En Quoi la Canicule Affecte-T-Elle le Saumon

     L'été 1995 aura été marqué, dans la grande majorité des rivières à saumon, par des conditions hydrologiques extrêmes. L'absence de pluie substantielle et les journées très chaudes, entre la mi-juin et la mi-août, ont en effet entraîné les rivières à des débits particulièrement faibles. Plusieurs pêcheurs se sont inquiétés des effets que cela pouvait avoir sur le saumon. Sans faire un tour complet de la question, voici quelques informations tirées de nos observations lors de nos travaux de recherche.

1. La pêche: c'est pourri

     La revue de la documentation et l'analyse des données faites par notre collègue Jérôme Guillouët confirment ce que plusieurs pêcheurs avaient remarqué: les prises de saumon sont plus importantes en été lorsqu'une bonne pluie vient augmenter le débit de la rivière et refroidir quelque peu l'eau. Autrement dit, l'été que nous avons connu était plus propice à la baignade qu'à la pêche!

2. Le taux d'exploitation est moins élevé

     Là, ce sont les saumons qui sont contents! Dans de bonnes conditions, les pêcheurs capturent entre 40 % et 50 % des saumons dans plusieurs rivières. Quand l'été est sec, ils ont beau déployer toutes leurs ruses, offrir des mouches « miracles » infaillibles..., c'est « niet »; les saumons ne daignent pas remuer la moindre nageoire. Résultat: les taux d'exploitation baissent aux alentours de 35 % voire moins.

3. Les saumons passent vite dans le bas des rivières

     Lorsque le débit d'eau est élevé, les saumons ont tendance à prendre leur temps en rivière. Dans plusieurs cas même, ils doivent attendre les périodes d'étiage pour franchir certains obstacles. Si ces conditions se présentent tôt en saison, les saumons filent rapidement vers l'amont des rivières. Demandez aux pêcheurs de la Moisie!

4. Les saumons se concentrent dans quelques fosses

     Les décomptes visuels que nous faisons vers la fin de juillet confirment que, lorsque le débit est faible, les saumons se concentrent dans quelques grandes fosses. Sur la rivière Saint-Jean (Gaspé), il n'est pas rare de voir, dans ces conditions, la moitié des saumons de la rivière se retrouver dans quatre ou cinq fosses.

5. Les saumons peuvent-ils rester en mer?

     Oui, sans aucun doute, sur de petites rivières, à l'île d'Anticosti par exemple, mais aussi sur des rivières comme la Malbaie, la Cap-Chat et bien d'autres; les saumons attendent en mer, tout près de l'embouchure. On peut même les voir « marsouiner » à marée haute. Combien de temps peuvent-ils attendre?

     Un projet de recherche que nous avons fait avec le MAPAQ et l'Association des pêcheurs commerciaux de saumon de la Gaspésie fournit des informations très intéressantes à ce sujet. Des saumons marqués en mer en juin, juillet et août, tout près de l'embouchure de la rivière de l'Anse-à-la-Barbe, ont patienté jusqu'en octobre avant d'entrer en rivière, à la faveur des pluies d'automne. Plus étonnant encore, ces saumons, que nous capturons dans une cage, devaient être manipulés avec soin car ils étaient déjà prêts à frayer.

     Par contre, sur nos grosses rivières, il ne semble pas que les saumons retardent indûment leur montaison en rivière. Il y a bien quelques « écartés » qui arrivent à la fin d'août ou en septembre, mais on est loin d'une montaison d'automne, comme cela se voit sur des rivières plus au sud, comme la Miramichi.

6. Les saumons adultes peuvent-ils en mourir?

     Oui. C'est le cas dans la rivière Ouelle et dans la Ristigouche entre autres. La température élevée de l'eau n'est toutefois pas la seule cause des mortalités; un « stress additionnel » favorise parfois le développement de maladies, telle la furonculose. Dans le cas de la rivière Ouelle, ces mortalités peuvent être significatives dans la population. C'est pourquoi le PDES a consenti des sommes pour expérimenter des moyens de contrôler la température dans les sites de concentration des adultes.

7. Est-ce que les jeunes en rivière peuvent en souffrir?

     Ah! la belle question qui mérite une belle réponse! Oui et non, peut-être, ça dépend! Une vraie réponse de biologiste, quoi!

