Péchez le «FILM» de l'Eau par Gérard Bilodeau

     La majorité des moucheurs ne considèrent que deux niveaux de présentation pour leurs artificielles, soit en sèche ou en noyée. Les auteurs affirment que le film de l'eau représente un niveau intermédiaire que la truite privilégie comme garde-manger.

     La truite, poisson recherché par beaucoup de pêcheurs, est un prédateur qui doit nécessairement se nourrir pour survivre. Constamment à l'affût, elle se place à des endroits stratégiques lui permettant de saisir la nourriture qui passera à sa portée, tout en dépensant le moins d'énergie possible. La tactique du pêcheur doit donc se baser sur une bonne connaissance des habitudes alimentaires de la truite ainsi que des endroits où elle trouve sa nourriture.

     Les deux principaux garde-manger de la truite se retrouvent au fond de la rivière ou du lac et à la surface. Le premier offre un refuge sécuritaire aux nymphes et aux larves en croissance, de même qu'à quelques espèces de poissons-fourrage; le second contient parfois des milliers d'insectes dérivant au gré du courant, permettant ainsi à la truite de se gaver à volonté. Cette zone privilégiée pour la truite, que l'on nomme film de l'eau, semble mal comprise des moucheurs. En effet, plusieurs pensent que la présence d'un rond de gobage signifie sans équivoque qu'une truite (arc-en-ciel, brune ou mouchetée) vient de saisir une mouche flottant en surface. Ceci n'est pas nécessairement vrai et les lignes qui suivent ont pour but d'éclaircir ce sujet.

     Le film de l'eau pourrait se définir par une mince pellicule d'eau, en surface, SUR, DANS OU SOUS laquelle séjournent des insectes (aquatiques et/ou terrestres). L'étude de ce phénomène nous amène donc à examiner quels genres d'insectes risquent de s'y retrouver (et pour quelles raisons) et à connaître leur comportement. De là pourra ensuite s'élaborer la stratégie de pêche.

Nourriture retrouvée dans le film

     Le cycle de vie des éphéméroptères, des trichoptères, des diptères et de quelques plécoptères fait en sorte qu'ils atteindront à un moment donné le film de l'eau. Examinons brièvement sous quelle forme ils se manifestent.

Nymphes et pupes
     Les insectes aquatiques débutent ce stade de leur vie au fond de l'eau, en s'agrippant aux roches, en se cachant dans la boue, le gravier ou des débris de toutes sortes et aussi en s'accrochant à de la végétation. Rendus à maturité, l'instinct leur commande de se métamorphoser en insectes ailés. Pour ce faire, les nymphes et les pupes de plusieurs espèces gagnent la surface et demeurent en suspension sous le film de l'eau. En rivière, ces insectes dérivent avec le courant, donnant ainsi à la truite l'occasion de se gaver sans trop d'efforts; dans le lac, la truite doit se déplacer pour accéder à cette manne, à cause de l'absence de courant.

Adulte émergent
     Puis la métamorphose a lieu. L'insecte s'échappe de l'enveloppe nymphale ou pupale en libérant tout d'abord la tête et les ailes. Ce stade représente une épreuve pour l'insecte, car il doit en plus traverser le film de l'eau qui, en dépit de sa minceur, constitue un obstacle. Beaucoup d'insectes meurent au cours de cette opération. On les appelle mort-nés (stillborn). Ils dérivent dans le film de l'eau et sont très appréciés des truites parce qu'ils sont faciles à capturer. De plus, la truite s'intéresse aussi aux insectes qui franchissent cette étape avec succès parce qu'ils sont très vulnérables.
Adulte.

     Finalement, l'insecte adulte se retrouve sur le film de l'eau. Il y repose plus ou moins longtemps selon les catégories d'insectes, tentant parfois de s'envoler sans succès.

Insecte émergeant dans le film de l'eau
Insecte sub-imago (après émergence)
Adulte mort (spinner)
     Après quelques heures ou quelques jours, une fois que l'accouplement et la ponte ont eu lieu, l'insecte adulte tombe sur l'eau et meurt. Suspendu dans le film de l'eau, il dérive au gré du courant, constituant une autre chance pour les truites de manger.

