Bataille avec un Saumon avant le Coucher et Combat de Taureaux au Lever

     C'était le 20 juin 1995. Sur le chemin de retour d'un voyage de pêche à Gaspé, j'avais prévu un arrêt pour lancer une mouche sur la Petite Cascapédia près de New Richmond. Chanceux ! Il y avait une place dans la zone contingentée pour le lendemain.

Bataille avec un Saumon avant le Coucher et Combat de Taureaux au Lever
     Après une journée calme, vers 19 h, je décidai de pêcher dans une de mes fosses préférées. La présence d'un guide, en compagnie de ses clients installés dans un canot au début de la fosse Ruisseau du Moulin, retarda l'exécution de mon plan. À la suite de quelques passes plus haut dans la rivière, et une fois le canot disparu, j'avais à peine effectué quelques lancers dans le haut de la fosse qu'un saumon m'indiqua sa présence par un marsouinage. Mais, peine perdue, ce poisson ne semblait aucunement intéressé par mes artificielles.

     L'heure passait et j'oubliai ce manifestant attirant pour poursuivre ma quête en descendant la fosse. Plusieurs lancers plus tard, un bouillon à l'endroit où passait la mouche fut suivi d'une vilaine secousse sur ma canne. J'en avais un ! Salmo salar dont j'ignorais la taille décampa sans hésiter vers le bas. Il ne fit aucune apparition à la surface, si ce n'est qu'en pleine noirceur, une heure plus tard.

     Eh oui ! Seul dans la fosse, j'ai passé la soirée avec ce magnifique poisson piqué à la brunante. Dès le début, je sentais qu'il s'agissait d'un beau saumon et surtout d'un poisson frais arrivant de la mer, plein d'énergie. La lutte serait longue. En aucun moment, il ne voulait se laisser approcher, sortant ma ligne de réserve à plusieurs reprises et m'obligeant à descendre puis à remonter la rivière, avec de l'eau parfois aux genoux parfois aux mollets. Il fit éclabousser l'eau à la surface à quelques occasions, me permettant d'entrevoir une forme blanche, sans plus...

     Avec un partenaire, probablement qu'au bout d'une trentaine de minutes tout aurait été terminé. Mais la bataille a été beaucoup plus longue... tout près de 2 heures 50 minutes. Je réussis à le maîtriser et à l'amener en eau morte grâce à ma patience. Devant cette fougue et cette résistance, plus ça avançait, plus je me calmais me disant : « On va prendre le temps qu'il faut ! »

     Après plusieurs balades dans la fosse, la bête donnait l'impression de vouloir moins se déplacer. Ma stratégie alors fut de regarder dans le ciel étoilé le bout de ma canne que je pouvais repérer. Quand elle se redressait, c'était le temps de mouliner et de mettre de la tension. Mais la symphonie du moulinet se faisait entendre... Répétant cette manoeuvre plusieurs fois, je parvins à sortir Salmo du courant et à l'amener en eau calme. C'est alors qu'une chauve-souris vint faire le tour de ma tête, me faisant presque perdre l'équilibre alors que je tentais de saisir mon queutard attaché à l'endos de ma veste. Il tomba à mes pieds dans l'eau... Enfin, une petite lampe de poche entre les dents, je réussis à saisir la torpille argentée par la queue alors que, complètement épuisée, elle glissait sur le côté. Quelle bête !

Il était 23 h 05 à ma montre.

     Une fois sorti et le « tag » posé, je m'empressai de vérifier son poids sur ma petite pesée; elle indiquait 25 lb (11,5 kg). Un problème se posait : après avoir marché jusqu'en haut de la fosse et rangé le matériel, il était tard et le bureau de la zec ainsi que la petite auberge de 5aint-Edgard étaient fermés. Où garder le saumon sans courir le risque de le perdre ? Comme j'étais en camping en Volks Westfalia, je décidai de coucher au bord de la fosse avec le saumon bien ancré dans l'eau, après en avoir vérifié la température: 52 °F ou 12 °C.

Et les taureaux dans tout ça ?

     Vers 5 heures du matin, j'étais éveillé, m'inquiétant de ma capture et espérant que le poisson ne s'était pas décroché ou qu'il n'avait pas été volé. Je sortis du campeur, j'allai m'assurer que tout était OK. Puis, une fois de retour, sortant un jus d'orange du réfrigérateur, j'entendis des craquements à proximité. Il faut expliquer ici qu'un chemin mène de la route principale jusqu'au bord de la rivière et que, de chaque côté de ce chemin, il y a deux champs clôturés contenant du bétail.

     Le bruit était causé par un boeuf qui, à force de charger dans la clôture, réussit à la coucher par terre, à traverser le chemin et à aller provoquer le gros mâle de l'autre troupeau. Enragé, ce dernier enfonça à son tour la clôture et voilà les deux taureaux engagés dans une bagarre en plein milieu du chemin. On se serait cru dans un vrai western, en présence de poussière, de grattage au sol, de rugissements et d'encornage avec, comme spectateurs, un pêcheur abasourdi et, derrière chaque clôture, deux troupeaux de vaches de races différentes, partisanes de leur boeuf représentatif.

     Aucunement intéressé à arbitrer ce combat, je demeurai dans la Westfalia. Ce n'est que 30 minutes plus tard que deux cultivateurs parvinrent, avec des bâtons et des cris, à séparer les belligérants et à les diriger dans leur enclos respectif, tout en réparant temporairement les dégâts. Selon les propriétaires de ces bestioles, la situation était sérieuse et les hostilités auraient pu se poursuivre jusqu'à la mort de l'un des taureaux.

     Quelle fin de voyage de pêche ! Deux combats différents dans un si court laps de temps. Ma préférence, probablement comme la vôtre, se range beaucoup plus du côté de la lutte avec Salmo salar que du côté de la bataille bovine.

     Cela prouve tout de même qu'à la pêche du saumon il est possible de se retrouver dans des situations fort-impromptues qu'on ne peut pas oublier si facilement...

références

» Texte et photo Jacques Émond
» Salmo Salar #47, Été 1997.
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