La Godbout : Une « nouvelle » Rivière

    Mon premier contact avec la rivière Godbout s’est fait grâce au livre « La vie et le sport sur la Côte Nord ». Je fréquentais alors l’école secondaire. Dès que j’avais quelques minutes devant moi, je me précipitais à la bibliothèque pour plonger dans la lecture de ce livre dans lequel l’auteur, Napoléon-Alexandre Comeau, raconte sous forme anecdotique la vie rude et intense qui était le lot quotidien des habitants de la Côte-Nord du Saint-Laurent, de 1850 à 1910 environ.
La Godbout : Une « nouvelle » Rivière
     Ce livre a tellement stimulé ma jeune imagination que j’avais l’impression d’entendre couler l’eau des rivières et de sentir l’odeur caractéristique des forêts de conifères de ce coin de pays, quand je parcourais avidement ses pages. En même temps, ce livre alimentait une passion naissante pour la pêche du saumon et déjà, je m’imaginais aux prises avec de gros saumons fougueux, nageant en tous sens dans la fosse et exécutant des bonds prodigieux hors de l’eau.

     Comme il a habité Godbout une bonne partie de sa vie et grâce à sa vive intelligence, Comeau a développé une connaissance intime de son environnement incluant, bien sûr, la rivière Godbout et les saumons qui la fréquentent. Il souligne que toute sa vie durant, il a été intimement lié au saumon. Pour illustrer ceci, alors qu’il était jeune enfant, sa mère lui disait qu’elle l’avait trouvé sur la grève à côté d’un saumon… la cigogne ayant peu de chances de se rendre aussi loin sur la Côte-Nord !!!

     Napoléon A. Comeau a pratiqué la pêche commerciale du saumon, a été le gardien de la rivière Godbout pendant près de 60 ans et a pratiqué la pêche sportive du saumon à la mouche, dans le cours inférieur de la rivière.

La Godbout
     Ce parcours de cinq kilomètres environ, ponctué de rapides et de fosses, se termine à l’extrémité amont par un long et tumultueux rapide, au terme duquel il y a une chute où l’on retrouve maintenant une passe migratoire. Le saumon qui s’engage dans la Godbout est immédiatement mis à l’épreuve, en raison des obstacles importants qu’il doit franchir. Ce secteur qu’on appelle maintenant Cap-Nord était le terrain de jeu favori de Comeau quand il pêchait le saumon dans la Godbout. En juin et en juillet, de formidables quantités de saumons s’accumulaient dans les fosses, attendant que le niveau de l’eau baisse pour leur permettre de franchir les chutes.

     Dans son livre « Le héros légendaire de la Côte-Nord », Réjean Beaudin mentionne que Comeau a capturé 57 saumons à la mouche le 10 juillet 1874 dans un contexte où l’abondance et la pression de pêche n’ont rien de comparable avec ce que l’on connaît aujourd’hui. Si l’on fait l’hypothèse que Comeau a pêché 12 heures, ça fait près de cinq saumons à l’heure, ce qui représente quand même tout un exploit.

     Au début des années quatre-vingt, je suis passé finalement du rêve à la réalité. Grâce à la création d’une zec-saumon, j’ai pêché dans cette rivière mythique et, croyez-moi, je ne fus pas déçu! Les saumons étaient abondants, mais sûrement pas autant qu’à l’époque de Comeau, les paysages le long de la rivière à couper le souffle et, en plus… je pêchais seul dans la plupart des fosses. Quels souvenirs inoubliables la Godbout m’a laissés !

La Godbout
     La relance de la Godbout Puis, au fil des années, la fréquentation de la Godbout a diminué, particulièrement dans les fosses de la partie non contingentée, située en amont du secteur Cap-Nord. Une baisse constante de la population de saumons et des pêcheurs ainsi que le désengagement graduel des gens du milieu ont contribué à cette situation. On était dans un cercle vicieux. C’est là qu’entre en scène Éric Deschênes. Après une brillante carrière universitaire, Éric revient dans son coin de pays. Il a été témoin des efforts investis pour développer la pêche au saumon dans la rivière Godbout durant les années quatre-vingt, dans la foulée du vent de démocratisation de la pêche du saumon qui soufflait alors sur le Québec. Et il a aussi assisté, malheureux, au déclin des dernières années. Animé par un dynamisme si caractéristique chez les entrepreneurs et par une profonde conviction que la rivière a énormément à offrir sur le plan de la pêche sportive, tout en permettant aux saumoniers de découvrir l’environnement unique du village de Godbout, Éric s’est mis en tête de redonner à cette rivière ses lettres de noblesse, tout en sachant fort bien que le milieu bénéficiera de retombées positives.

