Demoiselles et Libellules

Les Odonates de A à Z

     Le Québec, par l'abondance de ses milieux aquatiques, est sans aucun doute le royaume des libellules et des demoiselles dans la zone tempérée du globe. L'odonatofaune du Québec comprend 137 espèces trouvées à ce jour (Hutchinson & Ménard, en préparation) et il est encore possible de trouver des espèces non encore recensées.

     Si la pêche n'est pas une de mes activités courantes, je suis par contre un mordu de l'étude des libellules (adultes et larves) depuis 1972.

Demoiselles et Libellules
     Je partage avec vous quelques-unes de mes observations accumulées au cours des années sur les libellules du Québec.

Apprendre à les connaître

     Déjà en 1917, Wilson affirme que, dans plusieurs localités du Connecticut où il a vécu son enfance, on faisait le commerce des larves de libellules comme appâts pour pêcher la perchaude, la truite et autres poissons. En 1927, Garman cite diverses sources selon lesquelles les larves de libellules constitueraient 25% de la nourriture d'un de nos brochets (Esox vermiculatus), 13% du régime alimentaire de deux espèces de crapets (Pomoxis annularis et P. sayanus).

     Les larves de libellules jouent un rôle important dans l'alimentation de la truite et autres espèces de poissons, en particulier à certains moments de l'année.
Je crois que le pêcheur désireux d'utiliser les larves de libellules comme appâts doit acquérir deux types de connaissances relatives aux odonates (libellules et demoiselles) qui peuplent nos eaux : les types de larves et leur morphologie, puis les habitats des différentes espèces.

D'abord les larves

     L'odonatologie regroupe les larves d'odonates en trois catégories : les larves errantes ou nageuses, les rampantes et les fouisseuses.

     Les larves errantes vivent dans la colonne d'eau et s'accrochent aux plantes aquatiques pour chasser à l'affût. Elles nagent rapidement, par mouvements brusques. La forme aérodynamique de leur corps facilite leurs déplacements dans l'eau.

     Les larves rampantes déambulent maladroitement sur les différents substrats et débris qui s'amoncellent sur le lit des cours d'eau et des lacs en traînant péniblement un corps à l'aspect massif. Certaines espèces alternent séjours dans la vase et sorties sur le fond de l'eau. L'âge et le stade de développement auraient leur influence sur ce comportement.

     Enfin, nos plans d'eau sont peuplés de larves fouisseuses qui établissent leur demeure dans la boue et le sable. Ces larves sortent peu de leur antre.

Là où elles vivent

     Plusieurs espèces de libellules vivent dans des plans d'eau aux dimensions très réduites (flaques ou trous d'eau, mares et fossés de bords de routes) ou dans les tourbières. Les rares espèces de poissons adaptées à ces milieux inhospitaliers n'intéressent guère les pêcheurs à la mouche. Il reste heureusement plusieurs espèces d'odonates qui dominent souvent dans certains types de cours d'eau et dans les lacs.

En eaux vives

     Les cours d'eau aux lits jonchés de grosses pierres et aux courants véloces fournissent peu de micro-habitats favorables au développement des larves d'odonates. C'est plutôt le royaume des larves d'Ephéméroptères et de Plécoptères, deux ordres d'insectes importants pour les pécheurs à la mouche.
 
     La personne intéressée aux libellules cherchera les petites anses tranquilles aux lits constitués de matières miné raies plus fines (sable, boue, vase, cailloux) qui hébergeront notamment quelques larves fouisseuses.

    Un cours d'eau au débit lent ou moyen, où le fond est constitué d'une diversité d'éléments plus fins, plus stable (cailloux, boue, sable et détritus de toutes sortes), crée des habitats propices aux espèces des genres Gomphus, Ophiogomphuset Lanthus. Leurs larves abondent mais les adultes sont rarement observés ou récoltés, ce qui les rend très prisés des collectionneurs.

