Achigans de la Chaudière

     La rivière Chaudière, qui prend sa source dans le lac Mégantic, s'avère un endroit de prédilection pour la pêche de l'achigan à petite bouche. Gérard Bilodeau nous invite à découvrir son parcours.

Achigans de la Chaudière
     Le 26 août 1976, lorsque je quittai mon domicile en direction de la rivière Chaudière à Saint-Lambert, je me disais qu’il fallait être malade pour aller pêcher par une chaleur pareille. Depuis plusieurs jours, le mercure atteignait sans peine les 86 °F (30°C). Par conséquent, l’eau des rivières était basse et chaude. Mais Je conservais quand même un brin d'espoir, car j'allais taquiner une espèce qui s'accommode assez bien des conditions créées par la canicule: l'achigan à petite bouche.

     Quand j'arrivai à destination vers le milieu de l’après-midi, aucun nuage ne daignait cacher les chauds rayons que le soleil semblait darder avec un malin plaisir. Et comme pour empirer les choses, aucune brise ne soufflait. «Tant mieux, me dis-je, c'est le temps idéal pour pêcher à la mouche.» En moins de deux, tout mon attirail était prêt, j'avais choisi de pêcher un secteur de la rivière qui m'avait procuré de beaux poissons lors d'excursions antérieures, il y avait un long rapide qui venait mourir dans une grande fosse, juste après avoir frappé une immense roche. Et cette roche servait de refuge aux achigans...

     Je lançai mon streamer, un Gray Ghost, en travers du courant et le laissai dériver au gré des flots, imitant ainsi la descente libre d'un méné mort. Je couvris de cette manière toute la fosse, en prêtant une attention particulière à la grosse roche. Rien, pas même une morsure. Je remontai à la tête du courant et modifiai ma technique. En utilisant le même streamer, je le fis nager par saccades à contre-courant. Au deuxième lancer, un achigan attaqua violemment te Gray Ghost et se piqua lui-même. Avant de le remettre à l'eau, je le mesurai : 18 pouces (45 cm).

La Rivière

     Pour bien des gens, le nom de la rivière Chaudière, qui coule dans une des régions les plus dynamiques du Québec, évoque les célèbres crues printanières que cette rivière fait subir aux Beaucerons presque à chaque année. Habituellement, vers la fin de mars, la rivière gonflée par les eaux de la fonte des neiges inonde les terres basses, les rues et les maisons des villes et des villages de la Beauce. Mais loin de s'en plaindre, les Beaucerons font contre mauvaise fortune bon cœur; en philosophes, ils prennent même la chose en riant. On dit d'ailleurs qu'ils trouveraient plutôt ennuyeux un printemps qui ne serait pas accompagné d'une bonne inondation. Mais les sautes d'humeur de la Chaudière ne sont toutefois pas la seule raison qui rend les Beaucerons fiers de leur rivière: ils le sont aussi pour l'excellente pêche de l'achigan que l'on peut y pratiquer.

     Prenant sa source dans le lac Mégantic, la rivière coule sur une longueur de plus de 200 kilomètres avant de se jeter dans le fleuve Saint-Laurent, plusieurs centaines de pieds en aval du pont de Québec. Afin de faciliter les choses, je diviserai la rivière en deux grands secteurs-, le cours supérieur, que l'on pourrait appeler la Haute-Chaudière, débute immédiatement en amont du barrage Sartigan à Saint-Georges-de-Beauce; le cours inférieur, quant à lui, commence au pied du barrage pour se terminer, vous l'aurez deviné, au fleuve.

     Les habitués de la Chaudière s'accordent pour dire que l'achigan est présent surtout le parcours de la rivière. Toutefois, le barrage qui a été aménagé à Saint-Georges, il y a plusieurs années (afin de contrôler la crue du printemps), empêche toute migration de poissons vers la Haute-Chaudière. De toute façon, on retrouve des rapides très violents, situés à quelques kilomètres en amont du barrage de Saint-Georges, qui ne peuvent, à mon avis, être franchis par des poissons.

     Il est toutefois possible de trouver de l'achigan dans le secteur de la Haute-Chaudière, puisqu'une forte population d'achigans habite le lac Mégantic; probablement que, de temps à autre, des achigans quittent le lac pour gagner la rivière. Toutefois, à ma connaissance, les captures d'achigan dans le cours supérieur de la Chaudière sont occasionnelles.

Le cours inférieur; un secteur «chaud»

     Le cours inférieur de la rivière, long de plus de 100 kilomètres, est le meilleur pour la pêche de l'achigan. C'est ce qu'a d'ailleurs confirmé une étude sur la distribution et la densité de la population d'achigans dans cette partie de la rivière Chaudière, réalisée par le Service d'aménagement de la faune, région de Québec. Même si cette étude date de 1976, certaines données sont encore applicables de nos jours. Ainsi, un inventaire des espèces de poissons, fait à 43 stations réparties tout le long du secteur, a démontré que l'achigan était assez bien distribué. On a de plus dénombré plusieurs sites propices à la reproduction.

