Chapitre I; Le Poisson

A- LE POISSON

​CHAPITRE I; LE POISSON
     Évidemment, point n'est besoin d'être un ichtyologiste pour s'adonner à la pratique de la pêche à la ligne! Cette activité de loisir en plein air procure de la satisfaction à des centaines de millions d'humains sans qu'ils n'aient à détenir un quelconque diplôme.
 
     Mais l'adepte de la pêche sportive se rend vite compte qu'il retire une plus grande jouissance de son activité favorite à mesure qu'il acquiert de la technique et des notions de la biologie des poissons qu'il recherche.
 
    C'est particulièrement vrai pour le pêcheur à la mouche, pour qui la pêche à la ligne n'est plus seulement un passe-temps, mais un art. Puis, lorsque le «moucheux» devient un saumonier, la pêche n'est plus seulement un art, mais une philosophie et une manière de vivre. Vous vous en apercevrez facilement en côtoyant les saumoniers.
 
     Pour le saumonier, le saumon anadrome de l'Atlantique (Salmo salar) n'est pas un vulgaire poisson à «pogner». Loin de là! En fait, le saumonier a tendance à faire de l'anthropomorphisme lorsqu'il s'intéresse à ce poisson, c'est-à-dire qu'il le considère presque son égal. D'ailleurs, bien souvent, ce pêcheur ne parlera plus du «poisson» pour décrire le saumon; il emploiera plutôt respectueusement le nom propre «Salar»).

DESCRIPTION

SAUMON D'EAU DOUCE
     Salmo salar? C'est ainsi que l'a baptisé, en 1758, Carl von Linné, ce naturaliste-suédois de réputation internationale considéré comme le père de la botanique moderne. Salmo? Mot latin utilisé par les scientifiques pour identifier des membres du même genre (ex. : truites arc-en-ciel et brunes). Salar? «Mot latin qui veut dire: celui qui saute», selon la plupart des auteurs modernes. Sauf qu'il est impossible de trouver le mot latin salar dans Le dictionnaire latin-français du baccalauréat de MM. H. Bornecque et F. Cauët... Mais on y trouve les mots sal (la mer) et salarius (qui est relatif au sel). Le célèbre biologiste québécois Vianney Legendre, qui a fait des recherches poussées là-dessus, n'ose pas se prononcer; tout ce qu'il nous a souligné, c'est que le suédois Carl von Linné a peut-être employé le mot salare, qui signifie «phoque» dans sa langue maternelle. Serait-ce que von Linné voulait dire que les saumons, des poissons nageant près de la surface, viennent marsouiner comme des phoques? Von Linné aurait-il voulu souligner que le saumon vit dans l'eau salée? Nul ne peut l'affirmer avec certitude.
 
     Anadrome? Parce que le saumon atlantique est un poisson qui naît dans l'eau douce d'une rivière, où il vit un certain nombre d'années, puis qui va vivre dans l'eau salée de l'océan pendant une période de temps plus ou moins longue, avant de revenir dans sa rivière d'origine pour s'y reproduire. Le contraire serait un poisson catadrome: qui naît en eau salée, qui vient s'engraisser en eau douce, puis qui retourne en eau salée pour se reproduire (ex. :l'anguille).
 
SAUMON D'EAU DOUCE
 
     Certaines populations de saumons vivent maintenant à l'intérieur des terres, à la suite des mouvements des glaciers (période de glaciation dite «du Wisconsin», survenue voilà quelque 10 000 ans) et à la suite des réajustements conséquents de la croûte terrestre. Ces saumons sont ceux que les scientifiques nomment maintenant Salmo salar ouananiche.
 
     Le saumon d'eau douce et le saumon anadrome ne forment qu'une seule et même espèce. En fonction des endroits où on les trouve, les saumons d'eau douce ont des appellations populaires différentes: «ouananiche» au Québec, «saumon Sebago» (dans la région du lac Sebago, dans l'État américain du Maine, où il a été introduit au début du siècle) ou bien «Iandlocked salmon» dans le monde anglo-saxon en général.
 
     Les Français des premiers temps de la colonie, au Québec, ont emprunté le nom du saumon d'eau douce aux autochtones montagnais, qui appelaient ce poisson «aonanch» (celui qui est partout, qui va partout, qu'on trouve partout). Si les conditions s'y prêtent, le saumon d'eau douce se reproduit dans les tributaires du lac où il s'engraisse; ailleurs, il demeure et se reproduit en rivière (ex.: la haute Péribonka et la Manouane, dans le Croissant Vermeil, au nord-est du Saguenay).
 
SAUMON ESTUARIEN
 
     Le biologiste québécois Geoffrey Power a soupçonné, en 1961, l'existence de «saumons estuariens» dans le Grand Nord; mais, croyant qu'il s'agissait d'un phénomène marginal, il n'a pas poursuivi plus avant ses recherches sur le sujet. Les biologistes Gaétan Hayeur, Gilles Shooner, Jean A. Robitaille et Yvon Côté ont confirmé, au début des années 1980, que des saumons font de courtes migrations, dans le Grand Nord québécois, entre le fleuve Koksoak et ses tributaires, pour la reproduction, et l'estuaire, pour l'engraissement; ils ne se rendent jamais en haute mer. L'appellation «saumons estuariens» a été créée par ces biologistes.

SAUMON À DOS BLEU

SAUMON À DOS BLEU
     La présence de saumons à dos bleu a été remarquée dans le bassin de la Ristigouche et mentionnée par l'auteur Jean-Paul Dubé, de New-Carlisle, en Gaspésie, dans son livre Le saumon. Depuis la fin des années 1930, de nombreux guides, dont les célèbres Richard Adams et Guy Moores, en ont vu et pris. On ne possède que très peu d'information à ce sujet: il s'agirait de saumons montés tardivement, dont le dos et la queue sont bleus et qui ne changent pas de couleur. On connaît le cas des «truites bleues» (ombles de fontaine anadromes, truites de mer ou truites mouchetées d'eau salée), qui montent dans la Sainte-Marguerite, au Saguenay, durant l'automne.
 
LES ÉCAILLES
 
     Pour connaître l'âge des saumons, les biologistes analysent les écailles. La vue d'une écaille grossie au microscope fait penser à la face d'un tronc d'arbre coupé. Les lignes montrent la croissance du saumon. Les lignes rapprochées signifient une croissance lente ou nulle (lorsque le saumon adulte est en eau douce et qu'il ne mange pas). Un espace plus grand entre chaque ligne signifie une croissance plus rapide (lorsque le saumon séjourne en mer et qu'il se nourrit).
 