     Notons que toute cette activité que l'on vient de décrire débute dès le départ des glaces. Plusieurs pêcheurs ont certainement remarqué la présence de truites se nourrissant dans le film de l'eau dès l'ouverture de la pêche, alors qu'il y avait encore de la glace sur le lac. En rivière, cette activité peut aussi se produire assez tôt, mais en de rares occasions. Dès que l'eau atteint 50° F (11 ° C) pendant plusieurs jours, la période des éclosions commence, pour atteindre son point culminant en juin. Les premières éclosions ont lieu dans l'après-midi et, à mesure que la saison avance, les insectes aquatiques sont généralement actifs le matin et le soir.

Les insectes terrestres
     Les mois de juillet et août constituent les périodes par excellence en ce qui a trait à la présence d'insectes terrestres dans le film de l'eau. Pour la truite, un insecte terrestre représente un mets facile à se procurer, car il se retrouve dans un élément étranger, le rendant ainsi à la merci de ses prédateurs. Les insectes terrestres les plus souvent rencontrés sont les fourmis, les papillons (en particulier celui de la tondeuse des bourgeons) et les sauterelles.

Où et comment pêcher en rivière...

     En rivière, la truite se localise dans les fosses, les coulées (runs), les cuvettes et près des obstacles. Peu importe où on la retrouve, la truite se tiendra généralement dans la ligne du courant de l'eau ou légèrement à côté. Comme tout ce que l'eau charrie est attiré par le courant principal, la truite opportuniste n'aura qu'à choisir, sans trop d'efforts, la nourriture qui lui convient.

     La technique de présentation doit donc viser à reproduire la dérive naturelle de l'insecte imité (pupe ou nymphe, insecte émergent, adulte ou terrestre). Tous les lancers utilisés pour la pêche à la sèche tels que le lancer déporté, le lancer amont, le lancer en "S" et le lancer parachute, peuvent alors être choisis. En aucun temps, l'artificielle ne doit subir une traction venant de la soie à moucher. Pour l'éviter, le moucheur doit contrôler la dérive en corrigeant, en temps opportun, la position de la soie sur l'eau (rétablissement de la soie).

     Dans les cas où le moucheur utilise une mouche noyée près de la surface, il peut agiter légèrement sa canne afin de transmettre du mouvement à l'artificielle. Ce geste permet de simuler un comportement tout à fait naturel chez les insectes qui éclosent sous l'eau et qui gagnent ensuite la surface.

     Finalement, dans toutes les situations rencontrées, le pêcheur doit éviter de trop s'approcher des lieux où se tient la truite, surtout si l'eau est calme.

... et en lac

     Le lac dévoile plus difficilement ses secrets. Cependant, des dénominateurs communs relient tous les lacs, grands et petits, permettant ainsi de perdre moins de temps lorsqu'on les aborde pour la première fois.

     C'est ainsi que l'on peut considérer les baies, les hauts-fonds, les abords d'herbiers, les entrées de ruisseaux et autres structures comme des endroits propices pour la tenue d'activité d'insectes aquatiques. Quant aux insectes terrestres, la proximité de leur habitat naturel (bouquet de conifères pour les papillons, champ pour les sauterelles, etc.) constitue la raison principale pour laquelle ils risquent de se retrouver à l'eau dans un secteur donné. Si on considère ces secteurs d'activité d'insectes en relation avec leur potentiel comme cachettes propices de truites (arbres renversés, souches ou rocs émergents, etc.), on a déjà une excellente idée des endroits précis où présenter ses artificielles.

     En lac, la technique de pêche diffère complètement de celle pratiquée en rivière à cause de l'absence de courant. Si la profondeur et le type de fond le permettent, le pêcheur peut se déplacer à pied, mais c'est une méthode de dernier recours carelle limite les possibilités. Une embarcation est donc préférable. Une particularité du lac, c'est que la truite doit généralement se déplacer pour saisir sa nourriture. Si la truite se manifeste sporadiquement en surface, la meilleure technique consiste à se déplacer lentement en laissant traîner une artificielle. Dans ce cas, les avirons ou le moteur électrique permettront le déplacement de l'embarcation à vitesse réduite. Les mouches utilisées doivent être légèrement plombées afin de rester sous le film de l'eau. Par ailleurs, lorsque la truite se manifeste par de nombreux ronds de gobage dans un secteur donné du lac, il s'agit d'y ancrer l'embarcation et de lancer tout autour.

