Truite de Mer en Gaspésie

     La truite mouchetée est l'espèce la plus convoité de tous nos poissons sportifs, et on l'associe souvent à de petits lacs de tête ou encore à des ruisseaux. C'est bien normal, puisque c'est en eau douce qu'on la retrouvera le plus souvent. Mais il ne faudrait surtout pas oublier qu’en certains endroits, elle effectue une migration vers l'eau salée, et qu'on la retrouve dans des secteurs où l'on ne soupçonnerait peut-être pas sa présence. C'est pourquoi nous vous suggérons deux destinations qui vous permettront de varier le menu habituel de vos sorties «à la truite».
Truite de mer en gaspésie
     Dans quelques minutes, le soleil franchira la ligne d'horizon, mettant ainsi un terme à une autre belle journée de ce mémorable été 1995. La couleur jaune de l'astre du jour laisse présager un lendemain où la chaleur sera encore au rendez-vous... pour le plus grand plaisir des amateurs de plage.

    Quelque part entre Sainte-Anne-des-Monts et Cap-Chat, sur la côte nord de la Gaspésie, je suis debout sur une chaîne de roches à quelques centaines de mètres du rivage, la mer à mes pieds. Patiemment, mon fils Martin et moi i lançons nos leurres le long des roches et dans les petites baies formées par la marée montante, espérant qu'une truite de mer géante y succombe. Mais le spectacle de ce soleil couchant, dont les rayons bondissent sur cette mer qui a de la difficulté à se calmer, attire notre attention au point où la pêche est presque devenue secondaire.

    À notre arrivée sur la chaîne de roches en fin d'après-midi, nous avions remarqué des pêcheurs au loin. Nous nous étions abstenus d'aller à leur rencontre, l'envie de pêcher l'ayant facilement emporté. Plusieurs minutes après le coucher du soleil, comme nous nous apprêtions à rejoindre la rive, je remarquai un de ces pêcheurs se dirigeant vers nous. Une conversation que je n'oublierai jamais s'engagea alors...

Potentiel insoupçonné

     Avant de vous faire part de la teneur de cette conversation, je dois vous faire un aveu : je fréquente les rivières de la Gaspésie depuis plus de vingt ans à la poursuite du saumon atlantique. Toute cette énergie et ce temps investis à découvrir les fabuleuses rivières où nage Salmo salar m'ont rendu aveugle : je ne m'étais jamais douté que je côtoyais un site de pêche recelant un potentiel insoupçonné.

     Il s'agit de la pêche de la truite de mer... en mer, à partir du rivage, près de Cap-Chat, que j'ai découverte tout récemment, et que je brûle d'envie de vous faire connaître.

     Évidemment, au cours de ces années à rechercher le saumon, j'ai eu l'occasion de pêcher la truite de mer en rivière. Comme cette dernière fréquente les mêmes cours d'eau que le saumon, cela devenait facile de taquiner la truite de mer quand elle manifestait sa présence dans une fosse ou ailleurs dans la rivière. De nombreuses expériences de pêche mémorables m'ont permis de faire mon apprentissage et, surtout, d'apprécier la grande sélectivité de la truite de mer.

Truite de mer, qui es-tu?

     Le regretté Serge Deyglun avait l'habitude de débuter ainsi un paragraphe quand il voulait présenter une espèce de poisson ou un gibier méconnus.

    Les scientifiques ont établi avec certitude que la truite de mer et la truite mouchetée appartiennent au même genre et à la même espèce. Il s'agit de l'omble de fontaine (Salvelinus fontinalis). Évidemment, le milieu qu'elles fréquentent les distingue fondamentalement : la truite mouchetée passe toute sa vie en eau douce, dans un lac ou une rivière, alors que la truite de mer est anadrome. Cela signifie qu'elle voyage de la rivière vers la mer, pour remonter plus tard cette même rivière afin d'y frayer.

