deuxième partie
L'UTILISATION DU CANOT
I. LES ACCESSOIRES ET LEUR MANIEMENT
Les voyageurs du XIXe siècle, qui assuraient le ravitaillement et le transport des fourrures des postes de traites de l'Ouest avaient comme principal moyen de propulsion de leurs canots, des avirons de bois. Quelquefois, sur les grands lacs, on utilisait la voile lorsque le vent était favorable. En montant les cours d'eau, quand il n'était plus possible d'avironner, â cause du courant trop fort des rapides ou d'autres obstacles, « les maîtres » préféraient mettre pied à terre et faire du portage. On raconte même que, sur plusieurs rivières, on devait faire autant d'heures de portage que d'aviron. C'est pourquoi, l'image que nous nous faisons des canotiers est celle d'avironneurs. D'autre part, aujourd'hui, il est rare que nous voyons les sportifs, adeptes de canots légers, faire usage d'autres moyens manuels de propulsion que l'aviron. On oublie trop souvent que sur bon nombre de rivières du Québec, de l'Est du Canada et de la Nouvelle-Angleterre, un autre moyen de propulsion est très répandu, soit celui de la perche.
Sur la plupart des rivières de la Gaspésie, on emploi comme principal moyen de propulsion du canot une perche de bois appelée pôle. Son usage, grandement conditionné par l'état du fond de la rivière, est répandu surtout là où il devient problématique ou impossible d'employer l'aviron. En général pour justifier l'usage de la pôle, il faut que le lit de la rivière soit en gravier ou recouvert de roches. Une rivière à fond mou ou vaseux retient par succion la perche, ce qui annule pratiquement la force de propulsion du pôleur. Bien sûr, la profondeur de la rivière peut être un obstacle à l'usage de la perche. Mais les canotiers trouvent toujours un endroit où l'eau est moins creuse, par exemple en longeant la rive. On garde toujours une paire d'avirons à bord pour contourner cette difficulté. La rivière Bonaventure a un fond de gravier.
A. La pôle
Dans les rapides, la force et la vitesse du courant vers le bas annule une partie de la force de poussée donnée par le bras à l'aviron. La pôle permet une propulsion relativement aisée du canot vers l'avant même en eau rapide; ayant son point d'appui au fond de la rivière, elle permet une force de poussée continue. L'usage de la perche réduit donc à peu de cas la nécessité de portager. Le pôlage constitue un travail dur, mais compte-tenu du travail nécessaire au portage, les Gaspésiens préfèrent la pôle.
D'une façon générale, l'apprentissage du maniement de la pôle requiert plus d'entrainement que celui de l'aviron. Le pôleur se tient debout et doit apprendre à garder son équilibre, ce qui n'est pas toujours facile dans une embarcation étroite et instable comme un canot. D'autre part, comme le canot est habituellement conduit par deux pôleurs, un â chaque extrémité, les pieds sont à l'étroit dans la pince. Les hommes de canot à Bonaventure savent enseigner très tôt à leurs enfants l'art de manier la pôle.
Dans le village, les bons canotiers se reconnaissent souvent de père en fils. Il est possible aussi â un canotier seul de pôler un canot. Dans ce cas la place du pôleur est à l'arrière, à la hauteur de la dernière barre. Contrairement à ce qu'on serait porté à croire, les pôleurs font toujours face à l'avant et portent leur perche du même côté du canot. Par exemple, si deux pôleurs remontent un cours d'eau, ils longent habituellement la rive, d'un côté ou de l'autre, selon la profondeur de l'eau; mais toujours, ils tiennent leur pôle du côté de la rive qu'ils longent : s'ils sont sur la rive gauche, ils pôlent à gauche du canot, s'ils sont sur la rive droite, ils pôlent à droite du canot (fig.62). Le mouvement de poussée de la perche se fait simultanément et dans un axe parallèle à la quille du canot. Pour tourner ou gouverner, il suffit de piquer la pôle de côté.
Contrairement aussi â la croyance populaire, il est plus dangereux et difficile de descendre un cours d'eau que de le monter. Un canot chargé par exemple, de la dimension du canot « de Gaspé », ne s'arrête pas facilement.
Heurter une roche à fleur d'eau peut ruiner l'embarcation. On a vu des canots se briser en deux. Dans la descente, la pôle est utilisée pour garder le canot parallèle au fil de l'eau et pour le ralentir si c'est nécessaire.
Les canotiers ont l'habitude de fabriquer eux-mêmes leur pôle. Contrairement à l'aviron, ils peuvent, en cas d'urgence, en trouver à peu près partout le long des cours d'eau. Cependant, les canotiers sont plus prévoyants et se gardent toujours des perches de rechange. Une perche qui a séché est moins flexible et plus légère. Au cours de leurs randonnées en forêt, les hommes de canot savent repérer un arbre sain, droit et fin qui puisse fournir une telle pôle. Le meilleur arbre est une épinette très haute, sans branche dans sa partie du bas, et d'environ deux pouces (5 centimètres) de diamètre à la souche (fig.46). Après l'avoir coupée, il suffit de lever l'écorce avec une hache et de la laisser sécher. La surface pourra ensuite être dégrossie avec un couteau de poche, une plane ou un rabot, et finalement adoucie avec un papier sablé (fig.47). Autrefois, pour cette dernière opération, on utilisait un morceau de vitre.
La longueur d'une pôle se situe, en moyenne, entre neuf et dix pieds (2.7 et 3.1 mètres), selon la grandeur du canotier. Au talon de la perche, on fixe solidement une pointe de fer appelée sabot (fig. 48), attachée â l'aide de vis ou de clous. Ce sabot, lorsqu'il heurte le gravier au fond de la rivière, émet un son clair qui porte à plusieurs centaines de pieds. Les chasseurs, Si l'affût dans leur canot, utilisent pour se mouvoir silencieusement sur l'eau, des perches sans sabot, ou encore se servent de l'autre extrémité de la perche.
Figure 46

LE SABOT
Une perche de neuf à dix pieds (2.7 3 3.1m) de longueur et grosse de un pouce ou un pouce et demi (2.5 ou 3.8cm) selon le désir du pôleur. On ajoute une pointe en fer nommée sabot; autrement, l'extrémité de la perche finirait par s'écraser et rendrait le bois glissant sur les roches...
Figure 46a

LA PLACE A POLE
Ainsi appelée à cause du grand nombre de petits épinettes propres à la confection de perches pour le canot.
Figure 47

