Mes Fosses Préférées

     Le choix d'une fosse pour pêcher le saumon atlantique est parfois bien subjectif; certains saumoniers ont même développé une complicité avec certaines d’entre elles. L'auteur nous entretient de ses fosses favorites sur différentes rivières du Québec.

Mes Fosses Préférées
     Après plusieurs années, le saumonier qui pratique intensivement la pêche sportive au saumon atlantique dans différentes rivières a eu l'occasion de connaître, et fréquenter de nombreuses fosses. Si vous me permettez l'analogie, je crois que, tout comme les rapports humains nous amènent à opérer une sélection naturelle des gens rencontrés, basée sur des critères tantôt subjectifs, tantôt objectifs, nous distinguons de la même façon les fosses les plus remarquables parmi toutes celles visitées.

     Qui plus est, je soupçonne certains saumoniers d'avoir développé avec certaines fosses une complicité telle qu'ils en connaissent tous les secrets, peu importe les conditions de l'eau... un peu comme si c'était un conjoint ou un ami.

     Loin de vouloir dresser une liste exhaustive des critères qui nous amènent consciemment ou inconsciemment à faire ces choix, je dirais que pour l'un, une fosse lui rappellera une capture hors du commun; pour un autre, ce sera la parfaite connaissance de presque chaque roche et des endroits privilégiés par le saumon; finalement, d'autres facteurs, tels la vitesse de l'eau et le nombre de saumons qui ont l'habitude de fréquenter la fosse, s'avèrent autant de raisons ou de prétextes pour passer plus de temps sur une fosse que sur d'autres.

     Je réfléchissais à tout cela l'été dernier, en taquinant le saumon dans la rivière York, lorsque l'idée m'est venue d'écrire un «papier» sur mes fosses préférées. Dans les lignes qui vont suivre, je vous présenterai donc, sans prétention, les fosses qui m'ont séduit le plus au cours des dernières années, l'éviterai volontairement de vus recommander un ou des modèles de mouches dignes de faire des ravages dans les fosses que je vous présenterai. La raison en est bien simple : le choix du modèle de mouche n'a qu'un faible impact sur le succès obtenu à la pêche au saumon. La couleur et la grosseur de la mouche, la technique de pêche, le sens de l'observation du saumonier font aussi partie des éléments essentiels conduisant au succès sur une base régulière.

Le Petit Islet

     La fosse Petit Islet se trouve dans le secteur aval de la rivière Sainte-Anne, en Gaspésie, et représente le prototype d'une fosse dite classique. )'ai déjà présenté ce secteur dans les pages de ce magazine («Saumon : pêche pour tous», SCP mai 1991). Il s'agit d'un endroit que j'ai souvent eu l'occasion de visiter au cours des dernières années et avec lequel je suis tombé en amour. Mon ami, le regretté Roger Pelletier, y est pour beaucoup. Je le soupçonne de m'avoir transmis, à mon insu, le virus de la Sainte-Anne... et je l'en remercie.

     Bien que le secteur aval de la Sainte-Anne recèle de magnifiques fosses, c'est sur la fosse Petit lslet que je passe le plus clair de mon temps. Avec les années, et avec l'aide précieuse de Roger, j'ai découvert ses secrets les plus intimes. Mais laissez-moi tout d'abord vous la présenter.

     Cette fosse se trouve à quelques kilomètres de la limite supérieure du secteur aval. Elle s'étend sur plus de 200 pieds (60 m) et offre aux saumons de nombreux repères qu'ils occupent durant tout l'été. Son rapide de tête n'est pas trop violent. L'oeil du saumonier averti aura tôt fait de déceler la dépression dans le lit de la rivière située au centre du rapide, presque au début. Il importe donc de commencer à pêcher assez haut dans le rapide afin que les saumons se trouvant un peu plus bas voient venir la mouche. Dans le rapide, l'utilisation d'une mouche noyée s'avère le meilleur choix. Si l'eau est basse, vous pouvez faire flotter une sèche dans les parties d'eau lisses que l'on retrouve ça et là dans le rapide; cela m'a déjà porté fruit.

     Le rapide meurt au moment où la rivière tourne vers la gauche, suivant un angle d'environ 120°. Les grosses roches situées près de la rive opposée cachent parfois de beaux saumons. Si l'eau est haute, la mouche noyée se déplace à une vitesse convenable, mais si elle est normale ou basse, j'opte sans hésitation pour une sèche. Faisant fi des pratiques usuelles dans des conditions d'eau normale ou basse, Roger Pelletier réduisait la grosseur de sa mouche noyée et dandinait sa canne ou encore la relevait graduellement afin d'imprimer le plus de mouvement possible à sa mouche. De respectables saumons n'ont pas tardé à lui démontrer l'efficacité de sa technique.

