Première Partie: l’Équipement

CHAPITRE 1 - LA PERCHE

     Le saumon est connu sous le nom de «roi des poissons sportifs» et quiconque a fait l'expérience magnifique d'en capturer un a pu constater que ce titre n'est pas usurpé. Il est doué d'une force extraordinaire alliée à une combativité sans égale chez les poissons d'eau douce et, relativement à son poids, sans égale chez toutes les espèces.

     Pour pêcher le saumon avec succès, il faut avoir un équipement suffisamment robuste pour le retenir. Par contre, comme il ne prend pas la mouche pour se nourrir comme le font les autres poissons, il se montre plus difficile à leurrer et il ne faut pas sacrifier la finesse et la légèreté à la force physique.

     La perche — je devrais dire la canne à pêche, mais je préfère de beaucoup ce nom que j'ai toujours employé et qui est d'usage courant dans cette partie de la province — est le premier article à se procurer. Mais il n'est pas le premier en importance parce que, dans la pêche au saumon, le moulinet, la ligne, l'avançon et la mouche font tous partie intégrante d'un ensemble qui ne doit souffrir aucune faiblesse ou vice de construction.

     Évidemment la perche est la partie que le pêcheur tient en main, celle qui va lui offrir tout le plaisir d'un bon lancer, qui va lui transmettre toutes les vibrations ressenties lorsqu'il déjoue les ruses du saumon et, pour lui faire pleinement apprécier ce sport, elle devra être choisie avec soin.

     Mais elle n'est pas non plus de toute première importance et j'ai le souvenir d'un vieux pêcheur de la Restigouche qui était devenu une figure presque légendaire pour les nombreux sportifs qui se plaisaient à le regarder lancer la mouche avec une aisance peu commune. Reggie Shives, à plus de quatre-vingt-quatre ans, péchait avec un énorme bambou qui avait dû lui coûter au moins 35 cents et auquel il avait attaché, avec un ruban adhésif, un moulinet Vom Hofe d'une valeur de plus de deux cents dollars.

Reggie Shives et sa perche
     Il faut dire que Reg était de cette génération qui avait connu les perches de quatorze pieds et de plus de vingt onces et qu'il mouchait toujours à deux mains, d'un canot et sur une rivière immense comme la Restigouche. Il n'eut certes pas été aussi à l'aise avec un tel rondin, pour pêcher à gué dans une fosse de la Petite-Saguenay, par exemple.

     Un détail important qui motive son achat: en quel endroit et à quel genre de pêche va-t-elle être utilisée! Le sera-t-elle d'un canot ou à gué? Servira-t-elle à faire de longs lancers? Quelle est la grosseur présumée des saumons à ces endroits? Pêchera-t-on de préférence au début de la saison, lors des hautes eaux tumultueuses, ou à la mi-juillet alors que les rivières sont en période d'étiage?

     Une perche trop légère ne pourra retenir un gros saumon de la Matapédia et encore moins l'arrêter s'il se dirige vers les rapides en aval et qu'il est impossible de le suivre. Par contre, si elle est trop longue et trop robuste, il sera plus difficile de déposer délicatement la mouche sur l'eau alors que les conditions exigent beaucoup de finesse et de prudence.

     Il s'agit donc de choisir une perche qui soit assez longue, forte, légère et très maniable, suffisamment rigide pour la mouche sèche mais assez souple pour les petites mouches noyées.

    Cela m'incite à jeter un regard en arrière pour voir ce qu'était une bonne perche, voici une cinquante d'années. Le premier catalogue qui me tombe sous la main est celui de William Mills & Son, de New York, édition 1928.

     J'y vois une Léonard; c'est une bonne marque. Elle a 18 pieds de longueur et pèse 35 à 37 onces; elle se détaille $100.00, une jolie somme pour l'époque.

     Puis une Light Salmon and Grilse Rod; on semble se moderniser! Elle a 14 pieds et son poids varie de 18 à 20 onces. Hum... on avait de gros grilses dans le temps!

     Un catalogue de Hardy Bros, d'Angleterre, édition 1937. Les perches ont sûrement dû commencer à rapetisser. Voyons cela: la Norwegian a 17 pieds de longueur et pèse un peu plus de 39 onces. Plus loin, la Princess Mary dont on dit a most suitable rod for a lady angler or an elderly gentleman. Là, par exemple! Elle mesure 14 pieds et demi et pèse 26 onces... On n'a plus les princesses qu'on avait!

     Voyons plus loin. La Coquet, avec ce commentaire: «En ces temps modernes, la préférence va à des perches de plus en plus légères». Enfin, en voici une qui mesure 13', 1 1/2" et pèse 21 onces...

     Ils avaient beaucoup plus de saumons que nous n'en avons actuellement, mais avec de tels poids, ils ne pouvaient certes apprécier les plaisirs de la pêche comme nos perches nous le permettent. Il est vrai qu'à cette époque il n'y avait pas de limite de prises et se livrer à un duel à la Fenwick de quatre onces avec une douzaine de gros saumons remplit la journée d'un homme, fût-il très robuste !

     Si on doit n'avoir qu'une perche, je conseillerais la Fenwick de 9 pieds, pesant moins de cinq onces, mais beaucoup plus forte que son poids pourrait le laisser supposer. Elle est munie d'une rallonge que l'on ajoute pour lutter avec un saumon ou lancer à deux mains contre le vent. Sans vouloir prétendre que cette marque soit meilleure que les autres, je tiens à souligner que c'est la troisième que j'achète et que les précédentes m'ont donné entière satisfaction pour toutes les méthodes de pêche que j'ai eu l'occasion de pratiquer.

     Tony Bisgood, un excellent pêcheur de saumons, me racontait qu'il a péché le tarpon au Vénézuela en se servant exclusivement d'une Fenwick de cinq onces. Il en a pris une centaine dont plusieurs dépassaient les cent livres et il m'assure que sa perche était aussi bonne qu'avant, ce que j'ai pu d'ailleurs constater.

     On peut se procurer cette perche en fibre de verre pour $45.00 environ, ce qui représente un réel investissement si l'on considère qu'elle servira pendant des années sans aucun entretien. Elle lance une ligne n° 9 à la perfection, ce qui est tout indiqué pour le saumon. La plupart des perches de cette qualité, pour lesquelles des lignes n° 9 ou n° 8 sont suggérées, donneront un excellent rendement, mais il est bon de surveiller les douilles ou «ferrules» parce que certaines ont tendance à se détacher lors d'un lancer. Et ce petit incident désagréable se produit toujours à la suite du lancer qui, à coup sûr, aurait pris un saumon...

     On trouve aussi dans le commerce de nouvelles perches dites en graphite, très légères et de qualité supérieure, mais elles ne donneront pas plus de satisfaction au débutant même si elles coûtent trois fois plus qu'une bonne perche en fibre de verre.