CONFECTION DE LA POLE
On lève l'écorce de l'arbre à la hache. Ensuite, quelques coups de rabot et de plane pour adoucir le bois.
Un canot de vingt-quatre pieds (7.3 mètres) de longueur avec une charge moyenne n'obéit pas facilement a la gouverne de l'aviron même avec deux canotiers à son bord et il est plus sûr, à cause du débit d'eau rapide de la rivière Bonaventure, d'employer la perche. Cependant, à certains endroits, l'eau profonde rend plus avantageux l'usage de l'aviron surtout lorsque le canot doit louvoyer. En général, l'aviron n'est utilisé que dans les descentes, jamais pour remonter la rivière, et seulement lorsque le canot est allège. Pour la pêche dans la moitié sud de la rivière, la charge moyenne d'un canot de pêche est assez légère, soit deux guides, un sport et son équipement et le goûter du midi. Aussi trouve-t-on dans ce secteur une paire d'avirons dans la plupart des canots de pêche. On donne aussi le nom de pagaie, à l'aviron.
La longueur d'un aviron est déterminée par le goût et la taille du voyageur. L'aviron utilisé â l'avant du canot est plus court que celui que l'on emploie à l'arrière, parce que le pagayeur avant est assis sur la barre qui, elle, se situe à environ cinq pouces (13 cm) plus bas que le plat-bord. Celui qui avironne à l'arrière est assis sur le pont. L'aviron doit être assez long pour éviter au canotier de plier l'échine lorsqu'il avironne. La longueur de la pale de l'aviron est déterminée en partie par la dimension du canot. Cependant, l'usage restreint de l'aviron rend les canotiers de Bonaventure peu exigeants sur ce point; on se contente d'un engin bien balancé, léger, solide et suffisamment long. Les fabricants de la région connaissent les exigences de leurs clients. A Bonaventure, Donat Arsenault fabrique encore des avirons, mais â cause de son âge avancé, il le fait uniquement pour les vieux canotiers de ses amis.
Nous avons eu l'occasion de l'observer à l'oeuvre. « Le premier secret, nous disait-il, c'est de trouver un bois sain, d'excellente qualité, sans nœud » (Interview avec Donat Arsenault, notes manuscrites, 23-4-75.). Les critères de sélection du bois viennent avec l'expérience. L'artisan commence la fabrication avec un étalon qui lui sert à tracer le contour de son aviron sur une planche de merisier jaune (Betula lutea) d'au moins un pouce et demi (3.8 centimètres) d'épaisseur par sept pouces (18 centimètres) de largeur. Puis la planche est placée dans un étau. Après avoir coupé le contour à la scie, il fait le travail de dégrossissement avec un rabot, jusqu'à l'épaisseur désirée (fia.49). Il se sert ensuite d'une plane, dite aussi spoke-shave, pour former et dégrossir le contour de la pale et de la poignée (fig.50). Donat Arsenault a ses propres critères d'appréciation qui lui permettent de juger du moment précis où son travail est terminé. Pour lui, trop d'avirons sur le marché actuel sont esthétiquement bien finis, mais de mauvaise qualité. « Ce qui compte beaucoup, dit-il, ce n'est pas l'œil mais le toucher. C'est là que vous savez si vous avez ou non un bon aviron" » (Idem.) La renommée de ses avirons dans la région ne démentir pas ses critères d'appréciation. Sur deux avirons qu'il a fabriqués pour un canot, les dimensions de la pale étaient les mêmes : six pouces et quart (16 cm) de largeur et cinq-huitièmes (1.4 cm) d'épaisseur au milieu. De l'extrémité de l'aviron jusqu'au point de naissance du manche, la pale se rétrécit graduellement; elle a 28 pouces (70 cm) de longueur. La longueur hors tout de l'aviron arrière était de 66 pouces (1.7 m) tandis que l'aviron avant mesurait soixante et un pouces (1.5 m) de longueur.
Figure 49

L'AVIRON
On trace le contour de l'aviron avec un étalon. La longueur du manche peut varier au goût de l'avironneur.
Figure 50

L'AVIRON
Le plane, le rabot et l'adresse de l'artisan font le reste. Pour adoucir la poignée de l'aviron, comme travail de finition, on se sert encore parfois d'un morceau de verre plutôt que de papier sablé.
Tous les canots de pêche sont munis d'un système d'ancrage qui permet de les immobiliser au milieu de la rivière sur les pools à saumon. Contrairement aux embarcations de mer, l'ancre du canot ne comporte pas de grapin; c'est une masse circulaire qui peut rouler facilement au fond de l'eau sur le gravier (fin.51). Lorsque le canot de pêche est utilisé sur une rivière, il doit être déplacé fréquemment sur de courtes distances vers l'aval. Au lieu de lever l'ancre à chaque fois, une simple traction sur la corde d'ancrage suffit à décrocher l'ancre et à la faire rouler de plusieurs pieds sur le fond. L'air d'aller du canot emporté par le courant fait que l'embarcation avance encore de quelques pieds avant que l'ancre réussisse à l'immobiliser. Selon la vitesse du courant, chaque traction sur la corde permet de déplacer le canot d'une longueur de dix à vingt pieds (3 à 6 mètres). Autant de fois on répète le manège, autant on peut augmenter la distance de déplacement. Pour arriver à un bon résultat, le poids de l'ancre doit être proportionné à la grosseur du canot pour équilibrer la force du tirant d'eau. Aux dires de la plupart de nos informateurs, il faut un poids d'environ une livre (0.45 kilogrammes) par pied (0.31 mètres) de longueur du canot, soit vingt-quatre livres (10.8 kilogrammes) pour un canot de vingt-quatre pieds (2.3 mètres).
Henri Arsenault, canotier sur la rivière Bonaventure, nous expliquait que l'ancre était faite d'une roche ronde qu'on nommait autrefois la pioche. On la nommait ainsi pour la distinguer de la pi casse, uti1isée par les pécheurs côtiers pour ancrer leur embarcation ou leur filet. L'expression le « gars à la pioche » désignait le second guide à bord du canot par opposition au maître-canot. Aujourd'hui, la plupart des ancres sont faites d'une masse de métal, fonte, fer, plomb, munies d'une vire-voie qui empêche la corde d'attache de se tordre.
Figure 51

LA PIOCHE
Autrefois, on utilisait une roche ronde pour ancrer le canot. Aujourd'hui, la plupart des ancres sont faites d'une masse de métal, fonte, fer, plomb, dont l'anneau d'attache est muni d'une vire-voie qui empêche la corde de se tordre.
Figure 52

LE TAQUET
Crochet de bois ou de métal, à deux branches, qu'on attache sur une barre ou, à l'intérieur, sur le carreau, pour y amarrer l'ancre.
Dans la plupart des canots de pêche se trouve un banc à dossier, amovible, qu'on place entre les deux barres centrales du canot pour accomoder le pêcheux. L'usage de ce banc supplémentaire remonte à l'époque des pirogues dans lesquelles il n'y avait pas de siège. Les sports, souvent des gens âgés, supportaient difficilement une longue journée debout ou assis au fond du canot. On leur fit donc un siège à dossier dont l'usage s'est vite répandu parmi les pêcheurs de la région. Monté sur deux planches parallèles qui servent de pieds, le siège du banc est bas, soit à la hauteur des barres du canot. Le dossier est monté sur des charnières et se plie vers l'avant; il est ainsi plus facile à transporter. Le nom est resté, et aujourd'hui encore, on réclame le banc du sport.
E. La marotte
On trouve encore dans la pince du canot de pêche, sous le pont, une sorte de petite massue en bois qui sert à assomer le saumon d'un coup sur la tête une fois qu'il est dans la puise ou au fond de l'embarcation (fig.54). C'est la marotte, appelée aussi prêtre, pour signifier, de dire Simon Poirier, « que c'est la dernière cérémonie, l'administration des derniers sacrements » (Interview avec Simon Poirier, doc. ma., GAU-10-8-77.)
FIGURE 53

