Comme un Roi dans les Jardins de la Reine

     Pendant que Boris est bien installé sur le devant du skiff, la canne prête à propulser une artificielle de type Puglisi imitant une sardine, Coki, debout sur sa plate-forme surélevée à l’arrière de l’embarcation, scrute attentivement la bordure des palétuviers. Soudain, il s’écrie avec son accent espagnol: « One o’clock, twenty meters my friend, cast, cast it now ! » Après un essai, il lance de nouveau : « Cast again! Three o’clock now, ok. Strip it, strip it, cast again, back of the boat, ok, strip it ». En un éclair, une des formes mobiles s’élance et gobe violemment la mouche à la surface de l’eau. Après un ferrage ferme et vigoureux, la bête s’élance et saute dans les airs puis la soie retombe mollement à la surface de l’eau. Le tarpon s’est défait de l’emprise du pêcheur. Bienvenue dans Les Jardins de la Reine !

Comme un Roi dans les Jardins de la Reine
     L’archipel des Jardins de la Reine est situé dans le littoral côtier des Caraïbes de Cuba, à près de 100 km des côtes. D’une longueur de près de 125 km, le chapelet d’îles et d’îlots constitue une immense réserve marine dans laquelle aucune exploitation de pêche commerciale autre que la pêche à la langouste n’est autorisée. On y accède via la petite bourgade de Jucaro. Le gouvernement cubain y a confié l’opération de la pêche sportive et de la plongée sous-marine en exclusivité à Avalon. Le site est réputé mondialement pour son caractère exceptionnel pour les deux types d’activités. Le pourvoyeur opère aussi en exclusivité des activités de pêche sportive dans le secteur d’Ana Maria, de Cayo Largo, de l’île de la Jeunesse et à compter de 2010, à la pointe de la péninsule de Zapata. Dan le secteur des Jardins de la Reine, les pêcheurs et plongeurs peuvent être reçus, soit dans un des trois yachts déployés dans le secteur : le Halcon, le Caballones ou le luxueux Avalon Fleet One, soit sur La Tortuga, un véritable hôtel flottant arrimé en permanence dans une lagune localisée en plein coeur de l’archipel. On parle ici d’un nombre de pêcheurs n’excédant jamais la quarantaine qui se partagent un territoire d’une superficie semblable à la totalité des Keys en Floride !

     Lors de notre visite dans ce véritable paradis, c’est sur La Tortuga que nous avons été reçus, côtoyant pendant une semaine un groupe de plongeurs européens. Notre guide, Coki, nous a fait visiter une bonne partie des nombreux îles et îlots, flats, canaux et lagunes, à la poursuite des principales espèces sportives recherchées dans ce secteur, que ce soit le bonefish, le permit, le tarpon, la carangue (connue sous le nom de Jack Crevale) et, dans une moindre mesure, le snook.

     Pour ma part, je pêche sporadiquement les espèces d’eau salée, principalement le bonefish, depuis une dizaine d’année. Mes expériences ont davantage été des sorties de courte durée jumelées à des voyages hivernaux dans le sud, dans le secteur de Cayo Largo, de Cayo Coco, puis l’année dernière à La Salina dans la péninsule de Zapata à Cuba et sur les îles de Marie Galante et de la Désirade en Guadeloupe. Les Jardins de la Reine ont, depuis mes premiers pas dans cette activité halieutique, représenté le rêve, la destination ultime. Voilà que ce rêve se réalisait.

