La Margaree; Joyau du Cap-Breton

     C'était à l'automne 1987. En compagnie de Pierre Tremblay, le mouchologue, j'avais découvert cette splendide rivière de la Nouvelle-Ecosse et m'étais bien promis d'en faire un lieu de pèlerinage annuel. Il aura pourtant fallu sept ans avant que j'y retourne. Après ce splendide voyage, je crois que j'aurai des remords longtemps à l'idée de ces sept années privé du contact avec cette magnifique région du Cap-Breton et de l'hospitalité hors pair de ses habitants.

A propos de la Margaree

     La branche Nord-Est de la rivière Margaree est la section où se pratique la pêche au saumon de l'Atlantique. Elle prend sa source au sud du bassin versant de Cheticamp, sur l'île du Cap-Breton. Les vingt kilomètres en amont du pont de Big Intewale sont interdits à la pêche sportive, formant ainsi un sanctuaire dans un habitat des plus sauvages.

     La partie en aval du pont de Big Intervale offre un parcours de pêche sportive de plus de trente-cinq kilomètres. Bien que quarante-trois fosses soient reconnues sur les cartes de la North East Margaree, il en existe un nombre au moins égal qui sont à découvrir. La morphologie de ce cours d'eau pourrait se comparer à celle de la rivière Matane, avec une eau beaucoup plus limpide et un fond formé tantôt de gros cailloux ronds, tantôt d'un magnifique gravier propice à la reproduction de salar.

Les règlements

     La réglementation en vigueur est bien sûr celle de la graciation obligatoire pour les grands saumons, avec une limite maximale de deux castillons conservés par jour ou une combinaison de captures et gradations ne dépassant pas quatre par jour. Un non résident peut se procurer un permis saisonnier au coût de 107 $ ou un permis valide pour sept jours au coût de 37,45 $, chacun d'eux étant accompagnés de huit scellés. L'accès à toutes les rivières de la province est absolument gratuit... De plus, contrairement au Nouveau-Brunswick, le guide n'est pas requis pour les non-résidents.

     La saison de pêche s'y pratique du 1er juin au 31 octobre, la section en amont du pont de Cranton fermant cependant le 15 octobre. La Margaree est réputée pour ses montaisons automnales, principalement composées de grands saumons, qui s'effectuent généralement durant la dernière semaine de septembre et la première d'octobre. La fraye s'y produit la dernière semaine de novembre ou la première de décembre. Il se capture généralement entre 2 000 et 2 500 saumons, nombre en ascension constante depuis 1984. Sur place, vous pourriez très bien y faire la rencontre de personnages bien connus tels Poul Jorgensen, Ron Alcott et j'en passe.

Beaucoup de monde... et d'émotions

     Lors de mon séjour à la fin de semaine de l'Action de Grâces, tous les établissements hôteliers (Bed & Breakfast, motels et autres), au nombre d'une vingtaine, affichaient « complet » depuis belle lurette. J'ai finalement réussi à me trouver un logis au Bed & Breakfast d'Alice et John Brown, des hôtes extraordinaires. Sur place, j'ai fait la connaissance d'un groupe de six Américains fort sympathiques avec qui j'ai pu échanger sur différents sujets touchant la pêche au saumon de l'Atlantique.

     Pas besoin de vous dire qu'avec une telle affluence, les petits coins tranquilles étaient plutôt rares sur la rivière. Les rotations à plus de six ou sept pêcheurs étaient fréquentes, atteignant même les douze à quinze pêcheurs sur les fosses les plus importantes. J'ai tout de même réussi à me dénicher une magnifique fosse où, le vendredi soir, j'ai fait la graciation de quatre saumons d'un poids variant de huit à douze livres, entre 17 h et 19 h. Pas besoin de vous dire le niveau d'excitation qui m'a envahi. A vrai dire, je crois n'avoir jamais connu rien de tel. Les autres journées se sont terminées sur un résultat plus modeste. Mon séjour de trois journées et demie de pêche m'a tout de même permis la capture de quatre grands saumons et d'un castillon. L'exploration de secteurs plus éloignés de la rivière m'a par ailleurs permis de découvrir des panoramas extraordinaires dans un décor automnal à vous en couper le souffle.

     Pour cette période de l'année, il est recommandé d'utiliser soit une soie à bout plongeant, soit un avançon plongeant. La température de l'eau avoisine les 46 à 48 °F. De plus, les mouches utilisées sont relativement grosses, les habitués ayant une préférence marquée vers les teintes orangées, telles la General Practitioner. Personnellement, j'ai effectué mes captures avec l'Orange Charm, la Ross Spéciale, la Mickey Finn et la « Rat »oureuse, une création alliant des caractéristiques d'une Rusty Rat et d'une Green Butt (peut-être à découvrir bientôt, qui sait...), toutes montées sur hameçon Bartleet CS10/2 n° 4.

     Un petit côté négatif cependant, il n'y a aucune indication des fosses, ce qui oblige à poser beaucoup de questions. Mais toutes les personnes auprès desquelles je me suis renseigné ont été très cordiales, me donnant occasionnellement les petits conseils d'usage. A tout le moins, une carte de la rivière disponible un peu partout dans la vallée vous donnera quelques indications vous permettant de vous situer.

Margaree Salmon Muséum

     A Margaree Center, j'ai eu l'occasion de renouer connaissance avec France Hart, responsable du Musée du saumon de Margaree (Margaree Salmon Muséum). Ce musée renferme des collections fort impressionnantes d'équipements, de mouches, de photos, bouquins et autres articles ayant un lien avec la pêche au saumon de l'Atlantique. A titre de suggestion, il me semble que j'y verrais très bien, pour une période de temps donnée, les cadres des mouches gagnantes du championnat mondial de montage de mouches à saumon de la FQSA. L'affluence et l'importance des visiteurs à ce musée assureraient une extraordinaire visibilité à notre championnat.