LES ORGANES SENSORIELS
 
     Les biologistes admettent que Salar voit, entend, sent et goûte. Leurs découvertes, jointes à nos observations et à nos recherches, démontrent que les réactions du saumon sont dues aux perceptions simultanées de plusieurs organes sensoriels. Il est donc important pour vous d'analyser tous les sens du saumon pour comprendre son comportement dans son milieu de vie et pour augmenter vos chances de le leurrer.

B- LA VISION

     L'acuité visuelle des poissons est un sujet qui suscite bien des controverses dans le monde scientifique et halieutique. Puisque personne n'a jamais pu se substituer à un poisson pourvoir exactement comme lui et puisqu'aucun humain ne s'est jamais fait greffer des yeux de poisson pour expérimenter sa vision, on peut formuler une multitude d'hypothèses sur ce qu'un poisson peut voir.

LA VISION
     L'acuité visuelle des poissons est un sujet qui suscite bien des controverses dans le monde scientifique et halieutique. Puisque personne n'a jamais pu se substituer à un poisson pourvoir exactement comme lui et puisqu'aucun humain ne s'est jamais fait greffer des yeux de poisson pour expérimenter sa vision, on peut formuler une multitude d'hypothèses sur ce qu'un poisson peut voir.

     Cependant, souvenez-vous que le poisson vit dans un milieu aqueux et qu'il est donc contraint aux lois de la physique régissant la transmission des rayons lumineux dans un tel milieu. Vous devez donc formuler des hypothèses basées sur une bonne connaissance de la constitution de l'oeil des poissons ainsi que sur les lois de la physique concernant la transmission de la lumière dans l'eau.
 
     L'acuité visuelle des poissons varie d'une espèce à l'autre: elle est en rapport avec le comportement propre à chaque espèce. Ainsi, une anguille (poisson de fond) n'a pas besoin de la même acuité visuelle que le saumon (poisson de surface); la vision des poissons de chaque espèce est adaptée au milieu qu'ils fréquentent. Les biologistes reconnaissent que les truites et saumons, des poissons de surface, ont une meilleure acuité visuelle que les poissons de fond; la communauté scientifique admet que la vision de ces deux salmonidés se ressemble beaucoup. Si vous connaissez déjà très bien la vision de la truite, vous aurez très peu de difficulté à analyser avec nous celle du saumon.
 
     Sa vision est capitale, aussi bien durant les périodes de montaison que durant celles pendant lesquelles il demeure dans les fosses. Les scientifiques nous apprennent que c'est particulièrement à vue que le saumon progresse, notamment dans tous les passages difficiles (chutes, barrages, cascades, etc.). Le saumon ne franchit pas les obstacles majeurs durant la nuit. Serait-ce pour cette raison qu'on le voit sauter durant la journée, au pied des chutes, comme s'il voulait évaluer de visu l'obstacle important qui se dresse devant lui? Serait-ce aussi pour la même raison qu'il marsouine lorsqu'il monte un long rapide, lorsqu'il vient d'entrer dans une fosse?

L'OEIL DE SALAR
     Établissons d'abord que ce qui attire en tout premier lieu l'attention de Salar, c'est le mouvement des objets. Ce n'est que par la suite que ses yeux précisent la forme puis constatent la couleur ou l'absence de couleur de ces objets. Dès maintenant, vous notez que la vitesse de déplacement de la mouche dans le champ visuel du saumon est d'une importance capitale.

L'OEIL DE SALAR

     L'oeil de Salar ressemble un tout petit peu à celui de l'homme; mais il comporte des différences puisqu'il est adapté à un milieu qui n'a pas la même densité que celui dans lequel évoluent les humains. Il est moins compliqué que celui de l'homme.
 
     Sommairement, l'oeil du saumon est constitué de la cornée, l'iris, la lentille, la rétine, la sclérotique, la choroïde, les fibres du nerf optique, le cristallin, les muscles pour faire bouger l'oeil et pour lui permettre de faire la mise au point.

VISION MONOCULAIRE

     Salar est doté de vision monoculaire, c'est-à-dire que chacun de ses yeux peut percevoir l'image d'un objet différent. L'oeil peut voir un objet assez éloigné; certains biologistes soulignent que cette distance pourrait atteindre plus de 15 m (une cinquantaine de pieds), tout dépendant, évidemment, de la turbidité de l'eau. Les matières en suspension dans l'eau modifient la vision du saumon: il verra moins loin après de fortes pluies. André-A. Bellemare se souvient d'une expérience vécue, dans la fosse Keg de la rivière York, en 1983: un violent orage avait haussé le niveau de l'eau, qui était devenue couleur «café au lait», et les saumons avaient gagné le bord et l'amont de la fosse; l'eau avait alors tellement perdu de sa limpidité que de très gros saumons avaient passé entre les jambes d'André-A.!

VISION MONOCULAIRE
     En vision monoculaire, le saumon ne peut apprécier le relief, la profondeur, l'épaisseur de l'objet détecté; il voit comme une photographie de l'objet. Donc, la vision monoculaire de Salar n'est pas stéréoscopique; dans ce cas-là, il ne peut apprécier la distance qui le sépare de l'objet vu. Nous vous rappelons qu'en mode de vision monoculaire, le saumon est très sensible au mouvement brusque; il devient même effrayé lorsque, par exemple, vous pénétrez rapidement dans l'eau près de lui.
 
     Les scientifiques ne sont pas tous d'accord sur la portée de la vision monoculaire du saumon. Une école soutient que l'oeil de Salar est emmétrope ou normal, c'est-à-dire qu'il voit aussi bien de loin que de près; l'autre école croit plutôt que l'oeil du saumon est presbyte, c'est-à-dire qu'il ne distingue pas avec netteté les objets très rapprochés. En fait, selon ces derniers, le saumon serait comme une personne âgée qui aperçoit les objets situés au loin, mais qui a de la difficulté à voir ce qui est près d'elle. Nous optons pour la deuxième théorie, parce que c'est à celle-là qu'adhèrent la majorité des scientifiques que nous avons consultés à ce sujet.
 
     Nous précisons que cette presbytie de l'oeil de Salar, c'est- à-dire cette difficulté de bien percevoir les objets très rapprochés, ne survient que lorsque l'oeil du saumon est au repos. Car il faut aussi savoir qu'il peut se produire un phénomène d'accommodation dans cet oeil: en effet, un muscle (la campanule) rapproche la lentille de la rétine, ce qui permet au saumon de faire la mise au point sur l'objet, comme cela survient dans un appareil photographique.
 