    Le milieu fréquenté affecte la coloration de la truite. Ainsi, la truite de mer affiche des flancs argentés et un dos vert ou bleu. Après avoir séjourné un certain temps en eau douce, elle perd, tout comme le saumon, cette livrée argentée et adopte une coloration et une teinte qui dépendent de la couleur de l'eau. Cette transformation est telle qu'au bout de plusieurs semaines en eau douce, il devient difficile, pour le non initié, de distinguer une truite de mer d'une truite d'eau douce.

    Le code génétique des truites issues de la ponte de truites de mer adultes les amènera à migrer vers la mer le moment venu. D'après la taille de truites capturées dans l'estuaire de rivières, il semble qu'elles quittent la rivière dès leur plus jeune âge. Peu d'études, à ma connaissance, ont traité du comportement de la truite de mer au Québec. Mais dans la livraison de Salmo Salar du mois de mai 1985 (publication de la Fédération québécoise du saumon atlantique), Paul Potvin, un biologiste de Charlesbourg, a présenté une excellente revue de la littérature scientifique québécoise et nord-américaine en cette matière, en plus de l'agrémenter de notes et commentaires personnels. Et la somme des observations faites par les pêcheurs sportifs et commerciaux suffit pour se faire une bonne idée du comportement des truites en mer.

Comportement en mer

     Il semble se dégager un consensus chez les pêcheurs et les scientifiques à l'effet que la truite de mer ne parcourt pas de longues distances en mer, contrairement au saumon atlantique. En effet, la plupart des jeunes saumons (saumoneaux) qui gagnent la mer entreprennent un long voyage qui les mènera dans des sites riches en nourriture où ils vont s'engraisser avant de revenir frayer, au bout de quelques années, dans la rivière qui les a vus naître. Les saumons estuariens et les castillons (saumons ayant passé un an en mer) ont des comportements quelque peu différents, mais je n'irai pas plus loin à ce sujet car cela dépasserait le cadre de ce texte.

    La truite de mer, elle, a plutôt tendance à fréquenter les eaux saumâtres de l'estuaire, ou encore à se déplacer le long de la côte en quête de nourriture. Elle est bien servie car la mer offre un milieu riche en éléments nutritifs de toutes sortes. À ce sujet, Paul Potvin énumère les principaux organismes préférés de la truite de mer : civelles, crustacés et petits poissons tels que gaspareaux et épinoches. Devant l'abondance et la richesse de cette nourriture, les truites prendront du poids rapidement. Il n'est pas rare de voir, dans certains secteurs, des truites dont le poids varie entre 1 et 4 kg (de 2,2 à 9 lb); certains sujets pourraient même dépasser 4,55 kg (10 lb).

    Laissez-moi vous raconter une anecdote à ce sujet. L'an dernier, dans une fosse de la rivière Bonaventure, j'ai pu observer très clairement, sous l'eau, quatre truites de mer et deux saumons. Les truites, toutes de la même taille, m'apparaissaient légèrement plus petites que les saumons, qui eux aussi étaient semblables. Comme les truites se situaient légèrement en aval des saumons, et que l'eau était basse et lente, j'ai choisi de tenter ma chance et de leur présenter une petite Norge, mouche sèche de couleur brune et beige. Au premier lancer, aucune réaction. Au deuxième, je lance un peu plus haut et... un des deux saumons exécute un tête-à-queue pour venir prendre la mouche fermement. À la pesée, il faisait 5,45 kg (12 lb). J'en suis alors venu à la conclusion que les quatre truites que j'avais eu devant moi pesaient au moins 4,55 kg (10 lb), puisque leur taille se rapprochait de celle des saumons. Imaginez si l'une d'entre elles avait mordu...

Pourquoi la truite va-t-elle en mer?

     Qu'est-ce qui pousse la truite mouchetée à migrer en mer? En autres termes, pourquoi ce désir de migrer vers la mer est-il inscrit dans son code génétique? Évidemment, la réponse à cette question nous entraîne directement dans le domaine des hypothèses. Mais les connaissances accumulées depuis des dizaines d'années sur l'évolution des différentes formes de vie sur Terre permettent d'avancer des réponses tout à fait sensées.