Comment s'y rendre

    Pour se rendre sur la rivière Margaree, il vous suffit de suivre la Transcanadienne jusqu'au Cap-Breton, (c'est-à-dire la 20 jusqu'à Rivière-du-Loup, de là vous empruntez la route 185 jusqu'au Nouveau-Brunswick, que vous traversez sur la route 2; arrivé en Nouvelle-Ecosse, cette route porte le numéro 104 jusqu'au Cap-Breton). De là, vous suivez la 105. Quelques kilomètres passés Blue Mills, vous bifurquez à gauche sur la 395 qui, après avoir longé le lac Ainslie, vous mènera à Margaree Forks. De Québec, la distance est approximativement de 1150 km. Il faut donc prévoir une douzaine d'heures de route plus les temps d'arrêts requis, selon les habitudes de chacun. Une fois arrivé dans la vallée de la Margaree, vous pourrez vous procurer votre permis de pêche chez Broken Wheel Fishing Supplies ou chez Heart of Hart's, un Bed & Breakfast de Margaree Center. Ces deux endroits sont facilement repérables sur la route longeant la rivière.

     Madame Brown me mentionnait que pour la période allant de la mi-septembre à la mi-octobre, elle reçoit des demandes de réservations dès le mois de février, donc réservez tôt. Les coûts d'hébergement et de restauration sont par ailleurs très abordables.

     La rivière Margaree offre la possibilité aux saumoniers désireux d'étendre leur saison et de raccourcir la longue attente hivernale, de pratiquer leur activité favorite dans des conditions exceptionnelles. Le coût d'une expédition en Nouvelle-Ecosse, dans la mesure où elle se fait sur une période d'environ une semaine, est beaucoup moins élevé que pour n'importe quelle destination de notre province et devient donc un intéressant complément (ou dépendant du contexte, un substitut) à notre saison locale.

A PROPOS DE L'EXPLOITATION

NDLR : Cette réflexion s'inspire d'une excursion de l'auteur sur la rivière Margaree relatée dans la chronique « Histoires de pêcheurs ».

     A chaque fois que je fréquente une rivière du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Ecosse, je ne peux m'empêcher de réfléchir aux différences fondamentales entre les modes de gestion en vigueur dans ces deux provinces par rapport à ce que nous vivons (ou subissons...) au Québec. A mon retour de la rivière Margaree, j'ai pris connaissance d'un texte exagérément apocalyptique publié dans un quotidien de Québec. L'auteur y réclamait un contingentement général des zones de pêche accompagné d'une augmentation majeure des tarifs afin de diminuer la pression de pêche, évoquant l'époque des clubs privés.

     Pourtant à cette époque, les saumoniers, bien que moins nombreux, prenaient fréquemment en une journée ce qu'un sportif d'aujourd'hui a bien du mal à capturer en une saison, de sorte que les prélèvements étaient, dans bien des cas, similaires à ceux d'aujourd'hui. De plus, le braconnage pratiqué sur la plupart des rivières « clubbées » a rendu plusieurs d'entrés elles quasiment vides de saumons. A cet effet, il suffit d'écouter les témoignages de ceux qui ont vécu les dernières années du club sur la Matapédia, ou même de se remémorer l'état de la Grande-Rivière vers la fin des années 1970 pour bien saisir l'ampleur de ce phénomène.

    La différence fondamentale entre les deux modes d'exploitation (Maritimes vs Québec) repose sur le privilège de conserver des grands saumons au Québec moyennant un contingentement par la tarification, entre autres. Mais à partir de quel niveau cette tarification met-elle en péril le principe d'« accessibilité » que notre société semblait s'être donnée? Assisterons-nous à une vague de restructuration du genre de celle vécue sur la rivière Sainte-Anne? (Vous savez, là où on pouvait aller pêcher pour une trentaine de dollars par jour il n'y a pas si longtemps, par rapport au 500 et quelques dollars exigés aujourd'hui). Y a-t-il actuellement (à l'heure des États généraux) un lobbying qui se fait avec l'objectif de redonner à certains des privilèges perdus à la suite de la démocratisation des rivières, sous la couverture d'arguments liés à la conservation de l'espèce? Nous orienterons-nous vers un retour à une pêche au saumon réservée à une élite financièrement favorisée? Une telle façon de raisonner ne doit-elle pas être considérée comme un constat d'échec, compte tenu des objectifs ayant mené à la création des zecs ? Y a-t-il lieu de remettre en question toute notre façon de faire? (Structures de plus en plus lourdes et inefficaces, Powertrip exagéré de certains intervenants, etc.).

     A cet effet, il serait peut-être opportun, pour certains, d'aller constater d'eux-mêmes la façon de faire ailleurs qu'au Québec, de vérifier pourquoi une majorité de saumoniers d'ailleurs considèrent le Québec comme l'antipode de la pêche au saumon. Personnellement, face à des privilèges sans cesse réduits et une facture de plus en plus élevée, j'en viens à me demander si ces privilèges valent encore le prix qu'on en demande et si, somme toute, ces saumoniers étrangers n'ont pas un peu raison dans leurs considérations à notre égard...

     Pierre Manseau

référence

» Texte et photos Pierre Manseau
» Salmo Salar #37, Hiver, Décembre 1994.
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