     En acceptant la théorie selon laquelle l'oeil du saumon est presbyte, nous pouvons affirmer qu'il ne verra pas une mouche passant directement à côté de lui (en vision monoculaire non accommodée).
 
     D'autre part, nous tenons également à vous préciser que le saumon, comme tous les poissons, est un animal appartenant au groupe d'êtres dont la vision est de type du chiasma à croisement complet: le croisement des nerfs optiques se fait près du cerveau. Nous pouvons donc prétendre qu'il y a séparation fonctionnelle entre l'information pénétrant dans l'hémisphère gauche du cerveau et celle entrant dans l'hémisphère droit; il y a de l'information qui peut entrer par l'oeil gauche et de l'information différente par l'oeil droit (il peut faire simultanément deux mises au point différentes). Mais est-ce que le cerveau interprète tout ce qu'il voit? Vous pouvez imaginer qu'il est difficile pour le saumon de réagir à toute l'information qui pénètre dans son cerveau par chacun de ses yeux, compte tenu de la quantité incalculable d'objets dérivant de chaque côté de lui dans l'eau. Salar deviendrait, pour ainsi dire, fou s'il devait tenir compte de toute l'information pénétrant dans chaque hémisphère de son cerveau. Nous pensons que le saumon n'a pas besoin de tenir compte de toute l'information pénétrant dans son cerveau par chacun de ses yeux, puisque, contrairement à la truite, il ne se nourrit pas en rivière et il ne doit pas nécessairement porter attention à tous les objets dérivant de chaque côté de lui.
 
     Mais il faut admettre que Salar voit certains objets avec précision, netteté et relief. Comment donc? 

VISION BINOCULAIRE

VISION BINOCULAIRE
     Le saumon jouit également de la vision binoculaire, c'est-à-dire qu'il peut percevoir simultanément par les deux yeux et en trois dimensions l'image d'un même objet. Mais la vision binoculaire de Salar est restreinte: il ne peut voir en avant de lui et au-dessus de lui qu'à une distance variant de 10 à 50 ou 60cm (de 4 jusqu'à 20 ou 24 po); certains chercheurs affirment même que la vision binoculaire de Salar est efficace à une distance variant tout au plus de 10 à20cm (de 4à8 po). Le saumon est donc vraiment myope (en vision binoculaire).

     Lorsque les yeux du saumon sont au repos, ils sont constamment « ajustés» pour voir avec clarté, netteté, précision et relief entre 10 et 50 ou 60cm environ; le saumon ne peut vraiment apprécier la distance entre lui et un objet que lorsqu'il voit cet objet en vision binoculaire. Ainsi, pour attaquer une mouche, le saumon doit obligatoirement apprécier la distance entre lui et cette mouche; c'est donc dire qu'il doit absolument la voir en vision binoculaire.
 
     Étant donné que les deux hémisphères cérébraux reçoivent la même information (puisque les deux yeux voient simultanément la même mouche), nous croyons que le saumon a beaucoup plus de chances de réagir aux stimuli que représente cette mouche que s'il ne la percevait qu'en vision monoculaire. Donc, pour qu'il l'attaque, la mouche doit passer tout près, devant ou au-dessus du saumon.
 
     Si le saumon perçoit une mouche dérivant à côté de lui (en vision monoculaire), si son attention se porte alors sur elle (accommodation de l'oeil), si son cerveau réagit à ce stimulus, le saumon pourra se déplacer pour bien la voir (en vision binoculaire) et, éventuellement, la gober. 

CHAMP VISUEL

     Pour bien comprendre comment Salar verra vos mouches dans des circonstances différentes, il vous faut connaître deux phénomènes reliés aux lois de la physique concernant la transmission des rayons lumineux: la réflexion et la réfraction.
 
     Souvenez-vous, en premier lieu, que vous vivez dans une petite partie de l'univers baignée par des rayons de la lumière du soleil; toute image que vous percevez est apportée à vos yeux par ces rayons lumineux (phénomène de la réflexion).

​​CHAMP VISUEL
     Les rayons lumineux voyagent en ligne droite jusqu'à ce qu'ils rencontrent un milieu plus dense, tel que l'eau. Il peut alors survenir deux choses différentes: tout dépendant de l'angle avec lequel ces rayons lumineux frappent ce milieu plus dense que l'air, ils seront réfléchis (si l'angle est inférieur à 10°) ou réfractés (si l'angle de pénétration dans le milieu plus dense est supérieur à 10°).
 
     Les rayons traversant la surface de l'eau sont déviés de leur ligne droite et envoyés dans une direction différente, dépendant de l'angle d'entrée. L'image prend alors la direction des rayons lumineux réfractés. Ainsi, lorsque vous voyez un saumon à un endroit de la fosse, il n'est pas réellement où vous croyez le voir: en réalité, le saumon sera toujours plus en profondeur et plus près de vous qu'il ne vous semble.
 
     Pour comprendre comment les rayons lumineux réfléchis et réfractés agissent dans le champ visuel de Salar, il vous faut savoir ce qu'il voit lorsqu'il regarde des objets dérivant dans l'eau autour de lui (vision horizontale) et au-dessus de lui (vision verticale).
 
     Le champ horizontal de vision du saumon est théoriquement de 330° (s'il se sert de ses deux yeux séparément, c'est-à-dire en vision monoculaire). Les théoriciens considèrent qu'il y aurait un angle mort de 30° vers l'arrière pour un saumon totalement immobile; toutefois, étant donné qu'un saumon vivant est presque toujours en mouvement dans son repaire, nous croyons qu'il n'existe pratiquement pas d'angle mort dans son champ de vision. Lorsque Salar regarde une mouche avec ses deux yeux (vision binoculaire) son champ de vision n'est seulement que de 30° environ; d'où la nécessité de lui présenter votre mouche avec une grande précision.

CHAMP VISUEL
    Il est admis que le rayon lumineux le plus bas qui peut pénétrer au travers de la surface de l'eau est situé dans un angle de 10° par rapport à cette surface; on a établi que ce rayon lumineux est réfracté dans un angle de 48,5° sous l'eau. Donc, le saumon ne peut voir des images du monde extérieur que celles qui sont dans un angle (un «éventail ») de 160° par rapport à la surface de l'eau; mais, ces images pénètrent toutes sous l'eau par un cône (une «fenêtre» ou un «entonnoir») ayant un angle de 97° par rapport à l'oeil de Salar.
 
