Chapitre IV – Le Bas-de-Ligne

     «Noyées ou sèches, les mouches artificielles doivent être présentées très délicatement... «en douceur», comme un baiser ... un chatoyant bécot sur l'onde!»

     Serge Deyglun (Q.C.P. vol. 1 n° 7)

     Il suffit de jeter un coup d'oeil sur le contenu de l'estomac d'une truite, pour se rendre compte de la multitude d'insectes qui s'y trouvent. Or, le pêcheur tente de tromper le poisson avec un insecte artificiel qui n'est en somme qu'un amas de plumes ou de poils montés sur un hameçon.

     Le regretté Serge Deyglun se plaisait à citer Charles Ritz qui attribue 85 p. 100 du succès de la pêche à la mouche au lancer bien exécuté. Un autre optera pour la théorie de l'imitation parfaite. Un troisième attribuera ses succès à la technique non pas du lancer mais des mouvements qu'il imprime à son artificielle. Ils ont tous raison et j'accepte leurs théories, mais sous toute réserve. Quand on sait combien les agissements du poisson sont imprévisibles, il existe beaucoup trop d'impondérables pour justifier le succès par une seule de ces tactiques.

     Il y a un tas de choses que le moucheur doit considérer lorsqu'il se prépare pour une journée de pêche. Selon le type de poisson recherché il doit déterminer le type de l'eau où il pêche et les conditions dans lesquelles effectuer son lancer; il doit choisir la canne idéale, la ou les soies nécessaires, le moulinet (en considérant sa pesanteur et sa capacité de rangement), les artificielles qui intéresseront le poisson, les bas-de-ligne qui lui permettront de présenter sa mouche «en douceur - de tromper le poisson, de le ferrer et enfin de garantir sa présence au petit déjeuner.

     L'hiver ne se prête pas tellement à la pêche à la mouche, mais c'est le temps tout désigné des préparatifs. Durant cette période le moucheur fait l'inventaire de ses équipements, de ses mouches, mais oublie ou néglige souvent de faire l'inventaire de ses bas-de-ligne et, lorsque le temps arrive, il se voit à moitié préparé et sa pêche en souffre. S'il considère à sa juste valeur le bas-de-ligne, le moucheur en acquerra une large gamme adaptée à toute condition qu'il rencontrera au cours de la saison qui approche à grands pas.

     Le bas-de-ligne, dépendamment de sa grosseur, doit avoir les qualités suivantes: être presque invisible aux yeux du poisson; assez fort pour résister aux courses du poisson ou au choc lorsque le pêcheur le ferre; il doit rouler, s'étendre et placer la mouche à une bonne distance de la soie sans encombrement; quand on pêche «sec», il doit présenter la mouche en «douceur" et, citant Deyglun: «comme une caresse, un baiser ... un chatoyant bécot sur t'onde»: il doit aussi permettre à l'artificielle de dériver à la façon d'un insecte naturel.

     On vient de voir les qualités que doit avoir un bas-de-ligne, mais il faut garder à l'esprit que sa fonction première est de dissocier, de séparer la mouche de la soie et que, indépendamment de sa grosseur, il est très visible et peut effrayer le poisson.

     Avant de voir de près le bas-de-ligne, je m'en voudrais de ne pas adopter une terminologie spécifique au domaine de la pêche à la mouche. Encore aujourd'hui, plusieurs pêcheurs appellent un bas-de-ligne, un «nerf », Ce nom vient du fait que, jadis, le bas-de-ligne était fait de nerfs ou d'intestins d'animaux. Beaucoup de pêcheurs le désignent sous le nom d'avancon. Il est vrai que l'avancon est un bas-de-ligne, mais ce terme trop général ne s'applique pas à la pêche à la mouche; il est donc à déconseiller. Nos académiciens n'ont pas encore traduit le nom anglais Tippet qui est en somme la potence, la pointe qui joint la mouche au bas-de-ligne. J'emploierai donc «pointe », mais sous toute réserve.

Deux types de bas-de-ligne

     Il existe sur le marché deux groupes de bas-de-ligne, ceux dits «parallèles» qui ont un diamètre uniforme sur toute leur longueur et ceux dits «queue-de-rat». Les bas-de-ligne genre «queue-de-rat» se subdivisent eux-mêmes en deux types bien distincts: ceux qui s'amincissent de façon continue et ceux qui s'amincissent par degrés. Ces deux types de bas-de-ligne sont fabriqués commercialement et sont disponibles sur le marché. Cependant, le pêcheur a tout à gagner à les monter lui-même.