     La perche en bambou demeure encore pour beaucoup de vieux pêcheurs le summum de la perfection et certaines sont de véritables bijoux. Cependant si on en choisit une de qualité moyenne à $150.00 environ, elle ne sera guère plus satisfaisante que celle conseillée plus haut parce qu'il faut payer un montant supérieur à cela pour une perche de bambou de réelle qualité.

     A mon sens, il est plus sage de se procurer deux perches en fibre de verre, de poids et de fonction différents, que d'investir un montant double pour une seule et unique perche que l'acquéreur sera, certes, fier de posséder mais qui ne lui sera pas nécessairement un gage de succès.

     Avant tout, on se rappellera qu'il faut avoir une perche et une ligne qui se complètent et qui sont faites l'une pour l'autre.
Je viens de relire un article paru dans l’Atlantic Salmon Journal, au printemps de 1965. Il est signé J. Larry Hawkes, un saumonier de soixante-quinze ans qui fréquente nos rivières du Québec depuis plus de vingt-ans, et il se montre assez révélateur; l'opinion de ce pêcheur a une certaine valeur car, vous le constaterez, il a toute qualité pour établir des comparaisons entre perches de différentes marques:

     «L'automne dernier j'ai donné ou vendu neuf perches en bambou, dont sept étaient de marques universellement reconnues... Pourquoi ai-je vendu ces perches? Simplement parce que j'ai découvert que les perches en fibre de verre étaient supérieures sous tous les rapports. Elles sont plus légères, plus fortes et plus durables. Le diamètre reste toujours le même, donc plus d'inconvénients causés par des douilles qui se décollent, par des guides ou des anneaux perdus et par des attaches de moulinet qui tombent. Elles ne requièrent pas de vernissage périodique et je n'en ai pas eu une seule qui se soit ouverte ou qui ait pris une mauvaise courbure.

     «Pour ce qui est de leur efficacité à lancer une ligne, elles sont égales sous tous rapports, et même supérieures en plusieurs points à toutes les perches de bambou que je connaisse. Une de mes perches en fibre, de neuf pieds, cinq onces trois-quarts, qui m'avait coûté $22.50, m'a permis de gagner trois championnats d'État (State Championship) pour la distance et deux autres pour les lancers de précision. La même perche m'a servi à prendre quarante et un saumons et après cinq ans, elle a l'apparence du neuf, aucun guide ne manque et les douilles sont intactes. Elle lance la ligne aussi bien que le jour où je l'ai achetée... »

     Voilà...

     Je connais aussi un pêcheur qui a acheté un camp sur la Matapédia et qui partageait les mêmes idées: il a donné sept ou huit perches (des Payne, de plus de $300) à ses guides et il emploie des Fenwick.

CHAPITRE 2; LE MOULINET

     Après la perche, le premier accessoire à acheter est le moulinet; pendant longtemps il n'a guère servi qu'à enrouler la ligne pour ne pas gêner l'action du pêcheur. Il n'avait pas été conçu pour autre chose mais il est bien différent maintenant et lorsque le pêcheur doit maîtriser un gros saumon dans des circonstances difficiles il s'aperçoit de la nécessité d'avoir un moulinet de bonne qualité.

     Certains vont jusqu'à dire que le moulinet est la partie la plus importante de l'équipement et après avoir fait la pêche au gros saumon dans les eaux fortes et hautes de juin, on est porté à les croire.

     Mis à part l'enroulement de la ligne, sa première fonction consiste à fournir une tension ajustable en certains cas; on est obligé, parfois, de freiner un saumon dans sa course si l'on veut éviter qu'il emporte tout et, comme on ne doit pas toucher la ligne, c'est le moulinet qui devra fournir cette résistance.

Confluent des rivières Restigouche et Matapédia
     En fait, si les conditions sont telles qu'on croie devoir employer un avançon avec résistance de vingt livres, résistance fortement accrue par l'élasticité d'une longue ligne et la flexibilité de la perche, il faut que le moulinet puisse fournir une force de freinage presque équivalente, sinon un avançon de poids plus faible conviendra tout aussi bien !

     Un autre inconvénient: le backlash; dans sa course, le saumon peut atteindre une grande vitesse mais celle-ci peut ne pas être régulière ou continue; parfois elle diminue ou s'arrête, pour s'accroître aussitôt de plus belle. Si le moulinet n'est pas pourvu du dispositif nécessaire, le tambour continuera de tourner et la ligne, emmêlée, cassera à coup sûr dès que le saumon reprendra sa course.

     Une seule expérience semblable nous fait regretter de ne pas avoir investi quelques dollars de plus dans un accessoire de meilleure qualité. De plus en plus les nouveaux moulinets sont munis d'un petit levier, placé bien en vue sur le côté, qui permet rapidement et sans faire d'erreur, d'augmenter ou de diminuer la tension durant le temps que dure la lutte avec le saumon. Les anciens modèles et, chose assez surprenante, certains nouveaux ont un petit bouton de réglage très mal situé et que l'on n'est jamais certain de faire pivoter dans le sens voulu. Je possède plusieurs de ces moulinets que je n'utilise plus depuis que je connais le système de réglage à levier, parce que je préfère ajuster moi-même la tension selon les agissements du saumon et ainsi le maîtriser beaucoup plus rapidement.

     À présent que les perches sont beaucoup plus légères, il faut éviter les gros moulinets trop lourds. Ils doivent cependant pouvoir contenir une ligne n° 9 WF et au moins cent verges de ligne de réserve ou backing.

     La plupart des moulinets sont à mouvement simple ou single action: un tour de la manivelle enroule un tour de fil sur l'axe. Ils sont moins compliqués et plus légers et, évidemment, se vendent meilleur marché. Ils sont en général adéquats si le mécanisme de freinage est bon.

     Il arrive parfois qu'après une longue course le saumon décide de revenir en direction du pêcheur aussi rapidement qu'il s'en est éloigné et celui-ci ne réussit pas toujours à embobiner la ligne aussi vite qu'il le voudrait. L'ardeur que déploie le pêcheur et la fébrilité de ses mouvements offrent un spectacle amusant à ses compagnons mais lui-même n'a guère le temps de rire, croyez-moi!

     Tout cela fait partie du jeu et il n'a pas à s'en faire; il en sera quitte pour voir son rythme cardiaque temporairement accéléré et, presque toujours, le saumon sera encore là. Il ne faut pas oublier qu'en traînant la ligne ainsi derrière lui, la friction causera suffisamment de pression sur l'hameçon pour le maintenir fermement en place.

     Pour des situations semblables on a un moulinet à mouvement accéléré dit multiplying reel qui enroule deux à trois tours de ligne par tour de manivelle. On trouve aussi les moulinets automatiques que certains vendeurs peu scrupuleux ou peu documentés conseillent aux débutants. Je ne les décrirai pas car ils n'ont pas du tout leur place dans la pêche au saumon.