     Le saumon résiste assez bien à des températures d'eau élevées. Sa température létale (température à laquelle 50 % des poissons meurent) est de 29°C alors qu'elle est de 27°C pour l'omble de fontaine. Il serait surprenant que l'eau atteigne cette température dans nos rivières à saumon. Toutefois, il peut y avoir d'autres problèmes. Prenons ça par petits bouts :

     Oui, mortalité des alevins, nous avons observé, cette année, dans notre incubateur expérimental de l'Anse-à-la-Barbe, un assez fort taux de mortalité (environ 25 %) des alevins au moment de leur sortie du gravier (fin de juin). C'est la première fois en huit ans que cela se produit et c'est aussi la première fois qu'on observe un réchauffement aussi rapide de l'eau.

     Oui, mortalité des tacons Dans certaines rivières, des tacons se retrouvent prisonniers de cuvettes d'eau qui s'assèchent. À l'île d'Anticosti, des sections de petites rivières disparaissent complètement sous le gravier; « ils n'en mouraient pas tous, mais tous étaient atteints ».

     Ça dépend des rivières. La pire sécheresse des dernières années à l'île d'Anticosti s'est produite en 1989 et des conditions similaires ont été observées en 1987 à Terre-Neuve. Or, sur les rivières Bec-Scie, Conne et Western Arm Brook, où se fait l'évaluation de la production des saumonneaux au moment de leur départ vers la mer, il n'y a pas eu, dans les années subséquentes, de baisses de production attribuables à ces sécheresses. Attention toutefois, ces trois rivières ont des lacs sur leur parcours, ce qui peut offrir un refuge temporaire et également limiter l'effet de l'étiage. Même si l'on croit généralement que les tacons sont territoriaux, des études récentes démontrent qu'ils se déplacent souvent au cours de l'année et parfois sur des distances surprenantes.

     Des baisses importantes de population, à la suite d'une sécheresse, ont toutefois été observées sur certaines rivières à omble de fontaine aux États-Unis.

     Mon impression est la suivante: sur des rivières fortement chenalisées, les faibles débits réduisent peu la superficie mouillée de la rivière et les températures élevées peuvent même favoriser une plus grande production de nourriture; dans ces cas, les dégâts sont sans doute minimes. Par contre, sur des cours d'eau à fond plat, comme dans le bas des rivières en Gaspésie et à l'île d'Anticosti, la rivière devient un filet d'eau et une partie importante du lit s'assèche. Dans ces conditions, les tacons se retrouvent très concentrés et compétitionnent pour la nourriture et l'espace. Cette promiscuité peut entraîner une mortalité accrue et peut-être même une diminution de la croissance.

Conclusion

     Chose certaine, tout n'est pas blanc et noir. Certains facteurs de mortalité jouent même dans des sens contraires. Par exemple, une forte mortalité des alevins aura pour conséquence que ces jeunes seront moins nombreux pour se partager la nourriture au cours des deux ou trois autres années qu'ils passeront en rivière. Leur taux de survie s'en trouve alors amélioré. Il y a plusieurs mécanismes compensatoires qui jouent en nature. Peut-être les comprendrons-nous mieux à l'avenir, si Dieu et les budgets prêtent vie aux chercheurs!

Références

     BINNS, N.A. 1994. « Long-Term Responses of Trout and Macrohabitats to habitat Management in a Wyoming Headwater Stream.» Wyoming Game and Fish Department, North American Journal of Fisheries Management, 14:87-98.

     CARON, F. et N. GUÉRARD. 1993. Rapport d'opération de la rivière Saint-Jean en 1991. Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la faune et des habitats, Service de la faune aquatique, 67 p.

     CARON, F. et N. GUÉRARD. 1994. Rapport d'opération de la rivière Saint-Jean en 1994. Ministère de l'Environnement et de la Faune, Direction de la faune et des habitats, Service de la faune aquatique, 74 p.

     LEE, R.M. and J.N. RINNE. 1980. « Critical Thermal Maxima of Five Trout Species in the Southwestern United States », Trans. Am. Fish. Sco., vol. 109, n° 6, p. 632-635.

référence

» Par François Caron, biologiste MEF
» Salmo Salar #40, Automne 1995.

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