     Plus le saumon est en profondeur dans une fosse, plus le diamètre de sa fenêtre à la surface de l'eau est grand; ce diamètre est 2,26 fois la distance entre le saumon et la surface de l'eau. Ainsi, lorsque le saumon est à 60cm (2 pi) de la surface, le diamètre de sa fenêtre sur le monde extérieur est de 137cm (54 po). Mais, si vous vous rappelez que Salar a un champ visuel restreint en vision binoculaire (environ 30°), le diamètre de sa fenêtre à la surface pour observer les objets situés hors de l'eau ne serait pratiquement que du tiers du potentiel maximal.
 
     Plus les personnes ou les objets hors de l'eau sont éloignés de la fenêtre par laquelle le saumon voit au travers de la surface de l'eau, plus l'image que le saumon percevra de ces derniers sera comprimée et floue. D'où l'importance de vous tenir le plus loin possible d'un saumon dans une fosse pour lancer vos mouches en sa direction. Mais nous devons admettre que Salar voit encore moins bien lorsque la surface de l'eau est perturbée.
 
     En dehors de ce cône de 97° (de cette fenêtre sur le monde extérieur), la surface agit comme un miroir. Le saumon voit son environnement réfléchi dans ce miroir; il ne peut absolument pas voir à l'extérieur de l'eau au travers de ce miroir. Vous comprenez pourquoi vous devez utiliser un bas de ligne relativement long entre votre soie à moucher et la mouche: la soie doit être tenue à l'écart de la fenêtre par laquelle le saumon voit au travers de la surface de l'eau.
 
     Lorsqu'une mouche dérive sous la surface de l'eau, mais en dehors du champ de vision vertical du saumon (ce cône dont nous vous avons parlé), Salar verra deux mouches: la vraie et l'image de cette dernière réfléchie dans le miroir.
 
     Plus la mouche est près de la surface, plus la vraie mouche et son image réfléchie dans le miroir seront près l'une de l'autre (pour comprendre l'effet, rapprochez votre nez près de son image dans un miroir!. .. ). Se pourrait-il que Salar attaque parfois l'image de la mouche et non la mouche elle-même? Est-ce que ce phénomène du miroir expliquerait pourquoi Salar manque parfois la mouche qu'il attaque?
 
     Lorsqu'une mouche sèche est trop pesante ou que les hackles entourant son corps ne sont pas assez nombreux ou sont de mauvaise qualité, cette mouche crèvera le film de l'eau; quelques points brillants apparaîtront alors dans le miroir dont nous venons de vous parler. Cette mouche sera peut-être aperçue par le saumon (en vision monoculaire), après avoir entendu le bruit de sa chute sur la surface, et il pourrait éventuellement être stimulé par la vision de cette mouche. Voilà pourquoi certains saumoniers, y compris François de B. Gourdeau, parlaient de la nécessité d'employer des mouches «mouillées», en plus des noyées et des sèches.
 
     Lorsqu'il vente, lorsque la surface de l'eau est ridée par des vagues, il n'est pas opportun de pêcher à la mouche sèche, à moins que le corps de la mouche ou les hackles entourant le corps ne crèvent le film de l'eau ou à moins que la mouche ne bouge très vite à la surface de l'eau et qu'elle ne fasse un sillon. Pourquoi? Parce que les vaguelettes à la surface font réfracter les rayons lumineux dans toutes les directions et tous les angles et que le saumon ne peut utiliser sa fenêtre; ce que Salar perçoit, c'est un peu comme les images créées par un kaléidoscope. 

PERCEPTION DES COULEURS

     La rétine est à l'oeil ce que la pellicule est à l'appareil photographique. La couche de cellules visuelles se compose de cônes et de bâtonnets qui sont les récepteurs de la lumière. Les cônes (éléments photopiques) permettent à l'oeil de Salar de percevoir les détails des objets, leur couleur, lorsque la lumière ambiante est vive. Les bâtonnets (éléments scotopiques) masquent les cônes lorsque la lumière ambiante est faible ou absente; ils permettent alors à l'oeil du saumon de percevoir quand même les formes et les contours des objets, mais sans discerner les couleurs. Lorsque les bâtonnets dans l'oeil du saumon entrent enjeu, Salar ne discerne plus les couleurs, mais il ne voit que le noir (qui est une absence de couleur) et le blanc (paradoxalement composé de chaque couleur de tout le spectre lumineux). Si le saumon ne voit que le noir et le blanc, à l'aube et au crépuscule ou lorsque le temps est très sombre, vous aurez avantage à utiliser une mouche ayant un corps noir et une aile blanche ou ayant du noir et du blanc dans son aile (ex.: Skunk).

tructure et perception de l'oeil du saumon
     Ce changement de perception, entre la vision de jour et celle de nuit, ne survient pas brusquement. Le biologiste M. A. Ali, professeur d'ichtyologie et de physiologie comparée à l'Université de Montréal, nous apprend que les bâtonnets mettent environ 60 minutes à masquer les cônes pour adapter l'oeil du saumon à l'obscurité (à 20°C ou 68°F). M.AIi nous souligne que cette adaptation à l'obscurité (ou à la lumière) est plus rapide quand la température est élevée. Vous devriez retenir cette information qui vous sera utile lorsque vous pêcherez à l'aube, en début de saison, lorsque l'eau est froide: vous devriez alors pêcher plus longtemps avec des mouches noires et retarder un peu l'utilisation de mouches colorées. Par ailleurs, nous croyons que l'oeil de Salar perçoit les contrastes frappants lorsque les bâtonnets de son oeil sont entrés en jeu. Il est possible qu'il soit alors stimulé par les contrastes dans l'aile d'une mouche Mickey Finn, par exemple. Car, avouons-le, nous avons pris des saumons avec des Mickey Finn, à l'aube et au crépuscule.

    Il est admis par tous les biologistes que Salar peut distinguer les différentes couleurs du spectre lumineux. Il est intéressant de noter que la lumière blanche, diffusée à travers un prisme, donne un spectre, soit une image résultant de la décomposition de cette lumière en sept couleurs (dans l'ordre: violet, indigo, bleu, vert, jaune, orange et rouge). Le violet est la couleur possédant la plus courte longueur d'onde, tandis que le rouge est celle qui émet la plus longue. S'il y a trop de particules en suspension dans l'eau (eau haute, brouillée par les pluies, etc.), le saumon perçoit mieux les couleurs émettant une plus grande longueur d'onde; si l'eau est basse et claire, ce sera l'inverse.
 
