L’Entomologie au Service du Pêcheur

     Est-il nécessaire de posséder des connaissances en entomologie pour pêcher à la mouche de façon fructueuse? Non, pas vraiment!

L’Entomologie au Service du Pêcheur
     Plusieurs amateurs utilisent ce mode de pêche, avec succès parfois, et ne connaissent que peu de chose de la vie des insectes. Ils savent que la truite se nourrit d'insectes, qu'elle va naturellement être portée à gober ce qui semble être de la nourriture. Leur expérience n'est souvent que le fruit de tâtonnements plus ou moins nombreux.

     Pourquoi étudier l'entomologie? L'étude des insectes fournit au pêcheur à la mouche certaines données propres à rendre son approche plus éclairée, plus méthodique et plus satisfaisante. Ceux qui se découvrent un intérêt nouveau pour l'entomologie en viennent parfois à y trouver autant de plaisir qu'à la pêche. Il est fascinant de rechercher des insectes, d'observer leurs moeurs et leur évolution, de les photographier.

     Pour les vrais mordus, l'étude des insectes peut devenir une affaire sérieuse. Pour ceux qui ne cherchent que des données essentielles de base, l'étude des insectes leur permettra tout au moins de différencier une phrygane (caddis) d'une mouche de mai (mayfly), et d'identifier leurs stades de développement. Ils pourront plus facilement choisir l'artificielle qui convient, et l'utiliser en temps opportun.

     Les entomologistes estiment à environ 750 000 les espèces d'insectes connues et décrites. L'entomologie halieutique a des préoccupations nettement plus restreintes. Même si certaines espèces d'insectes terrestres constituent une partie du régime de la truite, ce sont les insectes aquatiques qui le plus souvent apparaissent à leur menu quotidien.

     - 1, Les éphémères, communément appelées «mouches de mai» représentent un ordre important parmi les insectes aquatiques.
     - 2 et 3, Voici un exemple de nymphes d'éphémères ou «mouches de mai». Il est à noter que, sauf quelques exceptions, la plupart des nymphes possèdent trois queues.
     - 4, Une imitation très bien réussie d'une éphémère (au stade imago). Il s'agit en l’occurence de la Red Quil.

     Les insectes suivants intéressent particulièrement le pêcheur à la mouche: les éphémères, trichoptères, diptères, plécoptères et odonates.
Trop de mots savants? Ne vous en faites pas. J'ai voulu vous épater en glissant quelques mots ronflants! Ça fait chic, non? Vous verrez comme il est possible de simplifier ces données.

     - 1. Certaines larves se construisent une case pour s'y abriter. Ici, on remarque une phrygane dans son fourreau.
     - 2. Une imitation parfaite de phrygane adulte, la Fluttering Caddis.
     - 3. La nymphe de perlide (Stone Fly Nymph) se distingue par ses deux queues courtes et robustes, son corps aplati et ses deux étuis alaires.
     - 4. Perlide adulte (Stone Fly). Les ailes sont lustrées, les nervures apparentes et les ailes au repos sont retenues à plat sur son corps.

Cycle de vie

Cycle de vie
     On admet volontiers que tout être vivant vient d'un oeuf. Certains viennent au monde tout formés, d'autres naissent dans un oeuf; c'est le cas des insectes aquatiques que nous étudierons. Tous les insectes subissent, durant leur vie, des changements très importants; ces changements sont appelés métamorphoses.

     Certains insectes subissent une métamorphose complète. Au sortir de l'oeuf, c'est d'abord une larve, sorte de petit ver. Cette larve, avant de devenir adulte, se tisse sur un cocon pour s'isoler presque totalement, puis se transforme graduellement: les ailes, les pattes et les antennes se développent. À ce stade, l'insecte appelé pupe quitte son cocon pour devenir adulte.

     Une métamorphose incomplète se produit quand l'insecte, au sortir de l'oeuf, possède déjà des caractéristiques qu'on retrouve chez l'adulte. Cet insecte en voie de perfectionnement s'appelle nymphe.

Ephémères

     Ces insectes communément appelés «mouches de mai», représentent un ordre important parmi les différents insectes   aquatiques,  tant   ils sont abondants. Ils possèdent des ailes membraneuses, délicates et parcourues de nombreuses nervures. Au repos, les ailes sont retenues verticalement sur le dos; cette position des ailes est particulière aux mouches de mai. Lorsque ces insectes se posent sur l'eau, on dirait de petits voiliers. Le cycle de vie des éphémères est l'oeuf, la nymphe, le subimago et l'imago.

