Chapitre I – Le Plaisir de la pêche à la Mouche

     « ... ceux qui persévèrent, ce sont les vrais, les passionnés, ceux qui comprennent qu'à la mouche, on n'épate pas facilement une galerie faite d'autres purs, d'autres mordus, et que le chemin est très long vers la maîtrise. »

     Jean-Paul Pequegnot « L'art de la pêche à la mouche sèche »

     Le mythe perpétué par des moucheurs qui croient appartenir à un groupe choisi, un groupe d'élites, d'experts et de professionnels, a beaucoup fait pour décourager les pêcheurs qui comptaient y essayer leurs armes. Ce mythe qui a donné à la pêche à la mouche la réputation d'être difficile, a contribué et contribue encore aujourd'hui à restreindre le nombre d'adeptes.

     La plupart des pêcheurs à la mouche ont débuté, tout comme les pêcheurs des autres disciplines, par la pêche à la ligne morte. Qui d'entre nous n'a pas pêché aux vers ou aux ménés, à un moment ou à un autre? Ce que nous recherchions, c'était les perchaudes, les crapets, les achigans, les dorés; sans oublier les excursions nocturnes à la barbotte.

     De la pêche à la ligne morte on est passé, ensuite, au lancer léger qui rallie la majorité des pêcheurs modernes, bien que le lancer lourd gagne en popularité.

     Une fois maîtrisée l'une de ces techniques, on a le choix de tenter sa chance au lancer à la mouche ou de continuer à développer l'une ou l'autre, ou encore chacune des techniques précédentes. Le pêcheur opte la plupart du temps pour ce dernier choix. Il marie les techniques du lancer léger, du lancer lourd et de la pêche à la ligne morte, augmentant ses chances de capturer une variété plus considérable de poissons. Il se spécialise aussi dans la pêche à la traîne, au sonar, au thermomètre électrique, au radar, au down-rigger et j'en passe.

     Plus souvent qu'autrement, un de ceux qui a tenté sa chance à la pêche à la mouche mais n'obtient aucun succès, se prostitue en appâtant sa mouche avec un bout de ver ou en plaçant en avant d'elle un petit leurre brillant. La mouche est alors baptisée St-Sauveur.

     Avant l'avènement de la canne en fibre de verre, on pouvait comprendre que la plupart des adeptes de la pêche à la mouche aient été des gens ayant les moyens de se payer une canne dispendieuse, en bambou. Mais aujourd'hui, on peut se procurer un équipement complet à prix modique. Alors, pourquoi le nombre de pêcheurs à la mouche n'a-t-il pas grandi parallèlement au nombre de pêcheurs des autres disciplines?

     Le découragement peut sembler fournir la réponse. Il n'est pourtant que le symptôme d'autre chose. Il ne suffit pas, par lui-même, à justifier le petit nombre de pêcheurs dans cette discipline qu'est la pêche à la mouche.

     Par expérience, on sait qu'à tout symptôme il y a une ou plusieurs causes; quand on les aura identifiées, on pourra les éliminer, et rendre ainsi la pêche à la mouche accessible à tout pêcheur qui songe à s'y adonner et à tous ceux qui se sont découragés.

     Qu'est-ce qui peut bien causer ce découragement chez un pêcheur débutant dans cette discipline? .. La difficulté même du lancer? .. Non, c'est si facile; et avec un équipement bien balancé ce n'est même pas fatigant. C'est aussi tellement gracieux. Un équipement balancé? .. Peut-être est-ce là une raison? Bien sûr que oui! Car il 'est bougrement important d'utiliser un équipement balancé, adapté au type d'eau où l'on pêche et au poisson recherché. Mais alors, qui peut m'aider à choisir un équipement balancé? .. Le vendeur au magasin d'articles de sport? .. Peut-être, mais je persiste à croire que très peu de vendeurs, sinon ceux qui pratiquent ce type de pêche, connaissent à fond les normes techniques de la pêche à la mouche pour pouvoir aider le néophyte dans le choix d'un équipement.

