La Remontée Miraculeuse par Gilles Aubert

     Reconnue comme l'une des rivières à saumon les plus productives au monde, la Miramichi est aussi le centre d'accueil de centaines de milliers d'aloses savoureuses vers la fin du mois de mai. Vous êtes assuré d'un succès de pêche exceptionnel et... très excitant.

La Remontée Miraculeuse
     Après m'être avancé dans l'eau assez rapide jusqu'à la taille, j'attache à l'extrémité du bas de ligne une mouche noyée très brillante et je propulse la soie à quelque 16 mètres (environ 50 pieds) en amont. Dès que l'artificielle touche l'eau, et ce, afin qu'elle dérive le plus librement avec le courant et près du lit de la rivière, je déporte la soie vers l'amont. Tout au long de la descente de la mouche dans le courant, je fais plusieurs autres amendements de la soie et, tout juste avant de procéder à un autre lancer, je sens un léger frémissement sur la ligne. Instinctivement, je relève la canne en position verticale. A cet instant, le poisson sentant qu'un lien le retient, part en trombe et s'engage dans une course folle vers l'aval. J'augmente alors la tension du moulinet... la canne s'arque, mais il refuse de s'arrêter. Impuissant, je regarde la soie du moulinet se dévider... et ensuite la ligne de réserve.

     Voyant qu'il ne me reste que quelques mètres de ligne de réserve emmagasinée dans le moulinet, j'augmente, au risque de tout casser, la tension du moulinet. Changement de cap: il repart de plus belle vers l'amont. Je ne suffis pas à embobiner la ligne de réserve et la soie libérées du moulinet lors de la première course. La 'bombe» se sauve à toute allure vers le haut de la fosse...

     Enfin, après plusieurs autres courses et cabrioles, le poisson s'épuise quelque peu. Je l'entraîne donc en eau plus calme et le guide le cueille dans son épuisette. Après un combat de plus de quinze minutes, je venais de récolter une alose savoureuse de plus de 3,6 kg (8 lb) dans la célèbre Miramichi.

UN GRAND HARENG MECONNU

     Espèce pélagique, l'alose savoureuse se déplace et migre en bancs, comme son proche cousin le hareng. Toutefois, tout comme le saumon atlantique, c'est un poisson anadrome qui vit en mer et revient frayer en eau douce. Selon les scientifiques, elle retourne pour la première fois à sa rivière natale à l'âge de quatre ou cinq ans, et certaines peuvent frayer jusqu'à cinq fois au cours de leur vie. On ne la retrouve donc en eau douce que pendant la période de la fraieson, ainsi qu'au cours des premiers mois de sa vie.

     Durant la période de reproduction, tout dépendant de la température de l'eau (entre 14,5 °C et 22 °C [55 °F à 70 °F]), elle séjourne dans plusieurs rivières de la côte Est américaine, depuis la Floride jusque dans le fleuve Saint-Laurent, et ce sont les mâles, plus petits que les femelles, qui entrent les premiers. Au Québec, elle remonte jusque dans l'archipel de Montréal.

     Ajoutons que cette grande migratrice, dont certaines mesurent près de 63,5 cm (25 po) de longueur et dont le poids varie, en moyenne, de 2 à 3,5 kg (4 à 7 lb), possède un corps plutôt mince mais assez large, une petite tête et une gueule assez large. Compte tenu de sa forme et de son poids, ce beau poisson de la famille des Clupéidés, à livrée argentée et d'un lustre bleu-vert sur le dos, est très puissant et a une vitesse de nage exceptionnelle.

LA RIVIERE MIRAMICHI

     Située à quelque six heures de route de la ville de Québec, la Miramichi est une rivière qui coule dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick. Reconnue comme capitale mondiale de la pêche du saumon, elle est aussi l'hôte, durant environ un mois, de l'alose savoureuse. À chaque année, selon les estimations faites par les biologistes, des centaines de milliers d'aloses remontent la Miramichi entre le 25 mai et le 25 juin et se rassemblent dans des fosses pour y frayer. Imaginez-vous, la canne à la main, dans une fosse où nagent côte à côte plusieurs milliers de gros poissons très combatifs! Un rêve qui est pourtant une réalité.

     De plus, dans la Miramichi, contrairement à la plupart des autres plans d'eau en Amérique du Nord, la pêche se pratique dans des fosses où les aloses sont présentes pendant quelques jours, voire des semaines. Ailleurs, les sportifs essaient surtout d'en récolter lorsqu'elles sont en migration dans la rivière. Vous êtes donc assuré d'une qualité de pêche exceptionnelle, car les fosses sont très grandes, fréquentées seulement par quelques pêcheurs et surtout remplies d'aloses qui n'attendent qu'un leurre bien présenté. Adeptes de la pêche à la mouche, soyez assurés que vous n'aurez aucune impression de promiscuité!

