La Truite de Mer; Vous Connaissez ? par Gérard Bilodeau

     Les pêcheurs sportifs auraient intérêt à «exploiter» davantage la truite de mer. Dans un premier volet, l'auteur, qui consacra beaucoup de temps et d'énergie à la poursuite de ce salmonidé, nous décrit les mœurs et l'habitat particulier de la truite de mer.

La Truite de Mer, Vous Connaissez?
     Mon premier contact avec la truite de mer remonte à l'été de 1978. Malgré les années écoulées depuis ce temps, le souvenir de cette rencontre fortuite est encore très net dans mon esprit.

     Je m'étais rendu pêcher le saumon atlantique anadrome dans la rivière Dartmouth au cours de la troisième semaine de juin. Fidèle à mon habitude, je m'étais levé très tôt ce matin-là. A cette époque, la zone numéro trois débutait immédiatement en amont des chutes et on pouvait y pêcher sans réservation. Ce secteur comprend plusieurs rapides violents entrecoupés de fosses en forme de chaudière qui permettent aux saumons de se reposer un peu avant de poursuivre leur montaison.

     Quelques minutes après mon arrivée sur le bord de la rivière, je remarquai les dorsales de plusieurs poissons transpercer la surface aqueuse. Je n'y prêtais guère plus d'attention, croyant avoir affaire à des saumons. J'attachai un gros Oiseau brun à mon bas-de-ligne. J'exécutai mon premier lancer un peu en amont des marsouinages des poissons. Aucune réaction. Mais le pire c'est qu'après quelques lancers les poissons avaient complètement cessé toute activité. J'arrêtai donc de pêcher et, au bout de quelques minutes, ils recommencèrent leur manège. Cette fois, je pris la peine de les observer attentivement.

     Quand les poissons traversaient le film de l'eau, je distinguais parfois leur gueule grande ouverte, signe non équivoque qu'ils se nourrissaient. D'ailleurs quelques-uns d'entre eux marsouinaient toujours au même endroit, afin de tirer profit du courant qui leur amenait «le lunch tout cuit dans le bec», tandis que d'autres avaient choisi de chasser leurs proies ça et là dans la fosse. Je réalisai alors que j'avais affaire à des truites de mer.

     D'après le comportement des truites, la majeure partie de la nourriture convoitée se trouvait dans le film de l'eau. Il pouvait donc s'agir de nymphes, de pupes ou encore d'adultes émergents. Evidemment, le contenu de ma boîte à mouches ne me permettait pas de faire face à cette situation. Je me résignai donc à attacher une sèche du numéro 16 du genre bivisible, que je dégarnis préalablement de plusieurs de ses fibres de hackles de manière à lui faire percer le film de l'eau. Au premier lancer il ne se passa rien; l'artificielle flottait trop haut. Mais au lancer suivant la sèche nagea entre deux eaux à cause de ses hackles mouillés. Les truites n'attendaient que ça. Ma soie à moucher se raidit brusquement en même temps qu'un vlouff... sourd se fit entendre.

     Cette truite m'offrit une lutte très différente de celles que j'avais capturées jusque-là. Elle m'apparaissait beaucoup plus forte, plus énergique et, à l'instar des saumons, ses coups de tête furieux montraient qu'elle ne désirait pas s'en laisser imposer. Finalement au bout de quelques minutes, j'échouai sur la berge une superbe truite de mer qui mesurait 18 po (46 cm) et dont le poids frisait les 3 livres (1,4 kg).

     Cette truite de mer me captiva; au cours des années qui suivirent, je consacrai beaucoup de temps et d'énergie à la poursuite de ce magnifique salmonidé un peu partout au Québec où on le trouve afin d'en connaître davantage sur ses mœurs ainsi que sur les techniques pour le pêcher avec succès.

QUI ES-TU?

     La truite de mer est un omble de fontaine {Salvelinus fontinalis) que les pêcheurs québécois connaissent mieux sous le nom de truite mouchetée. Mais la truite de mer se distingue de sa sœur, la truite mouchetée, par son habitat. En effet, la truite de mer partage son habitat entre l'eau salée de la mer, l'eau saumâtre des estuaires de rivières et du littoral et l'eau douce des rivières ou des lacs où elle ira frayer; de son côté, la truite mouchetée ne vit qu'en eau douce. En conséquence, afin de ne pas créer de confusion dans votre esprit en lisant les lignes qui vont suivre, le terme truite mouchetée sera utilisé pour désigner l'omble demeurant exclusivement en eau douce alors que le terme truite de mer référera à l'omble dont l'habitat peut être à la fois l'eau salée et l'eau douce.

