La Rivière Trinité, d'Hier à Aujourd'hui par Jacques Juneau

     Pourquoi parler de cette rivière qui ne fait pas toujours l'unanimité au sein de la population des saumoniers? Quelques-uns la louangent, d'autres la critiquent, plusieurs restent indifférents devant la variété de paysages grandioses qu'offre ce cours d'eau sinueux, aux rives fortement encaissées dans la montagne. Cette rivière accueille pourtant toujours une abondante population de fringants castillons bien déterminés à franchir rapides et cascades avec une force surprenante et, bien sûr, de superbes saumons qui n'ont rien à envier à leurs confrères de la péninsule gaspésienne. Eh oui, pourquoi?

     Tout simplement pour vous faire connaître un peu mieux ce coin de pays, avec ses gens accueillants qui ont grandi isolés des grands centres urbains, aux prises avec une nature rude et hostile. Des gens qui, à l'image de leur environnement, sont de solides gaillards manoeuvrant la canne d'un bras rigide, oubliant quelquefois la délicatesse du lancer ou le raffinement de la mouche délicate ou peut-être la fin bas de ligne, mais qui n'en obtiennent pas moins du succès dans la capture du roi de ces eaux. On serait peut-être porté à croire que cette rivière n'a pas de tradition ou qu'elle ne fait pas partie de ce folklore qui a fait connaître (et créé les mythes) de ces légendaires rivières gaspésiennes. Pourtant la pêche au saumon ne date pas d'hier sur la Trinité; dans son livre « Les poissons d'eau douce du Canada » imprimé en 1897, A.N. Mont petit écrit: « La grande et la petite Trinité ont baissé depuis une quinzaine d'années». Donc, déjà à cette époque, une pêche abusive avait affecté ce cours d'eau qui, heureusement, se porte aujourd'hui en excellente santé. En effet, la montaison de 1988 fut de 1 628 castillons et de 818 saumons alors que les prélèvements sportifs furent de 583 castillons et de 105 saumons; cela veut donc dire que les 2/3 de la montaison sont demeurées disponibles pour la reproduction. N'est-ce pas là une invitation particulière lancée aux saumoniers québécois afin de s'y rendre, puisqu'ici on peut se permettre d'augmenter raisonnablement le nombre de pêcheurs et d'orienter les captures vers les gros géniteurs.

     C'est en 1929 que la pêche sportive a sérieusement débuté sur la Trinité, avec l'arrivée de la compagnie Saint-Laurent. Cette compagnie possédait un bail d'exclusivité de pêche sur la rivière et seuls les dirigeants et leurs invités se prévalaient de ce privilège. Les groupes de pêcheurs étaient formés en majorité d'Américains. Dans les années 50, la compagnie Saint-Laurent cédait ses actifs à la compagnie de papier Dom-tar; cette compagnie papetière effectua des opérations forestières jusqu'en 1960, année où un incendie ravagea son moulin. La Domtar abandonna alors ses opérations mais conserva néanmoins son club de pêche sur la rivière Trinité.

     C'est en 1971 que débuta le premier mouvement revendiquant le droit de pêche pour les Québécois. Avec l'appui du député du temps et de la majorité de la population au déclubage de leur rivière, les manifestations populaires se multiplièrent. Ce n'est cependant qu'en 1976, année où prend fin le bail de la compagnie Domtar, que la Trinité devint accessible à l'ensemble des pêcheurs québécois. Cette année-là, la gestion de la rivière fut confiée à un organisme regroupant des gens du milieu, mettant ainsi un terme à 50 années de club privé. La Trinité est libre, la voie est tracée, tous les espoirs sont permis, elle inspirera les pêcheurs québécois qui voudront et obtiendront de plus en plus de rivières accessibles.

