Mon Premier Saumon sur la Ste-Marguerite

     C'est en juillet 1981, que cette merveilleuse aventure a débuté. J'étais allé rendre visite à mon ami Fernand dans le but de lui proposer une excursion de pêche à la truite mouchetée au lac St-Thomas où nous allons habituellement. Les spécimens de 3 livres ne sont pas rares sur ce lac et nous avons beaucoup de plaisir à les capturer à la mouche.

Mon Premier Saumon sur la Ste-Marguerite
     Cependant, il y avait en nous depuis quelque temps, les premiers symptômes d'une merveilleuse maladie que l'on nomme «Saumonite aigüe» qui nous tiraillait constamment. Pour en avoir le coeur net, nous avons communiqué avec les gens de la ZEC Sainte-Marguerite à Sacré-Coeur. Lorsque j'eus raccroché l'appareil téléphonique, déjà des étincelles nous jaillissaient des yeux à la pensée d'oser espérer capturer un saumon. Comme si tout avait été organisé depuis longtemps, nous avions deux perches de réservées dans la zone contingentée #4 pour les deux jours suivants.

     Tout le reste de la journée fut un branle-bas de combat afin de compléter les préparatifs. N'ayant pas de canne à pêcher le saumon, j'ai ajouté sur ma canne à moucher la truite 100 pieds de bourrage (backing). Après m'être informé des mouches qui remportent le plus de succès sur la rivière, je m'en suis procuré une dizaine dont : Black Dose, Green Highlander, Green Cosseboom, Grey Bivisible, White Wulff et Muddler Minnow.

     L'attente du départ prévu pour 4:00 heures du matin a été la plus longue que j'ai vécue dans toutes mes excursions de pêche. Je n'ai pas réussi à trouver le sommeil un seul instant aussi, j'ai pensé tout ce temps à lire tout ce qui traitait de la pêche au saumon dans mes revues et bouquins. J'aimerais mentionner ici celui de Jean-Paul Dubé : «Technique de la pêche au saumon».

     Il était 3:00 heures du matin et je ne dormais pas encore. J'ai décidé alors de partir immédiatement et d'arrêter dans un restaurant afin d'écouler l'heure qui me restait à attendre avant de rejoindre mon ami Fernand chez lui. Puis en quelques minutes le campeur mobile qui nous servira de résidence est chargé et nous partons. Après une demi-heure de roulage, nous sillonnons à travers les montagnes de ce magnifique comté de Charlevoix en direction de Sacré-Coeur. En route, on discute nos techniques fraîchement apprises et on se laisse griser l'esprit de fantasmes de pêcheur tout en admirant le flamboyant levé de soleil. La température est fraîche et à notre arrivée à la traverse de Tadoussac, l'air marin pénètre nos poumons et les purifie. Nous ressentons déjà des frissons intérieurs en pensant que dans peu de temps nous serons sur la rivière.

Mon Premier Saumon sur la Ste-Marguerite
     Arrivés au poste d'accueil de Sacré-Coeur, une gentille demoiselle nous enregistre et nous informe des modalités en n'oubliant pas de nous mentionner que le record cette saison est de 35 livres; tout ce qu'il faut pour gonfler à bloc deux mordus de la pêche et avide de sensations comme nous. Puis nous roulons en direction des fosses qui sont très bien identifiées le long de la route 172 qui longe la Sainte-Marguerite. Nous nous arrêtons au bord de la fosse 46 où un observatoire à saumons a été aménagé. On se hâte de mettre nos bottes et de monter nos cannes. Pour ma part, je débuterai avec une Black Dose #6. Où je me trouve, la rive de la rivière est escarpée et après m'être accroché quelques fois aux branches des arbres, je décide de changer de fosse.