     Le bas-de-ligne dit parallèle est pris à même une bobine de monofilament et ne présente aucun intérêt particulier. Nous ne verrons donc que le type de bas-de-ligne qui satisfait aux besoins du moucheur et qu'il peut fabriquer lui-même, à la pêche ou devant un feu de foyer, l'hiver, en rêvant aux truites qu'il séduira au dégel.

     Je suis convaincu que les bas-de-ligne noués sont supérieurs à ceux qui s'amincissent de façon continue. Je pense, comme Cliff Jodry, que «beaucoup de pêcheurs se font inutilement du souci au sujet du noeud qui relie les divers segments du bas-de-ligne. Ces pêcheurs semblent penser que les noeuds peuvent causer des remous dans l'eau et l'empêcher de bien jouer son rôle. Au contraire, les noeuds rendent le bas-de-ligne plus rigide et le lancer plus précis, ce qui donne, par surcroît, une meilleure présentation de la mouche (Tiré de Les avançons sont un mystère pour la plupart des pêcheurs à la mouche - (DuPont du Canada Ltée).).»

Des normes sévères

     Le pêcheur qui achète ses bas-de-ligne ou celui qui les fabrique lui-même, doit se rappeler qu'un bas-de-ligne de qualité supérieure est régi par certaines règles. Aussi doit-il voir à ce que son bas-de-ligne rencontre les exigences suivantes s'il veut tirer le maximum des avantages qu'offre la pêche à la mouche.

     1. Il doit être fabriqué à base de nylon que l'on appelle commercialement «monofilarnent» ou «monobrin ».

     2. Le diamètre du gros bout (qui relie le bas-de-ligne à la soie) doit mesurer approximativement 75 p. 100 du diamètre de la soie et ce, pour que le bas-de-ligne reçoive l'énergie nécessaire pour bien rouler et s'étendre.

     3. Sa partie la plus épaisse doit être la plus longue. Elle devrait mesurer environ 60 p. 100 de la longueur totale, la partie intermédiaire 20 p. 100 et la pointe qui le termine et qui attache la mouche à l'avançon 20 p. 100.

     4. La pointe doit bien convenir à la mouche artificielle (grosseur de l'hameçon) et au poisson qu'il s'attend à capturer (poids et type).

     Le pêcheur qui observe ces normes à l'achat ou à la fabrication de ses bas-de-ligne, ne se verra jamais importuné par un bas-de-ligne tombant à l'eau en tas ou entremêlé. J'aimerais noter ici que c'est souvent à cause d'un bas-de-ligne mal conçu que le pêcheur se décourage.

Le choix d'un bas-de-ligne

     Comme toute autre chose, dans cette activité récréative de plein air qu'est la pêche à la mouche, le choix du bas-de-ligne est sujet à plusieurs considérations. Pour le novice, le choix semble a priori très embêtant, mais avec un peu d'expérience, la chose lui deviendra naturelle et il fera de bons choix sans même s'en rendre compte.

     Vous pourrez suivre sur le tableau 1 le choix de la pointe. Bien qu'il soit mien et adapté au type de matériel que j'emploie, il représente, à toute fin pratique, un tableau que peuvent vous fournir les manufacturiers de matériel à bas-de-ligne.

     La grosseur de la pointe est inversement proportionnelle au diamètre (exprimé en millième de pouce) et ce, à partir du diamètre de 0,011 pouce (0,27 mm). Il est normalement accepté par les manufacturiers de désigner par un chiffre suivi d'un « X» les bas-de-ligne dont le diamètre est égal ou inférieur à 0,011 pouce (0,27 mm). En me référant au tableau, je sais qu'un bas-de-ligne, dont la pointe a une grosseur de 5X, mesure 0,006 pouce (0,15 mm) de diamètre (0,011 - 0,006 = 0,005 ou 5X), offre approximativement 1,4 kg (3 Ib) de résistance et peut recevoir une mouche artificielle dont l'hameçon est de grosseur 12, 14, 16 ou 18.

     Pour les bas-de-ligne d'un diamètre supérieur à 0,011 pouce (0,27 mm) tels que ceux employés pour la pêche au saumon ou au maskinongé, les manufacturiers les désignent ainsi: Ici, on apprécierait une codification simple qui se traduirait par une pointe de 12 ou de 13, pour désigner les pointes de 0,012 et de 0,013, mais la venue des mesures métriques complique la chose.