     Les biologistes reconnaissent que la truite de mer est anadrome, qualificatif attribué aux poissons qui ont la caractéristique de quitter la mer pour remonter un cours d'eau douce afin de frayer.

     Sur ce point, le saumon atlantique, cousin des ombles, montre un comportement semblable. D'ailleurs la plupart des rivières à saumons comptent en plus une population de truites de mer, en nombre variable en fonction de la disponibilité de la nourriture dans l'estuaire et de la qualité et du nombre de frayères.
De façon générale, la truite de mer ressemble à une mouchetée; toutefois ses couleurs sont moins éclatantes. Ses flancs sont argentés, avec une légère teinte de bleu à l'occasion. Mais après un séjour de plus de deux semaines en eau douce, il devient plus difficile de faire la différence entre une mouchetée et une truite de mer, cette dernière ayant acquis une livrée qui s'apparente à son nouveau milieu. Habituellement, la taille de la truite de mer est supérieure à celle de la mouchetée. Cela tombe sous le sens puisque les milieux estuariens et marins offrent une nourriture en plus grande quantité ainsi qu'en plus grande variété.

     Il n'y a pas que la truite mouchetée qui se permette des incursions en mer. Ce comportement est aussi présent chez la truite brune (Salmo trutta) et la truite arc-en-ciel (Salmo gairdneri). Rares sont les pêcheurs qui n'ont pas entendu parler de la pêche aux steelhead pratiquée en Colombie-Britannique. Le nom de steelhead est donné aux truites arc-en-ciel qui vivent en mer et qui remontent les rivières pour aller frayer. Les pêcheurs connaissent aussi le potentiel fabuleux qu'offrent le Chili et l'Argentine pour la pêche des truites brunes géantes qui remontent les rivières après avoir passé quelque temps en mer. Plus près de chez nous, la présence de truites arc-en-ciel et de truites brunes a déjà été remarquée le long du littoral et même à l'intérieur de quelques rivières à saumons (par exemple la rivière du Gouffre et certaines rivières de l'île d'Anticosti pour l'arc-en-ciel, et la Baie des Chaleurs ainsi que quelques rivières du Nouveau-Brunswick pour la truite brune).

DISTRIBUTION AU QUEBEC

     On retrouve la truite de mer dans l'est de la province. Du côté nord du Saint-Laurent, quoique sa présence soit signalée de temps à autre dans la région de Charlevoix, c'est à partir du Saguenay qu'on peut la rencontrer régulièrement. Le Saguenay constitue à lui seul un habitat idéal pour les truites de mer. Plusieurs de ses affluents, quelle que soit leur grosseur, sont utilisés par les truites de mer pour frayer. Que l'on songe à la rivière Sainte-Marguerite réputée non seulement pour ses saumons mais aussi pour son abondante population de truites de mer. En aval du Saguenay et jusqu'à Blanc-Sablon, la truite de mer occupe tous les estuaires des rivières dont les eaux sont de bonne qualité et où la nourriture est adéquate.

     Du côté sud du fleuve Saint-Laurent, des truites de mer sont signalées de temps à autre dans les régions de Kamouraska et de Rivière-du-Loup, mais la qualité de l'habitat dans ce secteur ne semble pas plaire aux truites de mer. Il semble qu'on rencontre régulièrement la truite de mer à partir de la rivière Trois-Pistoles et plus en aval, tout le tour de la péninsule gaspésienne jusqu'au fond de la Baie des Chaleurs.

     Signalons enfin que l'île d'Anticosti et les estuaires des rivières et des fleuves du grand nord québécois comptent eux aussi une bonne population de truites de mer.

CYCLE DE VIE ET COMPORTEMENT

     Selon les différentes études scientifiques portant sur la truite de mer (signalons que le Québec connaît une faiblesse à ce chapitre), il semble que son cycle de vie comporte des particularités qui soient propres au milieu fréquenté. C'est du moins la conclusion à laquelle en arrive le biologiste Paul Potvin de Charlesbourg, après avoir passé en revue les rapports publiés sur le sujet. Le condensé de ses recherches enrichi d'observations personnelles a été publié dans la revue Salmo salar (volume 3, 1985). Néanmoins, il demeure possible d'esquisser un portrait global du cycle de vie des truites de mer pour le bénéfice des pêcheurs.

     La truite de mer naît en eau douce. Après avoir passé au moins une année, et parfois deux ou trois, en rivière ou en lac, elle gagne l'estuaire de la rivière où elle passera le plus clair de son temps. La truite de mer se permet parfois des incursions en pleine mer, mais le phénomène semble plutôt marginal. Quand elle quitte l'estuaire, ses déplacements se limitent généralement au littoral. De toute façon, l'estuaire et le littoral pourvoient amplement à ses besoins alimentaires.