Boris Tremblay
     Dans le cas de Boris, il s’agissait d’un baptême sous les tropiques. Dès notre arrivée, c’est vers l’espèce ayant la réputation d’être la plus difficile à leurrer que nous avons été guidés, le permit. Il s’agit d’une pêche à vue faisant appel à des habiletés qui ne sont pas communes pour les saumoniers et pêcheurs de truite à la mouche, soit propulser une mouche lourdement lestée à une distance atteignant parfois les 25 mètres, sur une cible mobile difficile à localiser, en étant nous même mobiles, et avec une assiette de présentation efficace ne faisant pas un diamètre d’un mètre, le tout dans un délai de quelques secondes seulement. Tout un défi ! À sa première tentative, Boris est venu bien prêt de réaliser l’impossible, soit d’en capturer un dès son premier lancer. Le réflexe naturel du pêcheur de truite provoqua malheureusement un ferrage hâtif, trop hâtif. Durant notre séjour, nous avons vu pas moins d’une quarantaine de permits, et eu des chances de lancer sur ceux-ci au moins à une quinzaine de reprises. N’eut été de quelques maladresses de pêcheur, au grand dam de notre guide, nous aurions eu un minimum de trois ou quatre captures de cette espèce à notre actif, ce qui est excellent pour ce type de pêche. Pas de capture, mais quel apprentissage ! Dans les faits les Jardins de la Reine sont réputés pour être un des meilleurs endroits au monde pour cette espèce, généralement celle manquante pour accomplir un grand chelem, soit la capture d’un bonefish, d’un permit et d’un tarpon dans une même journée.

Comme un Roi dans les Jardins de la Reine
     Nous avons aussi pourchassé l’espèce la plus connue des pêcheurs des mers du sud, le bonefish. Encore là ce secteur est reconnu comme un excellent endroit, sinon le meilleur au monde. Et contrairement à la croyance populaire, il n’y a pas là que de petits bonefish. Selon les secteurs, on y a capturé des poissons d’un poids moyen variant de 4 à 5 lbs, atteignant parfois de 6 à 7 lbs. Nous avons aussi eu quelques opportunités sur des monstres de près de 10 lbs. Dans d’autres zones, nous avons vécu l’extraordinaire expérience du mudding. Le phénomène se produit lorsqu’un imposant banc de poissons qui, en se nourrissant, déplacent les sédiments du fond marin provoquant l’effet d’un nuage blanc lorsque vu hors de l’eau. Une fois une telle activité localisée, il suffit de lancer une mouche lestée dans « l’eau blanche », la laisser prendre une profondeur d’environ un mètre (ou plus selon l’emplacement) et presqu’à coup sûr, la soie se tend avec un bonefish sur la ligne. De manière générale, les plus gros sujets se déplacent en petit groupe, voire en solitaire, alors que lorsque les écoles de poissons sont plus considérables (on en a vu impliquant plusieurs centaines d’individus), ceux-ci sont habituellement de plus petite taille, dans les 2 à 3 lbs.

Comme un Roi dans les Jardins de la Reine
     Bien que n’étant pas dans la meilleure période pour cette espèce, nous avons aussi eu la chance de nous mesurer au tarpon, espèce acrobatique sortie directement de la préhistoire. Nous avons ainsi pu en ferrer quelques uns, dont un qui y est allé d’un saut le conduisant directement dans un bouquet de palétuvier devant le skiff.

     Enfin, la mal-aimée des pêcheurs du sud : la carangue. Difficile de croire qu’une espèce aussi combative puisse être ainsi ignorée. Sans doute parce qu’une fois localisées, les carangues se ruent littéralement sur tout ce qui bouge, telle une meute de chiens enragés, avec une rapidité déconcertante. Point de vue défi, c’est davantage dans le combat qu’il réside, bien qu’avec leur rapidité de déplacement, ce ne soit pas toujours une mince affaire que de leur placer une mouche au bon endroit au bon moment. Nous en avons capturé quelques-unes, on peut sans l’ombre d’un doute affirmer que sur une canne pour soie #8, une carangue de 4-5 kg livre une bataille qui laissera pantois n’importe quel saumonier !

     On retrouve également des snooks à quelques endroits dans l’archipel, mais l’espèce y est relativement rare.

Les Services Offerts

Comme un Roi dans les Jardins de la Reine
     Avalon offre un service cinq étoiles sur toute la ligne. Le forfait habituel inclut un accueil personnalisé à l’aéroport de La Havane, deux nuitées dans un hôtel de qualité supérieure à La Havane, soit à l‘arrivée et au retour, le transfert vers Jucaro dans un autocar moderne et confortable, la traversée de Jucaro vers La Tortuga (ou vers le site de pêche dans le cas des yachts), tous les repas, les services d’un guide qualifié pour cinq journées complètes et deux demi-journées. Le guide est disponible de 7 h 30 le matin jusqu’à la tombée du jour, Vous naviguerez dans un skiff moderne et équipé pour deux pêcheurs, disponible en simple moyennant un supplément, Il n’y a aucune limite de carburant pour les embarcations. Enfin, le forfait inclut tous les breuvages et les repas. Durant notre séjour, ceux-ci ont toujours été frugaux, composés surtout de poissons fraîchement pêchés du jour, de langoustes, de fruits frais et savoureux. Le banquet du nouvel an était quant à lui exceptionnel à tous points de vue !

