La George à la Mouche, un Défi de Taille

     Depuis un peu plus d'une heure, l'immensité de la toundra québécoise se déroulait sous nos pieds. De temps en temps, nous pouvions apercevoir des caribous qui tantôt se trouvaient sur les sommets des montagnes, tantôt traversaient allègrement les lacs et les rivières qui constituent leur route naturelle. Tout à coup, au détour d'une immense montagne, la voilà qui s'offre à nous, se déroulant comme un immense serpent: la rivière George.

La George à la Mouche, un Défi de Taille
     Une fois encore, j'allais avoir la chance de me mesurer au saumon de la rivière George, dans le Nouveau-Québec. Au fil des ans, mon travail m'a permis de visiter une foule d'endroits pour la chasse et la pêche. Comme toute personne normalement constituée, j'ai développé des affinités avec certaines destinations. La célèbre rivière George reste sans aucun doute une de mes favorites. La beauté du décor, l'immensité de cette nature où l'homme n'est rien ou presque et surtout le défi de cette majestueuse rivière représentent les éléments d'un séjour qui est chaque fois inoubliable.

     J'ai connu beaucoup de gens qui ont gravité autour de cette fameuse rivière, des pionniers comme Gerry Poitras et Albert Fortier qui me l'ont fait découvrir mais ceux qui me l'ont véritablement fait connaître, ce sont les frères Paquet, Jean, Pierre et Daniel, propriétaires de l'auberge de la rivière George. Grâce à eux et surtout à Pierre qui vit sur le bord de cette géante chaque année depuis près de 20 ans, j'ai fait la rencontre d'un être spécial: le saumon de la rivière George.

     Les trois frères ont d'abord travaillé pour l'ancien propriétaire et fondateur de l'endroit, Henri Culos. Ils se sont portés acquéreurs de la pourvoirie et maintenant, pendant que Jean et Daniel s'occupent plus de l'administration, Pierre, lui, est devenu, au fil des ans, l'homme de la George. C'est lui qui m'a permis de découvrir ce cours d'eau magique et surtout qui m'a appris comment l'affronter, se mesurer au saumon, tout en respectant toujours cette géante.

     Je tiens tout d'abord à démythifier une rumeur qui a longtemps circulé au sujet de cette rivière. Il est vrai que la pêche du saumon au leurre métallique est permise jusqu'au l’août mais il est faux de prétendre que tout le monde pêche de cette façon dans la George. Pour des saumoniers comme l'Américain Dick Kondack, la George est une excellente rivière à saumon que l'on doit pêcher à la mouche. Dick Kondack fréquente la pourvoirie depuis plus de 17 ans. Un autre Américain, Bill Priest, vient chaque année sur la George au même endroit, depuis 28 ans, toujours au mois de septembre. Ces deux hommes sont d'excellents pêcheurs à la mouche, des techniciens hors pair qui connaissent à fond la rivière et ses saumons.

     Mais revenons à nos moutons. Je disais donc que c'est Pierre Paquet qui m'a enseigné comment pêcher sur la George. Dites-vous bien au départ que, si vous êtes un saumonier et que vous avez péché ailleurs au Québec, ce n'est rien en regard de ce qui vous attend là-bas.

La George à la Mouche, un Défi de Taille
     Dans un premier temps, il y a l'immensité de la rivière dont le courant et le niveau varient assez souvent. Il faut donc savoir lire la rivière pour savoir où sont les fosses. Cela devient un art, surtout lorsque, durant la nuit, il pleut abondamment et que le niveau de l'eau monte de deux pieds par exemple. Une telle montée des eaux fait en sorte que le courant dans la fosse de la veille où vous étiez devient trop rapide et que, finalement, la fosse disparaît. Bien sûr, il y a des fosses qui restent toujours là, sauf qu'elles peuvent se déplacer. C'est à ce moment-là qu'un guide devient nécessaire. Son expérience entrera sûrement en ligne de compte pour vous aider à pêcher au bon endroit.

