Sommaire
  1. L'Ère des Noyées Émergentes
  2. Les Mouches Sèches à Ailes Obliques

Les Mouches Sèches à Ailes Obliques

     Voulant améliorer certains patrons classiques, l'auteur a réalisé qu'il venait d'inventer une nouvelle version d'artificielles fort productives.

Les Mouches Sèches à Ailes Obliques
     Depuis plus de vingt ans je suis un fervent amateur et utilisateur de mouches sèches. Les mouches noyées, les nymphes, les streamers ou les bucktails me sont aussi utiles, puisque plusieurs conditions se prêtent souvent mieux à leur emploi qu'à celui des plus élégantes et subtiles sèches. Cependant rien n'égale le spectacle soudain d'une truite sautant complètement hors de l'eau pour ensuite plonger gueule ouverte sur notre mouche bien flottante qui disparaîtra en un éclair pour, sur un coup de poignet à la bonne fraction de seconde, nous permettre de sentir cet incomparable et jouissant «contact» ultime avec la truite... Bref, pêcher à la sèche est, à mon humble et très personnel avis, la technique par excellence de pêche à la truite pour le plaisir parfait.

     Il y a également un argument supplémentaire en faveur de ces mouches sèches : leur beauté et leur élégance intrinsèques. De tous les types de mouches pour la pêche à la truite, elles sont nettement les plus belles et donc les plus délicates à monter. L'envers de la médaille est que, beaucoup trop souvent, les pêcheurs qui montent leurs mouches finissent par se décourager de ne pas obtenir des résultats satisfaisants et conformes aux normes et proportions exigées pour obtenir la mouche sèche «classique» par excellence.

     Plus particulièrement, la partie la plus difficile du montage est sans contredit les ailes. En plus d'être verticales, elles doivent dépasser du tiers de la longueur de la collerette de hackle et, surtout, former un V parfait qui, fondamentalement, doit aider à faire atterrir la mouche bien droite sur la surface de l'eau.

     Malgré toutes ces proportions et précautions apportées aux détails de montage des ailes, plusieurs facteurs nuisent à un dépôt parfait d'une mouche sèche. Des vents de côté, un nœud qui s'est déplacé, une tirée sur la soie ou des ailes insuffisamment asséchées annulent trop souvent l'effet désiré de ces ailes verticales en forme de V, et la mouche se dépose alors sur le côté ou, pire, elle «pique du nez».

     Au-delà de toutes ces considérations, et malgré leurs silhouettes fières aux ailes bien dressées, je dirais que ce que je reproche principalement aux mouches sèches dites classiques est, somme toute, leur peu de ressemblance avec les mouches naturelles qu'elles sont pourtant censées imiter, soit les éphémères.

     Y aurait-il donc un type de mouche sèche qui serait à la fois plus facile à monter et plus imitatif de ces merveilleux petits insectes qui flottent parfaitement sur l'eau et ressemblent en fait à de petits voiliers, transformant les truites en folles acrobates? Eh bien je crois avoir trouvé un nouveau patron vraiment intéressant. Voyons cela en détails, mais non en profondeur, puisque après tout on pêche en surface...

Imiter en simplifiant

Les Mouches Sèches à Ailes Obliques Par Sylvain Trudel
     Il y a de cela quelques années, lors d'une belle soirée chaude et très calme sur un lac de la Beauce, une éclosion massive d'impressionnantes Exagenia limbata se produisit. Pendant près d'une heure, je n'ai jamais réussi à leurrer l'une ou l'autre des innombrables truites qui me sautaient littéralement dans la figure tellement ces grosses et magnifiques éphémères accaparaient complètement leur attention. Lorsqu'un de ces insectes se posa sur mon bras gauche, je posai lentement ma canne et je le pris délicatement dans ma main droite.

     Convaincu de ne pouvoir attraper une seule truite avec les patrons de mouches que j'avais avec moi, je décidai de rapporter cette éphémère au camp afin de l'examiner de plus près. L'ayant mise dans un contenant de film à diapositives, je m'en retournai tranquillement en contemplant, amusé, la frénésie incomparable des innombrables sauts qu'effectuaient, partout sur le lac, ces capricieuses truites qui avaient refusé complètement certains de mes meilleurs patrons de mouches.

     Arrivé au camp, j'ai transféré l'éphémère dans un bocal vide transparent et je l'ai examinée à souhait. De toute évidence, cet insecte n'avait rien à voir avec mes mouches sèches. Tout d'abord, ses ailes très longues, dépassant son corps anguleux, étaient rabattues l'une contre l'autre et non séparées à angle. Et surtout, plutôt que d'être à la verticale, elles étaient plutôt portées obliquement par rapport à son corps, suivant un angle de plus ou moins 45 degrés. J'ai manipulé le bocal afin que l'éphémère finisse par reposer immobile au fond de celui-ci, et une à une j'ai comparé chacune de mes mouches pour finalement me rendre compte qu'aucune n'y ressemblait vraiment.