LES SKIDS A CANOT
Pour protéger le fond du canot contre les roches, on le glisse sur des skids faits avec des arbres déracinés, trouvés er forêt.
FIGURE 54

LA MAROTTE
Servait à immobiliser le saumon d'un coup sur la tête. Le bat était appelé aussi le prêtre pour signifier qu'on allait administrer « les derniers sacrements » au saumon.
L'arrivée du moteur hors-bord à la fin des années cinquante a apporté des modifications considérables aux techniques traditionnelles d'utilisation du canot. Là où est utilisé le moteur, l'aviron a presque complètement disparu. A l'avant, la pôle demeure cependant indispensable pour gouverner le canot. Elle sert aussi à seconder le moteur dans la remontée des rapides et garde sa fonction de gouverne et de frein dans les descentes. Aujourd'hui, le pôleur n'a plus autant d'effort à fournir qu'autrefois, ce qui a pour conséquence de rendre plus rare les bons pôleurs, principalement chez les jeunes. Plusieurs informateurs âgés pensent que s'éteindra avec eux une ère où le maître-canot jouissait d'une place de choix dans la collectivité. Le travail de canotier est rendu trop facile, disent-ils.
L'usage du moteur a également suscité des changements dans les techniques de construction du canot. A l'apparition des premiers moteurs, les canotiers ont inventé différentes sortes de supports qui s'adaptaient à la pointe arrière du canot (fig. 58). De cette manière, le canot pouvait être utilisé avec ou sans moteur. Certains supports en bois étaient amovibles, d'autres en métal étaient fixés à l'étrave ou au carreau.
Depuis une quinzaine d'années, les constructeurs de Bonaventure fabriquent des canots à pointe carrée en arrière. Aujourd'hui, plus de la moitié de ceux qu'on voit sur la rivière sont ainsi faits. Selon le constructeur Donat Arsenault, cette modification ne change rien aux caractéristiques principales du canot original. Nous avons pu constater au cours de nos observations qu'il y a, en effet, peu de changement, excepté le poids supplémentaire des structures de renforcement qu'il est nécessaire d'ajouter.
Le montage du canot à moteur se fait exactement de la même façon que le canot à deux pointes jusqu'au moment de la pose du second rang de bordés. A partir de là, l’étrave arrière a été modifiée pour devenir l'étambot. La rainure creusée dans l'étrave s'arrête à la hauteur du second rang de bordé, (fig. 55). On attache ensuite sur le dos de l’étambot à la hauteur du deuxième bordé une épaisse planche de bois qu'on nomme le tablier ou l'écu, sans doute à cause de sa forme. Ce panneau en épi nette, bois plus dur que le cèdre, servira de support au moteur. Pour faciliter le pliage en double courbe de l'extrémité du troisième bordé qui s'attache à l’écu, les Arsenault utilisent un gabarit en bois dur nommé pince de pliage (figs.12 et 56). Cet instrument a été inventé pour résoudre quelques problèmes qui ont surgi au cours du montage des premiers canots à moteur : difficulté de plier à la main une planche en double courbe même après qu'elle eut été chauffée à la vapeur, bris des bordés, amincissement de la courbure de cette nouvelle ligne donnée au canot, parce que la forme de l'écu avait tendance à faire renfler les fesses du canot. Le reste du montage des bordés se fait de la même manière que le canot à deux pointes. Le bord de la planche où se fait le joint à clins est coupé en biseau pour garantir l'étanchéité du joint. Quand le canot est terminé, on ne place pas de pont mais un siège à une distance de six pouces (15 cm) de l'écu et à trois pouces (7.5 cm) plus bas que le carreau. L'espace libre entre le siège et l'étambot permet une manipulation facile des écrous de fixation du moteur au panneau de support.
Le montage du canot à moteur se fait exactement de la même façon que le canot à deux pointes jusqu'au moment de la pose du second rang de bordés. A partir de là, l’étrave arrière a été modifiée pour devenir l'étambot. La rainure creusée dans l'étrave s'arrête à la hauteur du second rang de bordé, (fig. 55). On attache ensuite sur le dos de l’étambot à la hauteur du deuxième bordé une épaisse planche de bois qu'on nomme le tablier ou l'écu, sans doute à cause de sa forme. Ce panneau en épi nette, bois plus dur que le cèdre, servira de support au moteur. Pour faciliter le pliage en double courbe de l'extrémité du troisième bordé qui s'attache à l’écu, les Arsenault utilisent un gabarit en bois dur nommé pince de pliage (figs.12 et 56). Cet instrument a été inventé pour résoudre quelques problèmes qui ont surgi au cours du montage des premiers canots à moteur : difficulté de plier à la main une planche en double courbe même après qu'elle eut été chauffée à la vapeur, bris des bordés, amincissement de la courbure de cette nouvelle ligne donnée au canot, parce que la forme de l'écu avait tendance à faire renfler les fesses du canot. Le reste du montage des bordés se fait de la même manière que le canot à deux pointes. Le bord de la planche où se fait le joint à clins est coupé en biseau pour garantir l'étanchéité du joint. Quand le canot est terminé, on ne place pas de pont mais un siège à une distance de six pouces (15 cm) de l'écu et à trois pouces (7.5 cm) plus bas que le carreau. L'espace libre entre le siège et l'étambot permet une manipulation facile des écrous de fixation du moteur au panneau de support.
Selon le constructeur, les transformations apportées conservent au canot ses caractéristiques originales. Rien n'est changé à la ligne de flottaison qui demeure la même que sur le canot à deux pointes. La courbure de l'étambot, sous l'écu, est la même que celle de l’étrave d'en avant. Si le canot est utilisé avec les pôles, sans moteur, les performances seront approximativement les mêmes. Cependant une légère différence sera notée à l'usage de l'aviron en arrière parce que le siège est trop bas et aussi parce que la largeur de l'écu entrave quelque peu le maniement de l'aviron. Mais, comme nous l'avons mentionné, compte-tenu de l'utilisation limitée de l'aviron sur la rivière Bonaventure et sur la plupart des rivières de la Gaspésie, cette imperfection ne sera pas retenue comme un inconvénient par les canotiers.
figure 55

L’ETAMBOT
L'étrave arrière a été modifiée pour permettre la pose du tablier qui supporte le moteur. La rainure, creusée dans l'étambot, s'arrête à la hauteur du second rang de bordé puisqu'à partir de là, les bordés seront attachés au tablier.
Figure 56

LE TABLIER
On coupe le dos de l'arrête extérieure de l'étrave en ligne droite verticale pour s'assurer que le tablier soit perpendiculaire à la ligne de flottaison du canot. Les bordés 3, 4 et 5 seront cloués à l'arrête du tablier. La ligne de flottaison, qui se situe à la pointe sous le deuxième bordé, sera la même que sur le canot à deux pointes.
Figure 57

