Petite Mouche Vs Grand Brochet par Jacques Juneau

     Si vous êtes de ceux qui sont tentés de mésestimer la valeur sportive du brochet, pêchez-le à la mouche; l'auteur affirme que vous y découvrirez des sensations extraordinaires.

Petite Mouche Vs Grand Brochet
     Pouvez-vous imaginer un seul instant un tableau aussi splendide que celui-ci: un magnifique lac du Nord, sur lequel glisse lentement un canot se déplaçant près des rives. À l'avant, un moucheur dépose habilement son artificielle près d'un amoncellement de troncs d'arbres accrochés à la rive. Vos yeux « photographient » l'instant où, dans un bouillonnement d'écume, une forme aquatique élancée et combative exécute un saut périlleux aérien, avec une frêle artificielle accrochée au coin de sa gueule.

     Les émotions ne sont pas finies, loin de là! Le puissant adversaire regagne son royaume des profondeurs et un magnifique combat s'engage entre la bête et le moucheur. Spectaculaires sauts hors de l'eau et irrésistibles sprints sous-marins font partie des tentatives de fuite les plus typiques de l'animal. Après plusieurs minutes de combat, le pêcheur invite avec précaution son poisson à visiter l'épuisette. Voilà un rêve merveilleux que revit le moucheur qui pratique la pêche du brochet à vue. Quelle sensation extraordinaire de le voir quitter son poste d'affût pour attaquer l'artificielle; l'exaltation est beaucoup plus intense lorsque l'on voit la réaction d'un poisson sportif face à une mouche qu'on a créée et construite pour le tromper.

Évaluer l'adversaire

     Le brochet a la réputation d'attaquer sauvagement tout ce qui lui passe au bout du nez. Ce n'est pas tout à fait vrai car le brochet, considéré comme une espèce sportive, est à ce titre aussi sélectif que les autres espèces. Pêcher ce « requin » à la mouche peut fournir des émotions incomparables.

     Au début de l'été, il se peut que le brochet vivant dans les rivières se retrouve en eau peu profonde, se chauffant au soleil, surveillant les petits poissons. C'est là l'occasion idéale de le pêcher à vue et de lui présenter vos artificielles, streamers et bucktails brillamment colorés.

     Plusieurs pêcheurs s'imaginent que le brochet se retrouve toujours en eau peu profonde, dans des endroits remplis de végétation. C'est probablement le cas dans les régions où la grande majorité des lacs sont peu profonds et possèdent des hauts fonds herbeux. Cependant, une trop grande généralisation de ce principe théorique peut apporter quelques déceptions. Durant l'été, le brochet se retire souvent en profondeur et on le retrouve près des rives situées à proximité de fosses profondes. Les rives des baies affectées par les vents dominants sont des lieux de prédilection, là où de nombreuses épaves de bois mort, de branches et de troncs d'arbres ont échoué par la vague.

Une expérience typique

     La saison dernière, l'idée nous est venue, mon ami Bill et moi, de partir vers le Nord à la recherche d'un endroit où nous pourrions pêcher spécifiquement le brochet. Nous avons donc opté pour la région de Chibougamau et c'est là que nous nous sommes vite rendus compte que le brochet avait ses petites manies.
Ainsi, nous partions convaincus que la région de Chibougamau possédait un très grand potentiel pour la pêche du brochet et que l'on pourrait le « chasser » à vue. Après de nombreuses heures de recherches inutiles dans des secteurs typiques, nous décidâmes de tenter notre chance dans les fosses plus profondes. A notre grande surprise, après quelques lancers, nous avions découvert le refuge de notre gibier. Les nombreuses prises nous prouvèrent que le brochet recherche alors les eaux relativement profondes et qu'à certaines heures de la journée, il vient chasser près des rives, à l'affût sous les branches et billots accrochés au rivage. Chasseur sans merci, il guette ses proies pour les attraper et regagner rapidement les fosses profondes.

L'offrande

     Le choix de la grosseur de l'artificielle ne pose vraiment pas de problème, puisque ce prédateur raffole de proies de 5 à 6 pouces de longueur. Dans la fabrication des mouches à brochet, on peut se permettre de longues queues et de grandes ailes, car cet ésocidé prend la mouche de côté. On peut donc monter l'artificielle sur un hameçon 4X Long, qui fait le tiers de la longueur totale de la mouche.

