La Pêche à la Mouche au Féminin

Pas Toujours Rose...

     En tant que coordonnatrice et pêcheuse à la mouche à la maison des jeunes Point de Mire, mon parcours se résume à cinq années d’animation et de pêche intensives avec mon collègue et ami Mario Viboux, qui m’a tout appris. À mes débuts, je me souviens que je l’écoutais attentivement pendant les soirées de montage ou lorsqu’il parlait du cycle de vie d’un éphémère, la bouche entrouverte pour avaler le plus d’information possible. Depuis, nous avons fait beaucoup de pratiques, de sorties et de voyages de pêche, et c’est grâce à tous ces événements que je suis devenue une vraie pêcheuse à la mouche.

     L’an dernier, au mentorat de la FQSA, j’ai dit à Marc-Antoine que je désirais m’impliquer davantage pour promouvoir la pêche à la mouche auprès des femmes. Quel bonheur d’entendre sa voix sur mon répondeur me disant que l’idée avait fait son bout de chemin et que le prochain numéro de Saumons illimités se consacrerait en partie à la pêche au féminin! Non seulement la revue parlerait des pêcheuses à la mouche, mais j’aurais même l’honneur de rédiger un article pour l’occasion !

     Depuis, j’ai porté une attention toute particulière à la présence des femmes sur le bord des rivières. S’il est vrai qu’elles y sont rares, nous en rencontrons heureusement de plus en plus. Lors de mon dernier voyage avec la Maison des jeunes, en Colombie-Britannique, François Blanchet, notre guide, me disait que sur les cinquante guides qui gravitent autour de Smithers (rivière Skeena et ses affluents), seulement deux sont des femmes. Et sur les quelque cent cinquante pêcheurs rencontrés durant notre voyage, nous n’avons discuté qu’avec deux femmes, dont une qui venait d’Allemagne.

     Le fait qu’il y ait encore très peu de femmes qui pêchent à la mouche, ou le saumon, au Québec est peut-être dû au manque de modèles féminins dans le domaine. En ce qui me concerne, mes modèles sont Ann Smith et Selma Aïssiou que je respecte au plus haut point. L’an passé, Ann nous a accompagnés durant notre périple autour de la péninsule gaspésienne avec les jeunes, et je me rappelle d’un après-midi où elle racontait à Tanya, Nataniel et moi comment elle avait fait ses premières armes à titre de pêcheuse. Les difficultés auxquelles elle a dû faire face pour se tailler une place dans un monde d’hommes, les nombreuses fois où elle a dû prouver sa compétence devant des pêcheurs qui ne la prenaient pas au sérieux… Les mentalités ont beaucoup changé depuis et la place sur le bord des rivières n’est plus uniquement réservée aux hommes, heureusement. Par contre, il arrive encore que nous rencontrions des gens de la vieille époque…

     Pas plus tard que l’été dernier, en Colombie-Britannique, Mario, Franky, Tanya et moi nous étions levés très tôt pour aller pêcher sur la rivière Skeena tout près de notre camping. Il n’y avait encore personne dans la fosse quand nous sommes arrivés. Le temps que nous préparions tout et que chacun prenne sa place, il ne restait plus qu’à m’installer à mon tour. Frank me conseillait d’aller en tête de fosse, mais au même moment, deux pêcheurs sont sortis de nulle part et se sont mis à marcher très vite pour aller s’installer à l’endroit précis où je me dirigeais. Ils savaient très bien que j’allais en tête de fosse puisque je marchais dans cette direction. Voyant qu’ils étaient dans un sprint endiablé pour arriver les premiers (il y en a même un qui est tombé), je les ai regardés faire, bouche bée. Ils faisaient peine à voir (pas une expression ça?) et comme je suis d’un naturel pacifique, qu’il était 5 h du matin et que je n’ai besoin que d’une canne et de mes deux pieds dans une rivière pour pêcher et être heureuse, j’ai viré de bord en leur laissant la place. Je suis bien d’accord avec mon collègue Mario quand il écrit dans son dernier livre, Le bonheur au bout de la ligne : « J’évite toujours les frictions à la pêche. S’il n’y a rien pour m’empêcher de pêcher, il n’y aura jamais personne pour scrapper mon plaisir. Se colleter avec la bêtise humaine n’apporte jamais rien de bon, sinon des frustrations et des emmerdements. » J’aimerais vraiment que le code d’éthique en vigueur sur les rivières à saumon du Québec soit connu de tous les pêcheurs à la mouche, sur toutes les rivières du monde (rivières à truite, à achigan, à Steelhead, etc.) – ce serait tellement plus simple et agréable!