     Vous sera-t-il possible de récolter plusieurs poissons et de quel poids? Au Nouveau-Brunswick, l'alose n'étant pas encore considérée comme un poisson d'ordre sportif, il n'y a aucune limite de prises et de possession. Heureusement, les propriétaires de la pourvoirie Miramichi Lodge demandent à leurs clients de ne «garder» quotidiennement que cinq aloses. Quant au poids, je ne serai pas surpris d'apprendre qu'un nouveau record mondial y soit capturé d'ici quelques années. En effet, de l'avis des pêcheurs sportifs qui ont fréquenté ce bassin du Nouveau-Brunswick, on y rencontre des spécimens de plus de 4,5 kg (101b).

UNE TECHNIQUE DE PÊCHE APPROPRIéE

     Tout comme le saumon atlantique, l'alose savoureuse ne mange pas en eau douce et subirait une perte de poids somatique évaluée entre 44 % et 69 %. Pourtant, je vous assure qu'elle attaque la mouche. Pourquoi? Il n'est certes pas facile de répondre à cette question. Cependant (au risque de faire de l'anthropomorphisme), compte tenu que la pêche se pratique presque uniquement sur les frayères, je suis d'avis que ce sont des réflexes de défense et de nettoyage du site de fraie qui la porte à gober l'artificielle. Toutefois, si vous demandez à un résident du Nouveau-Brunswick s'il est possible de récolter sportivement des aloses savoureuses, il vous répondra fort probablement par la négative. Généralement, les quelques rares sportifs locaux qui s'adonnent à cette activité n'obtiennent que peu de succès car, à mon avis, ils n'utilisent pas la bonne technique. Ils employent et ce, à tort, les mêmes techniques usuelles de la pêche du saumon atlantique pour essayer de leurrer cette dame argentée.

     Cependant, l'équipement de pêche dont se sert le saumonier pourrait très bien servir. Équipez-vous d'une canne à action rapide, assez puissante pour lancer une soie n° 8,9 ou 10 possédant un bout calant sur les 10 derniers pieds (environ trois mètres). Le moulinet doit être muni d'un excellent système de freinage et d'un tambour assez ample pouvant contenir toute la soie et environ 150 verges de ligne de réserve. Quant au bas de ligne, il doit être assez court, d'une longueur d'environ 2,14 m (7 pi) et dont le bout fin est constitué d'un segment de monobrin ayant une résistance de 3,6 ou 2,7 kg (8 ou 6 lb), pour permettre au leurre de descendre au-dessus du repaire des poissons convoités.

     Pour obtenir du succès, il faut présenter l'artificielle - seule la pêche à la mouche est permise dans la rivière Miramichi - de la même manière qu'à la pêche de la truite avec une nymphe dans une rivière. Il faut qu'elle se présente près de la gueule du poisson et non au-dessus. Vous lancez votre soie en haut du courant, ou perpendiculairement à celui-ci, tout dépendant de sa vitesse et de la grosseur de la mouche; dès que celle-ci pénètre dans l'eau, vous reportez continuellement la soie vers l'amont, afin que la mouche noyée descende librement sous l'eau, c'est-à-dire sans qu'elle soit tirée par le bas de ligne. Portez attention à votre soie, car l'alose attaque délicatement la mouche. Dès que vous voyez votre soie s'arrêter dans le courant, ferrez immédiatement. Souvent, elle prendra la mouche à la toute fin de sa course.

     Si, lors de la dérive de la mouche, vous vous rendez compte qu'elle touche le lit de la rivière, relevez la canne pour qu'elle continue librement sa course. Sachant que la fosse contient plusieurs poissons, évitez de faire descendre le leurre sur le fond, car vous augmentez les chances d'accrocher une alose par une partie autre que la gueule. Si cette situation se présente, rapetissez la grosseur de votre mouche et/ou procédez à plus d'amendements.

LES MOUCHES

     À mon point de vue, pour obtenir davantage de succès, il faut certes avoir le bon équipement et la bonne technique, mais le choix approprié de la mouche est d'une importance capitale. Rappelez-vous que l'alose savoureuse préfère les mouches qui ont de l'éclat. Les pêcheurs chevronnés utilisent donc des artificielles montées avec des matériaux fluorescents et des lamés d'argent, dont les ailes sont peu fournies. Quelques poils ou la pointe d'un hackle ne dépassant pas la moitié de la hampe de l'hameçon suffisent, le blanc étant surtout le plus recherché.

