Saumons d'Automne de la Miramichi par Gérard Bilodeau

     « Ca fait 45 ans que je guide des pêcheurs sportifs sur la Little Southwest Miramichi et je dois dire que les grandes quantités de saumons que l'on observe dans les fosses depuis les deux (2) dernières années me rappellent mes débuts ». Cette déclaration surprenante m'a été faite par Gerry Donovan, guide à l'emploi de l'Auberge Miramichi (connu aussi sous le nom de Miramichi Inn), quelques minutes seulement après mon arrivée à cette pourvoirie, en septembre dernier. J'étais accompagné pour la circonstance de Gilles Aubert de Lévis, chroniqueur à l'hebdomadaire Rive-Sud Express et André Boucher de Charlesbourg, chef des relations publiques au ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche.

Saumons d'Automne de la Miramichi
     À vrai dire, la déclaration de Donovan ne me surprenait guère. En effet, quelques mois plus tôt, j'avais eu l'occasion de constater que la Little Southwest Miramichi était littéralement bourrée de saumons alors que j'accompagnais Jeannot Ruel à la pêche du saumon de printemps, communément appelé saumon noir (pour en savoir davantage à ce sujet, lisez le texte que Jeannot a rédigé sur la pêche du saumon de printemps dans le numéro de mars 1989 du magazine Sentier Chasse-Pêche).

     André Godin, propriétaire de l'Auberge Miramichi, abondait dans le même sens que son guide Donovan. « Vous savez, la pêche a été bonne tout l'été; mais depuis le début de septembre les conditions de pêche se sont améliorées parce que l'eau de la rivière est plus haute, ce qui a incité les saumons qui flânaient dans la baie Miramichi à monter dans notre rivière... Vous arrivez au bon moment! »

Le réseau de la Miramichi

     Quand on parle de la Miramichi, il faut savoir qu'il n'est pas question d'une seule rivière mais de tout un réseau de rivières et de ruisseaux où pullulent les saumons atlantiques. Dans son livre « Atlantic Salmon and the fly fisherman », Gary Anderson écrit que le bassin hydrographique de la Miramichi offre plus de 800 kilomètres de rivière où l'on peut taquiner sportivement le saumon atlantique.

     La Miramichi compte deux (2) bras principaux: la Northwest Miramichi et la Southwest Miramichi. A ces bras viennent se greffer plusieurs rivières et ruisseaux qui coulent pour la plupart dans un environnement boisé et pas toujours facile d'accès pour l'homme, ce qui permet aux saumons de se reproduire en toute quiétude. Parmi les tributaires qui retiennent l'attention des saumoniers à part bien sûr la Little Southwest, mentionnons la Renous, la Sevogle, la Dungarvon et la Cains.

Les populations de saumons

     Pour bien des saumoniers, la Miramichi est synonyme d'abondance. Et ils n'ont pas tout à fait tort, sauf que, comme pour les rivières du Québec, la Miramichi a connu ses années de disette de saumons. La situation s'est toutefois redressée depuis quelques années à la suite de mesures telles la remise à l'eau obligatoire de tout saumon capturé sportivement et mesurant plus de 25 pouces - 63 cm - (que le MLCP nomme maintenant «grand saumon») ainsi qu'une réglementation et un contrôle plus sévères de la pêche commerciale.

     Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, par l'entremise du ministère de l'énergie et des Ressources naturelles, publie à chaque année le chiffre des prises de saumons. Pour recueillir ces statistiques, les responsables de la gestion de la faune utilisent une méthode différente de celle du Québec: à la fin de la saison un questionnaire est expédié à un échantillon de gens qui ont acheté un permis de pêche sportive du saumon. A partir des données recueillies, les responsables estiment le nombre de saumons capturés. La taille de l'échantillon et le taux élevé des répondants permettent aux responsables d'évaluer avec assez de précision le nombre de captures de madeleineaux et de grands saumons.

     En 1988, pour le bassin hydrographique de la Miramichi, les prises s'élèvent à 39,600 grands saumons et madeleineaux alors que dans l'ensemble des rivières du Québec, le total des prises pour la même année est de 20,900. A noter que dans l'ensemble des rivières du Nouveau-Brunswick, le total des captures atteint 50,700, soit 143,0% de plus qu'au Québec. Il faut toutefois préciser que les statistiques du Nouveau-Brunswick tiennent compte des saumons qui ont été graciés en raison de la réglementation à cet égard.

     Il ne semble pas exister de statistiques sur le nombre de saumons qui remontent la Miramichi et ses tributaires. On peut toutefois estimer ce chiffre de façon arbitraire, en appliquant le taux d'exploitation (note 1) moyen au Québec des cinq (5) dernières années (N.B. le taux d'exploitation moyen a été calculé en utilisant les données compilées dans le rapport intitulé «Bilan de la situation du saumon au Québec de 1984 à 1988», produit par la Direction de la gestion des espèces et des habitats du MLCP). Comme ce taux est de 30,0%, on peut estimer le nombre de saumons qui se sont engagés en 1988 dans la Miramichi, en divisant le nombre de grands saumons et de madeleineaux capturés par le taux d'exploitation estimé. On obtient ainsi 169,000, soit 50,700 divisé par 30,0%.

     Par ailleurs, il convient de souligner que le taux d'exploitation est normalement relié à l'effort de pêche. Ainsi, compte tenu des remarques qui m'ont été faites, il apparaît que l'effort de pêche du saumon sur la Miramichi et ses tributaires serait plus faible que sur les rivières du Québec; par conséquent le chiffre de 169,000 représenterait une évaluation minimale. En fait, plusieurs observateurs sérieux sont persuadés que plus de 200,000 grands saumons et madeleineaux remontent la Miramichi et ses tributaires (le chiffre de 200,000 correspond à un taux d'exploitation de 25,4%).