     Laissez-moi vous en présenter quelques-unes: Dans le livre Trout, publié en 1991 par Stackpole Books, un des auteurs, le biologiste Gilbert B. Pauley, suggère que les débuts de l'anadromie pourraient être l'effet combiné du hasard et de l'opportunisme. Comme les truites ont une tendance naturelle à se déplacer, plusieurs d'entre elles ont probablement fait quelques incursions en eau salée, par accident. Elles y ont alors découvert un monde riche en nourriture.

     Cette hypothèse prend plus de force quand on sait que, de façon générale, les rivières situées dans la partie nordique de l'Amérique du Nord produisent des quantités moindres de nourriture que la mer. Les truites anadromes, et toutes les autres espèces de poissons ayant adopté ce comportement, ont donc trouvé dans la mer de quoi assurer l'expansion de leur population en plus d'en augmenter la qualité. D'ailleurs, Pauley souligne que les populations nordiques de truites mouchetées ont plus tendance à migrer en mer que celles vivant au sud.

     Mais le biologiste Pauley va plus loin. Il cite un de ses confrères selon lequel l'anadromie chez les salmonidés serait une étape dans un processus dont l'aboutissement verrait ces poissons adopter un habitat exclusivement marin. Il donne comme exemple le cas de certaines populations de «pink salmon» qui fraient en eau salée plutôt qu'en eau douce comme le fait leur cousin.

La pêche en mer

     Mais revenons à la pêche et plus particulièrement à l'endroit où je vous ai volontairement laissé au début de ce texte. La conversation que mon fils et moi avons eue avec ce sympathique pêcheur nous a révélé tout le potentiel de pêche de la truite de mer qui existe dans un territoire compris entre Les Méchins et Tourelle sur la rive nord de la Gaspésie. Plus tard au cours de ce périple, d'autres pêcheurs nous ont confirmé que de bons coins de pêche existent en se rendant plus à l'est vers Marsoui et même Anse-Pleureuse. Pour ma part, je suis persuadé que tout le pourtour de la péninsule gaspésienne offre une foule de coins de pêche de la truite de mer qui ne demandent qu'à être fréquentés.

     Comment identifier un bon coin de pêche? Les pêcheurs de Cap-Chat et de Sainte-Anne-des-Monts recherchent les «caves». Il s'agit tout simplement de chaînes de roches très apparentes à marée basse et généralement éloignées de la rive. La truite fréquente les abords de ces chaînes de roches, car elles favorisent bien souvent l'accumulation de grandes quantités de nourriture.

     En passant, le mot «caye». tel que prononcé par les pêcheurs, m'a poussé à faire une petite recherche. J'ai consulté M. Augustin Saint-Laurent de Cap-Chat, professeur de français maintenant à la retraite mais toujours aussi passionné par la langue française. Il m'a révélé que le mot «caye» (que l'on peut aussi écrire «caille») est un vieux mot français encore utilisé en Haïti, en Normandie et... en Gaspésie. Ne le cherchez pas dans les dictionnaires contemporains, les académiciens ont préféré le laisser tomber.

Techniques et équipement

     La technique utilisée par les pêcheurs locaux est simple mais garante de résultats. La plupart d'entre eux utilisent une canne à moucher au bout de laquelle ils attachent un hameçon de grosseur moyenne. Un bouchon de liège est attaché au bas de ligne à environ 30 à 45 cm (12 à 18 pouces) de l'hameçon. Enfin, un ver ou une sangsue est piqué à l'hameçon. En un mouvement de va-et-vient, tout le grément est balancé par la canne à moucher, et l'hameçon tombe entre 4.6 et 6 m (15 et 20 pi) du pêcheur, parfois plus loin. Le bouchon de liège permet à l'hameçon appâté de se bercer au gré des mouvements de l'eau. La présentation est ainsi beaucoup plus «naturelle», élément qu'il ne faut surtout pas négliger car la truite de mer est très méfiante.