SUR LA RESERVE INDIENNE
Un Indien Micmac (3 droite) de la réserve de Maria, à l'embouchure de la rivière Grande Cascapédia, avec son canot « de Gaspé ». On ne construit plus de canots d'écorce sur la réserve. Au moment de notre visite, il était en train de préparer son canot pour la saison : enlever la vieille peinture à l'intérieur et à l'extérieur avec un grattoir et une brosse d'acier. Il suffira de repeindre le canot pour qu'il soit bon encore pour 3 ou 4 ans. Ce canot a été construit à Bonaventure par Donat Arsenault.
Figure 58

II - LES USAGES ET MODES D'UTILISATION DU CANOT
Pendant quelques années après la Déportation des Acadiens de 1755, sachant que beaucoup de Français s'étaient enfuis dans les bois pour ne pas être déportés, les Anglais continuèrent à leur donner la chasse, en goélette surtout, le long des côtes du golfe-St-Laurent et de la Baie des Chaleurs. Les troupes anglaises touchaient une prime pour chaque prisonnier acadien. C'est pour cette raison que, selon la tradition orale, les pionniers fugitifs avaient besoin d'embarcations pour échapper aux poursuites. Comme le dit Bona Arsenault dans son histoire des Acadiens : « (Ils) s'installaient de préférence aux embouchures des rivières, pour mieux y dissimuler leurs barques de pêche et leurs canots d'écorce... Ils pouvaient, en un tour de main et au moindre signe de danger, sauter dans leurs canots et transporter leurs femmes et leurs enfants en sécurité, dans le haut de ces rivières, en des lieux habilement camouflés » (Arsenault, Bona. Histoire des Acadiens, pp.215-216.)
Mais les canots allaient servir surtout de moyen de transport pour circuler sur la rivière en quête d'un endroit propice pour pêcher le saumon ou la truite ou pour avoir accès au territoire de chasse : « Ces embarcations étaient indispensables aux réfugiés de la Baie des Chaleurs puisque pendant de longues années, le gibier de la forêt, les poissons d'eau douce et les produits de la mer furent leur principale source de subsistance » (Ibid.)
Mais les canots allaient servir surtout de moyen de transport pour circuler sur la rivière en quête d'un endroit propice pour pêcher le saumon ou la truite ou pour avoir accès au territoire de chasse : « Ces embarcations étaient indispensables aux réfugiés de la Baie des Chaleurs puisque pendant de longues années, le gibier de la forêt, les poissons d'eau douce et les produits de la mer furent leur principale source de subsistance » (Ibid.)
En 1767, Charles Robin note la présence de plusieurs navires, en rade dans le barachois, venus chercher des chargements de bois de navire, dont surtout des mats. Selon Robin, ces mats ont été coupés par les colons de l'endroit à environ sept lieux de l'embouchure de la rivière : « The masts above mentioned were cut down by the Planters two years ago on account of Moore & Findlay & Montgomery Co., they paid them 12 sols per foot besides the squaring of them on 8 Faces. There was in ail 900 cut down, many of them are 70 feet long and big in Proportion, they are ail Red Pine »
Les mâts, mentionnés plus haut, furent coupés il y a deux ans par les colons, pour le compte de la compagnie Moore & Findlay & Montgomery : ils les ont payés 12 sols le pied, incluant l'équarissage sur 8 faces. Il y en avait 900, en tout, de coupés, beaucoup d'entre eux ont 70 pieds (21.3 mètres) de longueur et leur grosseur est en proportion; ils sont tous en pin rouge. Revue d'histoire de la Gaspésie, Vol. II, no 3, juillet-septembre 1964, p. 142.
Comme le mentionne ultérieurement Robin dans sa correspondance, il semble que ces pins aient été coupé à un endroit qu'il appelle : « The Red Pinery, seven leagues up the Bonaventure River ». (La pinière rouge, à sept lieux en amont sur la rivière Bonaventure » : Revue d'histoire de la Gaspésie, Vol. II, no 3, p. 143.). Or, à cette époque, il n'y avait pas de chemin et ces billots ne pouvaient être transportés vers les navires que par la rivière au printemps. Comme nous le verrons plus loin, le canot était nécessaire pour faire la drave sur la rivière Bonaventure. Cependant, nous ne connaissons pas le type de canot qu'ont pu utiliser les draveurs de l'époque. D'autre part, il est difficile d'établir pour la période allant jusqu'au dernier quart du XIXe siècle, lequel des facteurs d'utilisation du canot, chasse, pêche ou drave a été le plus important. Mais depuis l'arrivée à Bonaventure des premiers pêcheurs sportifs, le canot de pêche a graduellement pris de l'importance pour devenir depuis cette période le gagne-pain de plusieurs fermiers de la région. En même temps s'établissait un cycle saisonnier qui allait permettre aux canotiers de vivre leur métier (fig.59).
Figure 59

