralement sur la sèche que je ramenais vers moi en la faisant patiner à la surface. Mais comme le saumon est imprévisible, ne manquez pas des occasions d'en capturer alors que les conditions gagnantes ne sont pas réunies. En voici deux exemples.

    Je péchais le secteur 9 de la rivière York. J'arrive à la fosse Montagnard en milieu d'avant-midi. Je vous décris brièvement la fosse : au bout du rapide, la rivière tourne presque à 90 degrés et coule le long d'un cran de roches; c'est là principalement que les saumons s'arrêtent, et ils y prennent assez bien la mouche en raison de la vitesse de l'eau. Il arrive aussi que des saumons se reposent dans une zone d'eau calme, située un peu en amont; celle-ci se trouve entre le rapide et le rivage, à l'endroit où la rivière tourne, et la vitesse du courant y est quasiment nulle.

    En examinant attentivement le fond de la fosse avec mes lunettes à verres polarisés, j'aperçois deux grands saumons dans cette zone d'eau calme. Comme il y a déjà une sèche d'attachée à mon bas de ligne, je tente ma chance, sans trop de conviction dois-je avouer. Ma grosse sèche tombe directement sur le nez des saumons. Comme le courant est très faible, la mouche se déplace très lentement, trop lentement à mon goût. Mais quelle n'est pas ma surprise de voir un des saumons monter lentement, presque au ralenti, puis saisir la mouche et caler avec sous l'eau. Je ferre dès qu'il disparaît. Le combat s'engage mais le saumon est tellement gros que je n'ai aucun contrôle sur lui. Il va où bon lui semble, misant sur son poids et sur sa force. Finalement, au bout de quelques minutes, il se libère de la mouche sans que j'aie pu le contrôler.

    L'an passé, j'ai connu une expérience semblable sur la Grand-Pabos Nord, où un saumon a pris ma sèche dans des circonstances à peu près similaires. Ma mouche faisait du surplace et tournait sur elle-même en raison des contre-courants. Malgré cela, un saumon l'a prise quand même. Évidemment, ces circonstances sont exceptionnelles. Mais elles démontrent bien qu'après avoir appliqué les règles de base, le saumonier a tout le loisir de faire preuve d'innovation afin de séduire le saumon. Heureusement, ce dernier se laisse parfois tenter...

Références

» Texte & Photos: Gérard Bilodeau (1999).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche (Annuel Pêche).

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