Osez la Brune

     Jacques Juneau est un passionné de pêche à la mouche en rivière. La truite brune, qu'il affectionne particulièrement, est fort méconnue chez nous. L'auteur nous livre ici le fruit de vingt ans d'observation de cette farouche. La capture de SALMO TRUTTA représente toujours un défi emballant pour le pêcheur sportif.

Introduction

Osez la Brune par Jacques Juneau
     Celui qui a tenu entre ses mains ce magnifique poisson à la beauté et à l'élégance uniques peut comprendre et partager la passion qui envahit le pêcheur lorsqu'il entend ces mots: «truite brune».

    Le Créateur a en effet gratifié ce poisson d'une livrée magnifique aux couleurs de la terre, digne d'une palette de maître. Sa robe de reine se déploie en tons d'olives mûres piquetés de points rouge-orangé aux nuances de l'automne, ses flancs sont semblables aux blés murs. Sa beauté, couplée à sa méfiance légendaire et à un comportement rusé autant que combatif, en font un extraordinaire défi à relever pour le pêcheur à la mouche.

    Et - bonne nouvelle! - la pêche à la truite brune n'est pas si compliquée qu'elle le semble à première vue.

    Sa préférence pour les eaux froides et bien oxygénées nous invite à rechercher la brune dans des rivières à eau vive. Les sites idéals sont situés en région montagneuse et ils conduisent le pêcheur dans des paysages splendides, qui l'inspireront à déployer gracieusement une longue soie dans l'air. Un œil averti décèlera rapidement la présence du salmonidé brillamment coloré: l'heureux pêcheur déposera alors délicatement sa mouche à la surface et la laissera dériver comme une offrande à cette grande dame des eaux. Ce sera l'euphorie lorsque la truite se laissera séduire et gobera l'artificielle dans un mouvement décidé et imparable. Les palpitations cardiaques augmenteront à un rythme alarmant. La joie sera à son comble et le combat qui s'engage restera à jamais mémorable. Mais le pêcheur ne restera sûrement pas insensible devant tant de grâce et de beauté et remettra délicatement ce joyau scintillant dans son habitat.

Situation

La truite brune
    C'est au sud du Québec, dans la région montagneuse des Bois-Francs, qu'on retrouve les rivières à truite brune. Principalement installée dans la Haute-Saint-François et dans la Haute-Chaudière, elle est, depuis peu, timidement introduite dans la Nicolet et la Yamaska-Nord.

    La Nicolet offre une pêche contingentée de qualité variable, selon les ensemencements. La Yamaska-Nord quant à elle, permet de prolonger la saison de pêche, car on peut y lancer une artificielle au cœur de l'hiver. Il y a une pêche de qualité sur la Haute-Chaudière. Cette rivière reçoit les débordements des gros géniteurs, qui profitent des crues printanières du lac Mégantic pour rejoindre la rivière. La température fraîche du printemps et la fonte des neiges des montagnes environnantes fournissent une qualité de pêche exceptionnelle jusqu'à la fin de juin. Par après, le réchauffement de l'eau rend la truite moins active et la pêche moins attrayante, parce que plus difficile. Les sorties de pêche en fin de mai et au début de juin permettent de profiter des éclosions de March Brown, une éphémère parmi les plus prisées de la truite brune.

    Ayant parcouru souvent les rivières de l'État de New-York et du Vermont, je peux dire haut et fort que la Haute-Saint-François est sans pareille et qu'il ne fait aucun doute qu'elle demeure la Mecque des rivières pour y rencontrer ce poisson. Les atouts de cette rivière sont un niveau d'eau constant et une température froide, ce qui est idéal pour la survie et les activités de la truite,

    Les éclosions d'insectes aquatiques s'échelonnent sur toute la saison, offrant une qualité de pêche inégalée. Les rivières de nos voisins offrent toutefois la possibilité de prolonger sensiblement la saison de pêche par les "deux bouts», c'est-à-dire, tôt au printemps et tard à l'automne. Mais la rivière québécoise renferme une population indigène de truites brunes, de véritables joyaux de « La brune est un poisson suspicieux qui exige une approche délicate et silencieuse. » la faune, qu'il faut conserver, protéger et gérer pour le bonheur des pêcheurs sportifs. C'est l'endroit pour y faire l'apprentissage des mœurs et de la capture de ce poisson unique.

Éléments essentiels à connaitre

     Au début des années 80, lors de mes premiers contacts avec la truite brune, le succès tarda à venir, mais en consultant et en accompagnant quelques pêcheurs québécois, une merveilleuse passion germa en moi. Bientôt, les informations contenues dans les volumes et revues américains m'apparurent insuffisantes et inadaptées à nos rivières.

    Prenant le bâton du pèlerin, j'ai alors arpenté les rivières québécoises et américaines, à la recherche de réponses à mes nombreuses questions. Les heures d'observation et de pratique m'ont conduit au succès.

    Selon moi, il y a quatre éléments à considérer pour capturer ce poisson. Pour sa survie, il a besoin d'oxygène, de nourriture, d'un abri contre les prédateurs et d'un habitat adéquat pour se reproduire. Il faut y ajouter une approche délicate et silencieuse de la part du pêcheur et une séduction raffinée dans les techniques et les artificielles à sa disposition. Finalement, tout est dans l'observation, car il faut lancer sa mouche au bon endroit. Les premiers lancers sont les plus importants et doivent être bien maîtrisés et précis.

