Un Géant de la Matapedia

     Depuis trois ou quatre ans, la Matapédia constitue pour mon père et moi la première destination saumon de la saison. C’est au congé de la Saint-Jean-Baptiste que nous allons visiter cette magnifique rivière et, la plupart du temps, nous y obtenons du succès. Comme vous allez le constater, notre excursion de l'année 1997 nous aura réservé une surprise de taille...

Un Géant de la Matapedia
     Pour bien commencer ce séjour, nous avons arrêté notre choix sur une petite fosse non numérotée en amont d'une fosse bien connue : la Salmon Hole. En arrivant sur le bord de la rivière, nous constatons que le niveau de l'eau est très élevé et que le courant est plutôt fort. L'usage d'une soie à bout calant nous semble donc tout à fait approprié. Nous tirons ensuite à pile ou face afin de déterminer qui aura la chance de passer la première mouche dans ces eaux poissonneuses. Le sort me favorisera. Me voilà donc les deux pieds dans l'eau à fouetter une belle « Black Bear Red Butt », appréhendant une tirette à chacun de mes lancers. Pourtant, je couvrirai toute la fosse sans percevoir un quelconque signe de vie du saumon. Je retourne donc m'asseoir sur la grève et j'observe mon père qui termine sa rotation. Vers 6 h, un bruit sourd me sort de ma torpeur et je vois mon père qui vient de ferrer. Quelque chose venait de gober la « Stonefly verte »...

     Je mets ma canne à l'abri, prends l'épuisette puis descends le rejoindre. Le saumon donne quelques coups de tête au début du combat puis il reprend sa place au centre de la rivière et ne bouge plus du tout. Nous essayons de le forcer sous différents angles, pas moyen de le faire broncher. C'est à se demander s'il sait qu'il est ferré. Chose certaine, vu de l'extérieur, cela ne semble pas lui causer de problème. Au bout de vingt minutes, nous décidons de tenter de le provoquer en lui lançant un caillou. Je m'avance donc dans la rivière puis je lance une pierre en sa direction. À ce moment, l'express de 6 h 20 en direction de Salmon Hole décolle. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, notre énergumène était rendu à Salmon Hole, à quelque 150 mètres de notre position. C'est dans l'eau aux genoux que nous le poursuivons. Arrivés à sa hauteur, il recommence son petit jeu ; il se stationne dans le centre de la rivière puis il ne bouge plus. C'est centimètre par centimètre que nous réussissons à le ramener vers nous. Il restera à cet endroit presque quarante minutes. Lorsqu'il arrive à une quinzaine de mètres de notre position, il décide de descendre jusqu'au milieu de la fosse. Nous n'avons d'autres choix que de le suivre. Cette poursuite sera digne des pires épreuves de Fort Boyard. Les abords de la fosse du côté de la route sont presque impraticables. C'est à travers les branches, les grosses pierres et les crans que nous tentons de nous faufiler. À un certain moment, mon père glisse sur le cran et je m'empresse de l'agripper par les bretelles de ses bottes. Pour l'aider à se relever, je dois aussi prendre la canne...

     Imaginez donc un peu la situation, un homme en équilibre sur une roche, qui tient d'une main une canne attelée sur un saumon au poids imposant, et de l'autre, un homme de plus de 200 livres ! Alors que nous étions à nous sortir de cette situation difficile, voire périlleuse, nous apercevons notre beau saumon faire un saut majestueux. Voilà une heure et quinze minutes que mon compagnon est connecté et nous apercevons la bête pour la première fois. Ensuite, celui-ci réussit à nous faire descendre jusque dans le bas de la fosse. À cet endroit, il y a moins de courant et nous pouvons constater que le saumon se fatigue beaucoup plus rapidement. Il nous flanquera une dernière frousse en allant se promener à la limite de la fosse. Par contre, en le forçant à la limite, mon père réussit à lui faire rebrousser chemin. Il s'en vient dans notre direction, je descends dans l'eau et, à son premier passage, je réussirai à le puiser. Je regarde ma montre ; elle indique 8 h...

     Nous avons lutté pendant deux heures contre ce monstre argenté qui mesurait 46 po et demi et qui pesait 32 lb. Nous sommes à bout de forces et trempés par la sueur. Je dois ajouter que nous ne sommes ni l'un ni l'autre de grands buveurs de bière. Par contre, même si nous n'avions pas encore déjeuné et sans vouloir leur faire de publicité gratuite, les deux Molson Ex dégustées ce matin-là étaient délicieuses...

références

» Texte et photo Christian Landry
» Saumons illimités, Automne 1999.
Page 4 sur 5