     Les hommes de science nous apprennent que Salar, en plus de distinguer les couleurs, peut aussi percevoir les différentes nuances de ces mêmes couleurs (jusqu'à une vingtaine de nuances); le saumon est sensible à l'ultraviolet. Comparée à celle de l'homme, la perception des couleurs par le saumon est étonnante. Ainsi, l'emploi d'un bout coloré (rouge, orange, vert, jaune) sur une mouche (ex.: la Butterfly) peut avoir plus d'importance qu'on ne le croit; de même pour l'addition de fibres colorées dans les ailes (ex.: dans une Black Dose). Nous nous permettons même parfois d'inclure dans la parure de nos mouches quelques fibres de matériaux fluorescents de différentes couleurs.

SAUMON AVEUGLE

     Si quelqu'un vous dit qu'il y a des saumons aveugles, il faut le croire. Comment cela peut-il survenir? De deux façons, selon les scientifiques. D'abord, des saumons perdraient la vue (d'un oeil ou des deux) lorsqu'ils se prennent dans les filets des pêcheurs commerciaux ou autochtones. D'autre part, des saumons deviennent aveugles à cause de la transmission, par les truites de mer, d'un parasite de l'oeil (qui n'affecte pas ces dernières); c'est dans les estuaires des rivières que survient la transmission de ce parasite, lorsqu'il y a une grande promiscuité entre les saumons et les truites de mer.

    Le saumon aveugle est noirâtre. Il l'est plus ou moins, selon qu'il est aveugle des deux yeux ou d'un seul. Il importe de souligner, ici, un phénomène important survenant chez tous les saumons: le changement de couleur. Ce phénomène est de deux types: morphologique et physiologique. Morphologiquement, le saumon perd graduellement, à l'approche de la reproduction, la couleur argentée de sa livrée: il rougira, jusqu'à devenir cuivré à l'automne. Physiologiquement, le saumon tend à prendre la couleur du milieu ambiant (pâle ou foncée); c'est la raison pour laquelle les saumons dans les rivières de la Côte-Nord ont le «teint» plus foncé que ceux des rivières de la Gaspésie. Le processus physiologique de mimétisme avec le milieu ambiant est un processus d'adaptation extrêmement rapide; il est relié au système nerveux et nécessite l'intégrité des structures anatomiques de l'oeil.

    Puisque le saumon aveugle n'a plus cette intégrité (il a eu l'un ou les deux yeux crevés par les filets ou contaminés par les parasites), le milieu ambiant lui apparaît très sombre ou complètement noir; d'où le fait que la livrée du saumon aveugle est noirâtre ou noire.

C- LES AUTRES ORGANES

LE GOÛT ET L'OLFACTION

LE GOÛT ET L'OLFACTION
     Le sens du goût permet au saumon de détecter la proximité de nourriture, de substances chimiques dissoutes dans l'eau, l'acidité et l'alcalinité de l'eau et sa salinité. Mais l'odeur est un prologue à la qualité tactile du goût: Salar doit sentir avant de goûter.

     Le saumon perçoit les odeurs à l'aide de deux minuscules narines situées en avant de chaque oeil. Des chercheurs ont établi que l'odorat permet au saumon adulte en migration de reconnaître sa rivière natale, grâce à l'odeur particulière que cette rivière dégage. Cette odeur caractéristique de la rivière (empreinte olfactive) est mémorisée pour toujours par le saumoneau, à un certain moment très précis et très court de sa vie, durant les dernières semaines avant la «dévalaison» (action du saumoneau qui descend sa rivière natale vers la mer, où il va s'engraisser).
LE GOÛT ET L'OLFACTION
     L'odorat permet au saumon de détecter des concentrations, même très faibles, de composés chimiques dans l'eau. Vous vous souvenez qu'en 1982, dans la rivière York (qui se jette dans la baie de Gaspé), il y eut un déversement d'acide sulfurique par la compagnie minière située à Murdochville: les saumons ont senti la présence anormale de ces produits chimiques dans l'eau de leur rivière et ils sont redescendus à la mer.
 
     Le sens de l'olfaction permet aussi à Salar de reconnaître ses congénères. Les chercheurs ont démontré que l'odorat permettait même aux mâles de détecter les femelles nageant à quelques dizaines de mètres (plusieurs dizaines de pieds) devant eux, au moins pendant la période de reproduction.
 
     Ajoutons qu'avant de changer de fosse, avant de continuer son voyage vers le haut de sa rivière natale, le saumon devient nerveux et agité: cela survient habituellement lorsque le niveau de l'eau monte. Généralement, lorsque l'eau monte ainsi assez rapidement, elle est salie et il devient alors difficile d'expliquer comment les saumons (habituellement regroupés) peuvent remonter dans les eaux troubles en se fiant uniquement à leur vision. Nous croyons qu'ils doivent faire appel à leur odorat et aussi à l'ouie. Il est aussi admis que le sens de l'odorat aide le saumon à déceler la présence de ses ennemis naturels. 

L’OUÏE

     Les saumons peuvent détecter des bruits et des vibrations (par exemple: le passage du train qui roule sur les rails situés sur la berge ouest de la rivière Matapédia, les pas lourds d'un pêcheur approchant de la fosse, les bruits faits par des prédateurs et même ceux émis par des insectes aquatiques). C'est ce que nous a confié, entre autres, Pierre-Philippe Morin, de Sainte-Foy, du département de Biologie de l'université Laval de Québec.

     Les saumons sont sensibles seulement aux vibrations sonores aquatiques, celles qui sont produites dans l'eau (par exemple, le bruit que fait votre bâton de rivière en frappant les roches dans la fosse). Rappelez-vous que les vibrations sonores se propagent cinq fois plus rapidement dans l'eau que dans l'air et que ces sons voyagent dans l'eau sur une plus grande distance que dans l'air. Si vous marchez lentement et évitez de causer du bruit, vous avez de meilleures chances d'être moins vu et entendu par Salar.
 
     Les saumons sont insensibles aux vibrations sonores aériennes, les sons ne passant pas de l'air dans l'eau; donc, vous pourrez parler à vos compagnons de pêche sans risque d'alerter Salar (cependant, vous dérangerez peut-être vos compagnons par vos jacasseries ... et c'est peut-être la raison pour laquelle ils vous recommanderont de ne pas leur parler!)
 
     Salar a des oreilles, mais ces dernières n'ont pas d'orifice externe. Les sons font plutôt vibrer les parois de la vessie natatoire et ces vibrations se transmettent jusqu'aux oreilles internes. Selon certains hommes de science, Salar entendrait surtout les sons de basse fréquence avec ses oreilles internes.
 