    Quoique moins exigeante que l'omble de fontaine, la brune préfère les zones bien oxygénées des fosses. Elle choisit la bordure du courant qui est le plus rapide, donc plus oxygéné. C'est le côté où la rive est la plus érodée. Il faut chercher également dans ces fosses d'eau rapide, la présence de grosses roches faisant obstacle au courant et activant le brassement de l'eau, source importante d'oxygène. Ces roches sont aussi un abri contre les prédateurs.

    Selon la vitesse du courant, la truite adopte trois positions différentes près de ces roches. Dans un courant fort, la truite se place derrière la roche; dans un courant moyen, on la retrouve devant, derrière et sur les côtés de la roche. Dans un courant faible, elle se place de chaque côté, un peu en retrait.

    La brune est sédentaire: elle occupe un emplacement choisi et défend son territoire. Les truites de taille moyenne, de 30 à 45 cm (12 à 18 pouces), vivent ensemble dans une même fosse et les dominantes occupent les meilleures positions. Les géniteurs de plus de 45 cm deviennent solitaires et chassent tous les envahisseurs. Ils habitent les fosses aux eaux plus calmes et sont difficiles à tromper. Bien qu'ils constituent eux-même un défi, les débutants feront mieux de se rabattre sur des poissons de taille moyenne, plus nombreux dans les fosses d'eau rapide.

    Lors de la canicule, l'eau étant moins riche en oxygène, la brune quitte temporairement sa position pour rejoindre la tête de la fosse. Elle se retrouve en eau moins profonde, ce qui augmente sa méfiance naturelle. Pour trouver ces lieux privilégiés, il faut opter pour une grande délicatesse dans une approche silencieuse. Cependant, durant cette période, une arrivée d'eau plus froide, donc plus oxygénée, comme celle des ruisseaux et des sources, accélère les éclosions d'insectes et rend la truite plus active.

Aspects techniques

     La brune se nourrit principalement en soirée et tôt le matin. Son régime alimentaire est constitué surtout d'insectes aquatiques. Lorsqu'elle gobe environ dix insectes à la minute, cette gourmande devient gourmet et sélectionne sa nourriture. Lorsqu'elle devient sélective, il faut évidemment présenter une artificielle se rapprochant de l'insecte convoité. Les imitations d'éphémères sont à privilégier dans ces grands moments de gobages intensifs. Si elle s'élance en dehors de l'eau pour attraper le rapide phrygane (caddis) en après-midi, c'est l'utilisation d'artificielles flottant haut et dansant sur l'eau qui apportera le succès. Plus tard, lorsque ces phryganes plongent vers le fond pour y déposer leurs œufs, la brune est séduite par les mouches noyées et les mouches à plumes souples. Il ne faut pas négliger le fait que, lors des crues, les nymphes de perles de rivière (Stonefly) deviennent accessibles à son appétit insatiable. La table est mise pour ce salmonidé!

Stonefly

Perle de la Haute St-François
Perle de la Haute St-François.

Mayfly

Éphémère d'Hendrickson
Éphémère d'Hendrickson.

Caddis

Phrygane
Phrygane.
    Comme les éclosions d'insectes peuvent se produire dans des fosses aux courants différents, certaines en eau rapide, alors que les enfouisseurs émergent en eau plus calme, il faut surveiller les différents habitats, ainsi que les oiseaux qui se nourrissent de ces mêmes insectes. Tard en soirée, les insectes se manifestent à la queue de la fosse. La brune se sent moins menacée, grâce à la pénombre naissante, et gobe volontiers l'artificielle. Les belles éclosions d'enfouisseurs du mois de juillet représentent également des occasions exceptionnelles. Les géniteurs affectionnent ces plus grosses éphémères de l'été.

Mouches conseillées
    Ces connaissances et ces observations sont importantes, mais inefficaces si elles ne sont pas associées à la bonne approche. Un bas de ligne délicat, d'une longueur de 4,2 m (12 pieds), se terminant par un bout de 2 à 3 livres de résistance et un minimum de tension sur le moulinet sont des conditions incontournables. Comme la brune affectionne les artificielles de petites dimensions, des mini-Muddler (#16) et des Adams (#18) sont de mise. Il faut réaliser un lancer délicat pour diriger l'artificielle dans une dérive libre.

    La pêche à la surface est la plus productive et la plus enivrante. Toutefois, lorsque l'eau est haute, il est préférable d'utiliser une Casual Dress de grosseur 6 et les imitations de Brown Stonefly.

    En plus des mouches de prospection dont nous venons de parler, les imitations d'éphémères prédominantes au Québec sont à privilégier. Ce sont donc les Marcb Brown, les Light Cahill, les Green Drake et les Bicolor.

    Toutes les imitations de phrygane, au corps gris-brun, peuvent être très utiles. De plus, lors d'éclosions de phrygane, nous avons noté la présence de pupes vert pâle en émergence. Une imitation nommée la Cul-Vert, par Claude Matte, s'est montrée plusieurs fois productive. Parmi les mouches à plumes souples (Soft Hackle), une imitation québécoise de la Pheasant Tail est très efficace.

Ne résistez pas à la tentation!

     La pêche à la truite brune est un défi plein d'émotions et la capture d'une première brune présente un charme unique. Son souvenir procurera à tout pêcheur à la mouche une passion dévorante et bienfaisante.

    Pêcheur, la rivière t'appelle: ne la fais pas attendre, elle a beaucoup à offrir!

Références

» Texte & Photos: Jacques Juneau (2001)
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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