La Grande Déception

     L’annonce en mars 1992 de l'arrêt des pêches commerciales du saumon atlantique sur les côtes de Terre-Neuve a fait naître de bien grands espoirs chez les saumoniers. Qui ne se souvient pas des saisons misérables des années 1980. Qui n'a pas entendu les pêcheurs sportifs, face à des rivières à moitié vides, maudire les interceptions de Terre-Neuve. Les espoirs étaient encore plus grands quand on a appris le rachat, par des intérêts privés, des quotas du Groënland pour les années 1993 et 1994. Il n'y avait enfin plus d'interceptions en mer et tous étaient en droit de s'attendre à des montaisons exceptionnelles. Ils ont été tout aussi surpris que déçus des résultats contraires et se posent aujourd'hui beaucoup de questions. Il est malheureusement impossible, à ce stade-ci, d'apporter des explications précises et personne n'est en mesure d'affirmer connaître les véritables raisons de cet état de choses.

     Bien des théories ont été avancées pour expliquer la faiblesse relative des montaisons de l'année 1994: prolifération des phoques, diminution des sources d'alimentation, refroidissement de l'eau de mer, pêches illégales en eaux internationales.

     De ces différentes théories, celle qui a peut-être retenu le plus l'attention est celle des pêches illégales en eaux internationales par des bateaux asiatiques. Cette explication a d'abord été avancée par Michael Dadswell, biologiste attaché à l'Université Acadia en Nouvelle-Écosse et qui a acquis une certaine crédibilité à la suite d'un article paru dans l'Atlantic Salmon Journal à l'été 1994.

     Cet article a soulevé l'ire de bien des gens reliés à la gestion du saumon, particulièrement de David Meerburg, conseiller principal en matière d'espèces anadromes chez Pêches et Océans Canada et vice-président de l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord (%OCSAN%). Dans un article paru dans l'Atlantic Salmon Journal de l'automne 1994, il a systématiquement réfuté les arguments de Michael Dadswell. Étant donné toute l'importance de cette question, il semble opportun d'en présenter un résumé.

     - L'hypothèse de Michael Dadswell repose sur un rapport verbal d'une observatrice de pêcherie qui lui aurait dit avoir observé 200 bateaux asiatiques péchant au-delà de la limite de 200 milles. Or, tous les rapports écrits de cette même personne n'en font aucune mention et indiquent de plus qu'elle a passé très peu de temps au-delà de la limite de 200 milles.

     - Les observateurs, les inspecteurs et les équipes de surveillance de Pêches et Océans Canada n'ont pas observé de bateaux péchant le saumon dans l'Atlantique Nord-ouest. Les vols de reconnaissance qu'effectue le Canada dans l'Atlantique sont assez efficaces. Ils ont révélé que les Japonais se limitaient à la pêche au thon.

     - La convention qui régit l'OCSAN interdit la pêche du saumon en eaux internationales et l'organisme n'a aucun rapport à l'effet que les bateaux s'y adonneraient dans l'Atlantique du Nord-ouest.

     - Le déclin dans les stocks de saumons atlantiques, en mer, a commencé vers la fin des années 1970 et durant ces années, les Asiatiques péchaient dans le Pacifique au moyen de filets dérivants; ils n'étaient donc pas la cause du déclin des stocks de saumons dans l'Atlantique.

     - Les filets dérivants qu'on employait dans le Pacifique pour la pêche à la seiche et qui capturaient accidentellement du saumon mesuraient jusqu'à soixante kilomètres. Comment aurait-on pu les soustraire à la détection dans l'Atlantique? L'usage de ces filets en haute mer a d'ailleurs été banni par résolution des Nations unies en 1992.

     - Considérant la valeur commerciale très élevée du thon, on se demande pourquoi les Asiatiques auraient préféré la pêche au saumon atlantique alors qu'il y a déjà un surplus de saumons d'élevage et de saumons du Pacifique sur les marchés mondiaux. Un thon de taille moyenne se vend 20,000$ à Tokyo et le record a atteint 69,000$. De plus une étude révèle qu'un filet dérivant employé dans le Pacifique vers la fin des années 1970 capturait au maximum une centaine de saumons par jour; l'emploi de tels engins n'a donc pas de sens sur le plan économique.

     - Enfin, des publications scientifiques contredisent certains arguments invoqués par Michael Dadswell. Celui-ci avance que l'on retrouve les plus fortes concentrations de saumons en mer dans les secteurs où la température de l'eau varie entre deux et quatre degrés Celsius alors que des scientifiques qui ont étudié ce sujet parlent de sept à huit degrés Celsius. Il y aurait également des divergences d'opinion entre Michael Dadswell et les scientifiques en ce qui concerne l'alimentation du saumon en mer.

     Il semble donc évident qu'il ne faut pas retenir l'argument des pêches illégales en mer pour expliquer les faibles montaisons en 1994. Les scientifiques attachent beaucoup d'importance à la température de l'eau de mer. Certains sportifs parlent beaucoup des phoques et de leur prolifération désordonnée. La réponse serait-elle là ou dans la conjugaison de différents facteurs? L'avenir nous le dira peut-être.

référence

» Par: Jean-Paul Duguay, Commissaire canadien à l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord (OSCAN)
» Salmo Salar #38, Printemps 1995.

Page 6 sur 18