Comme un Roi dans les Jardins de la Reine
     Durant une journée typique sur La Tortuga, un employé vient vous réveiller à 6 h 50, avec un café ou un jus de fruit. Le petit déjeuner est prêt dès 7 h 00, et le guide paré à quitter pour la pêche dès 7 h 30. Pour ceux qui optent pour une journée complète sur l’eau il est possible de faire préparer un repas pour le midi (pas de sandwich), ou encore de simplement revenir dîner et prendre une pause en mi-journée. Au retour de la pêche en fin de journée on vous attend avec un mohito, ou autre boisson si tel est le souhait du pêcheur. Des pizzas sont alors disponibles pour aider à patienter jusqu’à l’heure du souper, généralement servi entre 19 h 30 et 20 h 00. Les cabines sont suffisamment spacieuses pour y loger deux pêcheurs et leurs bagages, chaque cabine étant dotée de sa salle de bain avec douche.

L’équipement

Pierre Manseau pour la pêche au bonefish
     Pour la pêche au bonefish, une canne de 9 pieds pour soie #8, dotée d’un minimum de 100 verges de ligne de réserve et d’une soie flottante adaptée aux conditions de pêche tropicales en eau salée sera l’outil approprié. Pour les fins de journées sans vent, une canne plus légère, une 9 pieds pour soie #7 fera vivre des sensations inoubliables sur les nombreux tailings qui sont rencontrés. Les avançons devraient être de 9 ou 12 pieds, 12 lbs test. Durant notre visite, les mouches les plus efficaces furent les Cuban Shrimp, Borski Bonefish Slidder et les Kwan, dans des tailles 4 et 6, de poids variables, selon les conditions rencontrées. Ainsi, dans des situations de mudding, on doit opter pour des mouches plus lourdes, la profondeur pouvant excéder un mètre, alors que dans le cas de tailers, on devra posséder des mouches très légères, voire sans lest, la profondeur étant souvent inférieure à 15 cm.

     Pour la pêche au permit, une canne de 9 pieds pour soie #9 ou #10 sera idéale. On devra prévoir un moulinet au frein robuste et un minimum de 150 verges de lignes de réserve de 30 lbs test, 200 verges n’étant pas superflues, ainsi qu’une soie flottante, toujours conçue pour la pêche tropicale en eau salée. Un avançon de 9 ou 12 pieds d’une résistance de 16 lbs test fera l’affaire. On pourra aussi y ajouter une pointe de fluorocarbon de 15 lbs test si désiré. Les mouches sont généralement plutôt lourdement lestées, représentant des crabes ou des crevettes, de taille généralement #2 et # 4.

     Pour le tarpon, autrement que durant la période allant de la fin mars au mois de juillet, une canne pour soie #10 pourra être utilisée. Un moulinet au frein robuste avec un minimum de 150 verges de ligne de réserve de 30 lbs test. Une soie intermédiaire pour la pêche sous les tropiques est idéale. L’avançon devra être doté d’un schock tippett d’un minimum de 60 lbs test en fluorocarbon. Durant la période allant de la fin mars à la fin juillet, on doit modifier substantiellement l’équipement, compte tenu de la présence d’un grand nombre de tarpons de format excédant parfois les 40 kg. Une canne pour soie #11 et même #12 est recommandée, un minimum de 250 verges de ligne de réserve, et l’avançon devra être doté d’un schock tippett en fluorocarbon de 80 ou même 100 lbs test. L’assemblage des avançons requiert l’utilisation de noeuds particuliers, tels que Slim Beauty Knot et Bimini Twist. Les mouches les plus utilisées sont la série de coackroach dans les teintes de grizzly, orange, pourpres et noires. Les Tarpon Toad popularisées par le champion Andy Mill dans le DVD Chasing Silver sont aussi appréciés, de même que les nouveaux styles de montages d’Enrico Puglisi, tels que la Peanut Butter pourpre et noire ainsi que celle imitant une sardine, dans une taille de 3/0. Il importe de s’assurer que les hameçons utilisés pour le montage soient de qualité supérieure. Les plus réputés sur le marché sont actuellement les Owner AKI et les Gamakatsu SC17.

