Troisième Partie: Où Pêcher?

CHAPITRE 1; ACCESSOIRES DE PÊCHE

Le canot

     «Quel genre de canot crois-tu que je devrais m'acheter?» Voilà une question qui m'a été posée je ne sais combien de fois et à laquelle je vais tenter de répondre.

     Si l'embarcation doit servir à faire la pêche et à circuler en rivière, je n'ai aucune hésitation parce qu'il n'y a que le véritable canot de rivière qui soit recommandable à ces fins. Il n'est pas question ici de canotage de plaisance qui se fait toujours dans le sens du courant et où la légèreté est nécessaire pour faciliter les portages, mais d'un canot d'au moins vingt-deux pieds de longueur et assez large pour assurer la stabilité qui va permettre de pêcher debout.

     Un canot aussi large mais plus court offre trop de résistance au courant; il se manœuvre très mal et est presque impossible à «pôler». De plus, dès que l'on veut ancrer dans le courant à la tête d'une fosse, il maintient très mal sa position, c'est-à-dire qu'il va de droite à gauche et lorsque vous aurez donné trois pieds additionnels de ligne pour un nouveau lancer de la mouche, le canot, lui, aura varié sa position de quelque six pieds ou plus.

     Autrefois, avant l'arrivée des moteurs hors-bord, l'on ne voyait guère, dans cette partie du pays, que des Gaspe boats ou des Bonaventure canoës. Il s'agissait de longues embarcations faites en planches de cèdre posées à clin c'est-à-dire que les bordages se recouvraient légèrement les uns les autres.

     Ceux des rivières Restigouche et Matapédia, les Gaspe canoës, mesuraient vingt-six pieds de longueur et ont presque tous été remplacés par des canots recouverts de canevas ou de fibre de verre. Les autres, plus petits, généralement longs de vingt-quatre pieds, étaient construits dans la région de Bonaventure et on les trouve sur toutes les rivières de la Baie des Chaleurs. Ils sont de construction plutôt artisanale quoique Donat Arsenault de Bonaventure en ait plus de 270 à son actif et que son fils continue la tradition.

     Ils ont une stabilité parfaite dans le courant mais deviennent lourds après avoir passé trop de temps à l'eau. Autrefois cela avait peu d'importance; ils étaient peu souvent transportés car les guides savaient remonter le courant «à la pôle» et faisaient ainsi régulièrement une vingtaine de milles en un jour.

     Il se construit maintenant un canot en cèdre également mais recouvert de canevas ou de fibre de verre, beaucoup plus léger, et qui le demeure en dépit de longues immersions. Il est plus prisé de ceux qui se promènent d'une rivière à l'autre parce qu'ils le transportent sur le toit de leur véhicule ou sur une remorque.

     La plupart sont conçus pour pouvoir être utilisés avec un moteur et, de ce fait, l'arrière est plus large et le tirant d'eau presque négligeable. Un guide me disait un jour: «Si les roches sont humides, on va passer! »

     La Compagnie Chestnut, de Fredericton, livre le modèle Ogilvy Spécial, en canevas, auquel il est très difficile de trouver le moindre défaut. Depuis 1955, j'en ai un de vingt-deux pieds que j'ai fait recouvrir de fibre de verre, il y a trois ou quatre ans, et il a encore l'apparence du neuf. Pourtant il a franchi des milliers de milles sur presque toutes les rivières de la Gaspésie et même sur certaines branches où les becs-scies et leurs confrères aquatiques semblaient préférer négocier certains passages par la voie des airs...

     Raymond Sharpe, qui demeure près de Matapédia, en construit d'aussi bons; les siens sont recouverts de fibre de verre que je crois être une couverture plus durable que le canevas. En cas d'avarie, comme des coupures sur des roches saillantes, les deux peuvent être réparés facilement sur place. Le canevas est vite rapiécé à l'aide d'un morceau de toile qu'on applique avec du Ambroid, une colle qui sèche presque instantanément. Pour réparer la couverture en fibre de verre, il suffit d'appliquer une couche de résine avec catalyseur.

Les cuissardes ou Hip Boots

     Si l'on fait la pêche en canot sans un guide, celles-ci sont indispensables à moins que l'on accepte de «se mouiller», ce qui n'est guère plaisant. Il en coûte différents modèles; les véritables cuissardes montent jusqu'aux hanches, les autres, ou waders, d'une seule pièce, permettent d'entrer dans l'eau jusqu'aux aisselles.

