Mes Débuts et les Mouches de mon Cru

     Je ne me souviens pas d'avoir appris à lancer la mouche ou quelqu'autres leurres que ce soit. Dans mon cas, c'est l'imprégnation paternelle qui a fait son œuvre car, chose rarissime, l'auteur de mes jours était à la fois pêcheur de truites et de saumons, pisciculteur et manufacturier de cannes en bambou refendu. Je crois même que l'origine de mon patronyme doit quelque chose à l'art halieutique, tenez... essayez donc de prononcer le mot « saumon » avec l'accent de mon auvergne natale... « Monsieur saumon », en patois de la Haute-Auvergne, donne « noûchu chaumont », comme me le faisait remarquer mon ami Paul Boyer, bougnat comme moi en tout bien tout honneur.

Mes Débuts et les Mouches de mon Cru
Le 7 avril 1940, en compagnie de son père Joseph, Guy-Noël Chaumont prenait son premier saumon, sur la rivière l'Allier, en France.
     Il m'a donc suffi de naître avec une canne à pêche à la main, comme d'autres naissent avec une paire de skis aux pieds, et d'imiter les gestes de mon père sans cesse répétés sous mes yeux. La route était si bien tracée que je n'ai jamais songé à en suivre une autre.

Les premiers pas

     Comme pour tant d'autres, l'utilisation de la « mouche-du-jardinier » ou ver de terre, me facilita les choses, et ce furent en ordre croissant les épinoches, les vairons, les goujons et les ablettes qui firent les frais de mon apprentissage. Puis, très vite, je suis passé aux truites et aux saumons sans pour cela négliger les autres poissons avec lesquels j'établis parfois des « liens » assez tendus. Mais là ne se limitèrent pas mes expériences de moucheur en devenir ; j'ai aussi exercé ce talent tout neuf sur les lézards. Le long des vieux murs de ma campagne, je les revois encore me lorgnant avec méfiance, mais ne résistant pas à cette petite mouche noire que je faisais sautiller à l'entrée de leur trou, puis, une fois ferrés, abandonnant leur queue frétillante dans le creux de ma main. Il y avait aussi ces grenouilles vertes aux yeux d'or qui se gonflaient comme des outres lorsque je leur forçais la bouche pour en retirer la mouche. 

     Et puis, les pièces rares, mais non les moindres, sur lesquelles j'obtins quelques succès... Je veux parler des couleuvres et des vipères rouges, casaquées à la nage par un bas de ligne à trois mouches et qui, toujours suspendues à mon fil, semaient l'effroi et la panique lorsque je les faisais ramper sur le plancher de la cuisine. Rien n'échappait à l'ardillon acéré de ma mouche, pas même les poules et les canards de ma grand-mère qui, je m'en souviens encore, mordaient très bien à de grosses mouches sèches genre sauterelles que je faisais danser sur le sol de la basse-cour. 

     Le problème n'était pas de les faire mordre, mais plutôt de décrocher ces volatiles affolés, sans attirer l'attention de la grand-mère qui n'appréciait pas mes expériences à leur juste valeur... Ah ! que de coups de balais ai-je pu recevoir... Il fait bien dire que ma compagnie n'était pas de tout repos.

     Parmi les captures insolites qui m'ont donné le plus de fil à retordre et de joies inavouables, si j'ose m'exprimer ainsi, figurent un goéland pris en plein vol, un castor accroché à la branche qu'il transportait et qui refusait de lâcher prise et, enfin, suprême couronnement, un homme... en l'occurrence, mon ami Jean Gladel (aujourd'hui décédé), président ex-officio de l'Association des pêcheurs de saumon, piqué derrière l'oreille gauche sur le lancer arrière avec casse au ferrage. 

     Autrement dit, il avait eu la malencontreuse idée de passer derrière moi. Mais il a toujours prétendu que je l'avais fait exprès. D'ailleurs il s'en souvenait encore, le bougre, après quarante ans... c'est un monde ! C'eût été à la chasse, on comprendrait...

     Mon père m'avait enseigné deux choses: la façon d'attacher un hameçon et de nouer un bas de ligne, puis l'art et la manière de confectionner une mouche artificielle. « Pour le reste, m'avait-il dit, tu l'apprendras sur le terrain par la pratique et l'observation. Le seul conseil que je puis te donner encore est celui-ci : n'écoute jamais les conseils des autres. »

Un mauvais ferrage... et c'est la casse
     Il avait bien raison cet homme sage, la pêche n'est-elle pas l'univers des poètes et des rêveurs ? Quoi de plus poétique et de plus imaginaire qu'une mouche artificielle ? Elle l'est jusque dans la façon de s'en servir et, s'il m'avait fallu attendre les conseils des autres pour l'apprendre, je n'aurais jamais su comment attraper un lézard, une grenouille ou un canard à la mouche.

     Mes connaissances dans ces domaines particuliers en auraient été diminuées au plus grand préjudice de mes lecteurs, pour lesquels je m'efforce d'enrichir l'intérêt de mes textes.

     Pour le bénéfice du lecteur, le père de Guy-Noël, M. Joseph Chaumont, créa en 1922, la compagnie Prima-Sport à Riom, qui a été la toute première à fabriquer des cannes de bambou refendu en France. 

     Quelques années plus tard, les cannes Prima-Sport battaient les meilleurs produits britanniques dans les concours internationaux. 

     Quelques exemplaires de ces cannes font maintenant partie de collections privées.

     Pour connaître les questions qui ont le plus turlupiné « Noûchu Chaumont », comme par exemple : Pourquoi ma mouche plaît-elle à une poule... et non à un saumon ? Lisez la chronique École de pêche où M. Chaumont accepte de nous livrer une conclusion issue de nombreuses années d'expérimentations et d'observations, et pas seulement à la pêche à la grenouille...
Mes Débuts et les Mouches de mon Cru
Le problème n'était pas de les faire mordre...

référence

» Par Guy-Noël Chaumont
» Illustrations : Stef
» Saumons illimités #60, Printemps-Été 2001.
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