Petite Rivière, Gros Saumons.., La Haute Kedgwick

     Il circule chez les saumoniers une théorie selon laquelle les grosses rivières au débit puissant produisent généralement de gros saumons, alors que les petites rivières et les cours d'eau à écoulement plus modéré n'accueillent que des saumons de plus petite taille. Bien que cette idée s'appuie sur un fondement scientifique, la règle souffre d'un certain nombre d'exceptions notables, dont la Kedgwick.

La Kedgwick, dites-vous?

Petite Rivière, Gros Saumons.., La Haute Kedgwick
     Tributaire de la rivière Ristigouche, la Kedgwick coule, parallèlement aux rivières Patapédia et Matapédia, du nord-ouest vers le sud-est. Elle prend sa source dans la Réserve de Rimouski, traverse ensuite la pourvoirie Le Chasseur sur une quinzaine de kilomètres, d'où elle quitte le Québec, pour entreprendre alors une course d'environ 65 kilomètres à travers les grandes forêts du Nouveau-Brunswick, atteignant enfin la Ristigouche à la hauteur du petit village de Kedgwick River. Les vieux guides de la région de Matapédia vous diront que les premiers saumons de la montaison annuelle de la Ristigouche et, par le fait même les plus gros, se dirigent droit vers la Causapscal, la haute Patapédia et la haute Kedgwick.
Tels vont les débits, telle va la migration des saumons

     Lorsqu'ils parviennent à la pourvoirie Le Chasseur, les saumons de la Kedgwick ont plus de «180 kilomètres de rivière dans le corps». Certaines années, quand ils arrivent tôt, soit dès la fin-mai comme en 1996, ils en portent la marque. Ces années-là, la carène de leur abdomen et la bordure antérieure de leurs nageoires pectorales, mises à vif, exhibent une couleur rougeâtre, effet de l'action abrasive du substrat rocheux sur le corps fragile des saumons de printemps, fraîchement arrivés de la mer. C'est que par fortes eaux, les saumons, à la recherche du chemin de moindre résistance, naviguent souvent tout près du lit de la rivière, voire à son contact.

     À l'opposé, en d'autres années, ce fut le cas en 1997, les conditions hydrologiques printanières et estivales n'ont pas permis au saumon d'atteindre la pourvoirie Le Chasseur avant la fin de l'été. Et enfin, bien souvent, ils se comportent comme la «moyenne» des saumons, c'est-à-dire qu'ils se présentent à la pourvoirie Le Chasseur à partir de la fin juin/début juillet, comme par exemple en 1998.

Ifs a long way to Tippemry, ifs a long way to go...

     Par sa position en tête du bassin hydrographique, à la toute fin du périple migratoire du saumon adulte dans la Ristigouche, la haute Kedgwick dépend totalement de ce qui se passe en aval : des mauvaises conditions de survie du saumon en mer, de la pêche commerciale au Groenland, des pêches amérindiennes à l'embouchure de la Ristigouche, de la pêche sportive dans la Ristigouche et dans le tronçon de la Kedgwick situé au Nouveau-Brunswick. Et puis selon les années, il faut tenir compte des niveaux d'eau dans la rivière et même, dans des cas extrêmes, des barrages de castor. Comme qui dirait « encore chanceux qu'il en reste quelques-uns rendus là ! ».

     Tout au long du tronçon de la rivière Kedgwick situé sur la pourvoirie Le Chasseur, le saumon traverse les unes après les autres une dizaine de fosses principales. Deux d'entre elles, la fosse Péka et la fosse Quigley, sont des fosses de séjour (fosse de rétention, holding pool), les autres (Pont du 16, Petit Quigley, Longue, Croche, La roche, La passerelle, Le cran, Le débouli) sont des fosses de repos (fosse de transition, resting pool). Alors que les deux fosses de séjour abritent généralement du saumon à longueur d'été, les fosses de repos affichent une performance variable selon le temps de l'année et les conditions du débit d'eau.

     L'abondance de la montaison dans la Kedgwick varie passablement d'une année à l'autre, du moins si l'on en juge par les résultats de la pêche sportive. Les statistiques compilées par les autorités gouvernementales indiquent que la Kedgwick aurait connu ses meilleures années entre 1975 et 1985 alors qu'on y a capturé jusqu'à 60 saumons en une année. C'était, en 1981 ; le poids moyen des captures atteignait 8,3 kilogrammes ! Au cours de la dernière décennie, la meilleure des années n'a livré guère plus de 30 saumons. Mais une règle prévaut, la dominance, dans les captures sportives, des gros saumons sur les petits et sur les madeleineaux.

Castor canadensis

     Un ami, saumonier de longue expérience, m'affirme avoir observé vers le début des années de 1960, des saumons se préparant à la fraye à la décharge du lac à John dans la Réserve de Rimouski, à 7 kilomètres de la rivière Kedgwick, sur le ruisseau Berry, un petit cours d'eau d'à peine 3 à 4 mètres de large à cet endroit. Aujourd'hui rien cherchez plus là, vous perdriez votre temps.