Nymphe

     À sa sortie de l'oeuf, la nymphe se met en quête de nourriture et croît progressivement en passant par des mues successives. La durée de sa vie aquatique est d'environ un an. La dimension de ces insectes peut varier de 1/8 po à 1¼ po. Si elles sont parfois très différentes dans leur forme, selon les espèces, la plupart des nymphes possèdent trois queues (sauf quelques exceptions) et disposent, de chaque côté de l'abdomen, de branchies qui vibrent continuellement.

     Les couleurs les plus fréquentes chez ces nymphes varient de crème à brun foncé, et de vert olive à noir. Il est très facile de capturer certains spécimens. Pour les découvrir, il suffit de regarder la partie submergée des roches ou des troncs d'arbres. Certaines espèces affectionnent ces endroits.

Émergence

     Quand la nymphe, après plusieurs mues, atteint sa maturité, elle quitte son repère pour se diriger vers la surface de l'eau. À ce moment, l'insecte se libère de l'enveloppe nymphale par une fissure sur le dessus du thorax. Après avoir pris quelques instants de repos pour permettre à l'air d'assécher ses ailes, il s'envole vers les buissons. Cette procédure est appelée émergence.

Subimago

     L'insecte subimago (dun) a les ailes plutôt opaques, le corps velu et les queues sont à peu près de la même longueur que celle de son corps. Quand l'émergence se produit, la mouche de mai devient très vulnérable. La truite profite de cette occasion pour se nourrir soit de la nymphe en ascension vers la surface, ou de l'insecte ailé qui dérive sur la surface de l'eau.

     Il est avantageux, quand une telle activité a lieu, de pouvoir identifier la couleur et la dimension de l'insecte, afin de choisir une artificielle assez semblable.

     Si la truite ne fait que sillonner la surface de l'eau, il peut être très efficace d'utiliser de petites nymphes. La Hare's Ear, attachée à des hameçons n° 12 ou 16 et utilisée en mouche légèrement noyée, m'a toujours rendu de fiers services. Quand cette approche s'avère peu efficace ou que la truite saute à l'extérieur de l'eau, je ne tarde pas à utiliser une mouche sèche. Les Adams, March Brown et Light Cahill n° 10 à 18 respectent passablement la gamme de couleurs qu'on retrouve chez plusieurs mouches de mai subimago. J'aime bien également avoir sous la main quelques Wulff n° 8, 10, 12 quand certains gros éphémères font leur apparition.
nymphe de perlide
On remarque l'insecte naturel (nymphe de perlide) à droite, et une nymphe artificielle de perlide, à gauche.

Imago

     La mouche de mai, parmi les insectes aquatiques que nous étudierons, est la seule à subir une autre mue après avoir quitté son enveloppe nymphale.

     Cette dernière mue a lieu quelques heures après l'émergence. L'insecte se libère encore une fois d'une enveloppe très mince qui le recouvre, pour ainsi atteindre sa maturité sexuelle. Ce stade complété, l'insecte est appelé imago (spinner). Les ailes sont alors transparentes, son corps est luisant et ses queues peuvent atteindre deux fois la longueur du corps.

     Ce phénomène m'a bien impressionné la première fois que j'ai pu l'observer à ma guise. J'étais entouré de ces insectes qui, en plein vol, semblaient légèrement importunés par cette enveloppe dont ils n'avaient pas encore réussi à se débarrasser complètement.

     À la suite de ce dernier changement, la femelle est fertilisée par le mâle. Au terme de cette union, elle va déposer ses oeufs sur l'eau, puis meurt peu après avoir complété son cycle de vie.

     S'il arrive que la truite se montre intéressée par l'imago mort (spent), je ne me gêne pas pour tailler le hackle de quelques sèches. Je ne laisse que quelques fibres de chaque côté du corps pour imiter l'imago mort qui flotte à la surface de l'eau.

Phryganes

     De tous les insectes aquatiques auxquels je m'intéresse, les phryganes (caddis) m'ont surtout étonné. Elles sont très abondantes dans la plupart des lacs et rivières, et leur tolérance à la pollution les favorise grandement. Leurs ailes membraneuses, recouvertes de duvet, les rendent semblables à des papillons. L'insecte au repos dépose ses ailes en forme de toiture sur son corps. On dit souvent que les ailes prennent la forme d'un V inversé. Le corps ne fait pas la moitié de la longueur des ailes.