     Mais le saumon «sent» surtout les vibrations sonores et celles émises par les objets en mouvement autour de lui au moyen d'un sens tactile très développé, la ligne latérale, qui est son principal organe auditif. Cette ligne, située sur les flancs, est constituée de minuscules terminaisons nerveuses d'une extrême sensibilité. Ainsi, il perçoit par ses lignes latérales la vitesse du courant, le déplacement de l'eau causé par les objets dérivant dans le courant (passage de ses congénères, par exemple), etc. C'est comme s'il touchait, voyait et entendait à distance, tout en pouvant localiser exactement la source émettrice des vibrations, la grosseur de cet objet ou de cet être. Si une mouche tombe à l'eau, le saumon s'en rendra compte même si elle est à plusieurs mètres (verges) de lui; les biologistes soutiennent que le saumon peut identifier la position exacte de la mouche dans l'eau lorsque cette dernière est à 1 m (3 pi) de lui. Tous les organes qu'utilise Salar pour détecter les vibrations sonores et les mouvements dans l'eau sont d'une importance capitale pour lui lorsque les eaux sont très brouillées ou durant la nuit.
 
     Salar «s'habituera» aux bruits produits dans sa rivière; après quelques jours, il ne réagira probablement plus aux bruits produits lors du passage du train mentionné antérieurement. Il s'est donc produit un phénomène d'habituation, tout comme cela survient chez l'humain qui ne s'apercevra même plus du ronronnement du moteur de son réfrigérateur dans son logis ou qui dort comme un loir malgré la présence d'une autoroute presque dans son arrière-cour. Mais, le saumon ne réagit pas seulement aux bruits qu'il perçoit: ses réactions sont aussi fonction de toutes les données qu'il capte par ses autres sens. 

LA LOCOMOTION

     Le corps de Salar est fusiforme. Pour se propulser, le saumon produira des mouvements ondulatoires brusques et il pourra ainsi progresser rapidement. Salar peut parcourir jusqu'à 8 m (quelque 25 pi) à la seconde et progresser de 40 à 50 km par jour (25 à 30 mi) à contre-courant.

D- CYCLE DE VIE

SALAR EN RIVIÈRE

SALAR EN RIVIÈRE
     Il n'est pas superflu, après vous avoir exposé ces quelques généralités, de vous communiquer certains détails concernant le cycle de vie de Salar. Ce qui vous aidera à comprendre son comportement lorsque vous irez à sa rencontre en rivière et tenterez de lui faire gober vos mouches.

     Partons du moment où les géniteurs, après une montaison parfois difficile de la rivière de leur naissance, se retrouvent sur les frayères. La fraieson s'étend de la fin d'octobre à la mi-novembre, exception faite des rivières du Grand Nord, où elle a lieu beaucoup plus tôt (fin septembre ou début octobre), probablement à cause de la plus basse température de l'eau et du raccourcissement de la durée du jour (phénomène de la photopériode). La femelle dépose ses oeufs dans le gravier, après avoir nettoyé le nid de frétillements vigoureux de sa queue; le mâle les arrose de son sperme. Parfois, des tacons mâles (jeunes saumons) vont participer à la fraie. Les oeufs sont ensuite recouverts de gravier provenant d'un autre nid que la femelle construit quelques mètres (pieds) en amont.
saumon femelle prépare son nid
     Des moyennes générales ont été établies pour évaluer la fécondité du saumon. Ainsi, une femelle pond environ 1 800 oeufs par kg de poids (quelque 800 oeufs par lb), Donc, un saumon femelle d'un poids de 4,5 kg (10 lb) de poids déposera quelque 8 000 oeufs dans le nid. Au printemps suivant, une partie de ces 8 000 oeufs deviendront des alevins. En tenant compte de la prédation, en rivière aussi bien qu'en mer, ainsi que de l'élimination naturelle, seulement quatre saumons adultes issus de ces 8 000 oeufs reviendront dans la même rivière, quelques années plus tard.
 
ALEVIN

     Au printemps, l'oeuf va éclore pour donner naissance à un alevin. Ce dernier est un poisson minuscule, dont le ventre ressemble à une poche gonflée; cette poche se nomme sac vitellin et elle contient tout ce dont l'alevin a besoin comme nourriture durant les premières semaines de son existence. Ce sac se résorbe ensuite. Au cours du premier été, l'alevin se nourrit d'insectes et de micro-organismes. Au début de l'hiver, il aura atteint entre 5 et 9cm (entre 2 et 3 po et demi).

TACON

     L'été suivant, sa croissance se fait plus rapide. On le nomme alors tacon. Les tacons vivent de deux à sept ans dans la rivière, selon les régions et le milieu qu'ils habitent. Bien souvent, leur vie en rivière se fait en voisinant les truitelles, des quelles les tacons se distinguent notamment par leur queue fourchue. Les tacons se nourrissent principalement d'insectes aquatiques et terrestres; d'ailleurs, il est facile de les voir chasser les insectes lorsqu'on pêche dans une rivière à saumons; ils sont très habiles à exécuter des bonds hors de l'eau, principalement pour capturer des insectes.
 
     Nous nous souvenons d'avoir observé ce phénomène alors que nous pêchions dans la fosse La Baignade de la rivière Patapédia. Gérard Bilodeau était debout dans l'eau et, à environ 60cm (2 pi) de lui, un tacon sortit complètement hors de l'eau pour aller frapper un insecte qui volait à environ 25cm (10 po) au-dessus de l'eau. Quelques secondes plus tard, le tacon répéta le manège pour attraper un autre insecte. Le tacon s'élança même hors de l'eau pour tenter de gober l'artificielle au bout du bas-de-ligne de Gérard ... à 30cm (12 po) au-dessus de l'eau!
 
     S'il arrivait qu'un tacon gobe votre mouche, ramenez-le lentement vers vous pour ne pas le noyer. Au moment de décrocher la mouche, évitez absolument de toucher le tacon: si vos doigts entrent en contact avec lui, il pourrait en crever. Tenez donc tout simplement l'hameçon fermement entre vos doigts, sans bouger: le tacon, en se débattant, se décrochera de lui-même et retournera à la rivière (ne le tenez pas trop élevé au-dessus de l'eau).
 
