La remise à l’eau des captures: outil de gestion du saumon atlantique?
par A. Boudreault, R. Lalumière, Gilles Shooner
À l'heure où le saumon québécois traverse des heures sombres, le temps est peut-être venu de considérer la remise à l'eau des captures, non pas comme une panacée, mais comme une solution parmi d'autres pour freiner son déclin. L'expérience acquise ailleurs au Canada et aux États-Unis indique qu'il s'agit là d'une avenue de compromis entre la conservation et l'exploitation de la ressource, surtout lorsque les effectifs sont bas et que le nombre de pêcheurs est à la hausse.
Les propos de cet article proviennent essentiellement d'une revue de documentation (1) sur le sujet, commandée par la Direction de la Faune aquatique du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche.
L'abondance légendaire de Salmo Salar, qui faisait de ce poisson, au siècle dernier, une denrée commune, est un fait relaté par maints écrits et connu de tous. Cette époque est bel et bien révolue et à un point tel que le saumon est aujourd'hui menacé d'extinction sur certains cours d'eau du Québec. La descente en chute libre des stocks de saumons depuis une dizaine d'années est la résultante d'une économie qui, encore aujourd'hui, est grandement tributaire du prélèvement des ressources. Les actions concrètes visant à assurer le renouvellement des ressources sont encore à leurs premiers balbutiements. Nous sommes un peu comme les descendants de riches héritiers qui, n'ayant su faire fructifier leur capital, en auraient vécu grassement jusqu'à se retrouver aujourd'hui devant un bien mince pécule à faire profiter.
Nos voisins du sud ont commencé à utiliser la technique de remise à l'eau des captures il y a environ une cinquantaine d'années, alors qu'ils devaient faire face à la diminution des stocks de poissons disponibles pour la pêche sportive dans leurs lacs et cours d'eau. Depuis, bon nombre d'états américains ont instauré une telle réglementation pour plusieurs de leurs cours d'eau. Parallèlement, les études scientifiques se sont multipliées pour évaluer quantitativement les effets de son application sur les ressources piscicoles en cause. En 1977, un symposium national sur le catch-and-release était tenu à l'université Humboldt en Californie, où divers intervenants sont venus faire le point sur la valeur de cet outil de gestion (2).
La remise à l'eau des captures ne consiste pas uniquement à relâcher son poisson pour le bénéfice d'autres pêcheurs, elle permet aussi d'assurer la conservation de l'espèce. Ses modalités d'application sont variées et peuvent impliquer une réglementation spécifique sur le type d'attirail de pêche, la taille des poissons, remis à l'eau, les dates de mise en vigueur, les segments de rivières où elle sera appliquée, la limite quotidienne des prises, la méthode de remise à l'eau, etc. En soi, il s'agit d'un outil dont l'application peut être nuancée selon les caractéristiques de chaque rivière (périodes de montaison, etc.).
L'épuisement du saumon au cours de sa capture et le risque de mortalité supposé qu'il entraîne est souvent invoqué comme désavantage à la remise à l'eau des captures. Loin de faire l'unanimité, ce facteur suscite même des interprétations opposées. D'une part, des études ont démontré un stress physiologique réel chez les saumons capturés, dû à l'augmentation d'acide lactique dans le sang, qui pourrait entraîner une mortalité élevée des saumons relâchés.
LE POINT DE VUE DU PÊCHEUR
La situation du saumon n'est pas «rose»; le seuil critique assurant la survie de l'espèce a été franchi, en 1983, sur plusieurs rivières de la Gaspésie, de la Haute Côte-Nord et du Saguenay. Des mesures sans précédent touchant la pêche commerciale et la pêche sportive ont été prises par les deux paliers de gouvernement pour la saison 1984. La pêche commerciale du saumon au Québec a été interdite pour les régions de la Gaspésie et de la Haute-Côte-Nord, alors que du côté fédéral, on a retardé de deux semaines la saison de pêche commerciale partout sur les côtes de Terre-Neuve, et décrété la fermeture de cette activité à Port-aux-Basques, pour accroître le nombre de géniteurs dans les rivières du Québec et du Nouveau-Brunswick. De leur côté, les pêcheurs sportifs de saumon du Québec ont proposé une diminution des quotas de prises, et ont accepté que l'on mette de l'avant, sur certaines rivières frontalières du Nouveau-Brunswick, la pratique de la remise à l'eau des captures (catch-and-release).