     J'avais souvent entendu dire que la Miramichi produisait presque exclusivement des madeleineaux. C'est à demi vrai, selon André Godin, car depuis quelques années les prises de grands saumons se feraient de plus en plus fréquentes. Durant l'été, les montaisons sont principalement constituées de madeleineaux, A l'automne par contre (septembre et octobre), les grands saumons composent plus de 75% de la montaison. Cela expliquerait pourquoi des saumons de 10 à 15 livres saisissent régulièrement les mouches des saumoniers au cours de cette même période.

La pêche sur la Little Southwest
 
     La Little Southwest, où mes compagnons et moi avons péché pendant deux jours, est un tributaire de la Northwest Miramichi. C'est une rivière dont la dimension et le débit seraient comparables à la rivière Bonaventure, à la hauteur du secteur C. En 1988, pour la Little Southwest on a évalué le nombre de captures (saumons et madeleineaux) à 4276.

     La pêche à pied se pratique à peu près partout sur la Little Southwest à condition de porter des bottes-pantalons. Au cours de notre passage, les 17 et 18 septembre derniers, toutes les fosses de la rivière contenaient des saumons. Et chose surprenante, l'achalandage était modéré. Nous nous sommes amusés comme des petits fous en utilisant des cannes ultra légères en fibres de carbone, d'une longueur de 5 pieds. Nous en avons aussi profité pour pêcher avec de petites mouches (nos. 10-12-14) attachées au bout d'avançons d'une résistance de 3 à 4 livres. Je vous assure que manier un saumon d'une dizaine de livres avec un tel équipement fait passer par toute la gamme d'émotions fortes.

Une expérience unique...

     Au cours de ce voyage, André, Gilles et moi avons vécu une expérience unique et mémorable. Durant les deux journées, le vent a été calme et la température douce. Ces conditions ont favorisé des éclosions massives d'éphémères aux ailes grises et au corps verdâtre. Mais à notre plus grande surprise, les saumons gobaient avidement ces insectes, à un point tel qu'en certains moments l'eau de la fosse semblait bouillir!

     Nous pensions tout d'abord avoir affaire à de grosses truites, mais une observation attentive nous fit abandonner cette hypothèse. Ce qui mit définitivement fin à nos doutes, c'est lorsqu'un pêcheur américain qui fréquentait la même fosse captura un madeleineau avec une petite mouche sèche qui ressemblait aux éphémères en éclosion. Il entreprit d'éviscérer le madeleineau afin de prendre connaissance du contenu stomacal. Dans ce dernier il ne trouva rien; mais dans l'oesophage du madeleineau, il repéra trois éphémères adultes, fraîchement gobées. Le lendemain, pareille expérience fut répétée sur un autre madeleineau; son oesophage contenait cinq éphémères adultes.

     Inutile de dire que pareil phénomène nous étonna au plus haut point, d'autant plus qu'il est généralement admis que le saumon, une fois entré en rivière, refuse systématiquement toute forme de nourriture. Jamais au cours de nos voyages antérieurs mes compagnons et moi n'avions eu l'occasion d'observer ce phénomène. J'ai consulté quelques biologistes, spécialistes du saumon et aucun d'eux n'a vu ou entendu parler de saumons qui se nourrissent en eau douce mis à part le comportement de saumons fréquentant les rivières du Grand Nord québécois.

     Est-ce que les saumons de la Little Southwest auraient, avec les années, adopté un mode de vie comparable aux saumons des rivières du Grand Nord québécois? S'agit-il de saumons estuariens, selon une opinion émise par Gilles Aubert? Chose certaine, ce comportement ne semble pas exclusif aux saumons de la Little Southwest. En effet, en octobre dernier, je chassais le chevreuil à l'arc au Miramichi Lodge, une autre pourvoirie située celle-là sur la Southwest Miramichi. Mon guide, Jim Mac Donald, passionné de la pêche du saumon me révéla qu'il avait vu quelquefois des saumons gober des insectes en surface alors qu'il péchait la Cains et la Southwest. Selon les guides Mac Donald et Donavan, ce phénomène semble se produire à l'automne seulement.

     Pour ma part, je ne «resterai pas sur mon appétit» à propos de ces saumons «mangeurs de mouches». Et vous pouvez compter sur moi pour vous tenir au courant de tout développement intéressant à ce sujet.
 
     Si vous décidez de pêcher la Little Southwest en septembre, il serait sage d'apporter vos mouches à truites, sans quoi vous ne réussirez probablement pas à leurrer un seul saumon si une éclosion massive survient. Nous nous sommes rendu compte que les saumons étaient très sélectifs, presque autant que leurs cousines, les aristocrates truites brunes.

Un endroit à visiter

     L'Auberge Miramichi constitue une destination de choix pour les saumo-niers qui veulent prolonger leur saison de pêche du saumon. En plus de profiter d'une période où la pression de pêche est faible, le saumonier pourra jouir de l'hospitalité d'André Godin et de son épouse Suzan.   Le site est enchanteur, les camps sont très confortables et la cuisine préparée par Suzan vous fera commettre quelques «péchés culinaires». Pour plus d'informations au sujet de l'Auberge Miramichi, contactez André Godin (qui, en passant, parle français   et   anglais)   en composant 506-836-7452 ou écrivez à l'adresse suivante; R.R. no 2, Red Bank, Nouveau-Brunswick, Canada EOC IWO. Note 1: Le  taux  d'exploitation  est une mesure pour connaître la proportion des saumons capturés par rapport au nombre total de saumons qui ont entrepris de remonter la rivière.

références

» Par: Gérard Bilodeau
» Photos André Boucher
» Salmo Salar, Printemps, avril 1989.

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