     Il a donc pris en charge « le sauvetage de la ZEC », en 2011. Sa première priorité visait l’accueil. Bénéficiant d’un programme de subventions, Éric et son équipe ont investi dans les infrastructures d’accueil, passablement désuètes avec les années, afin que les saumoniers puissent bénéficier d’un minimum de commodités, à l’arrivée, et une fois rendus sur le bord de l’eau. Le « bouche-à-oreille » a fait son oeuvre, la communauté des pêcheurs de saumons étant tissée serrée au Québec. La réponse a donc été bonne. En prime, des retours de saumons en nombre supérieur aux prévisions et aux observations des dernières années ont aussi contribué à ramener des pêcheurs au bercail.

Mentorat 2011

La Godbout
     En septembre dernier, le programme annuel Mentorat/Découverte de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique, s’est tenu sur trois rivières de la Côte-Nord, dont la Godbout faisait partie. Cette fin de semaine a été le théâtre de moments inoubliables vécus par des participants.

     Je me rappelle toute la fierté que je pouvais lire sur le visage de Alexandre Dubé et de sa conjointe Pascale, quand Alexandre a piqué et sauvé son premier saumon à vie, le 3 septembre à la fosse Charles. Ou encore, Christian Béland qui affichait un sourire radieux en nous montrant son premier saumon, capturé à la fosse Étienne sous une pluie diluvienne. La communauté des saumoniers a accueilli de nouveaux adeptes dans ses rangs, au cours de cette fin de semaine, grâce aux charmes de la rivière Godbout et de l’accueil chaleureux des personnes qui y travaillent.

Inauguré la fosse Escapuce en l’honneur de Isola Beaudin
     Au cours de cette même fin de semaine, Éric Deschênes, Alain Labrie, maire de Godbout, et Yvon Côté, président de la FQSA, ont inauguré la fosse Escapuce, en l’honneur de Isola Beaudin. Ce personnage coloré possédait une connaissance intime de la rivière. Aujourd’hui disparu, Isola Beaudin a agi comme guide sur la rivière pendant de nombreuses années. Tous les pêcheurs qui l’ont connu se rappellent son patois « Escapuce » qui a inspiré le nom de la fosse que l’on appelait auparavant le 14 milles. Quand vous visiterez la Godbout un jour, ne manquez pas de pêcher cette fosse, car en juillet ou en août selon le niveau de l’eau, de bonnes quantités de saumons s’y reposent, avant de s’attaquer à la chute située plus loin en amont.

Implication du Milieu

     Une autre priorité de Éric Deschênes est d’augmenter le potentiel de pêche du secteur contingenté appelé Cap-Nord, là où l’on trouve un des meilleurs taux de succès au Québec. Rappelez-vous que c’est là que Napoléon-Alexandre Comeau exerçait sa fonction de gardien et pêchait le saumon. Même si les quantités de saumons ne sont pas comparables à celles qu’il y avait à l’époque, un nombre appréciable de saumons s’accumule encore aujourd’hui dans ce secteur en juin et en juillet. Comme les saumons arrivent tout droit de la mer, ils sont forts et vigoureux.

     Éric et son équipe vont offrir, au cours des prochains mois, des programmes de formation pour les personnes qui travailleront à l’accueil, comme guide ou qui auront des responsabilités de gestion au sein de la ZEC. Éric est d’ailleurs fier de souligner l’implication active des gens du milieu et l’aide précieuse apportée par la Société locale de développement des collectivités, le Centre local de développement et la Fédération québécoise pour le saumon atlantique. Pour avoir jasé longuement avec Éric et des membres de son équipe, je peux vous assurer qu’ils ne ménageront pas leurs efforts pour que la rivière accueille les saumoniers dès le mois de juin prochain.

Laissez-Vous Séduire !

Chute rivière Godbout
     Je vous l’avoue : je fais partie des saumoniers qui ont délaissé la Godbout ces dernières années. Mais mon retour à cetterivière, grâce au programme Mentorat/Découverte de la FQSA, m’a permis de constater, hors de tout doute, qu’un vent de changement souffle sur cette région et dans la petite localité de Godbout. Le leadership exercé par Éric est contagieux. Je garde un excellent souvenir de mes échanges avec Marie-Line Chassé, responsable de l’accueil et arrière-petite-fille de Napoléon-Alexandre Comeau. C’est avec beaucoup de professionnalisme que Marie-Line accueillait chaque matin les dizaines de pêcheurs.

     Enfin, j’ai vu et entendu des gens engagés et mobilisés qui ont à coeur la réussite du projet de relance. Il ne vous reste qu’à aller vérifier sur place, pour vivre à votre tour une expérience unique dans l’univers de Napoléon-Alexandre Comeau.

Références

» Texte et photos: Gérard Bilodeau (2012).
» FQSA.
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