     J'aimerais mettre en garde contre les spécifications que les différents manufacturiers se plaisent à mettre sur les étiquettes des bobines. Premièrement, vu le nombre de manufacturiers, le matériel de bas-de-ligne peut varier en résistance (résistance du matériau, du noeud et résistance aux faux plis), en flexibilité et enfin en durée. Un bon monofilament utilisé dans la pêche au lancer léger ne rencontre pas nécessairement les besoins du moucheur. Aussi, se glisse-t-il souvent des erreurs dans l'étiquetage: la résistance et le diamètre indiqués ne correspondent pas toujours au contenu de la bobine. De plus, le diamètre du monofilament d'un manufacturier ne correspond pas toujours à celui d'un autre.

     À toute fin pratique, si le pêcheur n'a pas de micromètre pour mesurer le diamètre du monofilament, il peut tout de même s'éviter bien des ennuis en montant son bas-de-ligne avec du monofilament de même marque.

La construction d'un bas-de-ligne

     Nous verrons, au tableau III, le noeud employé dans la fabrication des bas-de-ligne qui s'amincissent par degrés. C'est le seul que je connaisse qui rencontre les spécifications exigées par les moucheurs.

     Tableau III noeud DE POTENCE

     1. Les deux extrémités des brins se chevauchant, enrouler l'une des extrémités autour de l'autre, en faisant au moins cinq tours. Compter le nombre de tours. Passer le bout libre entre les brins, comme l'indique la flèche en 2.

     2. Pour empêcher le noeud de filer, tenir l'extrémité contre les tours déjà effectués, entre le pouce et l'index. Enrouler l'autre bout libre autour de l'autre brin, en faisant le même nombre de tours, mais dans la direction opposée.

     3. Voici l'aspect que le noeud présente lorsqu'il a été tenu fermement en place. Les tours s'équilibrent dès qu'on les relâche.

     4. Il ne reste plus maintenant qu'à tirer sur les brins.

     5. À mesure que l'on tire, les tours se resserrent (on peut à ce moment raccourcir les bouts libres, si l'on veut éviter de couper trop de brin).

     Afin de bien comprendre la construction du bas-de-ligne, je présente dans le tableau III le bas-de-ligne dont je me sers du début à la fin de l'été. La pointe, qui mesure ici 66 cm (26 po), peut être changée à volonté afin d'être adaptée à la grosseur de la mouche employée.

Bas-de-ligne pour la truite

     Selon les saisons et les conditions de pêche auxquelles le moucheur doit faire face, il peut employer un bas-de-ligne de 1,80 m, 2,30 m, 2,75 m ou 3,65 m (6 pi, 7 pi 6 po, 9 pi ou 12 pi).

Suivons le rythme des saisons:

     - Au printemps, celui qui pêche dans des ruisseaux de 4,50 m (15 pi) à 9 m (30 pi) de largeur, le fait dans une eau tumultueuse et quelque peu boueuse. Il emploiera un bas-de-ligne de 2,30 m (7 pi 6 po), ayant une pointe de 1 à 4 kg (2 à 4 Ib) de résistance.

     - Au début de l'été, il délaisse les ruisseaux pour s'aventurer sur les rivières et les lacs. Il utilisera dans ce cas un bas-de-ligne de 2,75 m (9 pi) et variera la grosseur de la pointe, de 1 à 3 kg (2 à 6 lb).

     - À la fin de l'été, le très bas niveau d'eau des rivières force les moucheurs à s'éloigner davantage des poissons convoités. Pour faire face à cette situation, ils s'armeront de bas-de-Iigne de 3,35 m (11 pi), 3,65 m (12 pi) et même 3,95 m (13 pi), avec des pointes d'une résistance de 450 g (1 Ib) et de 900 9 (2 Ib).

     Les bas-de-ligne de 3,65 m (12 pi) s'imposent pour la pêche dans un lac, car il est important que le mouvement qui leur est imprimé diminue progressivement pour permettre à la mouche de tomber délicatement sur l'eau.

     Il y a cependant un type de pêche qui se pratique durant toute la saison; c'est la pêche dans les petits ruisseaux. Il est déjà assez difficile de manoeuvrer une «moucheuse» dans un petit ruisseau sans s'encombrer en plus d'un bas-de-ligne qui ira placer notre mouche au bout de la plus haute branche d'un sapin. Ce type de pêche demande un bas-de-ligne de 1 ,80 m (6 pi) et une pointe d'une résistance de 1 kg, 1,5 kg et même 2 kg (environ 2, 3 et 4 Ib).

