L'évolution d'un Pêcheur Sportif de Saumon

     À cette époque, notre ami Romain, en plus d'être membre fondateur de l'Association des pêcheurs sportifs de saumon du Québec (APSSQ), était membre de l'Association des journalistes de plein air (AJPA).

L'évolution d'un Pêcheur Sportif de Saumon
     Aujourd'hui, bien des pêcheurs sportifs de saumon sourient lorsque je leur raconte qu'il m'avait été impossible de convaincre un seul de mes amis pêcheurs de truites de m'accompagner lors de mon premier voyage à la rivière Matane, à l'été de 1950. Il faut savoir qu'à l'époque le saumon était un poisson méconnu, presque inaccessible au commun des pêcheurs et il fallait être un peu cinglé pour songer à une telle pêche.

     Je vous ferai grâce des détails, mais toujours est-il qu'au cours de ce voyage j'ai capturé mon premier saumon.

     Un monstre de 10 lb que je montrai à tous mes amis, tel le chasseur de gros gibier épatant ses compagnons en promenant son trophée sur son automobile.

     Je dus raconter l'histoire de cette capture des dizaines de fois et je devins, pour mes amis, un pêcheur d'une classe à part, une sorte de sorcier de la pêche sportive.

     Au cours des années suivantes, j'appris à monter mes mouches à saumon et les résultats probants m'ont convaincu que j'étais devenu un connaisseur, pour tout dire un expert.

     Évidemment, il n'était pas question que je puisse revenir d'un voyage de pêche sans saumon. Après tout, un expert ne peut revenir bredouille. Mes voyages de pêche devinrent ainsi de véritables défis.

     Je maudissais cette eau trop basse, ces eaux trop hautes, ce pêcheur maladroit qui effrayait le saumon par ses lancers mal exécutés, j'épatais la galerie des novices en exécutant des lancers de 80 pi et plus qui, soit dit en passant, sont inutiles dans 90 % des cas. Enfin, la pêche du saumon était devenue pour moi un sport de compétition et je revenais de ces voyages tendu, fatigué et maintes fois désabusé.

     Un jour que je péchais dans une fosse publique de la rivière Kedgwick, depuis plus de trois heures sans succès, survint un vieil Américain qui, sans bavure, captura trois saumons sous mon nez, et, comble de l'insulte, rendit les saumons à la rivière (dont un qui faisait plus de 30 lb).

     Cet homme, c'était le révérend Elmer Smith, un gentleman qui a parcouru à peu près toutes les rivières à saumon du monde.

     Je discutai avec lui une partie de l'après-midi et je compris alors quel imbécile j'avais été de concevoir la pêche du saumon comme un sport de compétition. Il me fit comprendre qu'il n'y a vraiment pas de pêcheurs de saumon experts, mais simplement des sportifs possédant plus d'expérience, qu'ils acquièrent en parcourant un grand nombre de rivières à saumon.

     Au cours de l'hiver qui suivit, je me documentai sur l'existence fascinante de Salmo salar, de sa naissance à sa remontée nuptiale en rivière. J'appris à connaître les difficultés qu'il rencontre en haute mer, le braconnage impitoyable dont il est victime tant en mer qu'en rivière. J'appris à détester cette pollution qui l'élimine petit à petit de nos rivières. Je me suis mis à voir les magnifiques paysages de nos rivières à saumon, à les photographier et à me les rappeler au cours de nos longs hivers québécois. J'ai appris à discuter avec nos amis gaspésiens, les gens les plus chaleureux du monde pour ceux qui savent les comprendre. Que dire des panoramas des côtes gaspésiennes... des bons gueuletons en bonne compagnie, dans ces restaurants de la Gaspésie, lorsque vous vous donnez la peine de les découvrir... des bonnes discussions avec des guides qui souvent ont plus de 30 ans de vie commune avec leur rivière. Les vrais experts, ce sont eux.

     Lorsque je parle d'expérience, je pense à une bonne dizaine de pêcheurs membres de l'Association des pêcheurs sportifs de saumon qui évitent la cohue des mois de juillet et d'août en péchant dans la rivière Matane en septembre. Certes, le saumon est alors plus difficile à capturer, mais à cette période vous bénéficiez d'une certaine tranquillité sur les fosses et avez une chance raisonnable d'y capturer votre saumon. L'expérience, c'est aussi le choix de vos compagnons de pêche.

     L'expérience vous apprend également que ce n'est pas le nombre d'heures pendant lesquelles vous péchez qui compte vraiment, mais de bien connaître votre rivière et d'y pêcher à ses heures.

     Enfin, l'expérience de la pêche sportive du saumon vous rend humble. Évitez les pêcheurs qui ont une réponse à toutes vos questions. Personne n'a vraiment réponse à tout et c'est justement ce qui fait de la pêche le sport le plus fascinant, celui qui vous procure les plus grandes émotions.

     Pêcher Salmo salar, c'est tout cela !

référence

» Par Romain Boivin, AJPA
» APSSQ.
» Texte et photo tirés de l'Almanach de Kuyper de chasse et pêche, 1978.
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