     Certains moulinets ont un avantage marqué, celui d'offrir des tambours supplémentaires qui permettent de changer de ligne rapidement sans même avoir à enlever le moulinet. Il est toujours bon d'avoir une ligne de réserve en cas de bris; souvent aussi on désire utiliser une ligne de poids ou de comportement différent. On obtient ainsi l'équivalent de deux moulinets pour un peu plus que le prix d'un seul.

     D'autres enfin ont un tambour qui déborde sur le côté et cela permet d'augmenter l'effet de freinage en y appuyant le bout des doigts. C'est très utile dans les cas où le saumon ne peut être arrêté dans sa course par la seule tension du moulinet et risque d'être irrémédiablement perdu. Il vaut mieux, cependant, ne pas abuser de ce système car normalement le moulinet devrait être ajusté de façon à pouvoir maîtriser un saumon.

     La plupart des manufacturiers proposent, pour une trentaine de dollars, des moulinets fort satisfaisants.

CHAPITRE 3; LA LIGNE OU SOIE

     La première chose à considérer, lorsqu'on choisit une ligne, c'est son poids. La mouche n'a évidemment pas le poids suffisant pour courber la perche lors du lancer; c'est celui de la ligne qui plie la perche vers l'arrière et crée l'effet de ressort. C'est donc réellement la ligne qui est lancée et qui entraîne la mouche.

     Si la ligne est trop légère elle ne pourra arquer suffisamment la perche pour obtenir un bon lancer avant. Si elle est trop lourde, elle sera une charge excessive pour la perche qui réagira mal. Le choix d'une bonne ligne a déjà constitué un problème assez délicat parce qu'on donnait souvent trop peu d'indications pour pouvoir, avec certitude, trouver une ligne parfaitement adaptée à la perche. Maintenant tout est mentionné de façon très précise et, de plus, on indique sur la perche même, le numéro de ligne qui lui convient.

     L'American Fishing Tackle Manufacturers Association, (AFTMA) a établi des normes qui permettent d'identifier les lignes en se basant sur le poids, en grains, des trente premiers pieds. Ainsi:

     Au chapitre de la perche, je donnais comme exemple d'une perche recommandable pour les performances qu'on en pouvait tirer, la Fenwick FF 909 de neuf pieds et 4 7/8 onces et celle-ci, d'après le standard AFTMA, correspond à une ligne numéro 9. La plupart des bonnes lignes ont dans leur enveloppe une vignette auto-collante que l'on place sous le moulinet; elle donne leur description et il devient très facile par la suite de les identifier.

La Gorge (rivière Dartmouth)
     On entend dire assez souvent qu'il est préférable d'employer une ligne d'un numéro plus gros que celui recommandé sur la perche. Je ne crois pas à cela, à moins qu'en l'essayant on s'aperçoive qu'elle est évidemment trop légère pour obtenir un bon lancer. Une ligne un peu plus lourde se lancera plus loin mais si l'on surcharge la perche elle s'affaiblira graduellement.

     Après avoir établi le poids de la ligne, il reste à choisir le genre que l'on désire employer: calante ou flottante. Il fut un temps où ce choix n'existait pas: toutes les lignes calaient et si l'on voulait pêcher à la mouche sèche, il fallait les graisser ou les enduire d'une substance propre à les faire flotter, d'où l'expression greased line fishing.

     Il se vend maintenant de merveilleuses lignes flottantes qui ont presque éliminé toutes les autres. Il est difficile et fatiguant de pêcher avec une soie complètement submergée: la maîtrise de la descente est presque nulle, le retrait demande beaucoup plus d'effort et c'est sûrement un point à considérer si l'on pense au nombre de lancers effectués en une journée. De plus, la réaction est beaucoup plus lente lorsqu'un saumon happe la mouche et l'on se prive souvent de l'intense émotion que procure toujours la vue d'un saumon prenant une mouche près de la surface.

     Pour ma part, je n'ai pas employé de ligne calante depuis bien des années et je ne crois pas, de ce fait, m'être privé d'une seule prise. Je recommande donc sans réserve l'achat d'une ligne flottante puisque la même ligne et le même moulinet peuvent servir à tout type de pêche.

     On trouve depuis peu une ligne flottante qui possède, à son extrémité, une dizaine de pieds traités de façon à caler plus rapidement. Elle donne de très bons résultats dans l'eau assez rapide qui entraîne trop vite la mouche et la garde en surface. Cette ligne est identifiée par l’AFTMA par les lettres suivantes: F pour floating et S pour sinking tip.

     Spécifions davantage en disant qu'il se fabrique des lignes dont le diamètre inégal provient de la distribution irrégulière du poids le long de la ficelle. Cela entraîne de nombreux avantages qui ont rendu la ligne régulière (level line) pratiquement désuète.

     La première de ce genre a été la double taper line qui débute à une certaine épaisseur, augmente de diamètre vers le centre pour ensuite se terminer par un fil de la même épaisseur qu'au début. L'avantage principal de cette ligne est que l'amenuisement du fil, au bout, permet de déposer une mouche sur l'eau avec beaucoup plus de délicatesse que si la ligne avait un diamètre constant. Elle a aussi d'intéressant que si elle montre des signes de fatigue — je ne veux pas dire de faiblesse — et que l'émail qui la recouvre devient rêche et glisse moins bien dans les guides de la perche, on peut la retourner. Il suffit de la dérouler, de la séparer de la ligne de réserve et d'y attacher l'autre extrémité pour avoir l'impression d'étrenner une nouvelle ligne.

     On identifie encore cette ligne par des lettres qui correspondent au diamètre et, par le fait même, à la force de résistance de chaque partie. Les premières lettres de l'alphabet indiquent un diamètre supérieur et les suivantes indiquent la décroissance ou l'amenuisement.

     Ainsi une double taper peut à son début avoir une force de résistance de 14 livres qui sera indiquée par la lettre H; vers le centre, la résistance est de 28 livres et sera indiquée par E pour enfin revenir à un diamètre qui donne une résistance de 14 livres, soit H. Le symbole sera donc HEH et comme les deux extrémités ont le même poids, les première et dernière lettres seront toujours identiques: IGI, HDH, etc.

     Pour ceux qui veulent réussir un plus long lancer, on fabrique une ligne dans laquelle le poids a été placé vers l'avant et que l'on appelle weight forward line ou ligne torpille. Cette facture a pour principe de distribuer le poids là où il sert réellement à arquer la perche au maximum voulu. La partie lourde est suivie d'une longue ligne à diamètre beaucoup plus petit qui, grâce à sa légèreté, est emportée plus facilement et plus loin. Le fil de l'avant est un peu plus gros que celui de la partie arrière et nous retrouverons les symboles HEG, HCF, etc.

