L'Etchemin, cette Inconnue

     Cette rivière, tout comme beaucoup de Québécois, je l'ai traversée tous les jours pendant dix ans sans y porter la moindre attention, jusqu'au jour où, tout à fait par hasard, je découvris dans la bibliothèque du colonel Gravel de Saint-Romuald, un exemplaire rarissime du premier dictionnaire français imprimé en Nouvelle-France. Je feuilletais machinalement cet ouvrage ancien lorsque mon attention fut attirée par le mot « ETCHEMIN »; la définition de ce nom fut une révélation pour moi, elle était rédigée ainsi: « Célèbre rivière à saumon située au sud-ouest de la ville de Québec ».

L'Etchemin, cette Inconnue
     Ainsi donc, la rivière Etchemin, tout comme sa sœur de la rive nord, la Jacques-Cartier, fut en son temps une importante rivière à saumon de la proche banlieue de Québec, peut-être même la seconde en importance puisque située en aval de la Jacques-Cartier. Elle perdit néanmoins sa population de saumons bien avant la Jacques-Cartier puisque la construction du Vieux Moulin de Saint-Romuald et de son barrage est bien antérieure au barrage de Donnacona. Or, vers le milieu des années 1950, le barrage du Vieux Moulin fut emporté par la débâcle des glaces et le moulin lui-même rasé par un incendie un peu plus tard.

     De ce fait, la rivière Etchemin est à nouveau libre de tout obstacle jusqu'à Domrémy (les petites îles) où se trouve une cascade de 50 pieds avec quatre paliers de bassins successifs, probablement franchissables par eaux fortes et facilement aménageables pour les eaux basses.

     Avec le nivellement du barrage de Saint-Romuald, il était à prévoir que des salmonidés remontant du fleuve Saint-Laurent, occuperaient la partie de la rivière facilement accessible et c'est exactement ce qui s'est produit; au printemps 1986, des membres de la famille Bonneau de Saint-David et plusieurs autres pêcheurs non identifiés, ont capturé de magnifiques truites brunes et arc-en-ciel sous la cascade de Domrémy. Comme nous allons le voir, cette cascade est un endroit stratégique et historique pour les saumons de l'Etchemin, les archives de la seigneurie de Lauzon, compilées par J.-Edmond Roy dans son «Histoire de la Seigneurie de Lauzon», publiée en 1897 et couvrant une période de deux siècles (1636-1837) en parlent abondamment: « Dans les premiers temps de la colonie, raconte-t-il, se faisait au milieu des îlots que l'on voit à l'embouchure de l'Etchemin, une tuerie importante de loups-marins. Tout cela est disparu, de même que les saumons que l'on péchait encore en abondance, à la fin du régime français, jusqu'au pied des chutes de l'Etchemin, dans la paroisse de Saint-Henri.». Puis il mentionne un événement historique des plus significatifs: «Le 12 février 1765, Jacques Charly et Etienne Charest vendirent la Seigneurie de Lauzon, dont ils avaient hérité, au Général Murray pour la somme de 3,750 livres sterling. Cette vente comprenait entre autres, une terre de trois arpents sur trente située au bord de la rivière Etchemin et un moulin en bois pour la farine, tournant au fil de l'eau, ainsi qu'un moulin à scie avec une pêche à saumon installée dans le bassin des chutes de la rivière.».

     De nos jours, la qualité des eaux de l'Etchemin n'est plus ce qu'elle était du temps du Général Murray. Quoique encore acceptable au printemps, il n'en va pas de même le reste de l'année où elle est victime d'une intense pollution organique par les lisiers de porcheries et les rejets d'abattoirs et de laiteries qu'il faudra de toute façon juguler pour empêcher ces polluants indésirables de se retrouver dans le fleuve Saint-Laurent. Deux pollutions majeures, ayant tué des tonnes de poissons, se sont produites au cours des dix dernières années, mais il semble que ces calamités écologiques se soient limitées à la zone située entre Sainte-Claire-de-Dorchester et Saint-Henri-de-Lévis où sont localisées la plupart des installations agro-alimentaires. Par contre, la partie haute de la rivière qui recèle de belles zones de frayères, entre Saint-Malachie et Saint-Luc, semble encore de très bonne qualité puisqu'une importante population d'ombles de fontaine s'y maintient, ainsi que dans les principaux affluents: rivière Abénaki, rivière aux Fleurs, rivière aux Billots et rivière à Bœuf.

     Physiquement, la rivière Etchemin se compare avantageusement à la rivière Ouelle avec un bassin de 1130 km2 contre 795 km2, et un débit à la fois plus important et plus constant que celui de la Ouelle. Le nombre et la dimension des fosses sont aussi beaucoup plus grands et variés que sur la Ouelle. Outre les problèmes de pollution agricole, qui ne sont pas insurmontables, pour peu que l'on veuille bien s'en occuper, la restauration du saumon dans la rivière Etchemin aurait croyons-nous, de bonnes chances de réussite puisque des salmonidés y vivent encore.

     Dans le cadre de la restauration des anciennes rivières à saumon de la région de Québec, la rivière Etchemin est un élément non négligeable et les saumoniers québécois seront sans doute ravis d'apprendre qu'un Comité de restauration de l'Etchemin a été formé le 17 mars 1993 après une assemblée d'information à laquelle ont assisté M. Bernard Beaudin, président de l’FQSA et M. Gilles Shooner, biologiste. Une étude de préfaisabilité, prévue pour l'été prochain, nous dira si nos espoirs sont fondés. Pour l'heure, les membres du Comité, qui ont obtenu l'appui des quinze municipalités riveraines de l'Etchemin ainsi que leur aide financière, sont débordants d'enthousiasme et de projets pour dépolluer la rivière, reboiser les berges afin de stopper l'érosion, recreuser les fosses ensablées et aménager des frayères afin de rendre accueillante aux saumons leur belle rivière. Ils se voient déjà organisant des « corvées » si populaires dans Beauce-Bellechasse lorsque l'intérêt commun est enjeu. Tout le monde sera mis à contribution, même les enfants des écoles pour planter des arbres. Devant un tel dynamisme, on ne voit pas très bien ce qui pourrait empêcher la province de Québec d'ajouter une cent-onzième unité à la liste de ses rivières à saumon. 

     C'est un dossier à suivre.

référence

» Par Guy-N. Chaumont, Vice-président du Comité de restauration de la rivière Etchemin.
» Salmo Salar #32, Automne, Septembre 1993.
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