     Le point le plus important à considérer est la semelle; avant tout, il faut rester en équilibre sur ses deux pieds, ou alors, pourquoi des bottes? Il se fait de très bonnes cuissardes avec semelles de feutre; elles sont caoutchoutées jusqu'à mi-jambe et le haut est en toile souple et légère, beaucoup plus confortable si on doit les porter toute la journée.

     Si on ne peut se procurer le modèle nanti de semelles de feutre, on peut coller sous une botte ordinaire des semelles découpées dans un morceau de tapis pressé, du genre qui se place à l'extérieur aussi bien qu'à l'intérieur. Ce matériau adhère bien aux roches limoneuses des rivières et est de loin préférable aux crampons métalliques que l'on attache aux bottes par des courroies.

Queutard ou Tailer

     Actuellement la gaffe est prohibée; on emploie donc des queutards pour faire la pêche à gué.

     Ils sont aussi efficaces et semblent moins cruels. Il faut s'assurer d'avoir un manche télescopique pour bénéficier d'une plus grande portée.

     Si l'on pêche en canot, l'épuisette est préférable; qu'on se souvienne qu'elle n'est jamais trop grande !

Lunettes polarisées (Polaroids)

      Celles-ci éliminent les reflets sur l'eau et permettent de repérer beaucoup plus facilement les saumons. Elles peuvent également servir de protection contre une mouche maladroitement lancée.

     Il est assez souvent conseillé de les attacher à un ruban passé autour du cou; il les retiendra lorsqu'on se livre à des exercices, et un incident qui m'est arrivé sur la Bonaventure, il y a quelques années, me fait croire que la suggestion a du mérite. J'avais reçu une invitation dans les toutes dernières journées d'août et la pêche était extrêmement pénible: chaleur torride du milieu du jour, le soleil plombait sur la fosse. Nous avions repéré deux saumons à très bonne distance, l'eau de la Bonaventure étant peut-être la plus limpide de toutes les rivières à saumons en Amérique du Nord.

     Ils avaient dédaigné plusieurs petites mouches de toutes sortes et je venais de les changer pour une sèche. Comme j'étais en train de faire de faux lancers avec presque toute la ligne dans les airs, un gros papillon est venu se poser sur ma joue. Dans un geste fébrile, pour ne pas gâter mon lancer, je lui ai administré une tape qui a bel et bien envoyé le papillon, mais aussi mes lunettes, à une douzaine de pieds du canot.

     — Queusse-tu fé là? me cria mon hôte.
     — Je crois que tes maudits saumons en ont plus besoin que moi! répondis-je, mais en aparté je me suis conté tout autre chose !

CHAPITRE 2; MONTAISONS D'AUTREFOIS

     Il semble qu'au début du siècle dernier on attachait peu d'importance aux statistiques et ce n'est qu'en mettant la main sur un document de cette époque qu'on peut se faire une idée de ce qu'étaient alors les montaisons de saumons.

     Ce n'est guère qu'à partir des années 1880 que la pêche sportive est devenue une activité organisée, suite à la fondation de nombreux clubs de pêche. Dès le début, tous ces clubs ont tenu un journal et on peut y voir qu'ils prenaient autant de saumons qu'ils désiraient en capturer et se souciaient fort peu de ce que faisaient les saumoniers commerciaux.

     Il appert que les pêcheries tant sportives que commerciales étaient, à toutes fins utiles, terminées à la mi-juillet et les chiffres que nous avons ne couvrent, en somme, que les activités de cinq semaines de pêche environ. Il serait intéressant de dresser des statistiques de ces données, ce qui est possible dans le cas des clubs, mais elles nous renseigneraient peu sur les montaisons parce que l'effort de pêche sportive en rivière ne pouvait intercepter qu'une infime partie de celles-ci.

      D'autre part, les quelques documents de cette période que nous pouvons consulter laissent supposer que des quantités de saumons qui, maintenant, nous semblent prodigieuses se dirigeaient vers nos rivières.

Un permis de pêche en 1874
      J'ai puisé mes renseignements aux sources suivantes:

     — ROBERT COONEY, historien de l'époque, publia en 1832 A Compendious History of the Northern Part of New Brunswick and of the Gaspe District.
     — G. J. MOUNTAIN, archidiacre du Bas-Canada, dans A Visit to the Gaspe Coast, écrit en 1824.
     — REV. J. c. HERDMAN, de Campbellton, Sketches in Restigouche History publiés dans le Daily Sun de St. John en 1883.
     — G. B. MACBEATH, curateur du Musée du Nouveau Brunswick, dans The Story of the Restigouche, 1954.