     Même si les biologistes ont constaté un taux de pollution élevé à l'époque, ceci n'était pas de nature à les inquiéter, connaissant la grande tolérance de l'achigan à cet égard. De nos jours, cette espèce demeure présente partout dans le secteur aval de la Chaudière, mais certainement en moins grande quantité qu'il y a 12 ans. C'est l'avis de plusieurs pêcheurs, et aussi le mien, avec qui j'ai eu l'occasion d'en parler. Les causes qui sont le plus souvent relatées sont le taux de pollution qui s'est aggravé ainsi que la cueillette de gravier qui se pratique à Saint-Georges-de-Beauce.

     Le ministère de l'Environnement a mis sur pied, il y a plusieurs années, un audacieux programme de dépollution du fleuve Saint-Laurent. Ce projet prévoit la dépollution des principaux tributaires du fleuve en construisant des usines d'assainissement des eaux usées (égoûts municipaux, déchets des usines et des garages...). La Chaudière a bénéficié de ce programme; des usines d'épuration ont été érigées à Saint-Georges et Beauceville, et elles devraient être en opération dès cette année. D'autres usines sont également en construction ou seront construites sous peu, afin que les eaux usées de toutes les municipalités sises en bordure de la rivière (dans le secteur aval) soient traitées adéquatement avant d'être rejetées dans la rivière. De plus, un porte-parole du ministère de l'Environnement me mentionnait que le gouvernement a l'intention de porter une attention particulière à la poilution causée par les agriculteurs, et plus spécialement les producteurs de porcs.

     Quant au problème de la cueillette du gravier dans la rivière, Yves Veilleux, de l'Association des cerfs de Beauce, me confiait que son association, qui compte 2 200 membres provenant d'un peu partout en Beauce, a la ferme intention de s'occuper de ce problème dès cet été...
On peut donc raisonnablement envisager des jours meilleurs pour l'achigan dans la Chaudière. Mais, en attendant, je vous invite quand même à aller y donner «un coup de ligne», car la pêche de l'achigan y demeure bonne, voire même excellente par endroits...

La saison idéale

     Habituellement, la meilleure période pour la pêche de l'achigan dans la Chaudière débute les premiers jours de juillet pour se terminer dès que la température se rafraîchit passablement, ce qui survient habituellement vers la mi-septembre.

     L'achigan est surtout actif lorsque l'eau dépasse les 68°F (20°C). Personnellement, j'ai noté que les deux dernières semaines de juillet ainsi que les deux premières d'août représentaient probablement la période d'activité la plus intense de l'achigan dans la Chaudière. Un pêcheur qui ne dispose pas de beaucoup de temps aurait donc avantage à concentrer ses efforts durant ces semaines; il maximisera ainsi ses chances de succès.

Où pêcher?

     C'est Tharsis Bonneau, de Saint-David-de-l'Auberivière, qui m'a fait découvrir la fascinante pêche de l'achigan dans la rivière Chaudière, il y a plus de 15 ans de cela. À l'époque, nous péchions toujours dans les environs de Saint-Lambert. Par la suite, en compagnie de mon père et de mes frères, j'ai exploré d'autres coins tous aussi productifs les uns que les autres. Je me souviendrai toujours du premier achigan que mon père a capturé un beau dimanche après-midi de juillet, à Saint-Bernard. Il utilisait un lancer léger et avait attaché son leurre favori, un Rapala flottant. Un achigan d'une quinzaine de pouces avait alors saisi le leurre violemment. Dès qu'il s'était senti piqué, il avait effectué un saut spectaculaire hors de l'eau et, en se tortillant, il avait réussi à se libérer... et à éclabousser mon père!

     Tout le cours inférieur de la Chaudière est facilement accessible. Une route asphaltée longe la rive est, de Saint-Lambert jusqu'à Saint-Ceorges-de-Beauce. Le côté ouest de la rivière est lui aussi borné par une route à partir de Saint-Étienne. Afin de vous brosser un bref tableau des bons coins de pêche, je vous propose un voyage de l'amont vers l'aval.

De Saint-Georges à Beauceville

     Le premier bon «spot» se situe un peu avant Beauceville; on le nomme les rapides «du diable». C'est le coin favori de Richard Poulin, directeur de la caisse populaire locale. Richard m'a parlé avec nostalgie des prises qu'il y capturait, il y a 20 ans, et qui atteignaient parfois 4 à 5 livres (environ 2 kg). «La pêche est moins bonne aujourd'hui que dans ce temps-là, de me souligner Poulin, mais elle vaut quand même la peine d'être pratiquée. » Selon Richard, des monstres de plus de 4 livres (2 kg) nagent encore dans ce secteur. L'accès aux rapides «du diable » est difficile, surtout si on les aborde par le côté nord; il est préférable de les pêcher à pied. Afin de pouvoir circuler où bon lui semble, le pêcheur aura avantage à se munir de bottes-pantalons, à moins que l'eau soit très basse.