SAUMONEAU

     Après ces quelques années passées en rivière, le tacon subit une transformation importante: sa livrée prend une coloration argentée (les bandes marquées sur le corps disparaissent); les nageoires noircissent et le corps devient plus allongé (il atteint une longueur de 15 à 20cm - 6 à 8 po). Toutes ces transformations externes s'accompagnent de modifications physiologiques qui le préparent à la vie qui sera sienne pendant un, deux ou trois ans en mer. Le tacon prend alors le nom de saumoneau. Vers la fin du printemps, il commence la dévalaison de la rivière avec ses congénères jusqu'à l'estuaire, où les individus du groupe séjournent pendant quelque temps, avant de quitter définitivement ce lieu pour les vastes pâturages de l'océan Atlantique.

PRÉDATION ET POLUTION

PRÉDATION ET POLUTION
     Dès son jeune âge, le saumon subit la prédation des représentants d'autres espèces animales. Il est très recherché notamment par la truite, le bec-scie, le martin-pêcheur, la loutre, le vison, le goéland, le cormoran.
 
     La pollution, malheureusement, contribue à la dégradation de l'habitat et, sur ce point, l'action des précipitations acides constitue la plus grande menace, particulièrement pour les rivières de la Côte-Nord, dont le milieu a malheureusement un faible pouvoir de neutralisation des effets de l'acide contenu dans les averses de pluie et de neige.

SALAR EN MER

     Le saumoneau, une fois qu'il a atteint la mer en compagnie de milliers d'autres congénères, se dirige vers des lieux de pâturage situés souvent loin de sa rivière natale. La mer constitue un milieu riche en nourriture; le saumoneau se nourrira de crustacés, capelans, harengs, etc. et prendra du poids rapidement. Ce périple peut varier d'un an à trois ans.

SALAR EN MER
     Une intrigante question que nous posons aux biologistes et pour laquelle nous n'avons actuellement aucun élément de réponse: quels sont les facteurs internes (mécanisme du message héréditaire) qui poussent les saumons vers cette destination lointaine (aires d'engraissement), où seuls leurs ancêtres ont vécu?
 
     Les «madeleineaux» (ou «castillons» ou «p'tits gris» ou grilses) sont des saumons qui passent seulement un an en mer avant de revenir frayer dans leur rivière d'origine. Ils demeurent le long des côtes de leur pays d'origine.
 
     D'autres saumoneaux se dirigent vers les lieux de pâturage situés au large et le long de la côte ouest du Groenland ainsi que dans les alentours des Îles Faroë, qui, comme le Groenland, appartiennent aux Danois. Toutefois, il est possible, selon le biologiste Yvon Côté du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche du Québec, que les saumons des rivières québécoises ne se rendent pas tous près des côtes groenlandaises. Existerait-il d'autres aires d'engraissement? Côté souligne qu'on a mis en évidence l'existence d'un pâturage marin sur les grands bancs de Terre-Neuve.
 
     Les prédateurs du saumon sont aussi actifs en mer qu'en rivière. Parmi eux, notons les phoques, les requins, les goélands, les cormorans. La pollution causée par les navires transatlantiques qui vidangent en haute mer, comme l'a si souvent prouvé le capitaine Jacques Cousteau, n'améliore assurément pas le sort du saumon.

RETOUR À LA RIVIÈRE

     Puis, un jour, l'instinct des saumons adultes leur commande de retourner vers leur lieu d'origine. Voyageant le jour, la plupart du temps, ils entreprennent un long parcours jusqu'aux frayères, selon des règles établies depuis des millénaires et à propos desquelles les chercheurs se posent encore de nombreuses questions.

DES HYPOTHÈSES

PÉRIODE D'ADAPTATION
     Le phénomène le plus intrigant demeure la manière dont les saumons s'y prennent pour retrouver leur chemin.
 
     Des hypothèses suggèrent l'utilisation des étoiles et du soleil comme guides. D'autres parlent de l'influence des courants giratoires dans l'océan. Cependant, une fois rendu près de la côte, le saumon localise sa rivière d'origine au moyen de l'odeur particulière que celle-ci dégage pour lui.
 
     Les biologistes ont utilisé la méthode de l'étiquetage pour connaître les déplacements des saumons. Il ont posé des étiquettes sur le dos des saumoneaux, près de la nageoire dorsale, lors de la dévalaison: les pêcheurs commerciaux qui ont pris dans leurs filets des saumons portant de telles étiquettes et qui ont pris la peine de retourner les étiquettes aux biologistes (en indiquant l'endroit où les prises ont été faites), ont permis aux scientifiques d'établir les routes de migration des saumons. L'emploi de cette technique a permis aux biologistes du Québec de découvrir que les saumons, à leur retour des aires d'engraissement, n'empruntaient pas nécessairement la même voie d'entrée dans le golfe du Saint-Laurent que celle qu'ils utilisaient à leur départ de leur rivière natale. Enfin, il a été établi que les saumons adultes retrouvaient leur rivière natale avec une précision dépassant 95 pour 100!

PÉRIODE D'ADAPTATION

    Depuis longtemps, des auteurs soutiennent que les saumons, après avoir localisé l'estuaire de leur rivière natale, séjournent dans cet estuaire pendant une certaine période de temps; selon eux, ce séjour permettrait aux saumons de s'acclimater à l'eau douce pendant que des changements physiologiques importants surviennent chez eux (par exemple, leur glande thyroïde se modifie sensiblement, puis ils cessent de manger).
 
     Nous croyons plutôt que la durée du séjour du saumon dans l'estuaire de sa rivière natale est fonction du débit de l'eau; car, surtout à l'embouchure des rivières d'Anticosti (c'est là où c'est plus visible et plus facile à remarquer), nous avons constaté que les saumons n'hésitent nullement à entreprendre leur montaison après une pluie qui a haussé le niveau de l'eau dans la rivière. D'autre part, nous avons aussi remarqué, là où l'on pratique l'aquaculture, que les saumons pris au filet par les pêcheurs commerciaux (en eau salée) et introduits immédiatement dans des piscines (d'eau douce) ne semblent nullement souffrir de ce transfert rapide d'un milieu aqueux à un autre.
 
     Peut-il arriver que le saumon atlantique mange en eau douce? Oui! Lorsqu'il redescend à la mer, après la fraieson, et que de nouveaux changements physiologiques surviennent; c'est pourquoi les pêcheurs à la ligne prennent tant de saumons noirs si facilement, le printemps, dans la rivière Miramichi, au Nouveau-Brunswick.

LA MONTAISON

LA MONTAISON
     Les saumons fraîchement arrivés de la mer sont gras et possèdent une livrée argentée.
 
     La montaison se fait plus ou moins rapidement, selon le niveau de l'eau en rivière et sa température. Des eaux trop basses, trop chaudes et moins bien oxygénées retardent la montaison.
 