     Dès la fin du mois de mai et durant tout l'été, selon les rivières, les truites de mer vont entreprendre la montaison d'une rivière. Certaines de ces rivières connaissent de fortes remontées à l'automne (septembre et octobre). Contrairement à Salmo salar, les truites de mer peuvent s'engager dans une rivière différente de celle qui les a vues naître. Par ailleurs, les truites qui montent la rivière ne pourront pas toutes frayer l'automne venu. Il a en effet été établi que de nombreuses truites immatures, que l'on appelle aussi truites bleues, représentent une bonne partie du contingent de truites de mer qui s'engagent en rivière vers la fin de l'été.

     Les truites de mer se nourrissent abondamment lorsqu'elles fréquentent les estuaires ou le littoral. Dans le livre «Poissons d'eau douce du Canada», les auteurs W.B. Scott et E.J. Crossman signalent que les truites de mer se nourrissent d'invertébrés (dont la crevette plus particulièrement) et de poissons d'eau salée ou saumâtre. Potvin est plus précis et mentionne que les truites de mer aiment bien les civelles (jeunes anguilles transparentes), les gaspareaux et les épinoches. Il ne faut pas oublier non plus que l'eau douce charrie parfois des insectes aquatiques jusque dans l'estuaire, ce qui donne aux truites de mer une occasion d'ajouter un peu de variété à leur menu. Tous ces renseignements, vous vous en doutez bien, sont importants quand vient le temps de pêcher.

     Une fois engagées en rivière, elles continuent de se nourrir, contrairement au saumon atlantique (note de l'auteur: des saumons fréquentant le bassin de la Miramichi auraient parfois un comportement faisant mentir cette assertion). Mais un fait semble certain dans le cas de la truite de mer: elle passe à table moins souvent lorsqu'elle est en eau douce. Une recherche effectuée par A. Gaudreault et alter (1982), portant sur l'alimentation des truites de mer de la rivière Saint-Jean en Gaspésie, suggère qu'une nourriture moins abondante en rivière force les truites à réduire leur alimentation. J'ai péché à plusieurs occasions dans la rivière Saint-Jean et il est rare en effet de voir les truites de mer se nourrir. Par contre, les truites de mer de la Matapédia m'ont paru beaucoup plus actives à cet égard, ce qui, a priori, ne m'étonne guère étant donné la très grande abondance d'insectes aquatiques habitant la Matapédia.

     Plusieurs auteurs mentionnent les torts que causerait la truite de mer aux saumons atlantiques. Des truites de mer n'hésiteront pas à manger des œufs déposés par les saumons femelles. Dans «La vie et le sport sur la Côte Nord» (1945), l'auteur, Napoléon-Alexandre Comeau, souligne l'existence de ce phénomène, qu'il considérait comme un problème grave, sur bon nombre de rivières nord-côtières et en particulier sur la Grande-Trinité. Mais ce n'est là qu'une manifestation, probablement marginale, de la prédation à laquelle Salmo salar doit faire face.

REGLEMENTATION

     Malheureusement, au moment d'écrire ces lignes, le résumé des règlements de la pêche sportive au Québec pour la saison 1990-1991 n'était pas encore disponible. Mes commentaires sur la réglementation seront basés sur les règlements de la dernière année et seront d'ordre général afin de ne pas vous induire en erreur.

     La réglementation provinciale au sujet de la pêche sportive ne fait habituellement aucune différence entre la truite de mer et la truite mouchetée: on les désigne toutes les deux sous le nom de ombles. Il est important de bien consulter les règlements relatifs à la zone que vous fréquenterez afin de connaître la période au cours de laquelle la pêche est permise ainsi que les limites de prises et de possession auxquelles vous avez droit. Pour ceux qui pécheront en mer, rappelez-vous que le fleuve Saint-Laurent forme la zone 21 et que des règlements particuliers s'appliquent habituellement à cette zone.

     Habituellement, des saisons spéciales de pêche de la truite de mer au printemps et/ou à l'automne, des appâts autres que la mouche artificielle ou encore une technique de pêche autre que la pêche à la mouche sont autorisés dans certaines rivières à saumons et quelques-uns de leurs tributaires. Pour en connaître davantage à ce sujet, vous devez absolument consulter la brochure intitulée «La pêche au saumon, principales règles en 1990», qui devrait normalement être disponible au moment où vous lirez ces lignes.

Références

» Texte & Photo: Gérard Bilodeau (Juin 1990).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

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