LA MER...Mais que se Passe-t-il en Mer ?
Un coup d'oeil rapide sur les statistiques de prises de saumons au Québec en 1994 nous laisse croire que la saison devrait compter parmi les meilleures des dernières années. Lorsque le compte sera complet incluant les données de l'Ungava qui sont partielles pour l'instant, on approchera le nombre magique de 20 000 saumons capturés en pêche sportive.

Si plusieurs pêcheurs sont très satisfaits de leurs résultats de pêche, les biologistes demeurent sur leur appétit: les mesures majeures de gestion prises au cours des dernières années, en particulier l'arrêt de la pêche commerciale à Terre-Neuve, au Groenland et sur la Haute et Moyenne-Côte-Nord, auraient dû permettre une amélioration de la survie du saumon en mer. Au lieu de cela, c'est l'inverse qui se produit. Les taux de retour observés comptent parmi les plus bas des dernières années.
Rappelons ici les données qui nous permettent d'affirmer ceci.
Depuis quelques années, nous avons consacré une partie importante de nos travaux de recherche à trois rivières: une en Gaspésie, la rivière Saint-Jean; une sur la Haute-Côte-Nord, la rivière de la Trinité; et l'autre, sur l'Ile d'Anticosti, la rivière Bec-Scie.
Sur ces trois rivières, nous avons capturé, à chaque année, un bon nombre de saumonneaux. Nous en avons mesurés, marqués, comptés et nous avons recueilli des écailles sur un certain nombre afin de savoir combien d'entre eux, produits naturellement par ces rivières, entreprenaient leur longue migration en mer et quelles en étaient leurs caractéristiques.
Deux autres rivières nous fournissent aussi de l'information. En Gaspésie, nous calculons annuellement le nombre de saumonneaux produits dans la rivière de l'Anse à la Barbe où toute la production est faite par notre incubateur expérimental. Enfin, nos collègues de la Côte-Nord évaluent le taux de retour des saumons ensemencés dans la rivière Aux Rochers grâce au contrôle qui est fait dans le piège de capture.
Lorsque l'on connaît le nombre de saumonneaux qui partent en migration et le nombre de saumons adultes qui reviennent en rivière après leur migration, on obtient le taux de retour. Les données de la rivière Bec-5cie ne sont pas encore disponibles mais tout indique qu'elles vont dans le même sens (figure 1). Il n'y a pas de doute, les taux de retour sont à leur plus bas niveau, partout dans nos rivières, et ce, malgré encore une fois les réductions importantes de l'exploitation en mer. Au moment d'écrire ces lignes, nous n'avons pas encore eu la réunion annuelle avec nos collègues des provinces maritimes, mais les informations préliminaires, que nous avons glanées de façon informelle, confirment ce que l'on observe ici : la mer ne répond plus à nos attentes! Mais que se passe-t-il dans la "boîte noire" de l'Océan?
La mer et ses mystères

Il y a eu tellement d'études faites sur le saumon que l'on s'étonne que tout ne soit pas connu. Pourtant, tel est bien le cas. En fait, on entend souvent dire qu'il reste plus d'éléments à découvrir que d'éléments connus sur le saumon en mer c'est pour cette raison que l'on parle de la boîte noire.
Parmi les éléments connus, il y a surtout la migration, l'alimentation et la croissance, sujets qui vous sont sans doute plus familiers. Parmi les sujets les moins connus, il y a celui des causes de mortalité. On sait que 90% à 99% des saumonneaux qui entreprennent leur migration vers la mer vont mourir dans les deux années qui suivent.
Le taux de mortalité varie d'une région à l'autre et d'une rivière à l'autre, en fonction de la durée du séjour en mer; une rivière qui produit majoritairement des madeleineaux (grilses), comme la rivière de la Trinité, aura normalement un taux de retour plus élevé qu'une rivière qui produit des saumons qui demeurent deux ans en mer avant de revenir, comme la rivière Saint-Jean. Il va de soi que cette année supplémentaire en mer amène des avantages tel, gains substantiels en poids et plus grande fécondité, mais comporte des risques additionnels de mortalité.
