La Symphonie… Achevé
La pêche au saumon peut se comparer avantageusement à la réalisation d'une pièce musicale ; bien qu'ici les exécutants et les instruments diffèrent quelque peu, les sensations sont tout aussi agréables.
Transportons-nous sur le bord d'une rivière gaspésienne, entourée d'arbres majestueux, sous un soleil éclatant. Vous pouvez humer le parfum des fleurs en attendant votre tour pour pêcher. Vous lorgnez cette eau cristalline de la rivière Cap-Chat ; c'est déjà mieux que le décor en béton de certaines salles de spectacle. C'est le clapotis de l'eau, le gazouillis d'un oiseau ou le sifflement d'un insecte qui pénètrent par enchantement dans votre oreille ; c'est paisible et relaxant. Il est midi et deux saumoniers viennent tenter leur chance dans la fosse Petit-Saut.
Nos pêcheurs préparent leurs instruments et discutent pour se mettre en accord sur la façon de jouer cette symphonie. Pendant ce temps, des spectateurs nagent de façon désinvolte et ont déjà pris place dans la fosse. De temps à autre, certains préfèrent changer de siège sous l'oeil attentif de nos observateurs. Tout est maintenant prêt.
Il est convenu que Raymond tentera sa chance du côté rapproché de la route. Plus en amont, je traverse, à pas de héron, pour aller prendre place de l'autre côté de la rivière, ce qui m'avantage étant donné que je suis gaucher. Mes yeux sont rivés sur mon copain qui manoeuvre sa baguette avec dextérité et enthousiasme ; mais les auditeurs ne sont guère impressionnés pour l'instant.
Après un certain temps, c'est à mon tour de m'exécuter. Je commence dans le haut du rapide. Une mouche colorée parade dans l'eau (une création de l'hiver dernier). Je fais à peine quelques mètres qu'un spectateur enthousiaste sort, à ma grande surprise, de sous le cap pour gober la mouche avec avidité. C'est le ravissement pendant une quinzaine de minutes. Il fait quelques acrobaties et je l'amène dans un secteur d'eau plus calme pour mieux le maîtriser. Après mesure, nous estimons son poids à 10 kg ; il est remis à l'eau selon les règlements en vigueur. Voilà pour la première partie du spectacle. Pendant la pause, nous en profitons pour nous restaurer, échanger et apprécier la chance que nous avons de vivre ces instants de félicité. Je reprends la pêche, sans acharnement, pendant que mon copain choisit de roupiller, histoire de refaire le plein d'énergie.
Vers 15 heures, il revient à la vie ; je lui cède volontiers la place et je me fais complice des mouvements qu'il exécute avec élégance. Tout en parcourant la fosse, il aperçoit un saumon qui s'est approché tout près de la berge. « C'est sûrement un spectateur nerveux », se dit-il; il recule de quelques pas et lui présente une « belle verte » que ce dernier capte férocement. Une douce confrontation s'ensuit, le combattant montrant beaucoup d'énergie. Il se retrouve au fond de la puise et est également libéré puisqu'il pèse environ 6 kg. Raymond lui donne un baiser d'adieu et lui redonne sa liberté. C'est le temps du deuxième entracte. Pendant cette période, nous recevons la visite de confrères qui viennent nous entretenir de cette heureuse maladie qui nous hante tous.
Le soleil se faisant moins chaleureux, une période propice à la pêche s'amorce. Je reprends ma position initiale de l'autre côté de la rivière. Mon camarade fait les premiers lancers. Je l'observe, appuyé sous un arbre ; une douce mélancolie me hante puisque nous sommes au terme de notre voyage. À mon tour, j'exécute de courts lancers tout en observant mon copain qui termine sa rotation plus en aval. Quelques mètres plus bas, une autre surprise m'attend. Un spectateur, fou de joie, bondit sur la mouche et cherche désespérément à se libérer de ce piège. Mous le retournons à son siège quelques minutes plus tard puisqu'il est trop bien portant ; il est alors 18 heures.
Oui, en cette journée du 19 août, la symphonie fut... achevée. Quel ravissement !
référence
» Texte et photos Claude Couture
» Salmo Salar #44, Automne 1996.
» Salmo Salar #44, Automne 1996.