Personne n'est un Expert au Saumon

Dixit George Maul, expert

     De sa boutique "George's Fly Shop", d'où il approvisionne quantité de moucheurs, George Maul m'a parlé de saumons. Il m'a bien dit qu'il n'y a pas d'expert pêcheur de saumons, enfin pas vraiment. Il est un fait que même les meilleurs d'entre nous ont leurs moments de léthargie, et nous acceptons la chose.

Quand le saumon est au bout du fil, on n'a pas trop de l'expérience combinée du pêcheur — Gilles Richard, de l'expert — François de B. Gourdeau, et du guide — Jean-Paul.
     Il paraît qu'en eau douce le saumon ne se nourrit pas, car il n'a qu'une idée en tête: frayer. Cependant, il prend la mouche, et pas pour la même raison que la truite. Ainsi le pêcheur de saumon ne s'arrête pas à l'entomologie et aux mystères qui entourent la vie aquatique du saumon.

     D'après George, il est avant tout observateur, surtout s'il est de ceux qui font régulièrement de belles captures. Il s'enquiert auprès d'autres pêcheurs, il lit les livres de Wulff, Bâtes, Dubé, et il note ce qu'il a vu, entendu et lu. Il fait preuve de bon sens en s'assurant de la bonne condition de son équipement: waders, canne, moulinet, soie, bas de ligne, lunettes polarisées, mouches, etc. Il porte une attention particulière à l'équilibrage de la canne avec la soie, le moulinet, le bas de ligne et les artificielles qu'il utilisera.

     Les noeuds, George n'en a pas parlé, mais moi j'ai compris que, par délicatesse, il a volontairement passé outre. Il savait que la perte d'un gros saumon pour un p'tit m….. noeud mal formé m'avait déjà convaincu de l'importance de bien les faire.

     Laissons George nous guider sur les points précis qui sauront améliorer, ou tout au moins favoriser nos chances de capturer le majestueux Salmo salar.

     D'après ce maître, le pêcheur doit avant tout apprendre à "lire" l'eau pour pouvoir dénicher l'endroit où le saumon se repose dans les fosses.

     Bien que ces endroits sont généralement les mêmes d'une année à l'autre, ils changent selon que le niveau de l'eau est haut ou bas. Il encourage les pêcheurs à demeurer hors de la vue du saumon. Les pêcheurs qui ont eu l'occasion de pêcher dans les rivières à limites de perches et aussi dans la Matane se rendent vite compte que dans ces dernières, le saumon est difficile à tenter. Ceci pourrait être dû au fait que le saumon est gêné par la présence de nombreux pêcheurs qui ne se cachent pas à sa vue. Il nous encourage également à ne jamais faciliter la capture de la mouche par le saumon. Créer plutôt chez lui le besoin de la prendre.

     Ovila Le François m'a souvent répété la même chose. Le saumon prend la mouche à tous les moments du jour, mais George préfère pêcher le matin de bonne heure et le soir, car ce sont généralement des moments productifs, spécialement quand l'eau est basse. Quant au choix des mouches, il m'a confirmé une chose que je savais déjà: "Les mouches les plus productives sont celles qui sont les plus utilisées. Le pêcheur qui a confiance dans son artificielle et qui est observateur ne tarde pas à capturer un saumon." Il a également noté quatre aspects entourant la mouche; par ordre d'importance: présentation, grosseur de l'artificielle, couleur et patron. La présentation demeure le facteur le plus important dans la pêche à la sèche ou à la noyée. Nous avons vu que le saumon ne se nourrit pas en eau douce. Il est donc nécessaire, pour obtenir du succès, de charmer ou entraîner le saumon à prendre la mouche.

Personne n'est un expert au saumon
     J'ai appris par expérience qu'il ne faut pas frapper le saumon quand il prend la mouche noyée. Il suffit de relever la canne à mouche et de tendre la soie qui entraînera la pénétration de la pointe de l'hameçon. À la sèche, si la soie déployée est longue, on amorce le ferrage au moment où le saumon prend la mouche, sinon on attend qu'il se soit retourné ou qu'il ait commencé à réintégrer l'eau. On frappe le saumon dans ces derniers cas, avec force mais sans brusquerie.

     Un saumon ferré n'est pas un saumon pris et George pratique et recommande les tactiques suivantes: lorsque le saumon saute hors de l'eau, si la soie est courte baissez le bout de la canne. Dans le cas contraire, lorsque le saumon saute à distance relevez le bout de la canne aussi haut que possible afin de minimiser le bris du bas de ligne occasionné par la résistance de la soie dans l'eau.