Pour une même rivière, on observe aussi des variations du taux de survie en mer, d'une année à l'autre. 5i on regarde par exemple notre plus longue série de données sur la rivière de la Trinité, on voit que le taux de retour des saumonneaux oscille habituellement entre 2% et 4%. Une petite variation de 2% peut sembler banale, mais les conséquences sont énormes. Ceci veut dire qu'avec un même nombre de saumonneaux, on peut observer des retours qui vont du simple au double. Imaginez ce que cela représente pour la pêche! Ça veut dire que toute chose étant égale au départ, on pourra voir revenir, une année, disons 1 000 saumons dans une rivière et 2 000, une autre année.
Conséquence de cela? Sur cette rivière, on pourrait se voir contraint, une mauvaise année, de ne pêcher que très peu de saumons pour protéger la reproduction et ainsi se retrouver avec un grand surplus de poissons, une autre année.
Heureusement, la nature organise bien les choses. Les saumons qui reviennent en rivière une année ne sont pas tous nés la même année, ni partis en migration en mer en même temps, ce qui permet un certain tampon et évite les disettes trop sévères. De plus, les saumons qui reviennent frayer plusieurs fois apportent aussi une contribution non négligeable dans plusieurs rivières, ce qui contribue aussi à éviter le pire.
Mais qu'est-ce qui explique ces variations du taux de survie en mer?
Hypothèses, toujours des hypothèses
Excusez notre prudence, mais c'est ainsi que la science procède: on émet une ou des hypothèses, on vérifie au moyen des données connues ou on expérimente pour avoir des réponses. Quelles sont les hypothèses de départ? Il y en a plusieurs.
Je ne parlerai pas ici de ce qui se passe en eau douce, nous y reviendrons une autre fois si le sujet vous intéresse. Disons simplement qu'il y a aussi de bonnes et de mauvaises années de production de saumonneaux, que les caractéristiques (poids, âge et longueur) de ceux-ci varient légèrement d'une année à l'autre et que certains observateurs ont démontré que des saumonneaux en meilleure condition physique au départ ont de meilleures chances de survie en mer.
Regardons de plus près ce qui peut causer la mort des saumons en mer. Je vais vous faire plaisir! Commençons par l'explication la plus populaire ces temps-ci: les phoques, "ces méchants loups des mers qui se multiplient à qui mieux mieux et ruinent les pêcheries depuis qu'ils se sont trouvés une marraine pour les protéger ... Amen". Je suis un peu jaloux des phoques, pas parce qu'ils mangent du saumon à l'année, mais à cause de leur marraine.
Trêve de plaisanterie, je vous avoue franchement que je ne sais pas si les phoques ont une influence sur la survie des saumons. Cette question doit être adressée à des biologistes qui étudient les phoques et c'est ce que nous tenterons de faire lors du congrès de votre Fédération au printemps prochain ... ne manquez pas cela! Pour l'instant, je vous répète ce que l'on sait: les phoques adorent manger des saumons qui sont pris dans un filet; demandez cela aux pêcheurs commerciaux de saumons, il n'y a pas de doute à ce sujet. Par contre, dans les études sur l'alimentation des phoques, il est extrêmement rare que l'on retrouve la présence du saumon. Mais, qu'en est-il des groupes de phoques qui se tiennent près des embouchures des rivières? Ont-ils un impact local?
Je ne veux pas me faire le parrain des phoques, loin de là. Si vous voulez mon avis sur le sujet, je pense que l'on peut exploiter rationnellement la faune, comme la terre, la forêt, l'énergie, etc.. pour le bénéfice des humains. C'est d'ailleurs ce que dit la stratégie mondiale de la conservation, adoptée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.).
Si on veut regarder du côté des ennemis des saumons, même si je crois que ce n'est pas là le problème, je propose que l'on élargisse un peu les horizons. Il faudrait couvrir l'ensemble de la prédation sur le saumon en mer, ce qui est beaucoup plus vaste.
Le loup est le prédateur de l'orignal. C'est simple et presque complet comme portrait. Pour le saumon, il n'y a pas un prédateur important, mais plusieurs prédateurs qui se nourrissent de plusieurs poissons et rarement, mais parfois, de saumons. On a rapporté la présence du saumon dans une foule de poissons piscivores: morue, flétan, goberge, thon, requin, etc.. Mais il n'y a pas que les poissons; il y a aussi un grand nombre d'oiseaux marins piscivores qui peuvent prendre un petit saumon en passant: cormoran et bec-scie bien sûr, mais aussi marmette, gode, macareux, fou de Bassan et bien d'autres. A cette liste on pourrait ajouter quelques mammifères marins comme le rorqual.