Bas-de-ligne pour les autres espèces

     Passons maintenant aux bas-de-ligne utilisés dans la pêche aux espèces autres que la truite. Lorsqu'on pêche le doré, le brochet, l'achigan ou la laquaïche, comme dans le cas de la truite, on utilise des bas-de-ligne de 1 ,80 m (6 pi), 2,30 m (7 112 pi), 2,75 m (9 pi) et 3,65 m (12 pi) de long. Toutefois ces bas-de-ligne diffèrent dans leur construction à cause de la grosseur des mouches que l'on doit employer.

     La seule exception ici est la laquaïche; le bas-de-ligne de 3,65 m (12 pi) utilisé pour la truite servira également pour cette pêche.

     Le doré se pêche à la mouche, au printemps, lors de l'ouverture officielle de la saison, lorsqu'il est encore à l'endroit où il fraye. Il se pêche également de juin à la fin du mois d'octobre, le soir, lorsqu'il s'approche de la côte à la recherche de ménés. Les moucheurs que je connais, emploient des streamers montés sur des hameçons numéros 4, 2 et 2/0. Pour accommoder de telles mouches, il faut nécessairement que les bas-de-ligne soient très rigides et de diamètres correspondants. Le bas-de-ligne de 1,80 m (6 pi), se terminant par une pointe de 8/5 est tout désigné pour recevoir de telles mouches. Ce bas-de-ligne de 1,80 m (6 pi) est nécessaire pour la pêche en profondeur avec une soie calante.

     Le brochet, lui, se pêche relativement près de la surface; donc, un bas-de-ligne de 2,30 m (7 pi 6 po) se terminant avec la même pointe employée pour la pêche au doré suffira à la tâche.

     L'achigan est un de ces poissons qui se pêche avec des mouches, des streamers ou des bugs. Le moucheur qui se spécialise dans la pêche à l'achigan, s'il pêche avec ces trois différents types d'appâts, peut se munir de trois bas-de-ligne de différentes longueurs. Le bas-de-ligne de 3,65 m (12 pi) prendra soin des bugs, celui de 2,30 m (7 pi 6 po) est tout désigné pour les streamers et celui de 2,75 m (9 pi) sera employé avec des mouches de surface, telle la Muddler sur hameçon no 10.

     Pour faciliter le montage de vos bas-de-ligne, j'inclus ici le guide (tableau IV) dont je me sers dans mon choix pour la pêche. Ce guide est le mien et je suis certain que vous pouvez l'adapter à vos besoins.

     Le guide de construction (tableau V) est celui qui vous servira dans la construction même de vos bas-de-ligne. Il ne se veut pas définitif et est sujet à être modifié. Cependant, il y a plus de 15 ans que je m'en sers et je n'ai pas encore trouvé de raison d'y apporter des changements.

Quelques conseils

     J'aimerais terminer cet essai sur les bas-de-ligne par quelques conseils qui vous aideront à surmonter, à l'occasion, les petits obstacles ou contraintes qui peuvent se présenter durant la saison de pêche à la mouche. J'ai bien dit un «essai», car je suis loin d'avoir épuisé le sujet, d'autant plus que chaque jour un manufacturier ou un pêcheur apporte des modifications et des améliorations qui, par ricochet, remettent en question les théories exposées dans mes tableaux.

     Il se peut que certains d'entre vous aient un peu de difficulté à exécuter un beau lancer avec les bugs sur un bas-de-ligne de 3,65 m (12 pi). Si tel est le cas, qu'ils essaient celui qui sert dans la pêche aux streamers ou encore un autre de 2,15 m (7 pi). Ce dernier sera ainsi monté: approximativement 0,90 m (36 po) d'une résistance de 9 kg (20 Ib), 0,60 m (24 po) d'une résistance de 6,8 kg (15 Ib), et une pointe de 0,60 m (24 po) d'une résistance de 4,5 kg (10Ib).

     Si vous préférez pêcher à deux mouches (pêche aux nymphes ou avec mouches noyées), le bas-de-ligne qui s'amincit par degrés offre un avantage. Il s'agit de laisser dépasser de 15 à 20 cm (6 à 8 po) l'extrémité la plus grosse lorsqu'on y attache la pointe. Il est généralement recommandé de laisser une distance de 45 cm (18 po) entre les mouches.

     Si vos bas-de-ligne se présentent en spirale, vous pouvez les tremper dans un liquide détergent ou dans de l'eau chaude, ou encore les glisser entre deux morceaux de caoutchouc. Cependant, il est préférable de les étirer; vous exercerez ainsi un meilleur contrôle sur la résistance de votre pointe, ainsi que sur la force de vos noeuds.
N'oubliez surtout pas de protéger votre monofilament (sur bobines) des rayons du soleil et de la chaleur, en le gardant dans un endroit frais et ombragé.
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