     Voici une autre histoire qui m’est arrivée sur la rivière Saranac à Plattsburgh. J’étais avec trois jeunes et nous pêchions dans la Delta Mouth Pool. Nous étions enfin seuls et comme toujours, j’ai laissé les jeunes commencer la rotation. Nous descendions lentement la fosse quand tout à coup, deux hommes sont entrés dans la rivière et se sont positionnés exactement dans le « honey hole » (entre les deux gros arbres en queue de fosse). Sapristi! Sabrina, qui était la première de la rotation, était outrée (pour ne pas dire dégoûtée) et m’a demandé ce qu’elle devait faire. Je lui ai dit de continuer à descendre un pas à la fois en espérant qu’ils se rendraient compte que nous faisions une rotation, mais nos deux lascars ne bougeaient pas d’un poil et prenaient racine. Pour les mêmes raisons que j’ai évoquées plus tôt, je n’osais pas leur dire de sortir. Sabrina est alors sortie de l’eau toute déçue et est allée explorer la rivière un peu plus haut, où elle a rencontré Mario avec d’autres jeunes, et lui a raconté l’histoire. Oh, oh! Je n’avais encore jamais vu Mario en furie… Il s’est posté tout près de nous en parlant très fort : « VOYONS DONC! CE N’EST PAS VRAI!?! C’EST QUOI ÇA?!? ILS VOUS ONT DEVANCÉS COMME SI VOUS ÉTIEZ DU VENT?!? POUR QUI ILS SE PRENNENT EUX AUTRES!!! » Finalement, nos chers amis sont sortis de la fosse et surprise, ils étaient francophones et venaient de la région de Montréal. Ils savaient très bien qu’ils nous avaient fait un sale coup, mais ils sont sortis seulement quand Mario est arrivé. Finalement, ils ont prétexté qu’ils ne connaissaient pas le système de rotation et nous leur avons laissé le bénéfice du doute.

     J’ai discuté de cette histoire avec Selma en rentrant à Montréal et j’ai bien aimé son analyse. Selon elle, la distinction entre les hommes, les femmes et les jeunes ne devrait pas exister sur le bord d’une rivière, au même titre que les classes sociales qui tombent une fois les pieds dans l’eau. Si elle avait un conseil à donner à toutes les femmes, ce serait bien d’oublier cette pseudo distinction dont on parle tant, d’avoir confiance en soi et surtout, de ne pas se gêner pour prendre sa place.

     Ces histoires m’ont fait réfléchir et j’espère avoir fait réfléchir d’autres pêcheurs (pêcheuses) aussi. Je me suis fait tasser et je me suis tue. Peut-être que j’écouterai le conseil de Selma la prochaine fois, peut-être que je me souviendrai aussi des histoires d’Ann Smith et que j’aurai, moi aussi, le courage de demander le respect.

     Pour terminer sur une note plus gaie, je profite de l’occasion pour souligner la présence remarquée de plusieurs femmes lors du dernier mentorat de la FQSA. C’est agréable de voir qu’il y a de nouvelles recrues qui font tourner de nombreuses têtes non seulement parce qu’elles sont jolies, mais aussi parce qu’elles sont de très bonnes pêcheuses à la mouche. Je pense par exemple à Geneviève Fournier et Amélie Thériault. La pêche à la mouche est tellement un sport passionnant : le montage de mouches, les lectures sur le sujet, les vidéos et, surtout, les sorties! Les deux pieds dans l’eau, ne plus penser au train-train quotidien, n’avoir qu’à choisir la bonne mouche, s’installer dans une fosse et observer le mouvement de sa soie, la faire danser dans le vent afin de déjouer notre ami Salar… Bonne pêche, les filles! Initiez vos amies et faites des sorties ensemble!

Références

» Texte : Joannie De Lasablonnière.
» Saumons illimités Automne 2010.
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