Faut-il faire un contrôle des prédateurs? C'est une question fort délicate à laquelle des questions d'éthiques ne sont pas étrangères. Attendons à tout le moins le congrès du printemps pour nous éclairer sur le phénomène de la prédation.
Quelles sont les autres hypothèses?
La nôtre, celle des biologistes qui se réunissent pour dresser le bilan annuel des stocks mondiaux de saumons, est connue par l'entremise du rapport du CIEM (Conseil international pour l'exploration de la mer). Il y a une cause environnementale commune, probablement reliée à la température exceptionnellement froide de l'eau dans la mer du Labrador au cours des dernières années. Les océanographes sont formels à ce sujet, la température de l'eau a chuté, la prise des glaces s'est faite plus tôt que d'habitude et elle a duré plus longtemps que la normale depuis deux à trois ans.
On ne dit pas que le saumon est mort de froid, bien que ce soit possible dans certains cas. La baisse de la température de l'eau affecte la productivité primaire de l'océan, allonge la période de jeûne d'hiver, augmente la dépense énergétique des saumons, réduit la zone potentielle d'hivernage, bref, ajoute un stress additionnel au saumon. Certaines indications nous laissent croire que c'est la température et la durée de l'hiver qui seraient critiques. D'autres croient que la température de l'eau au printemps, au moment où les saumonneaux entreprennent leur vie en eau salée, serait déterminante. Il faut fouiller encore la question. 5i les températures de l'eau en mer s'améliorent et que les taux de retour restent aussi bas dans l'avenir, alors nous aurons tort.
Ce qui est bien embêtant avec cette hypothèse, c'est que l'on ne peut rien faire, sinon prendre notre mal en patience en attendant que les choses se rétablissent. C'est bien mal vu pour un biologiste que de dire cela. Il vaut mieux trouver un coupable!
Il y a aussi d'autres hypothèses:
MALADIES OU PARASITES qui seraient soit naturels, soit transmis par les élevages de saumons en mer ou par des ensemencements de saumons contaminés. On sait que c'est le cas en Norvège et en Suède; certains redoutent ceci pour la Baie de Fundy, mais ce n'est pas évident chez nous.
CAPTURES ACCIDENTELLES EN MER, par les pêcheurs d'autres espèces. Ici, nous aurions un doute sérieux s'il n'y avait pas eu aussi un arrêt quasi complet de la pêche à la morue du Nord. On pointe souvent du doigt les chalutiers, mais là encore, il y a des données, récoltées par des observateurs à bord de ces bateaux, pour nous dire que la prise accidentelle de saumons est une chose extrêmement rare.
BATEAUX PIRATES ET SAINT-PIERRAIS, deux réalités mais qui ne capturent qu'un nombre infime de saumons. En principe, il faut s'y opposer, mais ce n'est pas une explication valable du déclin. En ce qui concerne les quelques bateaux pirates, de fortes pressions diplomatiques sont exercées par l'OCBAN pour faire cesser cette pratique.
BATEAUX PIRATES ET SAINT-PIERRAIS, deux réalités mais qui ne capturent qu'un nombre infime de saumons. En principe, il faut s'y opposer, mais ce n'est pas une explication valable du déclin. En ce qui concerne les quelques bateaux pirates, de fortes pressions diplomatiques sont exercées par l'OCBAN pour faire cesser cette pratique.
Vous en saurez davantage sur ces deux derniers points en lisant le texte de Jean-Paul Duguay intitulé " La grande déception ".
POLLUTION DE LA MER... c'est un beau titre, mais peu réaliste. Il n'y a certainement pas eu une dégradation récente d'une telle importance pour expliquer la chute des taux de survie.
EFFET DE SERRE... si ça devait se produire, on croit généralement que les espèces nordiques en bénéficieraient. Mais les effets ne seraient sûrement pas dramatiques au point d'entraîner des changements de l'ampleur de ceux que nous observons.
Bref, il nous en reste encore à apprendre, c'est certain, mais nous en savons assez pour ne pas paniquer. Restons calmes ! Les mesures de gestion adoptées au cours des dernières années ont permis d'éviter une crise semblable à celle de la morue. Par contre, la situation est préoccupante et demande qu'on la suive de près.
référence
» Par François Caron, Biologiste MEF
» Salmo Salar #38, Printemps 1995.
» Salmo Salar #38, Printemps 1995.