     On dit que la longueur du lancer peut-être augmentée de moitié en utilisant ce type de ligne. Atteindre de telles distances n'est pas indispensable et de très bons pêcheurs, dotés d'enviables records, n'exhibent jamais de bien longues lignes. Seulement, la force de propulsion qui fait que tant de vaches s'emprisonnent les cornes dans les clôtures affecte aussi les humains et particulièrement les amateurs de pêche à qui il semble que le saumon va toujours se tenir un peu plus loin que prévu.

     Cette ligne, genre torpille, a aussi deux autres avantages marqués: elle est beaucoup plus rapide et très supérieure à la level quand il s'agit de lancer contre le vent. Elle sera cependant un peu plus difficile à maintenir assez haut dans les airs lors du lancer-arrière, parce que la répartition particulière de son poids l'entraînera à baisser plus vite.

     On conseille généralement aux débutants d'acheter une double taper, mais je n'en vois pas la nécessité. Il n'est pas plus difficile d'apprendre avec une ligne qu'avec une autre et tout amateur aura sûrement, tôt ou tard, l'occasion d'essayer de longs lancers. La ligne que nous recommandons depuis le début serait donc une Weight Forward no 9, Floating, Sinking Tip. Elle s'identifie WF9F-S selon les normes AFTMA, GAF-Floating selon l'ancienne méthode.

     Il est souvent question de la couleur de la ligne, mais j'avoue ne pas y attacher tellement d'importance. On peut s'en procurer de brunes, de jaunes, de vertes, de saumon, de blanches et probablement d'autres couleurs encore. Certaines ont des parties de différentes couleurs pour indiquer quelle longueur de soie est déployée, ce qui est inutile puisqu'on doit s'efforcer de garder la mouche à l'œil et, sitôt qu'elle cale, le nœud de l'avançon nous indique où elle est.

     Tout en employant personnellement d'autres couleurs, je serais porté à croire que la ligne blanche a certains avantages: elle est beaucoup plus facilement visible du moucheur et cela l'aidera à effectuer un amendement à la ligne (mending) ce qui, nous le verrons plus loin doit se faire assez souvent.

     La couleur blanche semblerait aussi beaucoup moins bien perçue par le saumon ; cette expérience a été faite par des plongeurs. De plus, leçon que la nature nous offre gratuitement, les oiseaux sont les maîtres incontestés du camouflage et je crois qu'invariablement les oiseaux aquatiques ont le ventre tout blanc.

     Plusieurs manufacturiers offrent de très bonnes lignes et on hésite à se prononcer entre les Cortland, Scientific Anglers et Orvis. Pour ma part, j'emploie la Breck's Mepps Ultrex distribuée par mes bons amis George et Dave Breckenridge de Sherbrooke. Je trouve qu'elles ont exactement la souplesse voulue et que l'émail qui les recouvre a beaucoup de résistance.

Ligne de réserve ou Backing

Une vue magnifique de la Cascapédia
     La pêche au saumon, surtout sur une rivière où il s'en trouve de gros, exige au moins cent verges de ligne de réserve avec résistance de quinze à vingt livres. Je dis «de quinze à vingt livres» mais je ne crois pas qu'il soit réellement nécessaire d'en employer du trop gros, ce qui emplit inutilement la bobine. Une résistance de quinze livres devrait suffire amplement puisque le bout fin de l'avançon résiste à un poids supérieur. Il vaut mieux remplir la bobine en y enroulant une plus grande longueur de ligne qu'en l'encombrant de fil trop gros.

     L'épissure (splice) servant à rattacher le backing a la ligne doit être faite par quelqu'un qui s'y entende bien; il ne faut pas trop augmenter le diamètre de la ligne ni surtout créer d'aspérités parce que l'œil avant du scion, du petit bout de la perche, est petit et un nœud trop gros peut souvent causer une catastrophe. Il faut se rappeler que non seulement le saumon est perdu mais qu'il pousse rarement la délicatesse jusqu'à nous laisser la ligne en partant.

     On peut faire l'épissure en faisant une boucle à chaque extrémité des deux fils que l'on veut joindre, puis on les passe l'une dans l'autre. Premièrement on replie un petit bout de la ligne sur elle-même, puis on attache cette boucle — qui n'a pas besoin d'être grande — avec un fil fin qu'on enroule en rangs très serrés et qu'on recouvre d'un bon adhésif pour rendre l'attache lisse et polie. On fait ensuite un nœud Perfection au bout du backing, en laissant une boucle assez grande pour pouvoir y faire passer le moulinet ou le tambour du moulinet.

     On introduit cette grande boucle du fil de réserve dans celle de la ligne, puis on y passe le tambour du moulinet et on resserre le nœud. Il existe depuis peu un autre nœud, probablement meilleur, qui a l'avantage de se faire facilement sur le terrain si on a eu la précaution de mettre dans le coffret d'articles de pêche un petit tube de plastique dont l'orifice est assez large pour y passer le fil de réserve.

     Entre le pouce et l'index de la main gauche, on tient le bout de la ligne, le tube de plastique et le bout du backing (a)

     On prend le backing et on l'enroule sur lui-même, le tube et la ligne, sept ou huit fois en dirigeant ce mouvement vers le bout de la ligne (b). On introduit le bout du backing dans le petit tube et on l'y fait passer. On enlève le tube, puis on prend les deux extrémités du backing et on serre fortement pour le faire «mordre» dans la ligne. On coupe ensuite, tout près du nœud, les extrémités de la ligne et du fil de réserve (c).

     Pour fignoler le tout on entoure le nœud d'un fil fin tout comme on l'a fait auparavant pour attacher la boucle du bout de la ligne dans l'épissure décrite plus haut (d).
Ligne de réserve ou Backing
Ligne de réserve ou Backing

CHAPITRE 4; L’AVANÇON ou BAS DE LIGNE

     L'avançon est peut-être la partie la moins coûteuse de l'équipement mais reste cependant d'une grande importance. Son rôle est de faire le lien entre la ligne et la mouche et il joue, c'est bien le cas de le dire, un rôle effacé puisque dans toute la mesure du possible il est destiné à n'être pas vu.

     Il fut un temps où la préparation première de ces leaders était confiée en exclusivité aux vers à soie d'Espagne et aucun pêcheur raffiné n'aurait voulu être vu près d'une rivière avec autre chose qu'un Spanish silkworm gut leader. Ces petits filaments coûtaient déjà fort cher (catalogue Wm.Mills de 1928: jusqu'à $6.50 pièce) et ils devaient être gardés dans l'eau toute la nuit avant d'être employés sinon ils manifestaient toute la souplesse d'une broche à foin.