C'est sur ce dernier point, qui suscite de plus en plus d'intérêt, que nous désirons consacrer les prochaines lignes afin de faire ressortir le pour et le contre de la méthode, à la lumière des expériences réalisées jusqu'à aujourd'hui sur le sujet.
C'est sur ce dernier point, qui suscite de plus en plus d'intérêt, que nous désirons consacrer les prochaines lignes afin de faire ressortir le pour et le contre de la méthode, à la lumière des expériences réalisées jusqu'à aujourd'hui sur le sujet.
HISTORIQUE
Nos voisins du sud ont commencé à utiliser la technique de remise à l'eau des captures il y a environ une cinquantaine d'années, alors qu'ils devaient faire face à la diminution des stocks de poissons disponibles pour la pêche sportive dans leurs lacs et cours d'eau. Depuis, bon nombre d'états américains ont instauré une telle réglementation pour plusieurs de leurs cours d'eau. Parallèlement, les études scientifiques se sont multipliées pour évaluer quantitativement les effets de son application sur les ressources piscicoles en cause. En 1977, un symposium national sur le catch-and-release était tenu à l'université Humboldt en Californie, où divers intervenants sont venus faire le point sur la valeur de cet outil de gestion (2).
Au Canada, plus précisément en Colombie-Britannique, c'est en 1973 qu'une réglementation concernant la remise à l'eau des captures a été appliquée pour la première fois et qu'elle concernait la protection du steelhead ou truite arc-en-ciel anadrome (Salmo gard-neri), poisson dont la taille s'apparente à celle de notre saumon atlantique. Plus récemment, en Nouvelle-Ecosse, on a instauré cette technique de façon expérimentale sur la rivière Margaree, alors qu'au Nouveau-Brunswick, suite à plusieurs expériences similaires, son application est actuellement réglementée.
Ici au Québec, pour la première fois, au cours de l'été 1984, la pratique de la remise à l'eau des captures de saumon a été instaurée sur quelques rivières frontalières du Nouveau-Brunswick dont la Patapédia et la Restigouche.
LA TECHNIQUE
La remise à l'eau des captures ne consiste pas uniquement à relâcher son poisson pour le bénéfice d'autres pêcheurs, elle permet aussi d'assurer la conservation de l'espèce. Ses modalités d'application sont variées et peuvent impliquer une réglementation spécifique sur le type d'attirail de pêche, la taille des poissons, remis à l'eau, les dates de mise en vigueur, les segments de rivières où elle sera appliquée, la limite quotidienne des prises, la méthode de remise à l'eau, etc. En soi, il s'agit d'un outil dont l'application peut être nuancée selon les caractéristiques de chaque rivière (périodes de montaison, etc.).
Une façon de réglementer consiste à appliquer la technique préconisée à l'ensemble d'un cours d'eau, en obligeant la remise à l'eau de captures dont la dimension est supérieure à une longueur minimum établie. Cette modalité, qui se traduit par la récolte des madeleineaux (castillons) et la libération des gros spécimens ayant passé plusieurs années en mer, permet le maintien de la qualité génétique des stocks de gros géniteurs d'une rivière.
Une alternative valable consiste à ne réglementer que certains tronçons d'un cours d'eau. Par exemple, l'instauration de cette technique de pêche dans les tronçons supérieurs des rivières est favorable au saumon relâché qui peut se reproduire à proximité et n'a pas à franchir de grandes distances pour le faire; les rivières de faible dimension et facilement accessibles conviennent donc bien à cette technique. Le contraire, qui consisterait à établir un tel système dans les tronçons inférieurs des rivières, si aucune restriction de captures ne prévalait en amont, serait insensé.
Au cours d'une même saison, la technique peut varier. Ainsi, dans le cas d'une rivière où la pression de pêche est élevée et où la migration du saumon est bien circonscrite dans le temps, il y aurait avantage à ce que toutes les captures soient relâchées en début de saison, lorsque s'effectue la remontée des gros géniteurs, alors que plus tard, une longueur maximale pour les captures à conserver pourrait être imposée.
Un autre aspect de son application impliquerait que le saumon remis à l'eau soit compté dans la limite quotidienne de prises. Le fait de ne pas inclure les captures relâchées dans la limite quotidienne peut être problématique sur le succès de pêche dans les rivières achalandées par les pêcheurs, car plus le poisson est piqué et relâché, plus le succès de pêche peut diminuer. On conviendra cependant que l'application de cette modalité est problématique en raison de la difficulté d'en assurer le contrôle. Sans la coopération des pêcheurs, elle s'avère difficile d'application.
