Ah ! Ces satanés Nœuds !

     Nous sommes au printemps 1990. Encore une fois, les médias ont eu raison de moi. Depuis un certain temps déjà, j'ai eu l'occasion de visionner et de lire plusieurs reportages sur un endroit qui exerce tout un attrait pour un saumonier. En effet, l'instinct de moucheur qui sommeillait en moi depuis mon dernier périple sur la Matapédia est en éveil et il me faut remédier à cette situation. La solution ? Me trouver une réservation pour une excursion à la Pourvoirie de la Haute-Saint-Jean sur la Côte-Nord, l'endroit dont les journalistes spécialisés en chasse et pêche disent tellement de bien présentement. Mais avec qui y aller ? Où s'adresser ? Quelles seraient les dates disponibles, s'il y en a, et à quelles conditions ?

     C'est en pensant à tout cela que je me rends au Salon camping chasse et pêche de Québec. Je me promène à droite et à gauche, je visite différents stands et j'aperçois celui du journal Le Soleil où se tient Le chroniqueur de chasse et pêche André A. Bellemare, justement un des auteurs des reportages sur la Haute-Saint-Jean. Inutile de dire qu'il a dû faire face à un barrage de questions de ma part et, en effet, il me dit comme conclusion que Pierre Tremblay, le mouchologue de Québec, est à organiser un voyage à cet endroit. Il croit même qu'il lui manque quelqu'un pour compléter son équipe. Je me mets à la recherche de ce dernier et je le trouve à son stand « Le Coin du moucheur ». J'apprends qu'il détient effectivement une réservation pour la fin de juin pour quatre personnes, mais qu'il ne pourra pas s'y rendre. Il a transféré le tout à un dénommé M. Léo-Paul Houle, dont il me donne les coordonnées. Je communique avec ce dernier qui semble intéressé à m'inclure dans le groupe. Nos compagnons seront MM. Maurice Duval et Marcel Berry. Tous les trois sont de sympathiques retraités et je serai le benjamin du groupe. On se rencontre, on planifie le tout et, le 27 juin, nous sommes prêts à partir pour un autre palpitant voyage.

     Je fais le trajet seul en automobile : c'est un voyage d'une douzaine d'heures, puisque la rivière Saint-Jean se trouve à environ cent soixante kilomètres à l'est de Sept-îles. Le parcours ne me semble pas si long considérant que nous taquinerons Salmo au meilleur de la saison. Je rejoins mes compagnons à Rivière-Saint-Jean, je m'enregistre et je jette un coup d'œil à l'embouchure de la rivière. Elle m'apparaît vraiment imposante et j'apprends qu'un guide me conduira à notre camp en canot à moteur de type freighther, un parcours de plus ou moins 60 minutes. Mais c'est tout un parcours ! La rivière est vaste, comme un long ciré, le décor époustouflant : je vois des roches pointer en plusieurs endroits, mais le guide pilote notre embarcation de main de maître. Je suis assis à l'avant et je me fais arroser comme c'est pas possible. Malgré que nous soyons le 30 juin, il fait froid, très froid même, et c'est transis, mouillés de la tête aux pieds que nous faisons un premier arrêt au Pavillon Saint-Jean situé au 13e mille. C'est vraiment une belle installation et j'envie quelque peu ceux qui y séjourneront. Mes compagnons et moi continuons plus en amont au camp La Sauvagesse au 25e mille. Nous serons en plan européen. Le camp semble assez récent. Il peut loger six personnes ; de plus, c'est confortable, propre et bien équipé. Nous ferons notre propre bouffe et celle pour nos deux guides.

     La pêche se pratiquera principalement en canot de plus de 25 pieds de long, tout comme sur certaines rivières gaspésiennes. Mon compagnon de pêche sera Léo-Paul Houle et un tout jeune guide nous accompagnera. Pour débuter, nous nous dirigeons en amont, pas trop loin, mais à l'extrémité de notre territoire. Suivant les suggestions de notre guide, nous couvrirons notre secteur de fosse à tour de rôle. J'ai cependant tout un problème de concentration, voyez-vous, car notre guide est en amour par-dessus la tête, sa compagne au loin pour l'été et, lui, il s'ennuie pour mourir et n'arrête pas de nous conter ses exploits amoureux dans les moindres détails. J'attache une mouche Black Bear Butt n° 8, j'exécute mes lancers et, après une trentaine de minutes, me voilà connecté. Une belle lutte qui ne dure malheureusement que quelques instants. En effet, un lingot d'argent de belle taille s'échappe et me laisse pantois ! Il est parti avec ma mouche, me dis-je. On examine le tout et on se rend compte que c'est un nœud de mon avançon dégradé qui a lâché. Je suis le coupable et un extrait d'un certain bouquin sur le saumon vient me hanter. « Troquez donc une soirée de montage de mouches contre une soirée à fabriquer vos propres avançons », mentionnait l'auteur. Ouais ! Serait-il préférable d'utiliser un avançon d'un seul bout ?