     Malgré son apparente simplicité, il est peut-être l'objet de plus d'arguties et de théories recherchées — et cherchées très loin — que tout autre article de pêche au saumon. On exalte l'importance de la longueur, du diamètre, de la résistance, de la teinte, des épissures, du nombre de sections, de la longueur précise que chacune des sections doit avoir et j'en passe. Mais toutes ces subtilités font partie de ce magnifique sport dont les adeptes recherchant la perfection plus que tout autre sportif. L'important, pour un débutant, est de trouver un avançon approprié au meilleur rendement possible. On a le choix maintenant et on peut en acheter, pour un dollar environ, qui sont tout préparés d'avance, dans les longueurs et résistances que l'on désire.

     L'avançon joue un grand rôle dans la présentation de toutes petites mouches qui, elles, doivent être obligatoirement employées dans les périodes où la pêche est le plus difficile. Mais quand on pêche avec des mouches n° 4 ou plus grosses, il ne faut tout de même pas exagérer: elles ont un poids relativement grand et elles se chargeront de tendre l'avançon sans que le moucheur, débutant ou non, y mette beaucoup du sien.

     Il importe de commencer avec des bas de ligne de diamètre gradué, dont la partie initiale, les deux tiers, soit assez forte pour continuer l'action de la ligne et la partie fine, au bout, assez légère et souple pour laisser tomber la mouche en douceur.

     Mais cet amenuisement ne doit pas être exagéré car si le tippet (fin bout) est trop fin pour la grosseur de la mouche, celle-ci le coupera et se perdra en l'air lorsqu'elle fait volte-face au bout de la ligne. À bien y penser, peu d'objets changent de direction aussi subitement; souvent, elle «fait le fouet» et bien des mouches se perdent ainsi alors que le pêcheur croit avoir touché l'arrière.

     Le nœud universellement reconnu comme étant le meilleur pour joindre deux bouts de nylon en faisant un bas de ligne est celui dit Blood knot, du nom de son inventeur. Il n'est pas difficile à faire et tout pêcheur devrait le connaître parce que tôt ou tard, il aura l'occasion de s'en servir.

Noeud Blood

     1. Placer parallèlement l'extrémité des deux longueurs à joindre. (L'une d'elles a été noircie pour faciliter la compréhension.) Enrouler la partie blanche trois fois et demie autour du fil «noir» et faire passer le bout dans le V que forme la jonction des deux. Maintenir le tout en place avec le pouce et l'index de la main gauche.

     2. Prendre le fil noir et l'enrouler trois fois et demi autour du blanc puis en faire passer le bout dans l'ouverture au centre. Les deux fils seront disposés à peu près comme suit:

     3. Prendre les deux extrémités et resserrer lentement. Couper les petits bouts qui dépassent du nœud.

     On peut aussi se servir d'un autre nœud, illustré ci-dessous:

Noeud Wolf
Noeud Blood

     On est porté à exagérer l'importance qu'il y a à employer le plus fin avançon possible et c'est une erreur car des avançons trop fins sont directement responsables de la majorité des saumons perdus. Il faut se souvenir que les guides qui sont là pour obtenir des résultats — et qui, croyez-moi, les obtiennent, surtout quand ils pêchent pour eux-mêmes, — emploient en général des grosseurs de bas de ligne qui feraient bondir d'indignation quantité de théoriciens qui n'ont pas le centième de leur expérience.

     Sans vouloir verser dans l'autre travers, ce qui serait ridicule, je pense que si l'on proportionne la force de résistance de l'avançon au poids de la mouche, on ne peut guère se tromper. Il est évident qu'un nerf trop gros ou trop rigide va dérégler complètement la descente de la mouche et que le comportement de celle-ci ne semblera pas naturel. À ce point de vue, l'inverse est préférable mais par contre, si la mouche est trop lourde pour la résistance du tippet, elle se perdra dans les airs comme je le disais plus haut.

     On fait aussi beaucoup état de la longueur de l'avançon et la plupart des théories là-dessus ont leur mérite, je n'en doute pas. Je n'en conseille pas moins à tout débutant d'employer un bas de ligne juste un peu plus court que la perche de façon à ce que le nœud de jonction à la ligne n'ait pas à passer dans l'œil du scion quand la perche est inutilisée. Cela évitera bien des difficultés et des efforts inutiles et donnera tout de même une longueur facile à manier au cours du lancer et amplement suffisante pour cacher la ligne au saumon.

     Un leader trop long constitue un réel danger sitôt qu'il s'agit d'amener le saumon à l'épuisette; en effet, pour l'approcher suffisamment, on fait Passer le nœud dans l'œil de la perche et si Salar décide de se lancer dans une autre course, il en résulte souvent des bris qui auraient pu être évités.

     Les fabricants ont différentes façons d'identifier le bas de ligne en nylon mais il ne semble pas y avoir consensus; pour certains un diamètre de .015 correspond à une résistance de 10 livres tandis que pour d'autres, elle sera de 11 livres. Évidemment tous les filaments en nylon n'ont pas la même force à diamètre égal. La plupart indiquent les deux sur leurs produits et il est préférable de se baser sur l'aspect «résistance» (10 Ib test, etc.).

     Pour joindre l'avançon à la ligne il faut d'abord faire une boucle au gros bout du bas de ligne. La meilleure est celle que donne le nœud dit Perfection, plus difficile à expliquer qu'à faire.

Noeud Perfection
Noeud Perfection
     1. Boucler le bout du nylon deux fois sur lui-même.

     2. Faire passer le bout entre les deux boucles.

     3. Prendre la deuxième boucle au point indiqué par la petite flèche et la faire passer dans la première.

     4. Si l'on continue à tirer sur cette même boucle, le nœud commence à se former.

     5. Le nœud Perfection, lorsqu'il est terminé.

     Il y a aussi un autre nœud tout aussi bon mais moins «éblouissant», peut-être parce qu'il est trop facile à exécuter. Il est en effet la simplicité même.

     On replie environ quatre pouces du nylon sur lui-même. On prend l'extrémité de la partie ainsi doublée et on la replie à nouveau; on l'enroule une fois sur la partie principale et on la fait passer dans l'ouverture ainsi formée.

Boucle de l'avançon
Boucle de l'avançon

     Pour attacher le bout de la ligne à cette boucle de l'avançon on emploie le nœud en forme de huit, simple à faire et à défaire, ce qui évite de couper trop souvent le bout de la ligne.
Boucle de l'avançon
     Maintenant, pour en finir avec les nœuds, je vais décrire ceux que l'on emploie pour attacher la mouche à l'avançon. Le plus recommandé est le Half-Blood, aussi appelé Clinch knot, qui est, en somme, la moitié de celui déjà décrit pour faire les épissures du bas de ligne.