     J'ai donc rapporté mon éphémère à la maison et conçu un patron qui, du moins quant à sa forme et à ses dimensions, se voulait le plus ressemblant possible. Au lieu d'en imiter le plus possible les couleurs, j'ai plutôt choisi des coloris plus neutres qui correspondent au-dessous du corps de l'éphé-mère, partie évidemment la plus visible pour la truite. Les ailes furent tout simplement imitées par des pointes de plumes d'ailes d'oie que j'ai attachées à angle, de façon oblique et l'une contre l'autre, pour ensuite attacher deux hackles devant elles. Très simplement, je lui ai donné le nom de «Limbata». Je ne savais pas, alors, que ma boîte à mouches sè-ches allait se modifier radicalement...

Trois applications en une !

Ailes d'oiseaux sportifs
     Deux semaines plus tard j'apportai avec moi trois exemplaires de ma Limbata à une excursion de pêche dans une pourvoirie de Charlevoix, en compagnie d'un bon ami. Bien qu'au cours de la première soirée aucune éphémère Exagenia ne se soit manifestée, j'ai évidemment tout de même péché avec ma nouvelle mouche, trop empressé de l'essayer. Or, étonnamment, dès le premier lancer une truite bondit hors de l'eau et, comme un dauphin, effectua un saut en demi-cercle pour engouffrer ma mouche sans hésitation, à la grande surprise de mon compagnon.

     Elle fut la première d'un excellent souper de truites que nous avons dégusté ce soir-là, après une amicale petite compétition entre ma Limbata et les bons vieux vers de mon compagnon... Depuis ce jour, j'ai monté et péché avec beaucoup de succès plusieurs patrons de mes mouches sèches «à ailes obliques», et ce tant en m'inspirant des patrons de mouches sèches classiques qu'en concevant de nouveaux patrons qui m'apparaissaient prometteurs.

     Je crois que l'efficacité de mes patrons réside beaucoup plus dans leurs silhouettes nettement plus imitatives des éphémères naturelles que dans leurs couleurs. Bien que les ailes parallèles et obliques de mes mouches ne leur permettent pas toujours de se déposer bien droites à la surface de l'eau, ça ne semble pas vraiment déranger les truites. Il faut dire que nombre d'éphémères sortent de leur enveloppe nymphale avec une aile brisée ou atrophiée, ce qui les condamne à rester emprisonnées contre le film de l'eau couchées sur le côté, les truites n'hésitant pas à les engouffrer facilement. À mon humble avis, une sèche à ailes obliques couchée sur le côté imite alors beaucoup mieux une éphémère blessée qu'une sèche à ailes verticales classique.

     Par ailleurs, j'ai plus tard découvert une autre application étonnante de cet apparent nouveau patron de sèche : cette mouche s'avère très efficace en rivière lorsqu'elle coule sous la surface de l'eau en raison de la force du courant. À mon avis, leur productivité découle du fait que ce comportement ressemble tout à fait à ce qui arrive réellement aux éphémères émergeant avec une aile blessée ou mal formée : partiellement coincées dans le film de l'eau, les courants ont tôt fait de les faire couler au stade adulte. Les truites y sont donc habituées. Par contre, ce qui m'apparaît plus étonnant est que j'ai aussi capturé plusieurs mouchetées après avoir ramené mes mouches par saccades, les faisant ainsi pénétrer sous l'eau.

     La truite attaquait tout de même ces imitations d'éphémères adultes qui, pourtant, semblaient nager sous la surface alors que cela n'est évidemment pas du tout naturel. Je crois cependant que l'explication est logique : lorsque détrempées, les ailes de mes artificielles perdent leur apparence d'ailes d'éphémères imago pour ne ressembler qu'à une paire d'ailes recroquevillée sur le corps et pas encore sortie de son enveloppe. D'ailleurs, ce ne sont pas toutes les éphémères qui émergent de leur enveloppe nymphale en se collant contre le film de l'eau, certaines espèces émergeant alors qu'elles nagent vers la surface (comme la Quill Gordon). Selon moi, les sèches à ailes obliques imitent aussi très bien ces espèces.

Les Sèches à Ailes Obliques
Pourquoi ne pas « faire simple » ?

     Lorsque j'ai conçu ma Limbata je ne me doutais pas du tout qu'il pouvait s'agir d'un type de montage inédit de mouche sèche. En fait, je la trouvais peut-être trop facile à monter pour qu'elle n'ait pas déjà été exploitée auparavant. Mais, contre toute attente, au cours de mes nombreuses lectures ici et là, dans mes volumes et revues spécialisées, j'ai réalisé graduellement que ma mouche n'avait pas vraiment d'équivalent dans les centaines de modèles de mouches que j'ai pu analyser. Intrigué, j'ai complété mes recherches sur de nombreux sites Internet, et aujourd'hui je dois me rendre à l'évidence que, parmi les milliers de mouches sèches que j'ai vues jusqu'à présent, aucune ne correspond à ce type de montage.