     Mon bon ami Yves Demers, fervent pêcheur de brochet et par surcroît un excellent monteur de mouche de chez nous, a depuis quelques années introduit avec succès un nouveau type de montage pour la mouche à brochet. La tête de ce type de mouche se situe sur la partie arrière de la hampe, près de la courbure de l'hameçon. Avec ce montage spécial, plus nécessaire d'utiliser un fil d'acier pour pêcher ce requin d'eau douce, car la tige dégarnie de l'hameçon sert très bien à retenir les dents loin de l'avançon. Certains auteurs américains prétendent que le brochet a un faible pour les artificielles rouges et jaunes et à mon avis, ils ont raison. Ce sont effectivement les couleurs qui chatouillent le plus l'agressivité de ce prédateur et le poussent à l'attaque. Viennent ensuite, dans l'ordre d'importance, le jaune et l'orange, et loin en arrière, le bleu et le vert, puis le brun, le noir et le blanc. Quoique très populaires chez les pêcheurs au lancer léger, les montages en rouge et blanc ne semblent pas tenter plus qu'il ne faut ce poisson vorace.

     L'emploi de poils d'ours polaire rehausse l'éclat de ces artificielles dont l'attrait principal repose sur la luminosité et la transparence des coloris. La présence de hackles de selle longs et mobiles ne fait qu'augmenter les vibrations de l'artificielle et contribue ainsi à produire l'illusion de vie.

     Dans la construction d'un corps aussi court, le choix d'une couleur vive et brillante est essentiel. Lorsque Bill construit ses mouches à brochet, il a l'habitude de recouvrir ses corps de colle « Epoxy » ou de monofilament de 40 lb de résistance, afin de les rendre plus solides; on sait que le brochet possède une très belle « collection de lames de rasoir » qu'il manie avec l'habileté d'un chirurgien. L'emploi d'une soie calante et d'un bas-de-ligne de 20 lb de résistance sont à recommander pour ce genre de pêche. Les verres polarisants sont essentiels pour repérer les brochets en chasse ou encore les sites propices où présenter une offrande alléchante pour un carnassier en maraude.

Tout un défi

     Pêcher le brochet à la mouche, c'est affronter un poisson sportif qui attaque férocement l'artificielle et cherche à la détruire dans ses puissantes mâchoires. C'est poursuivre un adversaire digne du pêcheur qui manie canne souple et artificielle légère et raffinée. C'est aussi la capture d'un poisson puissant qui peut livrer une partie de souque-à-la-corde, à vous donner mal dans les épaules. Relever le défi de la pêche du brochet à la mouche, c'est connaître des sensations qu'on ne peut s'empêcher de faire partager. C'est un spectacle extraordinaire de le voir surgir en surface, se retourner sur lui-même tout en faisant jaillir l'eau en gerbes d'écume, pour engloutir l'artificielle entre ses mâchoires acérées. Le brochet est roi au bout d'une soie à moucher et après l'attaque initiale, il cherche généralement à regagner son royaume en eau profonde.

     Offrez-lui un combat digne de son rang, avant de le passer à l'épuisette. Évitez la gaffe ou le crochet meurtrier qui ne pourrait que blesser ou tuer ce poisson sportif. Un magnifique combat mérite bien quelquefois la liberté pour un adversaire qui a su vous faire savourer tout le plaisir et le charme que procure la pêche à la mouche.

Mouches à brochet en poils d'ours polaire.

HAMEÇON: Mustad 3191 ou 9674, n° 2 à 3/0, longue tige et oeil droit.
QUEUE ET AILES: Poils d'ours polaire: une pincée de rouge, une pincée de jaune, une pincée de rouge.
CORPS: Chenille orange fluorescent.
FIL DE MONTAGE: Rouge.
HAMEÇON: Mustad 3191 ou 9674, n° 2 à 3/0, longue tige et oeil droit.
QUEUE ET AILES: Poils d'ours polaire ou queue de chevreuil: une pincée de jaune, une pincée d'orange, une pincée de jaune; quatre hackles de selle orange.
CORPS: Phentex orange.
FIL DE MONTAGE: Rouge.

Références

» Texte & Photos: Jacques Juneau (Juillet 1984).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

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