     En effet, au fil des ans, le cours principal de la haute Kedgwick et surtout ses principaux tributaires, autrefois réputés comme alevinières à saumons, se sont détérioriés. Deux grands responsables à cet état de fait : les exploitations forestières en bordure des rives de cours d'eau et leur conséquence inévitable, le castor. Eh ! oui, j'ai bien dit le castor, cet infatiguable bâtisseur, jadis menacé par le commerce des pelleteries mais aujourd'hui fort abondant et même parfois très «dérangeant».

     On peut imaginer ainsi la séquence des événements. En favorisant l'établissement d'une nouvelle végétation pionnière, les coupes forestières ont transformé en «garde-manger à castor» un milieu riverain initialement caractérisé par des arbres matures, surtout favorables aux oiseaux arboricoles, aux petits rongeurs et aux mustélidés prédateurs (vison, martre). Déjà présent dans les lacs de tête de ces petits cours d'eau, le castor a donc pu envahir avec succès l'ensemble du bassin hydrographique, y laissant sa marque de commerce, les digues et barrages, partout où les conditions du milieu le permettaient. Dans les zones forestières inondées, les chablis se sont ensuite mis de la partie, la chute des arbres entraînant la formation d'embâcles et la divagation subséquente du lit des cours d'eau. Et vogue la galère...

     Bref, le castor est un agent important de modification du faciès d'écoulement des cours d'eau qu'il colonise. On peut supposer qu'à la longue, les écosystèmes ainsi perturbés atteignent une forme d'équilibre naturel. Mais cet équilibre ne s'établira peut-être pas en faveur du saumon. On pourrait même parier qu'il favorisera l'omble de fontaine, qui semble faire bon ménage avec le castor.

Mayday, mayday !

Petite Rivière, Gros Saumons.., La Haute Kedgwick
     «Peut-on faire quelque chose pour redonner à la haute Kedgwick ses allures d'autrefois?» Telle fut, simplement exprimée, la question que les dirigeants de la pourvoirie Le Chasseur se sont posée à l'été de 1996.

     La triple recommandation d'aménagement s'énonce ainsi : restaurer au moins une bonne fosse à proximité de chacun des points de confluence des tributaires avec le cours principal de la Kedgwick, procéder au nettoyage des principaux tributaires et en augmenter la production en jeunes saumons par ensemencement. En effet les saumoniers savent qu'en été le saumon aime bien séjourner dans les fosses localisées à proximité des affluents aux eaux plus froides et mieux oxygénées que celles du cours principal. En outre, le phénomène du «homing» aidant, l'augmenta¬tion de la production dans les tributaires devrait favoriser une rétention plus importante de saumons dans les fosses situées près de leur con¬fluence avec la Kedgwick.

Et la pêche alors?

     L'augmentation de la production de saumons adultes pêchables, consécutive à l'accroissement de la production des tributaires aménagés, ne se manifestera vraisemblablement que dans quelques années. Par contre, l'aménagement de cinq fosses devrait les rendre plus attractives au saumon dès l'été 1999. On peut aussi penser que les saumons se répartiront davantage dans les différentes fosses de la rivière. Mais là-dessus, seul le saumon lui-même est expert ; c'est donc à lui qu'appartiendra le dernier mot de l'histoire.

     À tout événement, d'ici à ce que le saumon soit «tellement abondant qu'on marcherait dessus», la pourvoirie Le Chasseur offre néanmoins deux types de forfait pour la pêche de cette espèce.

     Il y a tout naturellement la pêche quotidienne. Si vous réservez à la dernière minute, un petit conseil : en vous informant à la pourvoirie demandez au préposé à l'accueil «Y a-t-il de l'eau par-dessus la roche du Pont du 16 ?». S'il vous répond par l'affirmative, vous saurez qu'il y a de bonnes chances que le saumon soit en déplacement dans la rivière et qu'il soit mordeur, et, surtout, vous passerez pour un connaisseur.

     On offre aussi un combiné «pêche au saumon/pêche à la truite» dans la rivière Kedgwick (saumon/truite), dans la rivière Mistigougèche (truite) et dans un des lacs (truite) de la pourvoirie. C'est un forfait de trois jours disponible en plan américain, comprenant le service du guide. Dans ce forfait, davantage axé sur la pêche à la truite, le saumon vient en prime, façon de parler. Il n'y a donc pratiquement pas de chance de revenir bredouille, puisqu'on y combine la pêche en rivière et la pêche en lac, la pêche à la mouche et la pêche au lancer léger, la pêche au saumon et la pêche à la truite.

Qui dit mieux? Venez constater de visu.

Note : La pourvoirie Le Chasseur remercie les organismes suivants pour leur contribution financière aux projets d'aménagement de la rivière Kedgwick : la Fondation de la faune du Québec, le Ministère des Ressources naturelles et Développement économique Canada.

référence

» Par Yvon Côté
» Photos Maurice Gagné & Claude Desrosiers
» Saumons illimités, Été 1999.
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