     C'est la Trinité qui servira de modèle lorsque la gestion d'autres rivières sera confiée aux organismes gestionnaires de zecs. Ironiquement, c'est elle qui fut en fait la première zec, mais également celle qui en obtiendra le statut en dernier. En effet, c'est le 8 avril 1987, que le décret 571.87 créait la zec de la Rivière-Trinité, gérée par la Société d'aménagement de Baie-Trinité, elle-même créée en 1976 et dirigée par une administration dynamique; Louis C. Roussy, président et Gérard Chouinard, directeur général, sont demeurés en poste pendant 10 ans. En 1986, deux hommes connaissant particulièrement bien la rivière Trinité ont pris la relève; ce sont Richard Dion, président, et Gilles Roussy, directeur général, qui fournissent aujourd'hui le dynamisme essentiel au bon fonctionnement d'une gestion honnête et universelle dont a besoin ce magnifique cours d'eau. Au début des années 70, Richard Dion était guide pour la compagnie Domtar; aujourd'hui, il est encore reconnu comme un bon guide mais surtout comme un excellent pêcheur, habile dans ses montages de mouches et sachant créer l'artificielle qui incite le saumon à l'action; cet excellent saumonier compte une vingtaine d'années d'expérience et il possède les qualités essentielles pour bien mener la barque de la Société d'aménagement de Baie-Trinité. Quant à Gilles Roussy, il connaît également très bien la Trinité, ayant commencé comme gardien de rivière pour la Domtar dans les années 70; par la suite, il a progressivement travaillé à la protection du territoire sur la réserve Trinité. Tout en occupant les postes de directeur et de secrétaire-trésorier au sein du Conseil d'administration de la Société, il siège au conseil municipal où il occupe le poste des finances et de maire-suppléant. Aujourd'hui, en bon administrateur de la société, Gilles Roussy fait preuve de dynamisme et de détermination pour sensibiliser le public aux problèmes du saumon. La gestion saine et rationnelle des dernières années a permis d'augmenter la moyenne des montaisons annuelles d'environ 450 saumons. A-t-on eu raison de confier la gestion de cette ressource à un organisme du milieu?

     Saviez-vous que ce n'est pas d'hier que la rivière Trinité reçoit des saumoniers de qualité? On n'a qu'à penser aux invités de la Domtar et à leurs guides natifs de Baie-Trinité, ces gars ayant maîtrisé les difficiles techniques de la pêche sportive de saumon; des gars comme Hervé Beaudin, André Gauthier et Richard Dion pour qui la capture d'un saumon est plus qu'une passion et qui sont passés maîtres de leur art. Sur la Trinité, la technique diffère de celle utilisée sur les rivières de la Gaspésie: la Trinité est une rivière à débit rapide, sinueuse et avec des fosses de petite et moyenne dimension bordées de rives souvent accidentées. La rotation par déplacement se fait difficilement le long de ces rives; aussi le pêcheur doit choisir la position idéale pour bien balayer la fosse et lancer en allongeant progressivement la soie, afin de rejoindre les saumons fréquentant habituellement les mêmes endroits. Le contrôle de la dérive est l'élément important du succès en ces lieux, puisque l'on se voit confronté à des courants variant constamment d'intensité. En 1988, la Société d'aménagement de Baie-Trinité a instauré un système de rotation obligatoire sur quelques-unes des fosses les plus achalandées, une amélioration qui plaît à beaucoup de saumoniers.

     Sur la rivière Trinité, on retrouve deux secteurs de pêche: le secteur en aval du barrage qui est contingenté et qui s'avère plus productif lorsque l'eau est à un niveau élevé et le secteur public où la qualité de pêche est à son meilleur quand le niveau est bas, apportant des fosses bien définies.

     Au début de juin, c'est la période de montaison des gros géniteurs, les vacances estivales ne sont pas encore commencées et très peu de saumoniers fréquentent la rivière; c'est pourquoi le nombre de gros géniteurs a augmenté au cours des dernières années. Pourquoi ne pas profiter de cette abondance et y aller en juin?

     En terminant, je voudrais vous suggérer quelques artificielles qui m'apportent régulièrement le succès sur cette rivière. La «Rat» au corps de libres de queue de paon et la « 
Black Dose » sont excellentes tôt le matin et au crépuscule. La «Dion spéciale», une intermédiaire lorsque le soleil rejoint le haut des arbres et la « Rusty Ra t» au corps en soie naturelle couleur or est superbe au soleil. La « Grizzly Wulff » au corps en soie naturelle de couleur jaune pâle n'a pas son pareil pour la capture à la sèche par temps ensoleillé. Un «Bomber» blanc par une température pluvieuse ou en soirée fera très bien lever les saumons.

     Confrères pêcheurs à la mouche et saumoniers, je vous le dis: la rivière Trinité, c'est un joyau de la Côte-Nord, un joyau à voir et à conserver.

références

» Texte & photo Jacques Juneau
» Salmo Salar, Printemps, avril 1989.
 
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