Lorsque des rivières sont ensemencées avec du saumon de pisciculture dont on a fait l'ablation d'une nageoire (fin clip), il peut être avantageux de ne permettre que la capture de ces poissons marqués. Ceux non marqués, faisant probablement partie du stock original de la rivière, pourraient être relâchés. Cette mesure contribuerait à conserver le stock indigène. C'est ce que l'on fait actuellement sur le Columbia, en Orégon, dans le cas de la truite arc-en-ciel anadrome dont 80% des stocks serait produit en pisciculture.
Aux considérations précédentes s'ajoute la réglementation du type d'attirail de pêche. Au Québec, on limite actuellement le pêcheur à l'utilisation de la mouche pour la pêche au saumon. A cet effet, les auteurs consultés sont unanimes à dire que le comportement du saumon, lorsqu'il gobe la mouche, favorise l'insertion de l'hameçon en périphérie de la bouche, diminuant ainsi les risques de blessures mortelles. La grosseur de l'hameçon joue un rôle toutefois dans la gravité de la blessure infligée au saumon, en ce sens que plus l'hameçon est petit, plus le saumon aura tendance à l'aspirer profondément, s'infligeant, par le fait même, des blessures plus graves. L'utilisation d'hameçons ébarbés réduirait les risques de blessures graves et atténuerait la mortalité suite à la remise à l'eau.
La survie du saumon libéré dépend beaucoup de la façon dont celui-ci est manipulé et relâché. Il serait préférable, lors d'implantation d'un tel programme, d'informer adéquatement les pêcheurs sur la meilleure façon de relâcher leurs captures. En Colombie-Britannique, par exemple, une brochure explicative a été produite à cette fin et est distribuée aux pêcheurs sportifs.
L'alternative la plus valable consiste à maintenir le saumon dans l'eau, à le saisir d'une main, juste en avant de la queue, à lui enlever l'hameçon de l'autre main, à l'aide de pinces si nécessaire: on imprime alors un mouvement de va-et-vient au poisson pour que l'eau circule librement dans les branchies et on le relâche. Si une épuisette est utilisée, les mailles devraient être petites afin d'éviter les blessures aux branchies. Lorsque l'hameçon est piqué à l'intérieur de la bouche et que son retrait peut aggraver la blessure, la meilleure façon de remettre le saumon en liberté est de le laisser dans l'eau et de couper l'avançon, sans manipuler le poisson. Tout saumon qui saigne ou affiche une blessure évidente ne devrait pas être remis à l'eau, car sa survie devient peu probable. On comprendra, encore ici, que la coopération du pêcheur est essentielle à la bonne marche d'une telle opération, afin d'éviter que toute capture devienne un cas de mortalité certaine.
AUTRES CONSIDÉRATIONS
L'épuisement du saumon au cours de sa capture et le risque de mortalité supposé qu'il entraîne est souvent invoqué comme désavantage à la remise à l'eau des captures. Loin de faire l'unanimité, ce facteur suscite même des interprétations opposées. D'une part, des études ont démontré un stress physiologique réel chez les saumons capturés, dû à l'augmentation d'acide lactique dans le sang, qui pourrait entraîner une mortalité élevée des saumons relâchés.
D'autre part, dans la majorité des témoignages des pêcheurs experts, l'épuisement n'apparaît pas comme un facteur pouvant accroître de façon significative la mortalité chez les saumons relâchés. On suggère même d'épuiser le saumon pour faciliter l'enlèvement de l'hameçon ou la coupure de l'avançon, sans risque de blesser le poisson.
Dans une expérience sur la rivière Grimsa (Islande), un saumon capturé, étiqueté et relâché, a été recapturé douze heures plus tard et a démontré une combativité aussi élevée qu'un saumon piqué pour la première fois. Il est fréquemment mentionné que le rappel du saumon lors de sa capture ne serait pas plus exigeant que les efforts qu'il doit déployer pour franchir les obstacles au cours de son périple en eau douce.