Noeud Half-Blood
Noeud Half-Blood

Noeud Turle
Noeud Turle
     Il s'agit, pour le réussir, de passer le nylon dans l'œil de la mouche, de l'enrouler au moins quatre fois sur lui-même et de ramener le bout pour le passer dans la première ouverture près de l'œil; bien serrer le nœud et couper le surplus.

     Un autre nœud qui retient très bien la mouche est le nœud Turle, très facile à attacher. Il faut passer le nylon dans l'œil de la mouche, par dessous si l'œil est relevé, le replier et faire un nœud tout en laissant une boucle assez grande pour y passer la mouche. Resserrer lentement pour que le nœud se place immédiatement derrière l'œil de la mouche.

CHAPITRE 5; LA MOUCHE

     En comparaison de l'intérêt passionné qu'elle suscite la mouche à saumon semble être une bien petite chose. Elle a fait couler beaucoup d'encre et animé d'innombrables discussions. Elle est l'objet des théories des plus abracadabrantes et des centaines d'amateurs passent des soirées entières devant leur étau pour tenter de fabriquer la mouche, celle qui ferait oublier toutes les autres.

La mouche
     Toute cette agitation persistera, sans solution, tant qu'il y aura quelques saumons dans une quelconque de nos rivières. Il est peu probable qu'on vienne à découvrir une mouche qui serait efficace en tout temps ou même la plupart du temps. Sachant que Salmo salar ne se nourrit pas, il est inutile de vouloir imiter une proie quelconque, d'autant que l'usage d'un leurre que l'on ne peut légalement qualifier de «mouche» est proscrit.

     « Pourquoi prend-il la mouche s'il ne se nourrit pas?» Voilà une question qui a souvent été débattue mais reste sans réponse satisfaisante. La théorie voulant qu'il happe la mouche parce qu'elle l'agace ne tient guère si l'on considère que c'est le premier lancer qui la lui offre qui est généralement le plus chanceux.

     La version de Hewit voulant que le saumon prenne la mouche par un réflexe venu de l'habitude acquise durant ses premières années en rivière, alors qu'il se nourrissait d'insectes, semble avoir plus de poids mais reste à prouver.

     Pour un amateur de pêche, l'essentiel est qu'il la prenne; à lui, ensuite, de découvrir laquelle il gobera le plus facilement en telle circonstance ou en tel endroit. En d'autres mots, quelles sont les meilleures mouches? Au risque d'être accusé de légèreté devant une question d'un si monumental intérêt, je repondrai: «De toutes celles susceptibles de prendre un saumon, la meilleure sera celle qui sera mise à l'eau le plus souvent. »

     Évidemment cette réponse ne prouve pas grand'chose, parce que si une mouche est employée souvent c'est qu'elle a déjà fait ses preuves. A la fin de chaque saison, depuis des années, j'ai pu étudier les records de prises de différentes rivières, qui mentionnent la mouche utilisée lors de chaque capture. Sur toutes ces rivières, cinq ou six variétés seulement sont responsables de presque tous les saumons capturés en une saison.

     Mais l'année suivante, aux mêmes endroits, l'arrivée d'un nouveau guide qui emploie presque exclusivement la Green Highlander, par exemple, suffira à changer la cote d'amour.

     Beaucoup plus importante que la mouche est sa présentation et Charles Ritz va jusqu'à dire qu'elle est responsable du succès de la pêche dans une proportion de 85%. Cette proportion me paraît exagérée si l'on se borne à la mouche noyée parce que, bien souvent, le courant va remédier aux déficiences de la présentation avant que la mouche n'entre dans le champ de vision du saumon. En ce qui a trait à la mouche sèche cependant, la maîtrise du pêcheur a une importance qu'on ne doit pas sous-estimer.

     Ceux qui ont péché la grosse truite de mer à la mouche savent bien cela; cette dernière se nourrit et devrait être très vorace, elle se laissera pourtant rarement tromper à la vue d'une mouche qui ne lui paraît pas tout à fait naturelle.

     Une variété presque infinie de mouches s'offre au choix du pêcheur, mais il n'y a rien qui devrait consterner le débutant parce que lui-même, dans un an ou deux, tentera peut-être d'en ajouter à la liste!

     Plus un pêcheur acquiert de l'expérience, moins le choix des mouches qu'il emploie régulièrement sera varié. Il en vient à adopter certains modèles, et ce qu'il lui faut par la suite, c'est une variété de grosseurs de ces mêmes mouches. Quand la pêche est très difficile, cependant, il est plaisant d'avoir plus de choix pour ne pas avoir à dire avec frustration: «Si j'avais eu une toute petite Black Dose... »

Falls Pool sur la Matapédia
     L'étude à laquelle je référais plus haut portait sur la pêche au saumon dans les rivières Matapédia, Petite-Cascapédia, Saint-Jean, Sainte-Anne et Patapédia, toutes en Gaspésie. Elle indique quatre mouches qui sont à l'origine de soixante-quinze pour cent environ des prises. Leurs noms: Rusty rat, Green Highlander, Silver Rat et Black Dose. Il s'agit de rivières où la pêche se faisait en grande partie avec guides et en canot et, par conséquent, les résultats sont influencés par les préférences des guides. Or, l'un d'eux, et celui qui invariablement en avait le plus à son crédit, employait presque uniquement des Green Highlander. S'il avait eu la Silver Grey comme toquade, cette dernière serait passée au premier rang puisqu'elle aussi s'était très bien classée.

     D'autres types employés avec succès: Silver Doctor, Jock Scott, Blue Charm, Lady Amherst et Dusty Miller. Depuis que cette compilation a été faite, d'autres mouches ont gagné en popularité mais elles n'ont pu se rapprocher sensiblement des quatres mentionnées plus haut.

     Il s'agit d'un échantillonnage restreint mais il reste que ces mouches font prendre du saumon partout où elles sont employées. Ce sont quatre mouches noyées mais de modèles bien différents: RUSTY RAT: ailes en poils de chevreuil gris. Corps en deux parties; avant: fibres de plume de paon (vert foncé) arrière: laine jaune tirant sur roux.

     GREEN HIGHLANDER : ailes de plume d'un brun foncé, épaules en Jungle cock. Gorge: hackle d'un jaune clair. Corps, avant: laine d'un vert clair; arrière: soie jaune doré, le tout recouvert de tinsel argenté à intervalles d'un huitième de pouce.

     SILVER RAT: ailes en poil de chevreuil gris (se fait aussi avec Jungle cock). Corps: tinsel argent sur toute sa longueur.

     BLACK DOSE: ailes en malard et sarcelle rayé noir et blanc, Jungle cock. Gorge: hackle noir. Corps: entièrement noir avec tinsel argenté à intervalle.