     Regardons ensemble l'évolution de deux débutants dans une autre discipline, le ski par exemple. Quand notre premier bonhomme tente pour la première fois de descendre la piste des novices avec des skis loués qui lui arrivent au menton, des bottines deux pointures trop grandes (empruntées à un ami) et les quelques conseils que l'ami lui a prodigués, il a des chances d'effectuer la descente à pied, en déboulant, ou sur une civière. Ceci le découragera certainement et l'amènera à dire que le ski n'est que pour des athlètes choisis, des experts. Notre deuxième bonhomme, lui, commence par se renseigner sur ce que demande ce sport. Il suit les leçons de base dispensées par les instructeurs sur les pentes. À sa première tentative, il dévale la pente en chasse-neige et ce, sans tomber. Au fur et à mesure qu'il répète ses descentes, il maîtrise les techniques une à une, pour enfin descendre en slalom la pente pour experts.

     Si ces deux bonshommes avaient tenté de pêcher à la mouche, le deuxième aurait sans doute consulté d'autres pêcheurs sur ce qu'est cette activité et se serait inscrit à un cours où l'on dispense les techniques de base du lancer. Il aurait su que prendre des leçons d'un instructeur qualifié peut faire la différence entre celui qui atteint le rang des initiés et celui qui se retrouve parmi les découragés.

     Ce ne sont certes pas là les seules raisons qui peuvent décourager un débutant, mais elles englobent indirectement toutes les causes qui s'identifient à la difficulté de pêcher à la mouche.

     Faisons ensemble le parallèle entre la pêche à la mouche et les autres techniques. La pêche à la mouche demande beaucoup plus de dextérité dans l'exécution du lancer que la pêche à la ligne morte, mais moins que le lancer lourd. Elle demande à peu près la même habileté que le lancer léger, bien que, dans cette dernière technique, ce soit le leurre qui soit projeté et qui entraîne le monofilament, et non la soie (fil) qui entraîne le leurre, comme c'est le cas au lancer à la mouche. De fait, la spécificité fondamentale du lancer à la mouche réside ailleurs, dans le type de fil et de leurres utilisés: une soie et une mouche artificielle.

     Il y a certes des occasions où les autres techniques sont efficaces pour la pêche à la truite ou aux autres espèces; mais le pêcheur qui ne connaît que ces méthodes limite considérablement ses chances de succès. En effet, de tous les éléments qui constituent le régime alimentaire de la truite, les appâts ne représentent qu'une infime partie.

     Par contre, dans le cas des mouches artificielles, le champ d'action est quasi illimité. En l'espace de quelques minutes, le pêcheur à la mouche peut simuler presque tous les éléments qui composent le menu de la truite et des autres espèces.

     Les adeptes des autres techniques se limitent aussi à ne pêcher que dans certaines eaux et de façon bien précise. Les endroits peu profonds ou les rapides ne sont pas considérés comme des endroits recherchés par ces pêcheurs. Le moucheur, par contre, a l'option d'y faire flotter son artificielle ou de pêcher en profondeur sans risque de bris, et augmente ainsi ses chances de capture.

     De plus, le fervent du lancer à la mouche n'a pas à lutter contre la pesanteur. Quand il ferre un poisson, le combat qui s'ensuit se déroule entre le poisson et lui. L'extrémité de sa ligne ne comporte pas de plomb, pas de quincaillerie pesante et n'offre pas de résistance dans l'eau, sauf celle du poisson lui-même. La laquaïche, le brochet, la truite, l'achigan et le saumon sont libres de sauter, d'effectuer des courses effrénées et de livrer une lutte sans restriction; chaque mouvement est transmis instantanément au pêcheur. Ajoutons enfin que le novice peut apprendre, sous la tutelle d'un instructeur, à lancer à la mouche avec une facilité déconcertante et cette méthode de pêche est celle qui lui apportera le plus de plaisir et de satisfaction.
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