     Penauds, nous retournons à notre camp où je vérifie tous mes avançons. Après une bonne nuit de sommeil, la pêche recommence, mais cette fois-ci presque en face de notre camp. Notre guide, lui, continue ses rêves érotiques tout en étant bien réveillé. Quant à moi, je profite de ma nouvelle canne Orvis HLS. Elle me permet d'effectuer de superbes lancers et la chance me sourit à nouveau en peu de temps. C'est une lutte de titans qui s'engage. Mon avançon tiendra-t-il le coup ? Ce saumon au sommet de sa forme dans ces eaux printanières provenant du Labrador est d'une force vraiment étonnante. À trois reprises, je le ramène près du canot et, à chaque fois, comme une torpille, il dévale la fosse et fait sortir ma ligne de réserve en faisant des bonds comme je n'en ai jamais vu. Je constate qu'il est tellement fort et combatif que ma courte poignée de rallonge et mon petit moulinet Orvis Battenkil 8/9 sont loin de me faciliter la tâche. Il me faudra remédier à cela. En quelques occasions, alors que ce « roi » de nos eaux prend un instant de répit, je dois faire de même en plaçant ma canne sous mon bras, car je n'en peux tout simplement plus de mouliner. Enfin, la lutte s'achève et mon guide tient le saumon dans la puise, un superbe 14 livres ayant ma Green Butt no 8 bien piquée dans la gueule. Ce n'est pas mon plus gros jusqu'à présent, mais c'est certainement le plus fringant, celui qui m'a donné le plus de fil à retordre.

     Le lendemain matin, encore heureux et maintenant satisfait, je prends les choses plus aisément et c'est au tour de mes compagnons d'avoir plus d'action. Sirotant un bon café à l'intérieur du camp, nous entendons tout à coup un cri. Maurice Duval, un excellent et persévérant moucheur, entreprend un combat avec un beau spécimen. Il s'est installé à gué, légèrement en aval du camp, mais de l'autre côté de la rivière. Nous accourons pour le voir ramener un beau 12 1/4 livres qu'il a séduit avec une Muddler Minnow no 8. Nos deux autres compagnons ont tous les deux piqué un saumon, mais n'ont pu les conserver.

     Quel voyage agréable, en excellente compagnie, des retraités qui m'ont donné maints conseils que j'ai eu l'occasion de mettre en pratique des années plus tard.
Ah oui, j'oubliais ! Afin que mon guide améliore sa concentration qui laissait fort à désirer, utilisant un subterfuge, je lui ai lancé à un moment donné un défi de taille après mon échec du premier soir. Aimes-tu le hockey ? Es-tu un partisan des Nordiques ? Entendant sa réponse affirmative, je lui ai dit : « Aide-moi à capturer un gros saumon de plus ou moins 15 livres et je te procurerai deux billets pour un match Nordiques-Canadien la saison prochaine. » Bouche bée, incrédule, je peux vous dire qu'il a travaillé fort, avec les résultats que vous connaissez maintenant. Et devinez quoi ? Un jour de janvier 1991, le téléphone sonna à mon bureau ; c'était mon guide réclamant ces fameux billets. J'ai entendu dire ensuite qu'il a fait tout un voyage à Québec, d'ailleurs le deuxième de toute sa vie, et qu'il a assisté à une écrasante victoire des Nordiques sur le Canadien... (avec sa dulcinée...)

     J'ai bien aimé mon court séjour à la Pourvoirie de la Haute-Saint-Jean et, bien que depuis, j'ai fait de la Matapédia ma rivière de prédilection, j'y retournerais en n'importe quel temps. N'hésitez pas à aller tremper vos mouches dans ce royaume de Salmo salar, ce sera pour vous sûrement une expérience inoubliable. Et si l'envie vous prend de monter vos propres avançons dégradés, n'oubliez pas de vérifier leur solidité avant de les utiliser.

références

» Par : Georges E. Tanguay
» Saumons illimités #70, Automne 2004.
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