De Beauceville à Scott-Jonction

     Dans cette zone, le cours de la rivière est en général assez calme; les eaux y circulent paresseusement et la rivière forme, par endroits, de jolis méandres. Ce secteur est idéal pour pratiquer la pêche à partir d'une embarcation. Ceux qui connaissent bien le fond de la rivière utilisent sans hésiter un moteur hors-bord. D'autres choisissent de descendre quelques kilomètres de rivière en canot ou en chaloupe, et d'arrêter aux endroits les plus prometteurs. Peu de pêcheurs agissent cependant ainsi, ce qui garantit ainsi une certaine exclusivité à ceux qui opteront pour cette approche.

     À Sainte-Marie-de-Beauce, deux endroits méritent une attention particulière. Le premier est le pont qu'on retrouve en plein centre-ville; c'est précisément là que Benoit Poulin, de Sainte-Marie, aurait capturé un achigan de 6 livres 2 onces (près de 3 kilos). Le second se situe au confluent des rivières Chassé et Chaudière, à la sortie de Sainte-Marie. Ce site est très populaire puisqu'on s'y rend facilement à pied. De plus, une aire dégagée permet de garer la voiture, et l'on peut mettre facilement une embarcation à l'eau. À la tombée du jour, les gros achigans viennent chasser les ménés qui ont l'habitude de se tenir près du bord. C'est alors le meilleur moment pour tenter de capturer un trophée, et les prises de 2 à 4 livres (1 à 2 kg) sont monnaie courante.

DE SCOTT-JONCTION JUSQU'AU FLEUVE

     À cet endroit, la rivière élargit progressivement et le débit d'eau y est tantôt rapide, tantôt lent. Pour couvrir adéquatement les fosses et les rapides susceptibles de contenir de l'achigan, le pêcheur a avantage à employer une embarcation. Je ne vous recommande pas d'utiliser un moteur hors-bord en raison de la multitude de roches qui affleurent à la surface; les rares pêcheurs qui emploient un moteur connaissent très bien la rivière... ou sont inconscients!

     La pêche à pied est aussi possible et vous pourrez, de cette manière, accéder à d'excellents endroits. En général, des cuissardes seront suffisantes, mais si vous êtes du genre explorateur, munissez-vous de bottes-pantalons afin de pouvoir circuler plus aisément.

     Ce secteur de la rivière est l'un de mes favoris, probablement parce que c'est là que j'y ai fait mes premières armes. Je me souviens d'une soirée du début d'août, il y a trois ans, alors que je péchais en embarcation en plein centre de Scott-Jonction en compagnie d'Alain Biais, mon voisin. Nous avions alors capturé quelques beaux spécimens dont la longueur variait de 12 à 15 pouces (30 à 38 cm).

     Je fréquente assidûment la zone comprise entre Saint-Bernard et l'ancienne halte routière (que le gouvernement a abandonnée) située à quelques kilomètres en bas de Saint-Lambert. Quand j'étais petit gars, nous allions souvent pique-niquer en famille à cet endroit; j'en profitais alors pour pêcher «à plein». Finalement, le pied des chutes de la Chaudière, que l'on peut voir lorsqu'on circule sur l'autoroute 20, demeure un endroit passablement fréquenté qui donne parfois de beaux achigans.

Méthodes de pêche

     La méthode la plus employée pour la pêche de l'achigan dans la Chaudière demeure sans conteste le lancer léger. Les leurres les plus populaires, et qui procurent le plus de succès, sont le Rapala (poisson-nageur), les cuillères ondulantes de type Alligator et les cuillères tournantes du genre Mepps. Parfois, des pêcheurs agrémentent leur cuillère d'une bonne «chique» de vers de terre, ce qui crée un stimulus auquel l'achigan a bien du mal à résister.

     Certains pêcheurs, quant à eux, ne jurent que par l'emploi exclusif d'appâts vivants, et plus particulièrement la grenouille. Et Tharsis Bonneau est un de ceux-là! L'écrevisse et le méné, qui semblent jouir d'une assez grande popularité dans certaines régions du Québec, le sont moins ici, pour des raisons que j'ignore. Pourtant, leur efficacité ne fait pas de doute.

     La pêche à la mouche, même si elle est quelque peu boudée par les habitués de cette rivière, semble toutefois gagner de plus en plus d'adeptes au fil des ans. C'est ma méthode favorite. Pour ce faire, il est préférable de disposer d'une canne de 8 1/2 à 9 pieds pouvant accepter des soies #7, 8 ou 9, en raison du vent qui est rarement absent le long de cette large rivière, le jour en particulier. Pour ce qui est des leurres, le streamer est le préféré des moucheurs... et des achigans. Les modèles favoris sont le Gray Ghost, le Muddler Minnow, le Mickey Finn, le Black Nose Dace et le Magog Smelt monté en tandem. Les grosses nymphes d'éphémères ou de plécoptères dans les # 2, 4, et 6 donnent aussi parfois de bons résultats.

     Personnellement, j'utilise toujours une soie flottante, l'achigan se tenant généralement dans moins de 3 pieds (1 m) d'eau. De plus, cette soie me permet de faire nager, sans l'accrocher, mon streamer le long des roches qui émergent de l'eau ou qui en affleurent la surface et pour lesquelles l'achigan semble vouer une affection particulière.

Références

» Texte & Photos: Gérard Bilodeau (Juillet 1988).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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