Chapitre VIII – Quelques Poissons

     «N'oubliez pas que l'esprit d'invention et d'imagination de l'homme lui a été conféré pour d'autres buts que de décevoir les petits poissons; et qu'aussi plaisante que puisse être la pêche, elle cesse d'être innocente quand elle sert à autre chose que la récréation.»

     Richard Brookes (1766)

L'achigan à la mouche

     «Pouce pour pouce, livre pour livre, c'est le plus fantastique pugiliste de nos eaux ... ». disait Henri Poupart dans le Guide illustré pour le pêcheur québécois. Il ajoutait aussi: «Ce monstre d'énergie, qui sait employer chaque once de son poids à bon escient, réagit de la même façon qu'un bâton de dynamite à chaque fois qu'il touche un leurre.» Si ce leurre est une mouche artificielle, la combativité de l'achigan sera d'autant plus appréciée par le pêcheur. La longueur imposante de la canne jouera un grand rôle.

     Contrairement à l'opinion populaire, le succès dans la pêche revient à celui qui a étudié et appris les habitudes et le comportement du poisson qu'il convoite. Celui qui sait associer ces connaissances à l'équipement approprié, bénéficie systématiquement du concours de dame Chance.

     D'ailleurs ceux que l'on qualifie d'experts sont ces pêcheurs qui concentrent leur attention sur les techniques employées dans la recherche du poisson, et non sur les techniques du lancer et la qualité de l'équipement.

     Le pêcheur québécois connaît assez bien l'achigan à petite bouche (Micropterus dolomieui) qui, contrairement à son cousin l'achigan à grande bouche (Micropterus salmoides), préfère des eaux plutôt limpides et oxygénées, libres de toute pollution. Il habite les rivières à bon débit et les lacs qui ont un fond de roches ou de gravier.

L'achigan à la mouche
     L'ouverture de la saison de pêche à l'achigan chevauche occasionnellement la fin de la période du frai; on peut alors rencontrer les retardataires et, s'il connaît leur comportement durant cette période, le moucheur ne fait qu'augmenter ses possibilités de capturer des mâles agressifs. J'ai bien dit «mâle», car c'est lui qui construit le nid dans le gravier ou le sable, à une profondeur variant de 0,50 à 3 m (2 à 6 pi). Il invite la femelle par la suite à venir cohabiter avec lui, pendant la ponte et la fécondation. La femelle quitte le nid après le rituel et s'en éloigne en s'enfonçant dans les profondeurs du lac ou de la rivière. Le mâle reste pour protéger le nid, ne le quittant que pour se nourrir, la nuit venue. Il attaque sauvagement tous les intrus qui s'introduisent et s'enfoncent dans son domaine. Il demeure le gardien du nid pendant approximativement un mois, attendant le jour où les alevins vésiculés auront consommé le sac vitellin. Quand les alevins commencent à se nourrir de plancton et de micro-organismes, l'attitude protectrice du mâle prend une allure cannibale (peut-être motivée par la faim); il s'élance dans le groupe et, comme un ogre, il en happe le plus grand nombre possible avant qu'ils ne se dispersent et se cachent dans les herbiers.

     La température de l'eau influence l'achigan dans son comportement et ses habitudes. Le moucheur se doit donc de connaître les agissements de l'achigan face aux variations de température de l'eau, afin de pouvoir choisir les endroits susceptibles d'en abriter.

     Je suis d'avis que la pêche à l'achigan à petite bouche donne de meilleurs résultats quand la température de l'eau atteint environ 18°C. Quand la température s'élève audessus de 21°C sans toutefois dépasser 25°C, l'achigan recherche des niveaux où l'eau sera un peu plus froide, soit à environ 3,50 m (12 pi) de profondeur. Au milieu de l'été, quand la température de l'eau dépasse 25°C, l'achigan s'enfonce tout en longeant les caps rocheux et devient de ce fait difficile à capturer à la mouche si ce n'est pendant le court laps de temps de la brunante, lorsque la «petite bouche» s'approche de la côte.

