Mon premier Saumon Atlantique par Marcel Godbout

     J'ai intitulé ce texte ainsi, mais j'aurais pu aussi bien écrire: Histoire d'une Black Dose Classique. Donc pour bien se situer dans l'histoire, il faut que je vous parle de cette mouche.

Mon premier saumon Atlantique
     Au premier Forum Atos que j'ai assisté, je suis resté ébloui devant deux cadres remplis de mouches classiques superbes, et je n'étais pas seul à les admirer; il fallait entendre les commentaires des gens qui m'entouraient. Je demandais alors: "Qui fait ces mouches?". "Paul Bean, un gars de Sherbrooke" me répondit l'un d'eux.

     Je pensais souvent à ces tableaux et j'aurais bien voulu rencontrer l'homme qui les avait fait. Jusqu'au jour où Claude me dit que Paul venait donner un samedi de montage à Waterloo. Ce samedi-là j'étais au rendez-vous. Paul donna sa démonstration l'avant-midi et après le dîner il est venu s'asseoir près de nous pour monter des mouches. C'est alors que nous avons bavardé ensemble. Il me dit qu'il vendait du matériel pour les monteurs et me donna son catalogue. J'ai souvent revu Paul par la suite; il me donnait beaucoup de conseils sur la façon de procéder. Un jour, Paul me dit: "Montes une mouche à aile de plumes, fais-la de ton «best» et apportes-la, je te dirai où sont tes problèmes". C'est à ce moment que j'ai décidé de faire une Black Dose Classique et de lui montrer.

     Alors, il m'a dit où étaient mes erreurs et comment faire pour les corriger. De retour chez moi, j'ai fixé ma mouche sur un bouchon de liège et placé sur mon bureau de travail. Nous étions à quelques jours des vacances et il fallait se préparer.

     Enfin c'est le départ. Presque tout est rangé dans le trailer-tente, je fais le tour dans la maison pour voir si je n'ai rien oublié. C'est alors que je vois ma Black Dose sur son bouchon. Elle n'est pas assez belle pour être encadrée, mais elle l'est assez pour pêcher, et je la mets dans ma boîte à mouches. Ma femme me voit et dit: "Non! ne l'emportes pas, c'est ta première". Trop tard, c'est fait.

     Arrivés en Gaspésie, on part pour étudier la rivière. Claude m'a dit beaucoup de bien de cet endroit. Je dis à ma femme: "Aujourd'hui on regarde partout, ça prendra la journée s'il le faut". C'est ce que nous avons fait, avec l'aide de la carte on a visité plusieurs fosses. Il est maintenant tout près de 3 heures et nous arrivons près du panneau indiquant 39. Ma femme me dit: "Cette fosse est très éloignée du chemin." - "Cela ne fait rien, j'irai voir seul". Arrivé au bord de l'eau, j'ai été fasciné. Je revins rapidement à l'auto et dis: "C'est un coin enchanteur, on pourrait même pêcher à gué". Puis nous réservons deux «Droit de pêche» pour le lendemain. Enfin j'allais pouvoir pêcher.

     Le grand jour est arrivé; on passe au poste d'accueil pour s'enregistrer et, ne perdant pas de temps, filons tout droit à cette fosse. J'ai hâte que ma femme voit ce beau coin. Je stationne l'auto et on s'empresse de descendre sur le bord de l'eau. Là, je lui dis: "Enfiles tes bottes, pendant que je prépare ta canne", ce que je fis moi aussi très rapidement. Maintenant je suis dans la fosse. Trois ou quatre faux lancés et ma mouche est à l'eau: une «Rat» que j'ai choisi pour débuter.

     Ça fait deux heures et demi que nous péchons de haut en bas, lancés longs, lancés courts... J'ai plusieurs mouches d'essayées mais pas vu un saumon. Ma femme sort de l'eau pour manger un sandwich, elle a les jambes gelées. C'est alors que je lui dis: "Prêtes-moi ta canne, je vais pouvoir lancer plus loin avec ta 9 pieds." Je continuais à pêcher, changeant de mouche et revenant avec d'autres déjà essayées.

Black Dose
     Maintenant, il était 11 heures et j'avais faim; mais avant de sortir de l'eau, il me vint une idée. Si j'essayais ma Black Dose. Et voilà, un bon noeud gaspésien, quelques faux lancés, hé hop! à l'eau: pas très bon. Je récupère assez rapidement pour en refaire un plus mauvais encore. J'allais ramener ma soie quand un saumon, sorti de je ne sais où, prend ma mouche pour ensuite retourner au fond. Je ferre et ne peux m'empêcher de crier: "Je suis accroché!" Mireille sursaute, épuisette en main, elle n'a rien vu de la scène et me demande si c'est un saumon?. Mais je ne comprends rien.

     Je n'entends plus rien d'autre que le bruit du moulinet; il chante de son plus beau chant. Ma soie file entre les anneaux. Je suis nerveux et comment! Tous les conseils de mes amis me passent dans la tête en même temps. Le saumon remonte vers le haut de la fosse et s'arrête, et la tension commence à retomber doucement. Je le ramène à moi; il est maintenant au milieu de la fosse et soudain, comme une torpille, fonce vers le bas. Je panique: s'il prend les rapides, je suis «foutu». La pression sur la canne est au maximum et il fonce toujours. C'est à ce moment-là que je pense à Claude qui me disait: "Quand t'es pris pour tout perdre, lâches tout", ce que je fais immédiatement. Il s'arrête à peu près à quinze pieds des rapides. Ouf! j'ai eu chaud! Mais c'est à cet instant que j'ai compris que je l'avais bien en main et que je pouvais commencer à respirer.

     Il remonta vers le milieu de la fosse. Le même scénario se reproduisit et je refis exactement la même chose; et il s'arrêta à nouveau. Ça marchait et j'en étais bien content. Il se tenait très profondément dans la fosse; à plusieurs reprises j'ai senti de grandes vibrations sur la canne. Je savais qu'il remontait, qu'il allait sortir de l'eau, j'étais heureux, j'allais enfin voir à qui j'avais affaire. Mais non, il se calmait, conservant beaucoup de tension. Je changeais ma canne de main, me demandant lequel de nous était le plus fatigué Le reste du combat fut assez calme; mon saumon voulait fuir mais je le maîtrisais et l'amenais à moi doucement. Mireille était là, prête à le saisir, attendant sans bouger que je l'approche d'elle. Il était là, tout près. Elle me dit: "Il est fatigué, il tourne sur le côté". Je reculais encore de quelques pieds et elle le rentra dans l'épuisette.

     Je n'en croyais pas mes yeux! Elle revenait vers moi avec le saumon. Quelle prise! il est encore plus gros que je me l'imaginais: dix-huit livres bien pesées, trente-sept pouces et demi de long. J'étais au comble de ma joie: mon premier saumon. Je ne décrirai pas les minutes qui suivirent car je crois que cela frise la folie. Mais je n'oublierai jamais cette journée, ni cette mouche: cette Black Dose à ailes de plumes.

références

» Par: Marcel Godbout
» Atossement Votre Hiver 1984.

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