Au Revoir Ovila

     Un soir d'août 1969 j'arrivais à l'Hôtel « Le Castor » de St-René de Matane. Je mentionné à M. Côté que je n'avais jamais péché le saumon et que je me cherchais un guide. Il me nomma Ovila Lefrançois et m'indiqua la direction menant à son camp rustique près de la fosse « Dufour ».

Au revoir Ovila
     Lorsque je suis arrivé à ce camp, je lui dis « On m'a dit que tu es le meilleur guide de la Matane.»

     « On t'a dit ça? » fut la réaction d'Ovila. Et nous nous sommes mis d'accord pour pêcher ensemble pendant une semaine.

     Les pluies récentes avaient réveillé la Matane et le lendemain, à la première fosse, « le Phénomène », j'ai pris mon premier saumon.

     Les années se succédèrent. Je passais régulièrement plusieurs jours avec Ovila à chaque saison. Nous mangions peu, ne dormions guère plus, et nous péchions beaucoup.

     Cet hiver je lui ai manifesté mon désir de fêter mon dixième anniversaire de pêche au saumon avec lui sur la Matane. Le 2 janvier j'ai reçu un appel de Serge Vincent: Ovila n'était plus. « Qu'elle est lourde à porter l'absence de l'ami...» Ces mots de Gilbert Becaud décrivent mes sentiments envers la perte à tout jamais de mon ami Ovila.

     Comme pêcheur, Ovila a été et demeurera une légende. Il était ce qu'on appelle un « naturel »; il lançait la mouche d'une façon admirable et la Matane n'avait pas de secrets pour lui. Combien de fois il nous a fait la barbe à tous, avec sa mouche « Lefrançois spéciale », en convainquant un saumon qui avait auparavant refusé toutes nos offres. « J'en ai un » était un cri qu'on entendait souvent lorsque Ovila était dans les parages.

     C'est avec humour qu'il partageait ses expériences de pêche. Comme la fois où un client qu’il guidait avait affirmé qu'il n'y avait pas de saumon dans la fosse. Aussitôt dit, Ovila était descendu tout habillé dans l'eau. « Il y en a deux » avait-il affirmé. Ou encore, ce client qui accrochait continuellement ses mouches aux branches et qui demandait constamment à Ovila de grimper aux arbres. « Ce n'est pas un guide qu’il vous faut, c'est un singe,» avait répliqué Ovila au bout de patience.

     A chaque voyage en Gaspésie, peu importe vers quelle rivière je me dirigeais, il me fallait auparavant passer par St-René. Maintenant, ce ne sera plus comme autrefois. Je ne sais pas pourquoi il est parti mais il est parti beaucoup trop tôt. Il laisse en plus de sa femme et de sa petite, beaucoup d'amis, ses mouches, sa rivière, sa légende.

     Au revoir Ovila !

     Greg Guardo

références

» Texte Greg Guardo
» The Atlantic Salmon Journal #2, April 1979.
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