Dans une expérience sur la rivière Grimsa (Islande), un saumon capturé, étiqueté et relâché, a été recapturé douze heures plus tard et a démontré une combativité aussi élevée qu'un saumon piqué pour la première fois. Il est fréquemment mentionné que le rappel du saumon lors de sa capture ne serait pas plus exigeant que les efforts qu'il doit déployer pour franchir les obstacles au cours de son périple en eau douce.
La température de l'eau, quant à elle, est un facteur où les résultats d'études et les opinions sont plus unanimes. Plus la température de l'eau est élevée, plus le risque de mortalité est grand chez les saumons relâchés, en raison de la plus grande susceptibilité à l'infection et de la récupération en général plus lente, suite au stress induit par la capture. Par contre, comme le saumon est très peu actif et ne mord pratiquement pas lors de la canicule, les risques de mortalités s'en trouvent d'autant réduits.
Quant à la mortalité induite, elle serait négligeable, si on respecte l'éthique de la remise à l'eau. En Colombie-Britannique et aux Etats-Unis, on considère cette mortalité comme étant très faible chez des espèces de la taille du steelhead et du saumon.
LE POINT DE VUE DU PÊCHEUR
Si on se fie à l'expérience de la Colombie-Britannique, les réactions du pêcheur à cette réglementation sont très variables d'une région à l'autre (Tableau 1). Dans l'île de Vancouver, par exemple, les réactions négatives ont été vives, le sujet étant couvert abondamment dans la presse écrite et parlée. Dans pareils cas, les rivières réglementées ont vu diminuer leur fréquentation par les pêcheurs, avec toutes les conséquences économiques que cette situation entraîne. Ailleurs, les réactions ont été de neutres à positives.
Selon leur expérience, les gestionnaires de cette province sont d'avis que la clé du succès d'une telle réglementation réside dans une information adéquate des pêcheurs quant à la technique et à ses avantages, dans la volonté qu'ont les pêcheurs de souscrire à un tel programme et dans le niveau de compréhension qui existe entre gestionnaires et pêcheurs.
Au Québec, on semble encore loin d'une telle réglementation, alors qu'au colloque spécial tenu à Rimouski, le 16 mars 1984, ce scénario a été rejeté unanimement et qu'au congrès annuel de l'APSSQ on lui a réservé un sort quasi identique.
La technique de remise à l'eau des captures ne fait pas l'unanimité, tant chez les pêcheurs sportifs que chez les gestionnaires de la ressource. Pour les uns comme pour les autres, ce type de réglementation implique des avantages et des désavantages (Tableau 1).
Les opinions fréquemment émises concernant cette réglementation traduisent des principes liés à l'exploitation séculaire de nos ressources jadis abondantes. Par exemple, il apparaît insensé pour plusieurs de devoir rejeter leurs captures lorsque depuis plusieurs générations, la récolte du saumon est ancrée dans les moeurs. On émet alors des arguments comme: «... lorsque l'on chasse, on ne blesse pas inutilement le gibier, mais on l'abat pour le récolter et il en est de même pour le saumon qu'on ne désire pas faire souffrir, mais récolter proprement.» Un autre argument met en cause le fait qu'un pêcheur sportif dépense souvent des sommes appréciables pour s'adonner à la pêche au saumon et que conserver ses prises fait partie des plaisirs qu'il en retire et constitue, en quelque sorte, un juste retour des efforts investis. S'il ne peut conserver ses captures, à quoi bon pêcher se dira-t-il?
D'autre part, on invoque à tort le fait que le saumon ne peut survivre au stress de la capture et de la manipulation et que, dans un tel état, sa remise à l'eau ne peut qu'entraîner sa mort à plus ou moins brève échéance.
Pour certains, cependant, la remise à l'eau de leurs saumons constitue un geste ultime de gratification envers un fier compétiteur et tout le plaisir réside dans l'art de le capturer.
références
» Par Boudreault, A. et R. Lalumière, 1984. Remise à l'eau des captures. Revue sommaire de la documentation. Rapport de Gilles Shooner inc. au ministère du Loisir, de la Chasse et de la pêche. 20 p.
» Barnhart, R.A. et T.D. Roelofs (éditeurs), 1977. Proccedings of a national symposium on : catch and release fishing. Humboldt State University. Californie. 220 p.
» Salmo Salar #1, Janvier – Février 1985.
» Barnhart, R.A. et T.D. Roelofs (éditeurs), 1977. Proccedings of a national symposium on : catch and release fishing. Humboldt State University. Californie. 220 p.
» Salmo Salar #1, Janvier – Février 1985.