     Tous ces documents relatent que la pêche se faisait dans la rivière même. Au début c'étaient les Indiens que l'on engageait pour prendre les saumons à la foène, art dans lequel ils étaient passés maîtres.

     Herdman, dans un article daté du 11 janvier: «Ils en tuaient assez en trois ou quatre jours pour charger un bateau de 50 à 60 tonneaux». Robert Ferguson et Samuel Lee étaient les plus gros compétiteurs et, en 1805, en exportaient en¬viron 2 000 barils chacun.

     MacBeath, à la page 13 de son ouvrage dit que les saumons était salés dans de grande cuves puis placés de 10 à 12 par baril, pour l'exportation. À la page 17: «ces saumons pesaien souvent de 40 à 50 livres et occasionnellement jusqu'à près de 60 livres.»

     Robert Cooley évalue à 10 000 barils la quantité de saumons exportés de la Restigouche en 1813, soit plus de 4 000 000 de livres.

     En 1824, le Révérend Mountain dit: «La quantité de saumons dans la Restigouche est prodigieuse, presque incroyable. Monsieur Mann me montra un endroit où il en avait pris 3 000 dans deux nuits, avec l'aide de six filets attachés ensemble, mais d'autres en prenaient de beaucoup plus grandes quantités.» L'endroit cité est Long Island, à trois milles et demi environ en aval du pont interprovincial à Matapédia. Ceci fait de 75 à 90 000 livres en deux soirs, avec des filets qui en laissaient peut-être échapper plus de la moitié, sinon il eût été impossible d'amener le filet à terre dans le courant.

     Malgré cela — et lisez-bien ceci — Herdman, dans son article du 6 février 1883, dit qu'aux temps où les premiers colons se sont installés, le saumon était en abondance, almost beyond belief, et que les Indiens se souviennent avec nostalgie des beaux jours où ils ne pouvaient monter les rivières «sans fréquemment frapper des saumons avec leurs «pôles»!

     J'ai vu un permis de pêche accordé à un nommé John Adams pour la période du 1er mai au 31 juillet 1874. Il portait le numéro 6 et avait été émis par S. P. Bauset, sous l'autorité du Ministre de la Marine et des Pêcheries, W. J. Witcher.

     Ce permis lui permettait de tendre un filet ne devant pas excéder 135 fathoms (810 pieds), dans l'entrée de la rivière Restigouche, en amont de Campbellton. À 1 500 verges en aval, il y avait le filet de James Duncan et à 800 verges en amont, celui de Adam Ferguson. Le coût du permis était établi à un dollar le baril.

     Or, le 13 juillet 1874, le dit Adams est allé payer son permis à Matapédia et Ino Mowat lui donne quittance pour 12 808 barils à $1.00 chacun !

     Si l'on plaçait de dix à douze saumons par baril, comme on l'a vu plus haut, cela totalise 140 888 saumons. Et, si l'on se base sur les poids de 40 à 50 livres cités par MacBeath, une moyenne de 25 livres par saumon ne serait certes pas exagérée. Monsieur Adams aurait donc pris plus de 3 500 000 livres de saumon et son permis portait le numéro 6.

     De quoi faire verdir d'envie le bon Saint-Pierre, même en ce jour de gloire au Lac Tibériade, alors qu'il avait eu un bon «coup de pouce» du Patron...

CHAPITRE 3; GÉNÉRALITÉS

Le poids du saumon d'après sa longueur

     Le poids du saumon peut être établi d'après sa longueur, mais différents facteurs font que ces valeurs varient; ainsi, il existe une différence appréciable entre le poids d'un saumon au mois de juin et à la fin de juillet. De même le saumon de la Cascapédia est plus court qu'un saumon du même poids pris dans la Restigouche ou la Matapédia.

     C'est pourquoi je donne deux échelles; l'une, faite par John Hutton est basée sur les «statistiques vitales» de 9 392 saumons de rivières canadiennes. L'autre est le résultat de recherches faites par Sturdy en Norvège et je crois que les saumons de la Cascapédia se classent plutôt dans cette dernière catégorie.

     Il y a très longtemps déjà, un nommé W. H. Ward avait trouvé une formule qui donne avec une précision assez étonnante le poids d'un saumon d'après ses dimensions en pouces.