     La période qui s'étend de juin à la mi-juillet est de loin celle qui donne le meilleur rendement à la mouche. Elle est suivie de près par la période de septembre qui se prolonge parfois jusqu'à la mi-octobre. Cependant, l'achigan à petite bouche perd de sa popularité à cette dernière période; il est laissé à lui-même, abandonné par le pêcheur québécois qui troque la canne pour le fusil.

     Indépendamment des endroits, lacs ou rivières, où vit l'achigan, ses préférences en matière de nourriture sont relativement constantes: ménés, écrevisses, nymphes, helgamites, petites grenouilles, vers de terre et... rejetons de ses congénères.

     Maintenant que nous sont connues ses moeurs, ses habitudes et ses préférences alimentaires, il est temps de passer aux tactiques, à l'équipement et aux artificielles qui nous permettront de capturer la «petite bouche».

     J'espère ne pas vous décevoir en affirmant que le moucheur qui applique pour la pêche à l'achigan les tactiques qu'il emploie pour la pêche à la truite sera autant sinon plus récompensé que celui qui recherche une technique spécifique pour l'achigan. Cependant, l'achigan nous déroute par son tempérament et ses sautes d'humeur; un changement dans la direction ou la vitesse du courant peut l'inciter à se retirer et à refuser tous les appâts offerts et ce, pendant de longues périodes allant même jusqu'à des journées entières. Heureusement que, souvent, l'effet contraire se produit; ce sont alors les leurres des pêcheurs qui en subissent la fougue.

L'équipement

     Si l'on se fie à la majorité des moucheurs qui s'adonnent à cette pêche, la canne de 2,60 m (8 pi 6 po) est la plus populaire. Avec raison! C'est une canne dont le moucheur se sert également pour la truite, et sa souplesse lui permet de très bien s'adapter quand on l'utilise pour la pêche au saumon.

     Le moucheur qui veut surmonter les contraintes de cette pêche et tirer le maximum de celle-ci, se doit d'avoir à sa disposition au moins deux soies différentes: une soie flottante et une calante. Ces deux soies sont du type décentré (Weight Forward), représenté par les lettres «WF». La «décentrée» est toute désignée pour la pêche à l'achigan, parce qu'elle peut accepter des mouches artificielles plutôt grosses et offrant beaucoup de résistance durant leur trajet dans les airs. Un autre facteur qui incite à opter pour une soie décentrée est souvent le besoin d'effectuer des lancers couvrant une grande distance. J'ai essayé une soie spécifique, la Bass Bug Taper, mais ne suis pas convaincu de sa supériorité. La soie décentrée favorise également le moucheur qui préfère une canne de 2,15 m (7 pi) ou de 2,30 m (7 pi 6 po). Ce moucheur ne sera pas handicapé par la longueur de sa canne, si ce n'est qu'il lui faut réduire un petit peu la grosseur des mouches qu'il emploie.

     Cette pêche se pratique davantage en eau peu profonde; le moucheur multipliera alors l'utilisation de sa soie flottante. Il lui faudra par contre rechercher la «petite bouche» dans des eaux plus profondes au cours de l'été. C'est à ce moment-là que la soie calante lui sera d'une grande utilité.

Les bas-de-ligne

     Les bas-de-ligne prescrits varient en longueur, selon les types et grosseurs de mouches employées, selon aussi le type de soie utilisé. En surface, le bas-de-ligne de 2,75 m (9 pi) ou de 3,65 m (12 pi) fera l'affaire, tandis qu'en profondeur il est de mise d'utiliser le bas-de-ligne de 2,30 m (7 pi 6 po).

