A quel Moment les Saumons sont-ils les plus Mordeurs ?

     Dans de nombreux numéros de Salmo Salar quelques saumoniers publient les récits passionnés de leur dernière prise. Évidemment, leur activité halieutique leur permet un intime contact avec dame Nature. Chaque récit commence par une description des conditions de pêche: "Ce matin, la rivière était gonflée à bloc" ou "La pluie de la veille avait réveillé les gros saumons". Une compilation de ces articles serait d'ailleurs intéressante pour connaître ces conditions de pêche qui ont favorisé les captures. Mais serait-elle complète sans les récits des pêcheurs qui n'ont rien pris? En fait, ces derniers écrivent plutôt rarement et il serait peut-être bon, de façon à leur éviter un découragement préjudiciable à leur amour propre, qu'ils puissent trouver les excuses justifiant leur échec (ex: l'eau était trop haute, il faisait trop chaud, etc.) Ces excuses, certains biologistes s'emploient activement à leur en "préfabriquer" en se posant la question: "Quelles sont les meilleures conditions de pêche au saumon et quelles sont celles qui méritent que l'on reste chez soi à lire Salmo Salar?"

Quand le saumon commence sa migration, deux autres migrateurs lui emboîtent "la nageoire":

A quel Moment les Saumons sont-ils les plus Mordeurs ?
     1- les saumoniers pêcheurs

     2- les saumoniers biologistes qui appréhendent chaque année le décompte des reproducteurs qui vont assurer la prochaine génération. Cette dernière opération s'avère toutefois assez lourde, voire même parfois impossible. Par contre, les pêcheurs sont les courtisans les plus assidus de la plupart des rivières à saumon et ils constituent une présence quasi permanente pendant la saison de pêche. Ils sont des informateurs de choix pour les biologistes. Ainsi, si il existe une relation pour chaque rivière entre le nombre de captures et le nombre de reproducteurs, plus besoin pour les biologistes de mettre en place des opérations de dénombrement coûteuses. Ils compteront les captures et le nombre de pêcheurs de chaque rivière, ils appliqueront une formule et obtiendront le nombre de reproducteurs correspondant. Au passage, vous mesurez alors l'importance que les biologistes accordent aux déclarations des captures. Ajoutons que ces méthodes sont largement employés pour les stocks de poissons marins et que là aussi, les pêcheurs constituent pratiquement la principale source d'information dont disposent les biologistes pour connaître l'état des stocks.

     Mais dans le cas de la pêche au saumon, la relation entre les captures et le nombre de reproducteurs dépendra sans doute des conditions de pêche rencontrées au cours de la saison. C'est là que les intérêts des biologistes casaniers et des pêcheurs bredouilles se rejoignent car les conditions de pêche expliqueront pourquoi, à nombre de reproducteurs égal, les captures ont été bonnes ou mauvaises (point de vue du pêcheur) et pourquoi à nombre de captures égale, les montaisons ont été faibles ou fortes (point de vue de biologiste).

     Faut-il aller à la pêche avant pendant ou après les pluies? A-t-on plus de chances de capture pendant la montée des eaux, à la descente ou quand elles sont stables? Quelle est la température idéale? Etc. D'autres biologistes se sont penchés sur la question et on peut retrouver dans la bibliographie, des travaux sur l'effet de la température, des débits, de la pluviométrie, des phases lunaires, des marées, des vents, des conditions physico-chimiques, des règlements de pêche pour n'énumérer que les principaux.

     Sans recherche poussée, toute personne s'intéressant à la pêche pressent l'importance du débit et de la température. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les récits de pêche ou les bilans annuels de l'exploitation du saumon: ces deux facteurs sont souvent cités pour interpréter les bons comme les mauvais résultats. Par contre, l'effet précis de ces facteurs n'est pas toujours très net, que ce soit pour les pêcheurs ou pour les scientifiques. L'étude actuellement en cours devrait apporter quelques éléments de réponse. Nous sommes remontés dans le temps sur les rivières Matane et de la Trinité pour obtenir les captures, le nombre de pêcheurs et le nombre de saumons remontés grâce aux passes migratoires qui y sont installées. Par la suite, nous tentons de trouver les conditions de pêche qui peuvent expliquer tous ces résultats et donc celles qui rendent le saumon plus mordeur. Les biologistes pourront ainsi améliorer leurs prévisions à moindre coût et les pêcheurs bredouilles invoquer de bons arguments pour se justifier! Enfin, vous l'avez compris, il ne s'agit pas d'éviter aux pêcheurs des déplacements inutiles, bien au contraire. Allez à la pêche! Vos captures et vos échecs nous intéressent au plus haut point car ce sont eux qui sont indiquerons si saumon il y a dans les rivières québécoises. Réponses dans un prochain numéro!

référence

» Par Jérôme Guillouët, biologiste
» Salmo Salar #28, Automne, Octobre 1992.
PrécédentPage 1 sur 25