     Le reste de la fosse s'étend sur plus d'une centaine de pieds (une trentaine de mètres) et offre une eau lisse en tout temps, peu importe la condition de l'eau. C'est le paradis rêvé pour l'amateur de pêche à la sèche. Après avoir tourné vers la gauche, la rivière forme un bassin profond. Parfois, des saumons prennent position de l'autre côté de la rivière, vis-à-vis de grosses roches que l'on peut apercevoir quand l'eau n'est pas trop haute. Qu'il pêche à la sèche ou à la noyée, le saumonier devra exécuter de longs lancers s'il désire couvrir efficacement cette zone.

     À la fin du bassin, le lit de la rivière remonte, amorçant ce que les saumoniers appellent la queue de la fosse. On y trouve presque toujours du saumon, même au début de la saison. Il faut prêter une attention toute spéciale aux roches que l'on peut facilement apercevoir immédiatement en aval du bassin. Les gros saumons aiment cet endroit, où l'on doit pêcher attentivement et soigneusement. La tentation est forte de s'avancer loin dans la rivière, afin de pouvoir lancer la mouche le plus loin possible vers la rive opposée, mais il faut éviter de le faire. Bien souvent, cette manoeuvre effraie le saumon.
À mesure que l'on descend, l'eau prend de la vitesse à un point tel qu'il est généralement préférable de pêcher les derniers vingt pieds (environ 6 m) avec une mouche noyée. Il ne faut surtout pas hésiter à laisser nager la mouche jusqu'au tout début du rapide suivant; de belles roches y offrent un certain répit aux saumons qui viennent de franchir le long rapide qui suit.

La fosse du Bas 11 milles

     J'éprouve toujours un plaisir intense lorsque mon canot s'engage sur les eaux de la Patapédia, afin d'amorcer une descente de plus de 16 milles (25 km) qui durera 3 jours. La descente en canot du secteur 2 de la Patapédia permet à deux pêcheurs de jouir exclusivement d'une partie de rivière pour la pêche du saumon.

     Quelques minutes seulement après avoir amorcé la descente, un véritable contact avec la nature est déjà établi, grâce au paysage saisissant dans lequel la rivière parcourt son chemin, au clapotis de l'eau sur le canot et aux saumons que l'oeil habitué peut localiser plus facilement dès les premières fosses. Le canot permet de découvrir tous le secrets qu'une rivière ne manque pas de receler; le saumonier curieux et observateur tirera profit de la marge de manoeuvre que lui confère son embarcation en dénichant les repères les plus inattendus occupés par le saumon.

     Même si le secteur 2 de la Patapédia comporte de magnifiques fosses, l'une d'entre elles m'attire toujours plus que les autres : c'est la fosse du Bas 11 milles. Je crois que c'est aussi une des fosses favorites des habitués de la descente de la «Pat».

     En août, cette fosse contient toujours du saumon. Je ne peux être aussi affirmatif pour les mois de juin et juillet, car je n'y ai jamais péché durant cette période, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait être différent. Des amis qui y ont péché à cette époque de l'année m'assurent qu'ils y ont vu des saumons. Comme la plupart des fosses, elle se trouve dans un coude de la rivière. Elle se révèle peu à peu à celui qui descend cette rivière pour la première fois, au terme d'un long passage étroit où l'eau descend rapidement mais sans fracas. Aucun rapide violent n'annonce à l'avance la localisation de la fosse.

     Sa tête présente une eau vive et relativement profonde mais lisse. La fosse s'élargit ensuite, forme un petit bassin, tout en bifurquant légèrement vers la gauche, atteignant là sa profondeur maximale. Ensuite, la rivière se redresse tout en perdant rapidement de la profondeur; à partir de là jusqu'à la fin de la fosse, près de cent pieds plus bas (30 m), on aperçoit facilement les nombreuses roches et dépressions du lit de la rivière. De nombreux saumons occupent toute cette partie de la fosse; on peut d'ailleurs les voir assez facilement, surtout si on porte des lunettes à verres polarisés.

     Il est difficile, voire parfois impossible, de bien prospecter la tête de la fosse à pied. Il s'avère alors préférable d'utiliser le canot et de prendre position à droite du courant en commençant à pêcher assez haut, car le saumon n'hésite pas à s'engager plus en amont du bassin. De cette façon, il est possible de couvrir adéquatement la première moitié de la fosse environ. En ce qui regarde l'autre moitié, je préfère la pêcher à pied, à moins que la rivière ne soit à «plein écart», en prenant position de l'autre côté du courant. Dans des conditions normales, le canot peut d'ailleurs accoster facilement sur la berge.

     Généralement, l'eau demeure assez rapide pour pêcher toute la fosse à la mouche noyée, même quand l'eau est basse. Mais pour les inconditionnels de la sèche (dont je fais partie), cette fosse est parfaite. Croyez-moi, c'est le moins qu'on puisse dire. Les émotions que j'y ai souvent vécues constituent certains de mes plus beaux souvenirs depuis que je pêche Salmo salar.