Les mouches

     Il est un fait que le choix de la mouche intéresse beaucoup plus le pêcheur que l'achigan. La «petite bouche» n'est pas aussi exigeante que la truite brune et varie continuellement son menu. Au cours d'une journée, ce petit ogre aura déjeuné avec des nymphes' se trouvant sur le fond de gravier; il aura dîné en dégustant une demi-douzaine de ménés; la sieste faite, il soupera avec une petite souris; et, avant de se retirer pour la nuit, il gobera plusieurs insectes terrestres, comme la sauterelle. Tout au long de la journée, il n'aura pas refusé les éphémères ou les perlidés qui émergent, ou même la grenouille qui s'éloigne de son nénuphar.

     Arrêter son choix devant une telle gamme de possibilités peut sembler une tâche fastidieuse pour le moucheur, mais il n'en est rien. Bien entendu, chaque pêcheur a ses goûts et ses préférences; ils lui sont propres, et il est souvent inutile d'en discuter avec lui car son idée est faite. Je m'aperçois cependant qu'il y a une mouche dont le nom revient assez souvent quand je consulte la nomenclature des artificielles de mes confrères, c'est la Muddler. Elle imite en effet des éléments du menu de l'achigan et le pêcheur aura avantage à en tenir plusieurs de grosseurs différentes en inventaire.

     Un de mes compagnons de pêche d'autrefois, Aristide Guertin, avait beaucoup de succès sur le lac La Pêche, dans le parc de la Gatineau, en employant les White et Brown Wulff qu'il utilisait aussi sur la rivière Matane à la recherche de saumons, preuve que l'achigan à petite bouche a grand appétit.

     Voici ce que contient ma boîte à mouches quand je pêche l'achigan :
     Streamers: Black Nose Dace - Grey Ghost - Magog Smelt - Muddler Minnow (numéros 6, 8).
     Noyées: Montréal - Joliette Hopper - Muddler (numéros 10, 12).
     Nymphes: Helgramite - Perlidés - Caddis et Muddler (numéros 12, 14).
     Sèches: Joliette Hopper - Ratfaced McDougali - McGinty - March Brown - Bivisible - Brown Wulff - Grey Wulff et Muddler (numéros 10,12).
     Bugs: Une qui imite une petite souris (mulot) et une seconde qui imite une petite grenouille.

     S'il arrive que l'achigan refuse tous ces choix, dites-vous que vous l'avez certainement tenté pendant une de ses sautes d'humeur négatives.

La brune, une truite quatre saisons

     «Moucher la brune à la sèche est plus qu'un sport. C'est une branche de la philosophie.»

     Cecil E. Heacox.

La brune, une truite quatre saisons
     L'eau basse, idéale pour la pêche à gué, se révélait ce soir-là une invitation à la mouche. Avant de m'introduire dans le cours d'eau, je surveillai de loin un pêcheur dont le panier semblait comble. Je me rapprochai de lui quand une nageoire dorsale fendit la surface et capta mon attention. Tout à l'observation du poisson, je ne vis pas le pêcheur quitter les lieux; je vis par contre quatre autres poissons rallier le premier. Ceci déclencha chez moi une réaction spontanée. J'exécutai un premier lancer à la hâte, la Bivisible toucha délicatement la surface. Un poisson se dirigea vers elle. Excité, j'anticipai le gobage et ferrai prématurément. La scène se répéta à quatre reprises avant que la nuit ne s'abatte sur moi.

     Mon frère, voyant mon désarroi, me suggéra de tenter encore quelques lancers, mais cette fois avec une Muddler. Stratège indiscuté, il savait que le temps de changer de mouche servirait à dissiper mon excitation, responsable de ces ferrages prématurés.

     La mouche changée, je décochai un lancer désespéré. La Muddler fila, entraînée par la soie, elle descendit et se posa sur le flot argenté éclairé par la lune, en aval du barrage. Une secousse ébranla le scion de ma canne à moucher. Un poisson s'était précipité sur l'artificielle. Ma réplique ancra l'ardillon. Le poisson bondit hors de l'eau, retomba, se projeta à nouveau dans un jaillissement majestueux et entreprit une lutte aveugle pour se libérer de la force inconnue qui l'attirait vers la berge.