     Les cailloux de différentes tailles, parfois gros comme le poing, vous réservent la surprise de découvrir des larves de l'espèce Ophiogomphus mainensis.

     Les substrats à granulométrie fine (sable, boue, etc.) abritent les espèces Lanthus parvulus, Lanthus albistylus, Gomphus descriptus, Gomphus brevis.

     Les larves nageuses Boyeria vinosa se fixent solidement au débris emportés par le courant. Elles s'y cramponnent avec tellement de force qu'on les brise en morceaux avant qu'elles ne lâchent prise.

     Les larves fouisseuses du genre Cordulegaster donnent naissance à des libellules de forte taille dont les mâles patrouillent les bords des cours d'eau.

     Il reste énormément à découvrir sur les espèces de ces genres d'odonates. La plupart de ces larves sont fouisseuses, bien que certaines espèces, comme celles du genre Argia, choisissent de s'accrocher sous des pierres en des endroits stratégiques pour éviter d'être emportées par le courant. Il s'agit de grandes demoiselles communes autour des cours d'eau qui aiment se poser sur des pierres et sur le sol.
 
En lacs

     Déjà en 1953, l'éminent odonatologue canadien E.M. Walker écrit que les petites étendues d'eau sont les milieux les plus productifs pour la prolifération des larves d'odonates.

     D'innombrables larves des genres Aeshna,Libellula,Cordulia et Leucorrhinia peuplent les rives de nos lacs. C'est également le cas pour les larves de demoiselles comme celles des genres Enallagma, Coenagrion et Ischnura dont les myriades d'adultes parés de bleu et de vert égayent les bords de nos lacs pendant la saison estivale.

     L'amateur de larves de libellules sait qu'il sera en bonne compagnie dès qu'il repère un secteur marécageux où poussent de nombreuses plantes aquatiques familières, Carex, Scirpes, Quenouilles, etc.

     Les décharges de lacs offrent souvent une alternance d'eaux calmes et d'eaux agitées, où les variations de courants et les dépôts de matériaux en font des lieux de prédilection pour l'odonatofaune. D'où l'abondance et la diversité d'individus de différentes espèces.

Le mot de la fin

     Une collaboration entre les adeptes de la pêche à la mouche et les odonatologues améliorerait les connaissances sur les odonates. Beaucoup de recherche est encore nécessaire pour établir la part des larves d'odonates dans le régime alimentaire des poissons.

     L'auteur du présent article est prêt à accompagner des pêcheurs à la mouche pour les initier à l'observation de ces créatures extraordinaires dans leur milieu naturel.

Pour en savoir plus sur les odonates

     Garman, P. (1927) Guide to the insects of Connecticut, Part V. The Odonata or dragonflies of Connecticut. Connecticut State Geology and Natural History Fulletin No. 39, 331 pages.

     Hutchinson, R. & A. Larochelle (1977) Manuel d'identification des libellules du Québec. Cordulia, Supplément 4, pages 1-102.

     Needham, J.G. & H.B. Heywood (1929) A handbook of the dragonflies of North America. Charles C. Thomas, Springfield, Illinois, 378 pages.

     Needham, J.G. & M.J. Westfall, Jr. (1955) A manual of the dragonflies of North America (Anisoptera) including the Greater Antilles and the provinces of the Mexican border. University of Califomia Press, Berkeley, 615 pages.

     Robert, A. (1963) Les libellules du Québec. Ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, Province de Québec, Service de la Faune, Bulletin No. 1, 223 pages.

     Walker, E.M. (1953) The Odonata of Canada and Alaska, Vol. I-The Zygoptera. University of Toronto Press, 292 pages.

     Wilson, C.B. (1917-18) Dragonflies and Damsel Flies in relation to pond fish culture with a list of those found near Fairport, lowa. Bulletin of the Bureau of Fisheries, 36:185-264.

références

» par Raymond Hutchinson, odonatologue Agriculture Canada
» Atos, Octobre 1993.

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