La fosse Charles

     Lorsque j'ai visité pour la première fois la rivière Godbout, sur la Côte-Nord du Saint-Laurent, Gaétan Sini, alors employé de la ZEC, m'avait gentiment recommandé de pêcher dans la fosse Charles. Selon mes notes, ceci se passait à la mi-août 1981. De me dire Gaétan : «Tu sais, Gérard, dès que les saumons ont franchi les chutes chez Molson, ils s'empressent de monter la rivière. Ils rencontrent de belles fosses chemin faisant, mais la fosse Charles leur procure un confort que les fosses précédentes ne leur offraient pas. Mais ce qui les retient par-dessus tout, à mon avis, c'est que le rapide constitue un excellent site de fraye». Il n'en fallait pas plus pour que je tente ma chance dans cette fosse. |e vous assure que je ne l'ai pas regretté, ni cette fois-là ni les autres où j'ai péché les saumons difficiles de cette rivière. La fosse Charles impressionne par ses dimensions et peut déconcerter le novice. Ce qui étonne encore plus, c'est la facilité d'y pêcher à pied, malgré sa grande taille. Un long rapide «tranquille» forme sa tête; les eaux viennent ensuite mourir dans un grand bassin où l'eau est trop lente pour «garder» du saumon.

     La plupart des saumons se regroupent à la tête de la fosse. La vitesse de l'eau, le lit de la rivière et la possibilité de frayer plus haut dans le rapide, là où apparaissent de beaux galets, y retiennent des saumons en permanence, pour peu qu'ils aient franchi les chutes. Habituellement, les premiers saumons se présentent vers la troisième semaine de juillet, et l'«accumulation» significative de saumons survient à partir de la mi-août. Bref, les mois d'août et septembre (habituellement jusqu'au 15) représentent la meilleure période.

     La tête de la fosse se pêche bien, peu importe le côté de rivière où l'on a choisi de se placer. Pour ma part, j'aime bien traverser la rivière pour prendre place sur la rive opposée. Question de confiance tout simplement. La technique de la mouche noyée y règne en maître et pour cause. Même si la vitesse de l'eau serait adéquate pour la sèche, les petites vagues nombreuses et régulières distorsionnent tout objet flottant en surface, ce qui réduit l'attrait que la sèche devrait normalement présenter pour le saumon, ou pire, l'empêche carrément de voir la mouche. Néanmoins, des saumons feront parfois mentir la règle et saisiront dès son premier passage, une sèche dérivant au gré des flots.

Les fosses en coulée

     Je ne saurais traiter de mes fosses préférées sans mentionner un type de fosse que je chéris particulièrement : les fosses en coulée, communément appelées «run» par les saumoniers. Elles se définissent par une légère dépression du lit de la rivière, bien souvent située dans la section où l'eau coule rapidement. Cette dépression cause un ralentissement de la vitesse de l'eau et offre au saumon une occasion de se reposer temporairement avant de continuer sa remontée. La plupart du temps, la fosse en coulée compte des obstacles, tels que roches ou crans, favorisant le rassemblement de plusieurs saumons.

     J'aime ce type de fosse pour deux raisons. Tout d'abord, parce qu'elle met à l'épreuve le sens de l'observation du saumonier. En effet, celui qui sait lire la rivière fera preuve d'opportunisme en trouvant les sites potentiels de tenue des saumons qui ne font pas partie des fosses identifiées par l'organisme responsable de la gestion de la rivière. Qui plus est, bon nombre de fosses en coulée sont ad hoc, en ce sens qu'elles existent seulement quand l'eau est haute; lorsque l'eau atteint un niveau normal ou inférieur, la dépression du lit de la rivière ne suffit pas à créer un ralentissement significatif de la vitesse de l'eau. Localiser ces fosses se présente donc comme un défi additionnel pour le saumonier.

     L'autre raison qui me fait apprécier ce type de fosse est que le saumon s'y avère généralement plus «mordeux» que dans les autres fosses. La bataille qui s'ensuit ne manque jamais de faire passer le pêcheur par toute la gamme des émotions car, en plus de sa force et de sa combativité naturelles, le saumon tente toujours de tirer avantage de l'eau vive pour se défaire de l'emprise de la mouche. Les sensations par lesquelles passe le saumonier sont indescriptibles et inoubliables, l'aurai toujours en mémoire la lutte épique que m'a livrée un saumon d'une quinzaine livres (environ 7 kg) piqué dans la fosse en coulée située en amont du pont qui traverse la Matapédia à Sainte-Florence.

     Pour terminer, souvenez-vous que les fosses en coulée ne sont pas que l'apanage de quelques rivières seulement; vous en trouverez dans presque toutes les rivières fréquentées par le saumon atlantique anadrome. Il n'en tient donc qu'à vous de les découvrir et d'y passer ensuite de bons moments.

Références

» Texte & Photo: Gérard Bilodeau (Août 1993).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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