LE CYCLE DES SAISONS
La préparation du canot au printemps, l'entreposage à l'automne, correspondent à des rites de passage entre l'hiver et l'été. Le canot libère l'homme de l'emprise de l'hiver pour le replonger dans ses activités vitales; une fois la saison terminée, lorsqu'on le retire de l'eau, il marque le commencement d'une période de repos.
Le canot de bois de cèdre s'est révélé suffisamment robuste pour servir à la drave sur quelques rivières de la Gaspésie. Cette embarcation était un peu plus large et plus longue que le canot décrit plus haut : entre 40 et 42 pouces (100 et 105 centimètres) de largeur et de 26 à 28 pieds (8 à 8.6 mètres) de longueur. Indispensables au travail du draveur, deux â quatre canots étaient habituellement en service dans chaque équipe. Tantôt affecté au transport ou au déménagement des campements, le canot était utilisé aussi à différentes taches pour faciliter le travail des draveurs comme le mentionne l'informateur, Élide Poirier : « On allait sur la drave puis quand il y avait un center jam, quand la jam est défaite, le gars reste là, lui. On avait le canot pour aller le ramasser puis le mener à terre ou à une autre jam. Les canots du bonhomme Félix étaient faits plus gros pour la drave. La rivière était ronde, bien souvent, bien rouge, bien haute. Çà prenait de quoi de safe » (GAU-52-5.)
Le canot servait aussi â transporter les hommes à leur lieu de travail le matin et a les cueillir le soir. Habituellement, la moitié de l'équipe travaillait de l'autre côté de la rivière. Le canot pouvait porter huit ou neuf hommes. Pendant la journée, on traversait aussi les draveurs sur les îles ou au milieu de la rivière où s'accumulait le bois. Après que le pont de bois était passé, c'est avec les canots qu'on faisait la rear ou la sweep : « On descendait un canot de chaque côté avec un homme ou deux à bord avec nous autres puis on poussait les derniers billots qui restaient le long du bord ici et là » (Interview avec Lorenzo Poirier, GAU-30-2.)
On employait parfois les canots-déménageurs pour faire la récupération des billots. Cependant, lorsque l'équipe était nombreuse, certains canots étaient affectés uniquement au transport des campements, tentes et nourriture. C'était là une des responsabilités du canotier : surtout lorsque la descente des billots, favorisée par un niveau d'eau plus élevé, se faisait rapidement, puisqu'il fallait déménager plus souvent.
« Les canots qui déménageaient, des fois ça prenait deux canots puis des fois trois. Ils faisaient seulement çà. Puis ils s'occupaient de faire du bois, pitcher les tentes, puis toutes ces affaires-là. On déménageait des fois une fois par semaine puis des fois plus » (Idem.)
Une équipe de travail comptait une quinzaine d'hommes et le campement comprenait plusieurs tentes. La principale était assez grande pour contenir une table pour les repas. Une autre tente, nommée la coukerie, servait à faire la cuisine. Les hommes dormaient dans une autre. En moyenne, une tente avait douze pieds (3.6 mètres) de largeur par quinze pieds (4.5 mètres) de longueur. La vie était rude. Pourtant, nous disait Lorenzo Poirier, « dans ce temps-là, on trouvait pas çà dur, on connaissait pas mieux » (Idem.)
Outre les souvenirs évoqués, des pieds mouillés pour la journée, des mains gelées sur la pôle couverte de glace presqu'à tous les matins, des dangers de tous les instants d'une rivière aux écarts, du risque de voir l'embarcation heurtée par les billots lancés dans le courant tumultueux, il y a aussi de la place pour se rappeler le bon pain cuit sur une batture de la rivière : « J'ai fait une draye, avec un canot qu'on couchait â la belle étoile, pas de tente. On couchait au pied d'un arbre. Le couke nous faisait du pain dans un grand chaudron de fer. On faisait un beau grand feu dans le sable, puis quand c'était bien chaud, il creusait puis il mettait la pâte dans le chaudron et il abrillait çà de cendre. Le chaudron était bien couvert. Çà cuisait avec la braise. Il nous faisait le meilleur pain que tu es pas capable de manger. Il faisait du bon pain de cette manière-là » (GAU-52-6.)
Le pain que l'on cuisait hors de la maison se faisait de différentes manières; et les procédés pouvaient varier selon qu'on cuisait le pain en été ou en hiver. (Dupont, Jean-Claude. Le pain d'habitant, pp.49 3 60.)
B. La pêche
Dans la dernière semaine de mai, une équipe de maîtres-guides montaient aux clubs préparer les lieux pour l'arrivée prochaine des premiers pêcheurs. Auparavant, au cours du printemps, le chef-guide avait pris les arrangements pour faire remplir la bâtisse à neige de glace et de neige (figs.60 et 61). C'est là qu'on conservait les aliments périssables nécessaires pour nourrir les pêcheurs et les canotiers. On y entreposait aussi le poisson pris au cours de l'été. Autrefois, la montée se faisait par la rivière. « Ils avaient pas de chemin pour aller au club, ils (canotiers et pêcheurs) montaient en canot » (14. GAU-25-3.)
Dans la dernière semaine de mai, une équipe de maîtres-guides montaient aux clubs préparer les lieux pour l'arrivée prochaine des premiers pêcheurs. Auparavant, au cours du printemps, le chef-guide avait pris les arrangements pour faire remplir la bâtisse à neige de glace et de neige (figs.60 et 61). C'est là qu'on conservait les aliments périssables nécessaires pour nourrir les pêcheurs et les canotiers. On y entreposait aussi le poisson pris au cours de l'été. Autrefois, la montée se faisait par la rivière. « Ils avaient pas de chemin pour aller au club, ils (canotiers et pêcheurs) montaient en canot » (14. GAU-25-3.)
Figure 60

LE DECOUPAGE DE LA GLACE
Avec une scie à glace, on découpait, sur la rivière, la glace en cubes d'une centaine de livres (45 kilogrammes). Ces derniers étaient manipulés avec des pivis et des pics à glace.
Figure 61

UNE SCIE A GLACE MOTORISEE
En usage sur la rivière Bonaventure vers 1950.
Graduellement, à mesure que les compagnies forestières ouvraient des chemins pour le transport du bois, les canotiers ont pu faire un bout de route en voiture à cheval (fig. 70). C'était plus commode pour transporter le bagage au début de la saison. Après une journée de voiture, il fallait encore mettre le canot à l'eau pour atteindre enfin les camps de pêche. « On partait là où s'arrêtait le chemin puis on pôlait onze milles (632 kilomètres) sans s'arrêter pour se rendre au club. Tout le bagage, sept canots tous chargés (fig.62). Aujourd'hui, on a un beau chemin ». (GAU-51-4.)
La première tâche des canotiers était d'aménager les camps où, avec les sports, ils passeraient la saison. Souvent, les camps des sports étaient logés d'un côté de la rivière, ceux des guides de l'autre.
Pendant cette période, les maîtres-canots vérifiaient et assuraient l’étanchéité de leur embarcation, vérifiaient les accessoires, pôles, avirons, bancs, ancres, cordes, marottes. On vérifiait aussi le matériel de pêche.
D'ordinaire, les canots appartenaient aux maîtres qui recevaient pour la saison une allocation supplémentaire à leur salaire en guise de compensation. Pendant longtemps cette compensation a été de vingt-cinq dollars par année. Le salaire du compagnon était un peu moins élevé que celui du maître.
Lorsque le saumon commençait à monter dans la rivière après les grandes mers de juin, dans la première et la deuxième semaine du mois, les premiers partis arrivaient par le steam boat ou par le train et se faisaient conduire au club. La saison de pêche était commencée.
A partir de ce moment, le travail des canotiers était de conduire les sports sur la rivière pour pêcher le saumon.
« Celui qui était en avant, c'était le maître-guide. Il devait s'occuper de tout le bagage, puis celui d'en arrière était à l'ancre, au poids. Quand on était rendu en place pour pécher, on changeait le canot de bout pour jeter l'ancre. Quand le canot avait changé de bout, le maître se trouvait du bout d'en bas pour pécher » (GAU-51-5.)
La première tâche des canotiers était d'aménager les camps où, avec les sports, ils passeraient la saison. Souvent, les camps des sports étaient logés d'un côté de la rivière, ceux des guides de l'autre.
Pendant cette période, les maîtres-canots vérifiaient et assuraient l’étanchéité de leur embarcation, vérifiaient les accessoires, pôles, avirons, bancs, ancres, cordes, marottes. On vérifiait aussi le matériel de pêche.
D'ordinaire, les canots appartenaient aux maîtres qui recevaient pour la saison une allocation supplémentaire à leur salaire en guise de compensation. Pendant longtemps cette compensation a été de vingt-cinq dollars par année. Le salaire du compagnon était un peu moins élevé que celui du maître.
Lorsque le saumon commençait à monter dans la rivière après les grandes mers de juin, dans la première et la deuxième semaine du mois, les premiers partis arrivaient par le steam boat ou par le train et se faisaient conduire au club. La saison de pêche était commencée.
A partir de ce moment, le travail des canotiers était de conduire les sports sur la rivière pour pêcher le saumon.
« Celui qui était en avant, c'était le maître-guide. Il devait s'occuper de tout le bagage, puis celui d'en arrière était à l'ancre, au poids. Quand on était rendu en place pour pécher, on changeait le canot de bout pour jeter l'ancre. Quand le canot avait changé de bout, le maître se trouvait du bout d'en bas pour pécher » (GAU-51-5.)
Le maître-canot devait, d'autre part, s'occuper du matériel de pêche et de netter le saumon (fig.63). Si le parti, ne savait pas pécher c'était le travail du maître de lui enseigner l'art de pêcher à la mouche.
Figure 62