     À moins de faire la demande pour ne se concentrer que sur une seule espèce, il peut y avoir des opportunités de captures pour chacune des espèces à chaque jour. Il importe donc d’avoir au moins une canne de chaque type prête à être rapidement utilisée.

La Pêche Hivernale dans les Topiques; Un Complément Agréable à la Saison des Saumoniers

Comme un Roi dans les Jardins de la Reine
     La pêche sous les tropiques gagne de plus en plus en popularité auprès des saumoniers québécois, et si plusieurs optent pour des sorties autonomes sans guide (DIY) à même des forfaits tout inclut dans les stations balnéaires populaires, le pêcheur désirant apprendre rapidement ce type de pêche et y connaître des sensations fortes et intenses aura tout intérêt à opter pour un encadrement adéquat dans un site de grande qualité en employant des équipements performants. J’ai personnellement perdu suffisamment de temps à essayer de tout combiner dans un même voyage pour finalement ne retirer que peu dans chaque activité visée, et constater une évolution quasi nulle après plusieurs années. On ne va pas dans le sud à toutes les fin de semaines. Ce n’est pas en obtenant une demi-douzaine de chances de captures durant une semaine qu’on apprend une telle pêche, et à cet effet, Les Jardins de la Reine constitue certainement une destination à placer au sommet de la liste des options à considérer pour quiconque vise passer des moments agréables en se mesurant aux espèces les plus sportives qu’un pêcheur à la mouche puisse rencontrer.

Coki, le Roi du Permit

Coki, le Roi du Permit
     Dans le monde de la pêche, chaque rivière ou région a son guide légendaire. Dans les Caraïbes cubaines, ce dernier se nomme Victor Jose Morales Gonzalez, dit Coki. Malgré son jeune âge, 39 ans, il guide depuis plus de 25 ans. Il est d’ailleurs le chef guide d’Avalon, c’est à lui que revient la tâche de former de nouveaux guides, non seulement dans les Jardins de la Reine, mais aussi pour les autres destinations offertes par l’opérateur. Il a personnellement capturé environ 70 permits, mais en a fait prendre plus de 600 à ses clients, ce qui en fait probablement un des guides les plus prolifiques au monde pour cette espèce. Il a deux enfants, son fils ainé est également guide de pêche à Jucaro, Cuba.

     Coki considère que les meilleurs endroits pour la pêche au permit sont l’archipel des Jardins de la Reine et Cayo Largo à Cuba. Ses mouches préférées pour cette espèce sont la Mauro Shrimp et les crabes tels que les EP Crab de couleur tan pâles.

     Pour le tarpon, son endroit de prédilection est sans contredit le secteur de Boca Grande dans la partie ouest des Jardins de la Reine, mais il a aussi un faible pour le secteur de l’Île de la Jeunesse, surtout pour ses tarpons format géants. Il passera d’ailleurs les prochains mois dans cette région.

     À son avis, le summum de la pêche au permit dans les Jardins de la Reine se situe entre les mois d’avril à juillet. Mais la pêche demeure tout de même excellente en tout temps. La pêche au bonefish est également excellente toute l’année. Pour le tarpon, on pourra capturer des pièces de petite et moyenne taille en tout temps, mais les gros tarpons sont en grand nombre en avril, mai, juin et juillet.

     Coki est sans contredit un guide habité par la passion qui caractérise ceux de cette profession qui se distinguent des autres, ceux pour qui guider n’est pas un boulot mais plutôt une vocation. Chaque journée passée en sa compagnie constitue inévitablement un apprentissage extraordinaire pour celui ou celle qui désire apprendre à déjouer ce poisson si capricieux et difficile à déjouer qu’est le permit.

Références

» Texte Pierre Manseau (2010).
» Photos: Pierre Manseau et Boris Tremblay
» FQSA.
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