     En ce qui concerne les méthodes d'approche particulières, elles ont déjà été largement couvertes dans des articles précédents (voir articles "La pêche à la mouche sèche, en lac et en rivière", dans les numéros de juin et de juillet 1985 de Sentier Chasse-Pêche). Il s'agira donc d'appliquer les connaissances dont nous venons de parler et ces techniques de présentation à la prospection du film de l'eau, ce garde-manger préféré des truites.

     Dans le cas qui nous occupe, le type d'artificielle à utiliser doit faire l'objet d'une attention spéciale, car celle-ci doit suggérer l'attitude naturelle des proies qui séjournent normalement dans le film de l’eau, attitude passablement différente de celle des mouches sèches ou noyées traditionnelles. À cette intention, nous proposons, à la page 85, une liste d'imitations qui, sans être exhaustive, reflète nos préférences basées sur notre expérience et devrait permettre de connaître du succès auprès des "goinfres" du film de l'eau.

Imitations suggérées

     Une artificielle de qualité doit rencontrer dans l'ordre les critères suivants: grosseur, forme, couleur. L'idée n'est pas de reproduire une copie exacte des insectes naturels, mais plutôt de suggérer une imitation qui saura tout de même leurrer les truites les plus méfiantes. Dans cet ordre d'idée, il importe de fabriquer l'artificielle avec des matériaux qui créeront une illusion de vie.

Fourmi

Hameçon: Mustad #94840, N° 10 à 20.
Corps: Fourrure de lapin en dubbing, couleur de la fourmi à imiter.
Pattes: Hackle noir.

Adulte émergent

Hameçon: Mustad #94840, N° 10 à 20.
Queue et carapace: Plume du corps d'une perdrix.
Corps: Fourrure de phoque ou substitut synthétique en dubbing, couleur de l'insecte à imiter.
Thorax: Même matériel que le corps.
Ailes: Deux sections de plumes primaires « pairées » d'un canard.
Pattes: Fibres d'une plume du corps d'une perdrix.

Adulte mort

Hameçon: Mustad #94833, N° 10 à 20.
Queue: Trois fibres de hackle, couleur de l'insecte à imiter.
Corps: Fourrure de phoque ou substitut synthétique en dubbing, couleur de l'insecte à imiter.
Ailes: fibres de Poly-yarn.

Nymphe flottante

Hameçon: Mustad #9671, N° 10 à 24.
Queue: deux ou trois fibres de plume de corps de perdrix.
Côtes: Tinsel or, petit.
Corps: Fourrure de phoque ou substitut synthétique en dubbing, couleur de l'insecte à imiter.
Thorax: Même matériel que le corps.
Élytre. Poly-yarn, couleur de l'insecte à imiter.
Pattes: Fibres d'une plume du corps d'une perdrix.
N.B.: Mettre une graisse à base de silicone sur l'élytre.

Soft-Hackle

Hameçon: Mustad #94840, N° 10 à 18.
Corps: Soie floche orange, verte ou jaune.
Pattes: Hackle de perdrix grise ou brune.

Pupe de Trichoptère

Hameçon: Mustad #37160, N° 10 à 18.
Corps: Dubbing mélangé à du sparkle-yarn à parts égales; ensuite le corps est recouvert de fibres de sparkle-yarn; couleur de l'insecte à imiter.
Ailes: Poils de chevreuil.
Tête: Marabout.

Griffith's Gnat

Hameçon: Mustad #94840, N° 20 à 28.
Corps: Fibres de plume de queue de paon.
Côtes: hackle grizzly enroulé style Palmer.
N.B.: Mettre une graisse à base de silicone sur l'avançon six pouces avant l'artificielle; ceci aidera l'imitation à demeurer sur ou dans le film.

Sauterelle

Hameçon: Mustad #9671, N° 6 à 14.
Corps: Poils de chevreuil taillés et teints en jaune.
Ailes: Sections d'une plume de queue de dinde et deux tiges de hackle dégarnies.
Tête: Poils de chevreuil taillés.
Antennes: Deux tiges de hackle dégarnies.

Références

» Texte & Photo: Gilles Aubert et Gérard Bilodeau (Juin 1986).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

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