     En fait, les seules mouches conçues pour être pêchées en surface tout en possédant à la fois une queue et des ailes obliques sont des imitations de mouches de pierre (stone-fly) comme la Stimulator ou la Golden Stone. Leurs queues sont cependant beaucoup plus courtes et leurs ailes faites de poils de cervidés, étant destinées principalement à la pêche en rivières pierreuses.

     Il est donc étonnant qu'une telle imitation de la silhouette particulière des éphémères n'ait pas encore été exploitée, d'autant plus que cette artificielle est non seulement très élégante mais aussi très simple à monter. En fait elle se construit aussi simplement qu'une mouche noyée commune, sans complication pour l'attache des ailes puisque celles-ci sont fixées obliquement à la hampe de l'hameçon, juste avant d'ajouter et d'enrouler les deux hackles comme sur une sèche standard.

   N'ayant pas à enrouler les hackles au travers des ailes, en s'assurant qu'elles demeurent bien en position, cela se fait en un tour de main. Aucune précaution particulière d'attache n'est requise pour que les ailes demeurent dans le bon angle, puisqu'on conserve l'arête centrale des bouts de plume utilisés, ce qui procure de la rigidité et de la solidité aux ailes, même lorsqu'elles sont détrempées. Je dirais que le seul ennui, avec cette mouche, est qu'après quelques prises les ailes peuvent se casser et se déformer.

     Plusieurs types de plumes peuvent être utilisés pour concevoir des ailes d'éphémères. D'intérêt particulier, les plus petites plumes des ailes des oiseaux sportifs, qui jusqu'à présent n'avaient aucune utilité pour le montage de mouches, s'avèrent les plus intéressantes. Ainsi, j'ai utilisé des plumes d'oie, de canards, de perdrix, de bécasse et d'étourneau. Seule l'extrémité de ces plumes, lorsqu'elles sont de la bonne dimension, sont utilisables, en rabattant les fibres jusqu'à obtenir la forme d'une aile d'éphémère. Il faut parfois enlever les fibres de l'un des côtés de l'arête du bout de la plume lorsque celle-ci demeure trop large.

     Jusqu'à présent j'ai adapté et employé avec véritablement beaucoup de succès plusieurs patrons de montage classiques en remplaçant simplement leurs ailes verticales par des ailes obliques faites de plumes d'ailes d'oiseaux. J'ai aussi conçu et essayé quelques modèles inédits, et parmi ceux-ci j'en ai retenu trois particulièrement productifs (incluant bien sûr ma Limbata) qui sont présentés dans cet article.

Conclusion

     Je dois malheureusement constater que, par contre, bien peu de plumes d'ailes d'oiseaux peuvent avantageusement être utilisées pour imiter des ailes d'éphémères, en raison simplement des dimensions relativement petites des plumes requises pour le montage de mouches dans les grosseurs #12 et #14 généralement employées. C'est vraiment dommage, puisqu'en plus d'être belles et simples, ces mouches sèches à ailes obliques sont particulièrement efficaces. Il n'est donc pas question pour moi d'abandonner le montage et l'utilisation des mouches sèches traditionnelles qui m'ont toujours fasciné et merveilleusement servi depuis mes débuts de pêche à la mouche.

     Il n'empêche que, au moins, ceux et celles qui n'aiment pas les complications du montage des sèches pourront appliquer leurs habitudes et leur rapidité à monter des mouches noyées pour enfin obtenir, du moins je leur souhaite sincèrement, encore plus de plaisir lorsque leur mouche se fera engouffrer soudainement par une belle truite.

La Limbata

La Limbata
Hameçon : Mustad 94840 #12.
Soie : Grise.
Queue : Hackle brun moyen.
Corps : Soie brun moyen.
Ailes : Pointes de plumes d'ailes d'oie des neiges.
Hackles : 1 grizzly, 1 badger.

La Dancer

La Dancer
Hameçon : Mustad 94840 #12.
Soie : Brune.
Queue : Hackle grizzly.
Corps : 1/3 dubbing olive, 2/3 dubbing gris.
Ailes : Pointes de plumes d'ailes de canard.
Hackles : 1 brun, 1 grizzly.

La Starling

La Starling
Hameçon : Mustad 94840 #12.
Soie : Brune.
Queue : Fibres de queue d'écureuil.
Corps : Fibres de queue de paon enroulées sur la hampe.
Ailes : Pointes de plumes d'ailes d'étourneau (ou de gélinotte).
Hackles : 2 hackles bruns.

référence

» Par Sylvain Trudel
» Sentier Chasse & Pêche.

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