     Sur la George, c'est ce que l'on appelle de la pêche aveugle. L'eau y est noire et rapide, si bien que le saumon n'est pas facile à localiser. Vous devez donc avoir confiance et surtout observer tous les mouvements qui se produisent en surface. Comme partout ailleurs, le saumon trahit sa présence par un saut ou encore un simple bouillon à la surface. Si vous présentez bien la mouche et que vous avez surtout ce qu'il faut pour l'agacer, vous verrez qu'il mordra franchement, d'un coup sec et vous livrera un combat hors de l'ordinaire.
 
     Cette combativité s'explique en majeure partie par les eaux froides de la rivière et par la grande quantité d'oxygène que le saumon peut utiliser dans ces eaux tumultueuses. Il faut dire que, sur le segment de rivière que vous péchez là-bas, il y a de nombreux rapides dont un qui atteint le R2 comme force. L'eau roule à tombeau ouvert tout autour de vous et souvent, lorsque vous vous avancez assez loin pour pêcher à gué, il est utile d'avoir avec soi un bâton pour se soutenir, si jamais on perd pied. Un autre élément important dont il faut tenir compte sur la George, c'est le vent. Il peut vous arriver de devoir pêcher face au vent ou avec un vent de côté qui vient compliquer vos mouvements et qui vous empêche de porter votre mouche très loin. Il ne faut surtout pas penser à pêcher d'un côté à l'autre de la fosse, comme on le fait souvent dans le Sud. C'est une rivière géante, à l'image de cette terre de géants qu'est la toundra et il faut toujours s'en rappeler, sinon la nature s'en chargera.

La George à la Mouche, un Défi de Taille
     Naturellement, vous vous demandez quelle est la fameuse mouche qui vous permettra de connaître du succès. Personnellement, chaque fois que j'ai récolté un saumon sur cette rivière, j'avais un spécimen de la série des rats ou encore une Black Bear Green Butt. J'ai eu beau essayer d'autres mouches, rien n'y faisait. J'ai aussi découvert que, sur cette rivière, c'est la pêche à la mouche avec une loupe supplémentaire sur la tête de la mouche qui la fait dériver à la surface. La mouche mouillée devient en quelque sorte une mouche sèche, si vous me permettez l'expression. La première fois que j'ai utilisé cette technique, je me sentais bizarre parce que cela était complètement à l'inverse de tout ce que l'on nous apprend dans le monde de la pêche du saumon. Avec les résultats que j'ai obtenus, je crois que certains devraient aller refaire leurs devoirs.

     Depuis quelques années, le saumon est redevenu le roi de la rivière. Il est en grande quantité, de toutes les tailles et surtout vaillant comme pas un lorsqu'il a décidé de partir avec votre mouche. Il n'est pas rare d'ailleurs de voir un saumon de 65 cm (13 1/2") faire osciller la balance à sept et même huit livres. Personnellement, j'ai vu des saumons jusqu'à 20 Ib dans le secteur de l'auberge de la rivière George, un poisson très vénérable vous l'admettrez avec moi.

     De toute façon, dites-vous bien que, si jamais vous avez la chance de vous rendre sur cette reine de la toundra et de vous mesurer avec le saumon de la George, vous serez à jamais marqué par cette expérience. Chaque année, le sang bouillira dans vos veines pour retourner vivre et respirer au rythme de la George. En vous rendant à l'auberge de la rivière George, vous aurez aussi la chance de découvrir un véritable poète de la toundra, Pierre Paquet, qui connaît ce pays comme sa poche et qui surtout vous transmettra sa maladie. Faites attention car il n'y a qu'un seul remède à cette curieuse maladie: y retourner chaque année.

référence

» Texte: Julien Cabana, chroniqueur sportif au Journal de Québec
» Photos: Norpaq Aventure
» Saumons illimités #62, Hiver 2002.
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