     Lorsque les phryganes se déplacent dans l'air, leur vol en zigzag semble laborieux. Le cycle de vie est: oeuf, larve, pupe et imago. De l'oeuf déposé dans l'eau sort une larve, sorte de petit ver; selon les espèces certaines larves se construisent une case pour s'y abriter; d'autres vivent librement ou vont établir résidence dans les interstices des roches jusqu'à ce qu'elles aient atteint la maturité suffisante pour devenir pupe (pupa). À ce stade de leur vie, toutes les phryganes, peu importe l'espèce, s'isolent presque complètement à l'intérieur d'un fourreau, sorte de cocon, comme le fait la chenille avant de devenir papillon.

     Le temps venu, il quitte son cocon pour émerger vers la surface. La pupe termine sa mue sous l'eau juste avant de faire son apparition, parfois de façon très agitée, à la surface. C'est la période où l'insecte est le plus en danger. Il s'agit pour le pêcheur à la mouche de vérifier si la truite se nourrit surtout de la pupe ou de l'adulte. Si la truite se manifeste peu à l'extérieur de l'eau, une imitation de la pupe peut être très efficace. Si l'on n'a pas sous la main ce type d'artificielle, une mouche noyée conventionnelle peut devenir un substitut très efficace, surtout si on rogne l'aile de l'artificielle de façon qu'elle n'excède pas plus de la moitié du corps.

     Si la truite se montre à la surface, une imitation de cet insecte adulte est généralement très productif. Il existe un grand nombre d'imitations de phryganes. Au moment de l'émergence, j'utilise uniquement des imitations dont l'aile est faite de poils de chevreuil (hair wing caddis). Elles ont un profil satisfaisant, sont très résistantes et flottent très bien.

     Souvent la truite gobe cet insecte lorsqu'il vient déposer ses oeufs. À cette occasion la truite devient parfois très sélective. J'ai remarqué, au fil de mes expériences, que lia Fluttering Caddis pouvait déjouer plus facilement l'oeil devenu aguerri de la truite. L'aile de cette artificielle est faite de fibres de plumes de coq que j'attache de façon à couvrir environ 180 degrés de la tige. Le hackle, attaché de façon conventionnelle, est taillé en V inversé pour permettre à l'artificielle de flotter parallèlement à la surface de l'eau.

     Les imitations de couleur crème, gris, olive et brun, sur des hameçons n° 14 à 20, représentent bien, à mon avis, les différentes espèces susceptibles d'émerger.

Diptères

     Les insectes appartenant à cet ordre, sauf quelques espèces, sont généralement très petits. Plusieurs croiront peut-être ne pas connaître ces créatures. Si je vous parle de maringouins, de mouches noires, vous réaliserez sans doute que vous en connaissez déjà plus que vous ne pensiez.
Le cycle de vie de ces insectes compte les états suivants: oeuf, larve, pupe et adulte. Leurs métamorphoses ressemblent à celles des phryganes. Après avoir quitté son cocon, l'insecte demeure quelques instants sous la surface, puis, la mue complétée, l'insecte s'envole.

     Les imitations de diptères (Midges), sont généralement attachées à des hameçons n° 18 à 28. Contrairement à ce que nous serions tentés de croire, ces artificielles ne sont pas particulièrement difficiles à fabriquer. Les matériaux et les éléments constitutifs sont très réduits.

     Pour imiter les différentes espèces à l'état adulte que nous retrouvons le plus souvent, j'utilise soit la Black spinner, la Mosquito larva et la Tricorythode spinner. La Tricorythode spinner, même si elle est une imitation de la plus petite mouche de mai que je connaisse, s'avère parfois très efficace quand certaines espèces de diptères émergent.

     Cette situation de pêche à la mouche demande beaucoup d'attention, exige un attirail délicat et s'avère parfois très frustrante.

Plécoptères

     Nous appelons communément «mouches de pierre» (Stoneflies) les insectes qui appartiennent à cet ordre. Leur cycle de vie: oeuf, nymphe, adulte.

     À sa sortie de l'oeuf, la nymphe s'agrippe fortement sous les roches. Nous les trouvons presque exclusivement dans les rapides des ruisseaux et des rivières dont l'eau est très oxygénée.