     Si je n'avais droit qu'à quatre mouches noyées lors d'une excursion de pêche, ce serait mon choix, mais je m'assurerais de la hauteur et de la couleur de l'eau afin d'avoir les grosseurs voulues. Si j'avais à conseiller un débutant qui commence une collection et ne veut pas investir trop d'argent au début, je lui conseillerai celles-là et rien de plus. Il lui serait plus avantageux de se restreindre à quelques modèles dans différentes grandeurs que d'essayer d'avoir une variété qui lui serait de peu d'utilité. S'il ne s'est pas suffisamment exercé à lancer en salle ou sur le gazon, il lui faut aussi prévoir la perte de quelques mouches, surtout si son initiation se fait à gué.

     Je découvre dans les statistiques d'un camp de pêche situé sur la Restigouche l'énumération suivante qui semble bien appuyer le choix que j'avais fait de quatre mouches de types différents.

    En juin et juillet 1965, le journal de ce camp rapporte les résultats suivants:


     Ceci est assez concluant: Rusty Rat a donné la performance attendue d'elle; Silver Rat est à la deuxième place: je ne cherche pas à tout prix à la garder au troisième rang mais la région a pu compter plus de journées de soleil (d'ail-leur le journal du camp rapporte un niveau d'eau extrêmement bas). Black Rat vient en troisième place: comparez-la avec une Black Dose.

     Grizzly King en quatrième: mêmes couleurs de base que la Green Highlander, qui n'était peut-être pas populaire en ce camp.

     Évidemment, on ne péchait pas beaucoup à la mouche sèche parce qu'en eau basse elle excelle et aurait sûrement été responsable d'un bien plus grand nombre de prises.

     Il est fort intéressant d'analyser cette liste; il s'agit d'un camp de pourvoyeurs où le groupe de pêcheurs était remplacé chaque semaine, mais dont les guides restaient permanents.

     La Rusty Rat et la Jock Scott sont des mouches qui se ressemblent beaucoup: placez-les côte-à-côte. La première est extrêmement populaire; la seconde plus difficile à trouver parce que c'est la mouche la plus compliquée, dont le montage exige vingt-six éléments différents: le cauchemar des fabricants !

     Silver Rat et Silver Grey sont des mouches du même type, et la   Silver Doctor est presque inconnue sur la Restigouche.

     La Black Rat et la Black Dose ont été à l'origine de quarante-cinq prises.

     La Grizzly King et la Green Highlander qui se ressemblent ont à elles deux pris dix-huit saumons.

     C'est donc dire que ces huit mouches, qui représentent les quatre types de mouches que je jugeais essentielles, ont pris 189 des 221 saumons capturés.

La couleur et la forme de la mouche

     Certes l'expérience nous a appris beaucoup sur ces deux aspects de la mouche mais comme celle-ci influence le comportement du saumon d'après la perception visuelle qu'il en a, il serait imprudent d'avancer de grandes théories qui se réduisent, en fait, à des opinions sans preuves positives, à des suppositions parce qu'il est impossible de savoir exactement ce que voit le poisson.

     Certaines déductions restent tout de même vraisemblables parce qu'elles s'appuyent sur des faits constants et d'une régularité presque routinière.

     Le saumon n'ayant pas de paupières ne peut doser l'intensité de lumière qui pénètre dans ses yeux et de plus, pour une bonne part de son champ de vision, il ne voit que d'un œil. C'est dire que si le soleil frappe brillamment sur l'eau, le saumon doit être ébloui et ne guère voir que la silhouette de la mouche, ou sa taille et sa forme, mais probablement pas sa couleur.

     Dans ce cas une mouche noire et opaque serait trop frappante, trop bien dessinée et ne donerait pas l'illusion de vie qui la rendrait attrayante pour le saumon. D'ailleurs, dans ces conditions, on sait que ce sont les mouches avec corps argenté et ailes peu garnies et translucides, telles les Silver Rat, Silver Doctor, Dusty Miller, et Silver Grey qui obtiennent du succès.

     Par contre, par temps sombre, la mouche se détache bien contre le fond (contre le ciel évidemment), le saumon a pleine vision et il peut certainement discerner les couleurs. Une mouche plus opaque dans des teintes de brun, comme la Rusty Rat, ou des agencements de couleur, comme la Green Highlander, la Cosseboom et la plupart des mouches avec Jungle cock a l'épaule sont efficaces. Cette plume du cou d'un petit gallinacé importé des Indes et qu'on appelle Jungle cock eye est employée comme «joue» dans la fabrication de la plupart des mouches avec ailes de plume et commence de plus en plus à faire partie des mouches en poils. Elle est noire et blanche avec teintes bronzées et cirées et semble attirer beaucoup le poisson.

     Finalement, après la tombée du jour, la mouche doit se détacher sur un fond très sombre et il est prouvé que ce sont des mouches du type de la Black Dose qui intéressent le saumon à ce moment-là, fort probablement parce que ce sont les seules qu'il peut voir.

     Doit-on se procurer des mouches à hameçon simple ou double? C'est uniquement une question de goût et, pour ma part, j'emploie l'une ou l'autre dans des conditions normales. Cependant, si l'eau est basse et la pêche difficile le hameçon simple est préférable, la mouche, étant plus légère, tombera plus délicatement à la surface de l'eau.

     Certains pêcheurs n'ont aucune confiance en une mouche simple; il leur semble que deux pointes accrocheront plus sûrement un saumon. D'autres au contraire disent que souvent une des pointes du hameçon double sert de levier pour faire sortir l'autre. Je ne crois pas que cela ait tellement d'influence et je suis d'avis que si le saumon a bien pris la mouche et qu'il est bien joué, il sera amené à sec aussi sûrement avec l'une qu'avec l'autre.

     Je voudrais aussi mentionner d'autres mouches qui ont fait leur preuve et valent bien un essai. Mouches classiques avec ailes de plume: Night Hawk, Thunder & Lightning, Silver Wilkinson, Durham Ranger, NepissiguitGrey, Causapscal, Mitchell; avec ailes de poils (Bucktails): Cosseboom, Orange Blossom, Red Abbey, Black Rat, Grey Rat, Professor, Grizzly King.

     Parfois le saumon manquera la mouche par la faute du pêcheur qui, inconsciemment ou non, la lui enlèvera au moment même où il va s'en saisir, mais souvent la mouche en sera responsable. Une belle mouche neuve et toute brillante attrape presque à coup sûr le pêcheur mais moins souvent le saumon qui peut s'élancer vers elle mais se raviser au dernier instant parce que quelque chose dans son apparence lui a déplu.

     Un défaut assez courant: le leurre trop garni (overdressed) ; on en vient à cette conclusion en constatant quels surprenants succès remportent souvent de vieilles mouches qui ont pris plusieurs saumons et y ont laissé des plumes et poils ou d'autres qui à l'insu du moucheur, ont frappé à l'arrière et ont commencé à se défaire. On entend souvent dire, et j'en ai fait l'expérience, que des saumons ont été capturés avec des mouches sur lesquelles il ne restait guère que le tinsel et des parties de hackle.