CANOTIERS A LA POLE
En 1936 (Archives publiques du Canada, P.A., 13216).
Figure 63

LA PECHE AU SAUMON (circa 1930)
Pour pêcher, l'avant du canot est toujours en aval du courant. Le maître-canot, en avant, commande les opérations. C'est habituellement lui qui accroche ou pique le saumon; il laisse ensuite la perche au pêcheux ou sport. (Archives publiques du Canada, PA-48739)
Malgré les maigres salaires et des conditions de travail souvent difficiles, le canotier était heureux de son sort puisque c'était pour lui le seul moyen de gagner un peu d'argent. Avec les années, les conditions de vie se sont améliorées. Aujourd'hui, les canotiers sont logés et nourris aux frais de l'employeur, de même que la journée de travail, qui durait souvent de l'aube jusqu'à la nuit, a été réduite à une durée de huit heures. Les heures supplémentaires sont monnayées sous forme de pourboire.
Même s'il arrivait parfois que les guides reçoivent en cadeau un saumon pour se nourrir, les prises appartenaient aux sports et ne faisaient pas partie du régime d'alimentation quotidien. Cependant, lorsqu'ils s'arrêtaient pour manger, les canotiers savaient choisir un endroit où ils pouvaient facilement prendre quelques truites.
La conservation des prises constituait un problème de taille pour les maîtres-canots qui en avaient la responsabilité. Au début, comme nous l'avons vu, les clubs disposaient parmi les dépendances, de glacières où le saumon pouvait être conservé au frais pendant quelques jours, avant d'être transporté à l'entrepôt frigorifique du village. On en trouve encore quelques-unes aujourd'hui… Le meilleur moyen cependant de conserver le saumon pendant de longues périodes de temps, avant l'arrivée des congélateurs, était de le fumer. La technique du fumage était déjà fort employée par les fermiers-pêcheurs pour la conservation des produits de la mer et des viandes. Plusieurs canotiers possédaient sur leur terre une boucannerie. (Gauthier, Richard. La boucannerie, film documentaire 16mm., couleur, 10 minutes, Centre canadien d'Études sur la Culture Traditionnelle, Musée national de l'Homme, Ottawa, 1976.)
Mais la nécessité de fumer le saumon au bord de la rivière a amené la construction des boucanneries, près des camps de pêche. Pour réduire le danger d'incendie à cause de la proximité de la forêt, on a apporté une variante dans la technique de construction. Au lieu de faire un feu dans la cabane, on plaçait un poêle de fonte à l'extérieur, un peu en retrait. On amenait le bout du tuyau d'échappement de la fumée à l'intérieur de la cabane (fig. 64). De cette façon, le feu était mieux contrôlé.
Dans son ouvrage, La vie traditionnelle du coureur de bois aux XIXe et XXe siècles, Normand Lafleur décrit, comme suit, une variante de la boucannerie : « Lorsqu'on fumait » à la maison, on construisait une cabane en planches à toit ouvert. Le feu était soit à l'intérieur de la cabane soit au pied d'une butte. Un « tuyau de poêle » se chargeait alors de conduire la fumée à la cabane » (Ibid., pp.153-154.)
Même s'il arrivait parfois que les guides reçoivent en cadeau un saumon pour se nourrir, les prises appartenaient aux sports et ne faisaient pas partie du régime d'alimentation quotidien. Cependant, lorsqu'ils s'arrêtaient pour manger, les canotiers savaient choisir un endroit où ils pouvaient facilement prendre quelques truites.
La conservation des prises constituait un problème de taille pour les maîtres-canots qui en avaient la responsabilité. Au début, comme nous l'avons vu, les clubs disposaient parmi les dépendances, de glacières où le saumon pouvait être conservé au frais pendant quelques jours, avant d'être transporté à l'entrepôt frigorifique du village. On en trouve encore quelques-unes aujourd'hui… Le meilleur moyen cependant de conserver le saumon pendant de longues périodes de temps, avant l'arrivée des congélateurs, était de le fumer. La technique du fumage était déjà fort employée par les fermiers-pêcheurs pour la conservation des produits de la mer et des viandes. Plusieurs canotiers possédaient sur leur terre une boucannerie. (Gauthier, Richard. La boucannerie, film documentaire 16mm., couleur, 10 minutes, Centre canadien d'Études sur la Culture Traditionnelle, Musée national de l'Homme, Ottawa, 1976.)
Mais la nécessité de fumer le saumon au bord de la rivière a amené la construction des boucanneries, près des camps de pêche. Pour réduire le danger d'incendie à cause de la proximité de la forêt, on a apporté une variante dans la technique de construction. Au lieu de faire un feu dans la cabane, on plaçait un poêle de fonte à l'extérieur, un peu en retrait. On amenait le bout du tuyau d'échappement de la fumée à l'intérieur de la cabane (fig. 64). De cette façon, le feu était mieux contrôlé.
Dans son ouvrage, La vie traditionnelle du coureur de bois aux XIXe et XXe siècles, Normand Lafleur décrit, comme suit, une variante de la boucannerie : « Lorsqu'on fumait » à la maison, on construisait une cabane en planches à toit ouvert. Le feu était soit à l'intérieur de la cabane soit au pied d'une butte. Un « tuyau de poêle » se chargeait alors de conduire la fumée à la cabane » (Ibid., pp.153-154.)
La saison de pêche se terminait vers la mi-août, période à laquelle le saumon commençait à frayer. Les canotiers, oui possédaient pour la plupart une ferme, retournaient alors sur leur terre pour aider aux récoltes, en attendant de reprendre le canot vers la mi-septembre pour la chasse d'automne.
Figure 64

LA BOUCANNERIE
Le fumage, lié de près au salage, est pratiqué pour la chair animale porc, orignal, caribou, mais surtout pour le poisson, saumon, hareng, morue.
Figure 65