     Pour ma part, je préfère attacher au bas de la ligne une mouche à hameçon double pour le saumon (grosseur 4 ou 6, tout dépendant de la hauteur de l'eau et de la vitesse du courant) afin qu'elle dérive près de la gueule de la grande voyageuse. Je vous rappelle que les mouches plombées ne sont pas permises dans la Miramichi. À l'occasion, des bucktails et des streamers (hameçons simples) peuvent la séduire. J'ai eu beaucoup de succès avec la Savoureuse, une mouche inventée par Bertrand Desjardins (un des propriétaires du Miramichi Lodge), dont vous retrouverez la parure dans la chronique «Les mouches québécoises» du magazine Sentier Chasse-Pêche de mai 1990.

SUCCÈS DE PÊCHE

     On peut récolter des aloses à tout heure de la journée. Toutefois, la pêche est à son meilleur en fin de journée, lorsque le vent est tombé, et pour cause. Le soleil couchant marque le prélude des ébats amoureux de la belle argentée. Quel spectacle visuel et sonore de voir et d'entendre les femelles, accompagnées de plusieurs mâles, nager vigoureusement près de la surface, un bruit d'ailleurs audible à une centaine de mètres (plus de trois cents pieds) à la ronde! Il faut comprendre que les femelles ne creusent pas de nid dans le lit de la rivière mais laissent plutôt aller, au gré du courant, les oeufs qui doivent être fécondés immédiatement par les mâles. Cet hymne à l'amour se prolonge ainsi jusqu'à tard dans la nuit.

     Dès que cette danse nuptiale commence, vous êtes presque assuré d'avoir une touche à chaque lancer. Cependant, comme elle attrape délicatement l'artificielle, je me dois de vous répéter qu'il n'est pas facile de ferrer la fougueuse; il faut donc appliquer la tension au bon moment. De plus, comme elle gobe le leurre délicatement, l'hameçon est presque toujours accroché sur le bord de la gueule. Pour cette raison, il m'est arrivé souvent de «perdre» le poisson lors du combat. C'est une pêche semblable à celle du corégone; il faut être très délicat et appliquer la bonne tension au bon moment. L'alose est-elle combative? Poids pour poids, je n'hésite pas à la comparer au saumon atlantique. La plupart des aloses récoltées ont dévidé toute la soie du moulinet et même plusieurs mètres de la ligne de réserve.

     Surnommée le saumon des pauvres, Alosa sapidissima n'a pas encore acquis toutes ses lettres de noblesse auprès des pêcheurs sportifs du Nouveau-Brunswick et du Québec, même si elle jouit d'une bonne popularité chez nos voisins du Sud. Ce sont les propriétaires de la pourvoirie Miramichi Lodge (Bertrand Desjardins, Edwin et Patrick Simms) et quelques chroniqueurs spécialisés en chasse et pêche québécois qui ont fait connaître dernièrement ce grand hareng aux adeptes de la pêche à la mouche. Dans un avenir rapproché, compte tenu de son agressivité, de sa combativité et de sa chair succulente (grillée et/ou fumée), ce sera sûrement un des poissons les plus prisés des sportifs.

LE MIRAMICHI LODGE

     Le guide étant obligatoire pour les non-résidents qui pèchent dans les rivières à saumon du Nouveau-Brunswick, je vous suggère de réserver à la pourvoirie Miramichi Lodge située à Blackville. Pourquoi? Parce que les propriétaires sont des Québécois très accueillants et aussi à cause des services professionnels offerts. Pour 110 $ par jour, vous serez logé dans un chalet confortable, comprenant chauffage et éclairage à l'électricité, douche et toilette intérieures, cuisinière, réfrigérateur, congélateur et accessoires de cuisine. Vous emportez votre nourriture et vos effets personnels; le guide est compris dans le forfait. 

     Aimeriez-vous vivre l'expérience en plan américain? Pensez alors à débourser 180$ par jour. Étant donné que la Miramichi n'est l'hôtesse de ce visiteur marin que pendant un mois environ, réservez immédiatement une place (minimum de trois jours) pour la prochaine saison de pêche, car elles s'envolent rapidement. Pour plus d'information, communiquez avec Patrick Simms au 700, 15e rue, Québec, QC, G1J 2K5, tél.: (418) 525-8342.
Ruby Polsky en train de faire fumer la chair délicate de ce fugueux poisson.

Références

» Texte & Photo: Gilles Aubert (1992).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche (Annuel de Pêche).

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