     L'acuité visuelle de la truite ainsi que l'eau claire de la mer lui permettent de voir le moindre mouvement et de se sauver. Les pêcheurs locaux tiennent compte de cette dimension en portant des vêtements foncés, dont la couleur se marie bien avec les roches, et en restant constamment accroupis. Plusieurs d'entre eux apportent des seaux ou des bancs afin de s'asseoir. Une croyance fortement répandue chez certains pêcheurs locaux de truites de mer veut que les truites fuient un secteur si elles sont trop souvent effarouchées.

     En suivant les conseils de nos amis, Martin et moi avons pris quelques truites avec des lancers légers et des vers comme appâts. Leur longueur variait entre 10 et 12 po. Je n'ai pas essayé de mouches mais je suis persuadé que l'utilisation de streamers ou d'imitations de sangsues pourrait procurer de bons résultats. Ce n'est que partie remise. Au dire des pêcheurs rencontrés, les plus grosses prises se font tôt le matin ou à la brunante, ou encore lorsque la température est maussade.

    Que la marée soit montante ou baissante, la truite ne semble pas faire la différence puisqu'elle fréquente toujours les abords des cayes. Personnellement, je préfère la marée montante, car cela amène la truite à se déplacer afin de gagner de nouveaux secteurs. Je rappelle que la marée haute peut empêcher l'accès à des chaînes de roches autrement accessibles à marée basse ou semi-basse. Avant de prendre place sur des cayes, il serait sage d'obtenir les heures des marées afin de ne pas se faire prendre par la marée montante.

    La température au bord de la mer est bien souvent plus fraîche. Il faut donc prévoir des vêtements en conséquence, en se rappelant que les teintes foncées doivent être privilégiées. Enfin, je suggère de porter des cuissardes.

Accessibilité, saisons et limites

     L'été dernier, j'ai parcouru en voiture, sur la route principale, tout le secteur compris entre Les Méchins et La Martre, en passant bien sûr par Cap-Chat et Sainte-Anne-des-Monts. Ce secteur compte deux rivières à saumon qui sont aussi reconnues pour la quantité et la qualité des truites de mer qu'elles contiennent. Quand elles quittent leur rivière ou avant de la remonter, ces truites se déplacent en mer, le long des cayes, offrant ainsi de bonnes occasions de pêche.

    Entre Les Méchins et La Martre, c'est un territoire d'une longueur de plus de 50 km qui s'offre aux truites et... aux pêcheurs, car il y a de nombreuses chaînes de roches où ils peuvent prendre place. En quelques endroits, des chemins publics permettent l'accès. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à demander la permission au propriétaire.
Le fleuve Saint-Laurent en aval du pont Pierre-Laporte fait partie de la zone 21. Sous réserve des changements qui pourraient être apportés pour la prochaine saison, je souligne qu'en vertu des principales règles de la pêche au Québec de l'an dernier (édition du 1er avril 1995 au 31 mars 1996), aucun permis de pêche n'était requis pour pêcher dans cette zone. De plus, la pêche des ombles, ce qui comprend la truite de mer, était ouverte toute l'année. La limite de possession était fixée à 15.

Une activité à découvrir et à partager

     Le classique «tour de la Gaspésie» prend véritablement son sens quand on prend la peine de s'arrêter et de profiter de toutes les possibilités de récréation que l'on peut y retrouver.

    La pêche de la truite de mer, en mer, s'ajoute maintenant aux activités déjà existantes. Elle ne requiert qu'un faible investissement de temps, d'argent et d'équipement. Comme elle se déroule dans un cadre enchanteur, celui de la mer, toute la famille peut en bénéficier. Ne manquez donc pas cette occasion unique.

Références

» Texte & Photo: Gérard Bilodeau (Avril 1996).
» Magazine Sentier Chasse & Pêche.
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