LE POELE A CANOT
Appelé aussi poêle de tente ou poêle de tôle. Léger, il se transportait aisément en canot ou en traîneau. Son tuyau, coupé en courtes sections, se plaçait à l'intérieur pour le transport.
Après la pêche, qui avait duré de la mi-juin à septembre, la chasse paraît avoir été le principal facteur d'utilisation du canot de Bonaventure. La raison en est simple; toute la partie septentrionale de la rivière, à partir de la limite des terres cultivées, constituait un riche territoire où l'on pouvait chasser le castor, le loup-cervier, le pécan, la loutre, le vison, la martre, la belette, le caribou, le chevreuil, l'orignal, le lièvre, la perdrix etc. A l'époque de la fondation de Bonaventure, ce sont les fruits de la chasse et de la pèche surtout qui ont assuré la subsistance des premiers habitants. Malgré les efforts des cultivateurs, la Gaspésie n'a jamais été qu'une région d'agriculture de subsistance. Les fermiers du XIXe siècle à Bonaventure possédaient un nombre limité d'animaux domestiques dont ils pouvaient disposer pour faire boucherie. Bon nombre d'entre eux étaient heureux de pouvoir profiter d'une ressource alimentaire additionnais sur laquelle ils pouvaient compter. Comme nous le raconte Lorenzo Poirier, le canot était nécessaire pour se rendre sur ces terrains de chasse, parce que les chemins n'existaient pas : « Ici, on montait à la chasse par la rivière. C'était tout à la pôle. C'était la manière de monter et c'était le seul chemin qu'on avait si on voulait monter dans le Haut de la rivière, dans ce temps-là. A part de ça, il y avait pas de chemin » (20. GAU-30-3.)
Le canot servait à transporter hommes et bagages. Un voyage de chasse à l'orignal durait une dizaine de jours dont presque la moitié était passée dans le canot : « Ordinairement, ça nous prenait deux jours pour monter. On se rendait à la jam. Quand on allait plus bas, une journée et demie » (Ibid.)
Quand le chasseur n'avait pas de cabane construite sur la rive, il transportait dans son canot le matériel nécessaire au campement. A deux hommes par canot, quelques fois trois, ils apportaient, pour coucher, une tente de coton, fabriquée souvent de sacs ayant contenu de la farine et cousus l'un à l'autre, un poêle léger en poêle et son tuyau (fig.65), une couverture de laine pour chacun.
« On montait une tente, puis un petit poêle de tôle qu'on chauffait au bois. Pour coucher, on se mettait de la brousse en dessous, des branches de sapin plantées dans la terre, en commençant par le pied. On mettait une toile par-dessus ça, si on l'avait, puis une couverte. On était pas grand chemises. Souvent dans la nuit fallait se lever pour allumer le poêle. Pour faire cuire, c'était un feu dehors » (GAU-24-3 et GAU-58-3.)
L'usage du canot obligeait les chasseurs à limiter aussi la quantité de nourriture à apporter. Ils se contentaient surtout d'ingrédients de base, comptant pour se nourrir sur la capture de lièvres et de perdrix qu'on trouve en abondance dans cette région. Rodolphe Poirier, un trappeur qui est monté à la chasse presqu'â tous les ans pendant une quarantaine d'années, résume à peu près ce qu'il était utile d'apporter : « On montait de la mélasse, de la graisse, du lard, du sel, du poivre, de la farine, du thé, de la poudre a pate, puis des fois un petit peu de sucre. On montait toutes des choses qui cassaient pas. Un petit peu d'ustensiles en fer-blanc, une petite chaudière pour faire bouillir le thé. Puis on montait toujours un chaudron de fer pour faire à manger » (GAU-78-7.)
Figure 66

LE DOUBLE FOND
Pour répartir le poids du changement sur les varangues double fond. Celui-ci empêche en même temps le bagage de se mouiller. Il s'enlève facilement pour permettre de laver le canot.
Figure 67

LE CANOT DE CHASSE
Comme le Haut de la rivière est plus rude que le bas, le ventre du canot de chasse est renforcé avec des lattes. Dans un canot chargé de viande, elle portera la charge sur les roches et protègent les bordés.
Si le canot était utile pour monter le matériel, il devenait indispensable pour rapporter le produit de la chasse. Il n'était pas rare que les chasseurs tuent deux orignaux. Dans ce cas, ils désossaient l'animal pour alléger la charge.
En vue de contrer et d'absorber les coups sur les roches, le ventre du canot de chasse était renforcé de cinq quilles supplémentaires parallèles â celle du centre (fio.67). Elles servaient de patins lorsqu'il fallait traîner le canot sur les roches à cause des fortes charges. Là où le niveau d'eau était trop bas, les canotiers plaçaient leurs perches en travers sous le canot qu'ils traînaient à force de bras. Aujourd'hui, les canotiers qui vont encore à la chasse portent de longues bottes de caoutchouc montant jusqu'à la cuisse. Elles les empêchent de se mouiller les pieds au cours de ces manoeuvres.
Pour éviter d'avoir à transporter chaque automne le matériel de campement, plusieurs chasseurs se construisaient, le long de la rivière, des cabanes en bois rond, qu'ils utilisaient aussi en hiver pour la saison du trappage (fig.68). On en trouve encore quelques-unes le long de la rivière. L'arrivée du moteur hors-bord a donné naissance à une nouvelle forme de campement pour le chasseur : le camp de veneer (fig.69). Servant de cargo, le canot peut transporter dans un seul chargement tout le matériel requis pour une habitation de huit pieds de large par dix pieds de longueur (26 x 3 mètres). Pour charger le canot, on coupe les feuilles de contreplaqué ou de bois pressé en bandes de vingt-quatre pouces (60 centimètres) de largeur qu'on glisse sous les barres. Le bois de charpente, coupé avant le départ à la longueur désirée selon les dimensions du camp, complète le chargement. Le voyage se fait au printemps, immédiatement après la descente des glaces alors que le niveau d'eau de la rivière est à son comble. Avec un tel chargement, il serait en effet difficile, voire impossible, de franchir certains rapides a eau basse. Une fois sur place, le montage d'un tel camp, en quelque sorte préfabriqué, se fait en moins d'une journée. L'automne suivant, les chasseurs pourront compléter l'aménagement. On trouve aujourd'hui une dizaine de ces camps le long de la rivière Bonaventure et ils constituent des abris pratiques pour le trappeur au cours de l'hiver.
Figure 68