     Roland m'alluma une cigarette (nous avons tous les deux cessé depuis) et me prit au jeu qui voulait que je fatigue ma proie avant de la récupérer et seulement une fois la cigarette grillée. Lorsque le feu toucha mes lèvres, je rejetai le mégot et me dirigeai vers la grève. N'ayant pas d'épuisette, je n'eus d'autre alternative que de projeter le poisson sur la rive d'un coup de pied bien ajusté. La masse sombre accusa le coup; elle atterrit aux pieds de Roland. J'attendis le verdict. «C'est une truite! mais je ne peux pas l'identifier!» Je bondis hors de l'eau et saisis ma capture. Elle avait la lèvre inférieure recourbée, des points rouges, le ventre jaune, le dos brun foncé, le corps recouvert d'écailles minuscules ... «Mais c'est une truite brune!», dis-je.

     Ceci se passait le 4 septembre 1968. Ce fut le début d'une longue étude sur cette truite qui fait les manchettes depuis que l'auteur Claudius Aelianus a écrit De Animalium Natura en l'an 230. Cette truite, la Salmo Trutta , qui existait à l'époque glaciaire il y a quelque 70 millions d'années, fut ensemencée au Québec pour la première fois au lac Brûlé en 1890. La première capture enregistrée le fut en 1897. Avant d'être acceptée dans les pays étrangers, elle fut d'abord fustigée par nombre de pêcheurs qui la tenaient responsable de la disparition des ombles indigènes. Mais tout comme Die Forelle («La Truite») du compositeur Franz Schubert a résisté à l'usure du temps dans le monde de la musique, la brune qui l'a inspiré fait de même dans celui de la pêche.

Un poisson exceptionnel


Les quatre saisons de la brune
      Bénéficiant en Amérique du Nord jusqu'au début des années 40 d'une réputation de cannibale à chair médiocre, la truite brune est devenue aujourd'hui le plus recherché des poissons d'eau douce par les amateurs de pêche à la mouche sèche. La mauvaise opinion qu'on avait d'elle dans les États de notre pays voisin, et celle qui a persisté ici, est due principalement au fait que la plupart des pêcheurs n'étaient pas assez habiles pour la capturer.

     Je n'ai pas encore éclairci l'énigme suivante: il se capture plus de truites brunes avec la sèche que par toutes les autres méthodes confondues; pourtant les éphémères, à leur phase adulte, ne comptent que pour 8 p. 100 de leur régime alimentaire. En effet, une étude faite par un biologiste reconnu, le docteur Needham, a révélé que des 2 404 éléments prélevés dans des estomacs de truites brunes 1 907 ont été identifiés comme étant des éphémères. Cependant, de ces 1 907 éphémères, 1 714 étaient des nymphes et seulement 193 des adultes, subimagos ou imagos. Il a trouvé que les phryganes représentaient 10 p. 100 de la nourriture de la brune, et que les derniers 10 p. 100 se composaient d'autres insectes, de vers, de ménés et de crustacés.

   Chez la brune, la vision s'apparente à celle de l'homme; cependant, une différence marquée en fait un animal nocturne: son iris ne peut ni se dilater ni se contracter comme le nôtre qui ainsi nous protège du soleil. Ceci avantage la truite face aux pêcheurs du dimanche, mais la rend plus vulnérable face à ceux qui pêchent le soir.