     Je me rends sur la fosse 48. Mon instinct de pécheur me dit qu'il y a sûrement du poisson dans celle-ci. La rivière est d'une limpidité incroyable. Pour me désaltérer je n'ai qu'à me pencher et boire. Grâce à la transparence de l'eau et à mes verres polarisés, je distingue très nettement le lit de la rivière ce qui me permettra d'apercevoir le saumon s'il vient sur ma mouche. Nous sommes trois à fouetter la fosse sans arrêt, ce qui devrait exaspérer les saumons qui s'y trouvent. Et soudain je réalise qu'un beau spécimen est venu voir ma mouche en occurrence une Black Dose et aussitôt un immense bouillon jaillit à la surface de l'eau suivi d'une tension épouvantable sur ma canne. Le moulinet se mets à chanter en se vidant de la soie et d'une bonne quantité de bourrage. Je n'en crois pas mes yeux, au bout de ma canne il y a un saumon. Il descend la fosse à toute allure. 

Mon Premier Saumon sur la Ste-Marguerite
     En gardant tout mon calme et en me remémorant très rapidement mes lectures de la nuit, je le force à freiner en appuyant la paume de ma main sur le moulinet. Il s'arrête et revient aussitôt en amont. J'en profite pour rembobiner puis sans m'avertir il repart de plus belle en descendant la fosse et revient vers moi une seconde fois. En voulant rembobiner pour la deuxième fois, je réalise que la poignée de mon moulinet est tombée à l'eau; le rivet a cédé et me voilà confiné à le sortir de l'eau comme un simple éperlan en contrôlant la tension de la soie avec mes mains. Puis finalement il s'immobilise, ce qui me permettra de prendre le contrôle de la situation. Il commence à montrer des signes de fatigue mon saumon et moi aussi d'ailleurs. Je dois changer de main pour me permettre de dégourdir celle qui tient la canne car elle plie tellement que la tension m'en coupe la circulation. Puis dans un dernier effort il repart sur environ vingt-cinq pieds. Je le ramène en eau peu profonde et alors il me montre son flanc argenté; De ma main gauche j'essaie de l'amener au-dessus de ma puise que je tiens dans huit pouces d'eau sur le lit de la rivière. Ne parvenant pas à l'amener au-dessus de la puise, je décide de faire les choses en «grand» et de le sortir avec mes mains. Je le fatigue davantage, puis je le saisi par la queue et je l'entraîne hors de l'eau.

     Comme il est beau! J'en conclue en le tenant qu'il doit faire dans les 20 livres. Je rassemble tous mes esprits en vivant ardemment ce moment tant désiré. Ensuite, je décide de retourner à la fosse 46 où mon ami Fernand a décidé de prendre une pause. En me voyant venir avec mon saumon il me prend pour un autre saumonnier qui en avait pris un tôt le matin. Puis lorsqu'il me reconnaît, c'est avec cette joie profonde caractéristique aux pêcheurs qui viennent de réaliser une belle prise qui nous pénètre et dans un enthousiasme débordant je lui raconte la capture sans oublier aucun détail afin de lui faire vivre l'émotion qui me transporte. Ensuite on le pèse et on le mesure : il fait 17 livres avec 36 pouces de long. Ensuite c'est la séance de photographie.

     Lors de notre deuxième journée sur la Sainte-Marguerite, nous avons tenté de capturer un saumon d'environ vingt livres dans la petit fosse #54 mais en vain. Pendant trois heures nous avons fouetté sans cesse la fosse avec la frustration de le voir monter et redescendre. Le saumon est monté une quinzaine de fois sur nos mouches mais notre inexpérience lui a valu la vie sauve. Mais c'est la pêche!

     De cette première excursion, nous avons acquis beaucoup d'expérience et désormais quelque part au Québec à tous les étés où le Créateur le permettra, il y aura deux amants de la nature qui tenteront à nouveau de revivre ce premier scénario de la Sainte-Marguerite.

référence

» Par Denis Turcotte
» Salmo Salar #2, Mai, Juin 1985.
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