CABANE DE BOIS ROND
Construite sur la rivière Bonaventure vers 1950.
Figure 69

CABANE DE VENEER
Construite à l’embouchure de la 3e Est, affluent de la rivière Bonaventure, par Réal Arsenault, 56 ans, et Ernest Arsenault, 62 ans, vers 1967.
L'implantation des clubs de pèche sur la rivière Bonaventure a donné naissance à un autre type d'occupation : celui du braconnage du saumon. Au XIXe siècle, l'habitant dont la bordure de la terre donnait sur la rivière, n'avait qu'à jeter son filet a l'eau debout sur la rive pour capturer le poisson. Le voisin avait facilement la permission de faire de même. Aujourd'hui, la plupart des terrains en bordure de la rivière, jusqu'à une distance de deux cents pieds (64 mètres) de la rive appartiennent à des intérêts privés qui contrôlent la pêche au saumon.
« Les bien nantis d'ailleurs vinrent prendre possession de nos eaux... Alors c'était défendu pour les habitants de prendre du saumon. Nos saumoniers, comme on les appelait, plaçaient des gardiens près de la rivière pour surveiller. C'était, il faut l'avouer, une bonne gagne pour les habitants de la Rivière qui guidaient ou pêchaient pour les sports. Il va sans dire qu'il se trouvait souvent quelques braconniers qui, habilement, passaient inaperçus tout comme aujourd'hui » (Arsenault, Urbain, Patrimoine gaspésien, p.111.)
La consommation du saumon, à cette époque, occupait une place importante dans l'alimentation des habitants riverains. En été, ils pouvaient manger le poisson frais. Lorsque la saison tirait à sa fin, vers la mi-août, ils faisaient des réserves au moyen du fumage et du salage. Le saumon pouvait se conserver jusqu'au moment de faire boucherie au début de décembre. Plusieurs habitants ne se résignaient pas à se départir de cette habitude alimentaire ancrée chez eux depuis l'arrivée de leurs ancêtres à Bonaventure. D'autre part, ils n'avaient pas l'argent nécessaire pour acheter le saumon, en vente sur le marché.
Pour contourner l'interdiction de pêcher, plusieurs habitants ont utilisé le canot. S'ils n'avaient pas le droit de pêcher sur le terrain en bordure des cours d'eau qui appartenaient à l'étranger, par contre, aucune loi ne leur interdisait de circuler sur la rivière. Selon la loi, c'est le fond de la rivière qui est loué, et non l'eau. Pour ne pas être pris à jeter son filet à l'eau, l'habitant devait faire vite. Comme le raconte Simon Arsenault, l'usage du canot accélérait les choses : « On était cinq garçons chez-nous qui se suivaient. Quand on était petits-jeunes gars, on avait un lot sur le Cinq et c'était droit vis-à-vis une grosse poule a saumon. Çà fait qu'il y avait un petit ruisseau là; on montait notre pirogue pour la cacher. Puis quand les pêcheux de saumon allaient dîner, bien là, notre rets était prêt puis tout. On bougrait notre rets a l'eau, puis là on drossait. On en poignait le diable des fois. Le canot avait un bout du rets, puis moi, c'était toujours ma job, j'avais l'autre bout du rêts, à terre..., mais des fois dans l'eau jusqu'à la ceinture et dessous les bras. Quand on était rendu assez loin, le canot s'en venait à terre sur la bature » (GAU-25-3 et 4.)
Le canot avait aussi l'avantage de faciliter la fuite tout en conservant les prises, en cas de danger, lorsqu'un gardien venait à se montrer sur la rive. D'autre part, même si le gardien était en canot, comme il était habituellement seul, il était facile de le semer dans la poursuite, puisque les braconniers, pour jeter un filet, étaient forcément au moins deux. Ces derniers avaient plus d'un tour dans leur sac pour déjouer la vigilance des gardiens. Si parfois les braconniers n'hésitaient pas à utiliser la force, comme « leurs (aux gardiens) ôter leur revolver, tirer du fusil pour leur faire peur » (Ibid.) c'est par la ruse qu'ils préféraient s'en sortir : « C'est arrivé deux, trois fois, peut-être plus, il y avait une cèdrière où on watchait pour poigner un cèdre creux, un cèdre qui a quasiment rien que le tour. On ôtait le restant du pourri à l'intérieur puis on envoyait le saumon là-dedans et on bouchait le bout. On se faisait un raffe. Ils pensaient qu'on descendait avec un petit cageux. On descendait jusque chez-nous » (Ibid.)
Il se révélait parfois difficile et risqué de placer de grandes quantités de saumon dans la bâtisse à neige de la ferme ou de le fumer, pour le conserver. Les gardes-pêche n'étaient pas dupes et ils poursuivaient parfois les braconniers jusqu'à chez-eux. Ces derniers, n'avaient alors d'autre alternative que de saler le poisson. Il leur était possible de cacher les contenants dans un des bâtiments de la ferme à l'abri des regards indiscrets. Certains braconniers faisaient l'objet de surveillance plus étroite de la part des gardiens. Ils devaient alors redoubler de prudence. L'un d'eux nous raconte qu'il allait cacher son saumon dans des quarts enfouis dans le sol à l'extrémité de sa terre. Et pour s'y rendre, il prenait soin de faire un grand détour par l'autre rang, afin de ne pas éveiller les soupçons des gardiens.
« Chez nous, les watchman étaient toujours autour de la maison. On savait que c'était pour nous watcher. Mais même s'ils venaient â la maison, il était salé au bout de la terre. On amenait des quarts pour saler çà. On mettait les quarts dans la terre. Puis, pour aller en cri, pour manger, on passait par les Concessions (rang-Thivierge) » (GAU-69-1.)
Aujourd'hui, le braconnage se pratique encore de cette façon. Certains autres braconniers utilisent le canot pour transporter l'orignal ou le chevreuil qu'ils tuent pendant l'été. Il leur est ainsi plus facile de tromper la vigilance des gardiens qui, eux, circulent surtout en véhicule motorisé.
E. Les autres usages
Dans une collectivité où près du quart des familles ont possédé un canot, l'embarcation s'est prêtée à des usages variés qui ont permis une utilisation saisonnière presque constante. En dehors de la drave, de la pêche ou de la chasse, le canotier avait encore maintes occasions de pratiquer son métier. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, il n'y avait pas de pont sur la rivière Bonaventure. Comme les habitants étaient établis sur les deux rives, le canot constituait un moyen de communication indispensable. Un bac assurait la liaison entre les deux rives seulement à l'embouchure de la rivière.
D'autres habitants utilisaient leur canot pour faire la pêche à l'anguille. « Çà venait à l'anguille dans le mois de septembre, en canot » (GAU-53-4.), mentionnait Élide Poirier. Un autre informateur nous raconte, pour sa part, qu'en 1924 un dénommé Livernois de Québec s'était fait monter en haut de la rivière pour son voyage de noces » (GAU-58-4.)
C'est avec les Indiens Micmac qui venaient chaque printemps établir leur campement à l'embouchure de la rivière Bonaventure, que les fermiers riverains ont appris à faire la cueillette, pour la consommation, d'une plante sauvage nommée : tête de violon. Cette plante (mattenccia struthiopteris (Linnaeus) Todaro, fougère des bois ou fougère a l'autruche, croît surtout dans des « lieux humides, particulièrement dans les forêts bordant les cours d'eau..., dans les endroits inondés au printemps » (Lamoureux, Gisèle et coll., Plantes sauvages printanières, p.155.). La période de cueillette se situant à la fin de mai ou au début de juin, au moment où la plante bourgeonne, il y avait encore de la neige dans le sous-bois sur les rives. C'est donc en canot qu'il fallait se rendre sur les lieux. D'autre part, comme ces plantes croissent surtout le long des cours d'eau, il est plus facile de les repérer en canot qu'à pieds.
Ces plantes s'étant aujourd'hui commercialisées, quelques habitants de Bonaventure y tirent un revenu supplémentaire appréciable. Un canot transporte habituellement plusieurs membres d'une même famille, le père, la mère et les enfants.
Le goût et la texture de la tête de violon se comparent â ceux de la tête d'asperge. Le Gaspésien semble apprécier particulièrement ce légume avec le poisson frais qu'il trouve souvent sur sa table en cette période de l'année. Il existe d'autres façons de le servir : « Les jeunes crosses non déroulées (pas plus de 20 cm. de haut) se mangent crues ou cuites dans l'eau ou à la vapeur, selon les goûts, après avoir été débarrassées des écailles brunes qui les recouvrent. On peut congeler les crosses fraîches ou blanchies (ébouillantées, ou 2 minutes); cuites, on peut les servir en salade, en sauce, en soupe ou dans une omelette » (Ibid., p.157.)
Figure 70

LE TRANSPORT DES CANOTS (Circa 1927)
C'est avec un truck à cheval que les constructeurs allaient livrer les canots aux clients de la région. Le canot était assis sur un lit fait avec des sacs de jute bourrés de paille sèche. C'est également de cette manière que les canotiers transportaient leur canot de la rivière à la ferme, afin de les entreposer pour l'hiver dans la grange.