     S'il est vrai, et je n'en doute pas, que "les meilleurs pêcheurs ne perdent pas beaucoup de saumons", c'est qu'ils adhèrent aux techniques suivantes: "Les bons moucheurs utilisent la canne à l'instar d'un ressort, peu importe la longueur de soie. Lorsque la soie est courte, ramener le saumon à proximité, en tenant la canne à l'horizontale d'un côté ou de l'autre sans soulever sa tête hors de l'eau. Lorsque vient le temps d'utiliser l'épuisette, le queutard ou encore de tirer le saumon jusqu'à la grève, tenez-vous toujours en bas du poisson et faites jouer le courant en votre faveur. Ne tirez jamais un gros saumon, ou même encore un poisson épuisé contre le courant, vous risquez de casser le bas de ligne ou même la canne."

     George Maul pêche a la mouche depuis déjà quarante ans, et dans la Matane depuis 1954. Il a littéralement fait de cette magnifique rivière sa maîtresse, la visitant année après année avant de lui passer l'alliance en 65. Il aime sa rivière et aussi les visiteurs de la haute mer qui envahissent son sein. George a une qualité importante et c'est qu'il n'est pas jaloux. Il accepte avec plaisir de partager son amour avec ses semblables, s'ils sont de bonne foi et des amis du saumon. Il n'hésite pas non plus à vous filer ses tuyaux sur la façon de pêcher dans chacune des fosses de la rivière Matane. Il vous conseillera aussi sur le temps à passer dans chacune d'elle, ainsi que le meilleur niveau d'eau où pêcher. Sans trop lui tordre les bras, il se départira également de l'information qu'il détient sur la position des saumons dans ces fosses.

     George n'a pas inventé la pêche au saumon, mais il a certainement maîtrisé toutes les techniques qui font partie intégrante du code des grands pêcheurs de ce majestueux poisson. Lorsque l'eau est basse, il pêche la mouche d'une façon accélérée ou en corrigeant la soie, utilisant une petite artificielle ou encore une sèche avec un long bas de ligne. À l'eau trouble avec vision de 18" il emploie de grosses mouches colorées et pêche lentement.

     Quand l'eau est haute mais claire, il emploie de grosses mouches noyées ou sèches et pêche à la vitesse du courant. Si la température de l'eau est à moins de 48°F, il choisit de pêcher avec de grosses noyées, en profondeur et à vitesse réduite. Il pêche rarement dans les fosses dont l'eau dépasse huit pieds de profondeur, les considérant plutôt improductives. Si la température ambiante est plus froide que celle de l'eau, il pêche avec une noyée et en profondeur. L'air est-il plus chaud que l'eau? Il pêche à quelques pouces sous la surface ou encore à la sèche. Si la rivière gonfle et qu'il y a crue, George y pêche jusqu'à ce que l'eau soit trouble ou qu'elle présente une visibilité de 18". Lorsqu'elle commence à baisser et à s'éclaircir, il recommence à pêcher quand il peut discerner sa mouche dans 18" de profondeur. Et quand l'eau de la Matane a une teinte rouge, il choisira une Mickey Finn.

     George répète à tous ceux qui se plaignent qu'ils ne prennent pas de saumon que les mouches hors de l'eau ne capturent pas de poisson. Aussi quand l'eau est à son niveau normal il recommande l'emploi de mouches noyées n° 4 ou plus grosses, et pour les sèches des n° 4 et 6. L'eau basse demande l'emploi des noyées n° 10, 8, et 4, et des sèches n° 6, 8, 10. Quand l'eau a une température inférieure à 48°F, il préfère employer une soie calante, et au-dessus de 48°F il choisit la soie flottante. Ses bas de ligne sont de 9 ou 12 pieds, et on sent brûler chez lui le désir de pêcher lorsque le vent change de direction, que la température passe d'un degré à l'autre ou quand la pluie se fait fine.

     À Denis Boucher qui se plaignait de petites "tirettes" (touches légères), il recommande de donner un surplus de soie de 3 pieds, ou encore de changer de mouche et de position. Quand les touches sont fortes, il recommande de changer de position, d'attendre et aussi de changer de mouche. Si le saumon monte mais refuse la mouche, il souligne que la mouche est peut-être trop grosse ou ne voyage pas assez vite, ou encore que le pêcheur se tient trop près du saumon. Si la montée se fait lente, il attend que le saumon tire avant de ferrer. Si la montée se fait rapide et qu'il emploie la sèche, il ferre rapidement. Il s'abstient d'effectuer des faux lancers au-dessus des saumons quand l'eau est basse et claire.

     Dans ce bref exposé, je vous ai légué ce que George m'a appris au cours de quelques visites à la Petite Canadienne, charmant endroit de gagnage des pêcheurs de la Matane à Saint-René-Goupil. Malgré son humilité, George Maul m'a convaincu, et vous aussi j'espère qu'il est un des rares experts de la pêche au saumon.

Références

» Texte & Photos: Serge J. Vincent (Juillet 1976).
» Magazine Québec Chasse & Pêche.
Page 7 sur 10