     La nymphe, dont la taille peut varier considérablement, est très facile à identifier. Elle se distingue surtout par ses deux queues courtes et robustes, son corps aplati et ses deux étuis alaires. Quand la nymphe atteint sa maturité, elle quitte son milieu aquatique en grimpant sur les roches pour se libérer de son enveloppe nymphale. Les ailes de l'adulte sont plutôt lustrées; les nervures sont apparentes, et les ailes de l'insecte au repos sont retenues à plat sur son corps.

     Toute nymphe artificielle de couleur foncée et de dimension appropriée peut être efficace. L'utilisation d'une lamelle de latex, pour fabriquer l'abdomen et les étuis alaires, donne à l'artificielle une allure assez réaliste.

     Une mouche sèche dont l'aile est faite de poils de chevreuil, attachée à plat sur la tige de l'hameçon et munie d'un hackle assez chargé, peut imiter de façon convenable l'insecte adulte.

     Les petites nymphes sont souvent de couleur verte ou vert olive; les grosses nymphes que j'ai cueillies et observées étaient surtout de couleur brune ou noire avec le dessous de l'abdomen et du thorax de couleur crème.

Odonates

     Parmi les insectes aquatiques qui présentent un intérêt pour le pêcheur à la mouche, la libellule est certes celui qui exige le moins de présentation.

     Son vol rapide et ses acrobaties aériennes sont spectaculaires. Constamment à la poursuite de moucherons pour se nourrir, les Anglais l'ont appelée à juste titre «dragonfly».

     Selon les espèces, certaines nymphes peuvent atteindre à maturité des dimensions impressionnantes (2 à 2½ po). Nous les trouvons surtout cramponnées aux herbes, aux roches ou à la partie ombragée de troncs d'arbres submergés.

     J'ai vu très souvent des truites de taille radicalement engorgées de ces nymphes. Le latex, teint avec un crayon feutre noir, demeure encore le matériau le plus simple et le plus résistant pour fabriquer une imitation assez juste de cette nymphe. J'ai utilisé longtemps la Casual Dress, de dimensions variées, pour leurrer la truite qui se nourrit de la nymphe de la libellule.

     La truite semble également très friande de l'insecte adulte. Il arrive que la libellule effleure la surface de l'eau pour y déposer ses oeufs ou se désaltérer; ces manoeuvres exécutées à proximité d'une truite sont souvent fatales.

     Pour illustrer ceci, voici une expérience que j'ai vécu il y a quelque temps.

     Depuis quelques années déjà, je pêche avec un compagnon qui fabrique lui aussi ses artificielles, et pour qui l'esthétique de la mouche a peu d'importance! Nous étions à pêcher dans un lac de rêve, où le poids moyen de la truite dépasse la livre. Le vent soufflait légèrement, juste assez  pour animer nos artificielles. Les libellules volaient tout autour; certaines effleuraient l'onde, d'autres s'immobilisaient en plein vol comme pour observer. Nous entendions assez régulièrement un ploc! digne de faire frémir tout pêcheur à la mouche. Ce spectacle durait depuis un certain temps, lorsque soudain une mouchetée vigoureuse et bien en chair attaqua farouchement l'artificielle de mon compagnon. Je remarquai, en retirant la mouche de la gueule du poisson, qu'il s'agissait d'une Muddler Minnow plutôt bizzare. La tête était grosse et de forme un peu biscornu; l'aile, assez longue, était faite de quelques poils de queue de chevreuil.

     En fouillant dans mes boîtes de mouches, je trouvai une Muddler Minnow, version plus orthodoxe! Je venais à peine de déposer mon artificielle qu'il me passait sous le nez une deuxième prise aussi belle que la précédente.

     Je m'étais toujours appliqué à fabriquer des artificielles imitant le plus possible la libellule adulte. J'ai réalisé que ces artificielles plaisaient beaucoup plus à mes amis qu'à la truite. Depuis, je suis revenu à cette Muddler, convaincu que c'est la meilleure mouche à ma connaissance pour imiter la libellule adulte.

     La truite se nourrit évidemment de plusieurs autres types d'insectes que nous n'avons pas abordés dans cet article. Je crois cependant que celui qui parviendra à graver dans sa mémoire ces quelques informations, à les vérifier au cours de ses excursions de pêche, à les compléter par des observations personnelles, aura plus de facilité à choisir ses artificielles et à en obtenir un meilleur rendement. Sa façon de pêcher à la mouche prendra une tournure nouvelle.

Références

» Texte & Photos: Louis Tanguay (Mai 1981).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.

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