     On sait d'ailleurs que la Rusty Rat, une des meilleures qui soient, a été conçue par un pêcheur qui venait de faire une très bonne pêche avec une vieille Silver Rat dont le tinsel était tout rouillé. La partie arrière de la Rusty Rat est maintenant recouverte le plus souvent de laine jaune, mais la mouche originale, comme son nom l'indique d'ailleurs, était faite avec de la laine de couleur rouille.

     On croit généralement que si un saumon bouge en direction d'une mouche sans s'y rendre, c'est qu'elle est trop grosse et qu'il faut la remplacer par une plus petite. Je ne suis pas convaincu de cela; je suis même porté à faire le contraire et voici pourquoi : si la mouche était réellement trop grosse, ce défaut devrait être évident dès le début pour le saumon et sans qu'il s'approche pour la mieux voir. Comme cela se produit le plus souvent quand l'eau est relativement profonde et rapide, alors ne serait-ce pas plutôt que la mouche est trop légère et ne cale pas suffisamment à cet endroit? Si oui, il me paraît plus indiqué de grossir la mouche.
Quand on pêche sur une rivière très fréquentée où le saumon a vu des mouches ad nauseam, il arrive parfois que l'apparition soudaine d'une mouche qu'il n'a jamais vue le pousse à l'action. On obtient aussi cette réaction en employant une très grosse mouche alors que tout indique que l'on devrait se servir uniquement de petites.

Mouches à eau basse

     Il faut faire une distinction entre une petite mouche, une numéro 6 par exemple, et une mouche à eau basse (low water fly) qui peut être en tous points semblable, excepté que, montée sur un hameçon plus long, elle ne le recouvre qu'à demi.
     La figure illustre deux de ces mouches fort bien connues et peut-être les premières de toutes. Elles sont encore très populaires mais, maintenant, à peu près tous les modèles sont montés de cette façon et sont tous efficaces, ce qui est peut-être une autre preuve que la forme ou la silhouette de la mouche sont plus importantes que la couleur.

     Plus nous avançons en période d'étiage, plus il faut rapetisser la mouche; comme son hameçon est alors plus fin, l'avançon doit l'être aussi. On ne peut donner autant de pression ou de force pour ancrer le saumon et ce dernier restera plus longtemps sur la ligne avec des chances accrues de s'échapper. Cette petite mouche montée sur hameçon plus gros permet donc de pallier en partie ces inconvénients.

     Le croquis suivant marque la transition entre une petite mouche numéro 6 et une mouche à eau basse numéro 2.
     Les deux mouches sont de la même taille mais l'hameçon low water sera plus apte à retenir un saumon.

     Tard dans la saison, il se passe un phénomène qui a le don d'exaspérer les pêcheurs même les plus patients. À ce moment, des saumons qui semblent pleins de bonne volonté viennent pour saisir la mouche mais la manquent de quelques millimètres seulement. On dit alors — à part certaines réflexions peu de mise ici — they're taking short, ce qui décrit assez bien ce qui se passe. Assez souvent ce genre de mouche peut remédier à cette situation et si les saumons sont victimes d'une illusion d'optique qui leur fait mal évaluer la distance, ils peuvent, en manquant la mouche elle-même, saisir l'hameçon.

     Le croquis ci-haut donnait l'exemple d'une petite numéro 6 qui devient une numéro 2 à eau basse; une autre échelle donne les grosseurs de ces dernières. En examinant les deux tables de mesures suivantes on pourra se familiariser avec les normes en usage et apprendre à identifier les mouches par leur taille.
Les Mouches Sèches

Scène sur la rivière Mistassini
     Nous reparlerons en détail de la pêche à la mouche sèche dans un autre chapitre. Pour le moment nous passons l'équipement en revue et j'aimerais mentionner certaines mouches sèches qui donnent de bons résultats sur nos rivières.

     La première qualité d'une bonne sèche est sa capacité à bien flotter ou porter sur l'eau. La couleur ne semble pas avoir tellement d'importance; les nuances vont du blanc au noir profond en passant par diverses teintes de gris. On voit moins de combinaisons de couleurs que dans les mouches noyées. D'après mon expérience, une mouche assez grosse sur hameçon court semble mieux flotter et donner les meilleurs résultats.

     Les mouches de Lee Wulff peuvent être recommandées pour toutes nos rivières en assortiment de blanches, noires et grises. La Rat-faced Mac Dougall et la Macintosh sont excellentes de même que la Royal Coachman, la Norge et l’Irristible.

     Les Bombers, en forme de cigares et sans ailes, donnent parfois des résultats surprenants. Pour donner un peu de variété et de couleur, la Cosseboom peut compléter un assortiment suffisant.

La Tube Fly

     Nous devons aux pêcheurs d'outre-mer, aux Anglais entre autres, une autre sorte de mouche noyée qu'on appelle la tube fly. Je ne crois pas qu'il s'agisse de leur part d'une contribution majeure et cette mouche, d'ailleurs, réussit mal à s'implanter ici.

     Voici quelles sont ses caractéristiques: elle est montée sur hameçon triple auquel le bout de l'avançon est attaché directement. Les plumes, poils et tinsels sont montés sur un petit cylindre de longueur variable qui est ensuite enfilé sur le bas de ligne et va reposer sur l'œil de l'hameçon. C'est pourquoi les ailes sont généralement plus longues pour le couvrir partiellement. On peut préparer une quantité de ces petits cylindres et en employer plus d'un à la fois en agençant les couleurs à volonté.

     Nous ne saurons probablement jamais si cette mouche pourrait être efficace au Canada car l'hameçon triple est interdit dans toutes les autres provinces sauf au Québec où il devrait l'être aussi. De plus, si les cylindres sont en métal, et ils le sont généralement, cela devient une mouche plombée et ce type est proscrit pour la pêche au saumon.
     Il semble ensuite s'excuser du fait que quelques-uns seulement pesaient plus de vingt livres, les autres variant entre 15 et 18 livres, mais il ajoute, comme s'il avait besoin de se disculper d'avoir tué de petits poissons: «c'est tout de même du bon sport, avec des perches légères...! ». Le tout récolté à la mouche sèche que très peu d'amateurs utilisaient à cette époque.

     À la suite d'un tel succès, il va sans dire que Mr. B. l'invita à essayer Home Pool le lendemain. Je vous fais grâce du détail des péripéties qu'il raconte mais je vous donne les résultats de la journée: 40 saumons pour six perches, tous capturés à la sèche. Il faut noter qu'aucun saumon n'avait été pris à ce camp au cours de la semaine précédente.
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