     L'entrée des saumons dans la rivière se fait généralement dans l'ordre suivant: - les gros saumons, qui viennent de passer trois ans en mer, arrivent les premiers, assez tôt (vers la fin du printemps).
 
     Ainsi, dans le bassin de la Ristigouche, ces gros saumons commencent leur montaison vers la fin du mois de mai. Ils montent rapidement, si bien que les observateurs notent leur présence au pied des chutes de la rivière Causapscal (à environ 160 km de la mer - 100 mi) en début de juin.
 
     Ce qui peut retarder l'arrivée des saumons près de nos côtes, c'est la présence plus ou moins importante de glaces dans le golfe du Saint-Laurent. Chose certaine, lorsqu'il n'y a plus de glaces dans le golfe, la température de l'eau est alors plus propice à la migration des saumons vers leur rivière natale.
 
     - viennent ensuite les saumons qui ont passé deux ans en mer (environ 3,5 à 7 kg - quelque 8 à 15 lb). Ils commencent leur montaison entre le 15 et le 30 du mois de juin, tout dépendant des rivières.
 
     - généralement, durant la première quinzaine de juillet, les saumons ayant passé un an en mer commencent leur montaison. Le contingent des madeleineaux est presque entièrement constitué de mâles; citons, comme exemple, que plus de 95 pour 1 00 des «p'tits gris», dans la rivière Grande-Trinité (Côte-Nord), sont des mâles.
 
     Pourquoi y aurait-il tant de madeleineaux dans certaines rivières? Il est admis par les biologistes que les pêcheries commerciales et autochtones (au filet, à fascines) s'emparent d'une bonne proportion des gros géniteurs, ne laissant passer que des saumons plus petits ...
 
     Y a-t-il danger de «grilsification» de certaines rivières du Québec, c'est-à-dire que la majorité des saumons soient des madeleineaux, après plusieurs années d'une montaison massive de «p'tits gris»? Actuellement, ce danger n'existerait pas, même si quelques personnes soutiennent vivement le contraire; en effet, il faudrait que la proportion des madeleineaux femelles soit à peu près égale à celle des mâles pour que la reproduction se fasse uniquement entre les « p'tits gris». Cependant, le phénomène de «grilsification» a été remarqué dans certaines rivières de Terre-Neuve.
 
     Nous vous signalons que des gros saumons peuvent remonter la rivière à tout moment durant l'été. Dans la plupart des rivières, il semble y avoir une montaison de gros saumons en août ou en septembre (tout dépendant des rivières).

     Il vous arrivera parfois de capturer un saumon auquel sont accrochées des puces de mer: c'est un signe que ce saumon vient tout juste d'entrer en rivière, car les puces de mer ne vivent guère plus de 48 heures en eau douce.
 
     À mesure que la saison avance, la coloration de la robe du saumon se modifie: elle acquiert une livrée rougeâtre. La mâchoire inférieure du mâle remonte vers le haut, formant comme un crochet qui s'enfonce dans la mâchoire supérieure.
 
     En rivière, le saumon se déplace surtout la nuit. À l'occasion, ses déplacements auront lieu le jour, en particulier au début de l'avant-midi et en fin d'après-midi (cela est surtout vrai en début de saison). Au cours de sa remontée, le saumon s'arrêtera dans des endroits choisis pour se reposer. Ces endroits sont appelés fosses.
 
     Lorsqu'il entreprend la remontée de sa rivière natale, Salar n'a qu'un seul but: frayer. Il y mettra toute l'énergie et le courage nécessaires. Les courants les plus impétueux et les chutes les plus violentes seront affrontés avec une détermination qui commande notre respect et qui ne peut faire autrement que d'éveiller en nous un sentiment d'admiration pour Salar, ce noble animal.

MORTALITÉ

     Contrairement à son « cousin» du Pacifique (qui n'est pas un véritable «saumon»!...), le saumon anadrome de l'Atlantique ne meurt pas nécessairement après la fraieson. Les survivants sont efflanqués et on les nomme saumons noirs. Une partie de ces derniers regagnent la mer immédiatement après la fraieson, alors que d'autres passeront l'hiver en rivière pour redescendre vers la mer durant le printemps suivant. Seulement un faible pourcentage de ces saumons échapperont au péril d'un deuxième voyage dans l'océan et pourront revenir frayer une deuxième fois (de 4 à 10 pour 100).
 
     À ce sujet, le biologiste Gilles Shooner, de Loretteville, a déjà identifié un saumon femelle qui remontait frayer dans la rivière Matane pour la cinquième fois. Ce saumon, d'un poids de 15 kg (33 Ib), capturé par Charles-Édouard Raymond, de Causapscal, était âgé de 15 ans. C'est le plus âgé des saumons officiellement enregistrés au Québec.

UN ANIMAL À PART

     La route de migration de Salar est parsemée d'embûches et de périls: prédateurs naturels en rivière et en mer, pêcheurs commerciaux et autochtones au filet, etc. Tous ces problèmes auxquels Salar est confronté causent tant de soucis à ses amis, les saumoniers, que ces derniers sont prêts à bien des extravagances pour le défendre.
 
     Pour vivre en eau douce, Salar a besoin d'un environnement d'une qualité exceptionnelle. C'est tellement vrai qu'un pays qui accueille des saumons atlantiques dans ses rivières, pour la reproduction, ne peut avoir de meilleur ambassadeur dans le monde entier pour vanter la qualité de son environnement. Mais, s'il advient que les stocks de saumons se reproduisant dans les rivières de ce pays diminuent de façon sensible, il y a des faits qu'un tel ambassadeur ne pourra plus cacher concernant la qualité de vie dans cette contrée.
 
     Depuis des siècles, une multitude de chercheurs ont tenté de percer tous les mystères posés par l'existence et le comportement de Salar, sans y parvenir complètement. Pendant ce temps, une myriade de pêcheurs sportifs ont recherché, sans succès, les trucs infaillibles pour récolter autant de saumons que désiré. De nos jours, autant chez les scientifiques que chez les saumoniers, on continue d'aller de découverte en découverte.
 
     Chose certaine, pour les saumoniers, Salar est et demeurera encore longtemps un animal à part, étonnant, fascinant, merveilleux, mystérieux. Un animal qu'ils continueront de reconnaître comme le roi des poissons d'ordre sportif et à propos duquel ils liront tous les livres qui leur tomberont sous la main ... quand ils ne se mettront pas à en écrire eux-mêmes à son sujet.

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