     La taille, ici, signifie l'épaisseur et la profondeur, ou encore, la mesure prise dans la partie la plus grosse du saumon. Comme exemple, nous avons un saumon de 30 po de longueur et sa taille est de 17 po. Nous aurons :

     Un facteur peut fausser cette équation: si les mesures sont prises à la sortie de l'eau et que la pesée n'est faite qu'un bon moment plus tard, nous aurons une différence qui est notée au tableau suivant. Ceci est facile à vérifier en faisant la pesée, avec la même balance, au sortir de l'eau et puis toutes les six heures.

Comment conserver un souvenir de vos saumons

     Si l'on veut garder un souvenir d'un beau saumon sans en faire le montage, il est facile de faire un tracé sur place tant qu'il a encore belle apparence.

     Il suffit d'emporter avec soi un petit rouleau de papier d'emballage. On y dépose le saumon et, avec un long crayon, ou en trace le contour. On note aussi la position des nageoires, des yeux, des ouïes, etc.

     On reproduit ensuite cette esquisse sur du papier propre, en y ajoutant même la couleur. On y inscrit aussi le poids, l'endroit où il a été capturé, la mouche employée, la date, etc.

Comment saigner un saumon

     Même s'il est généralement reconnu qu'un saumon se conserve mieux s'il n'est pas vidé, il n'y a aucun intérêt à conserver le sang, qui se répand sur lui après qu'il a été matraqué pour l'application du coup de grâce, ou qui coule et se coagule lors du transport.

     On le vide de son sang par une petite opération très simple que l'on pratique alors qu'il est encore vivant et dans l'épuisette. Il est facile à maintenir dans le filet; on le tourne alors sur le dos et, avec la lame d'un canif, on fait une petite incision à l'endroit indiqué sur le dessin.
     Le sang en jaillit et le saumon meurt presque instantanément sans qu'il soit nécessaire de le meurtrir en le frappant sur la tête.

Comment relâcher un saumon

     La question de remettre un saumon en liberté fait l'objet de maintes discussions comme bien d'autres sujets qui se rapportent à lui. Je ne parle pas ici des saumons relâchés dans l'intention d'en capturer de plus gros mais pour leur permettre de se rendre aux frayères et se reproduire. Ils doivent évidemment être inclus dans la limite de pêche d'une journée.

     Cela se pratique depuis longtemps par des sportifs ou des chercheurs qui ont eu l'occasion d'observer leur comportement pendant les jours subséquents, et le taux de mortalité est très bas si toutes les précautions ont été prises.

     Il faut fatiguer le saumon assez longtemps pour qu'il se débatte le moins possible et essayer d'enlever le hameçon avec des pinces ou les doigts, sans le sortir de l'eau. S'il est déjà dans une épuisette, il est facile de le saisir juste à l'avant de la queue et de serrer fortement, ce qui le calmera suffisamment pour pouvoir ôter l'hameçon. S'il a été pris avec un tailer, il faut éviter de le serrer au point de le couper avec le fil.

     On se gardera aussi de le sortir de l'eau parce qu'il pourrait se blesser en se débattant au fond du canot ou sur les roches. S'il saigne ou si la mouche est ancrée trop profondément, il ne faut pas le relâcher avec une plaie qui pourrait éventuellement s'infecter.

Turpitudes halieutiques
 
BRACONNIER Être crapuleux qui, par cupidité, s'ingénie à trouver des méthodes malhonnêtes pour détruire des ressources naturelles et priver ses concitoyens de leur droit d'en jouir.

Ou:
BRACONNIER
Être placé trop bas dans l'échelle des valeurs intellectuelles pour pouvoir résister à un certain atavisme qui le pousse à tuer et à détruire bêtement.

Ou encore:
BRACONNIER
Être anti-social et stupide qui ne peut s'astreindre à respecter des règlements que tout citoyen honnête accepte parce qu'il les sait de nature à protéger le patrimoine de la communauté.

Ou, peut-être seulement:
BRACONNIER Être qui ne veut pas détruire indûment, mais qui ne connaît pas assez la pêche pour employer la mouche avec confiance. Alors il a recours à des méthodes de «carponnage» et se prive ainsi des plus grandes joies de la pêche.

     Si la dernière définition te convient, il y a encore de l'espoir pour toi: APPRENDS À PÊCHER À LA MOUCHE!
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