     Chez nos voisins du Sud, sa capture a fait l'objet de diverses législations. Dans certains États, elle ne peut être pêchée qu'à la mouche, comme notre saumon; dans d'autres, elle doit dépasser une longueur minimum de 30 cm (12 po), 35 cm (14 po) et parfois même 50 cm (20 po). Ici, au Québec, nous sommes encore dans une période de rodage et d'essai. On permet sa capture à longueur d'année dans certaines eaux. Il nous est donc permis de la capturer dans le Richelieu, le Saint-Laurent, l'Outaouais, la rivière des Mille-Îles, la rivière des Prairies, l'Assomption, la Ouareau et la rivière Noire, en aval du lac Noir, dans le comté de Joliette. Cette situation en fait donc une truite quatre saisons.

Les quatre saisons de la brune
Les quatre saisons de la brune

     La première saison correspond aux mois de mars et avril, avant le dégel, donc avant l'ouverture de la pêche aux ombles (truites mouchetées). À ce temps-là de l'année, la glace recouvre la majeure partie des eaux, sauf les rapides; c'est donc là qu'il nous faut la rechercher. Je ne peux pas conseiller le pêcheur au coup car je brûle d'utiliser la canne à mouche, mais je vous lègue ici la description d'un prélèvement stomacal d'une brune capturée dans le Richelieu le 20 mars 1971 et qui pesait 1,4 kg (3 lb 1 oz): environ 40 g (1 1/2 oz) de nymphes, une douzaine de vers de terre et deux grenouilles vertes adultes. Elle avait succombé à un streamer Magog Smelt no 4. Une quinzaine de jours auparavant, un pêcheur solitaire capturait une truite dont l'estomac contenait 23 ménés. C'était le vendredi 5 mars et qui, dans la région métropolitaine, ne se rappelle la fameuse tempête de neige du jeudi 4 mars 1971!

     Durant cette saison, les moucheurs que je rencontre utilisent des streamers, des grosses nymphes plombées et la Muddler. Le mâle de la brune est superbe à cette période de l'année. La basse température de l'eau ayant contribué à ralentir considérablement son métabolisme, il réussit à conserver ses couleurs de frai.

     Ce n'est pas encore le temps de la mouche sèche, mais plusieurs Québécois s'aventurent dans l'État de New York pour une ouverture hâtive qui se répète en avril chaque année. Dans ces rivières, il arrive qu'à l'ouverture tous les éléments soient propices et qu'il y ait des éclosions de moucherons lorsque le soleil est à son plus fort. Cette éphémère minuscule, qu'on nomme midge en anglais, fait la joie des truites et des pêcheurs lorsqu'elle éclot. Le moucheur se doit, à cette occasion, d'utiliser un bas-de-ligne de 7X et même de 8X, d'une résistance de 340 g. Ce bas-de-ligne est nécessaire à la présentation de sèches montées sur des hameçons 18, 20, 24, et même 28.

     Le dégel terminé, le moucheur entreprend sa deuxième saison. Elle s'étend sur les mois de mai et juin. Les éclosions d'éphémères se succèdent les unes aux autres, en commençant par la Iron fraudator (Quill Gordon), la Paraleptophlebia adoptiva (Blue Quill), l'Ephemerelia subvaria (Hendrickson), la Stenonema viearium (March Brown), la Stenonema fuseom (Frey Fox), l'Ephemera guttulata (Green Drake), l'Ephemerella dorothea (Pale Evening Dun), la Stenonema eanadense (Light Cahill), l'Ephemerella attenuata (Blue Winged Olive) et enfin l'Isonyehia bicolor (Dun Variant).

     De toutes ces éphémères, la subvaria semble être la préférée de l'ensemble des moucheurs qui la représentent par la Hendrickson, la Red Quill et la Lady Beaverkill. Cependant, il se capture peut-être plus de truites avec la Light Cahill, parce qu'on les pêche le soir à partir de 8 heures, pendant les éclosions de canadense. Les rapides de Côte Sainte-Catherine, sur le Saint-Laurent en aval du pont Mercier, sont le lieu d'éclosions majeures de viearium. La March Brown, à cet endroit, commence à éclore durant la semaine précédant la Saint-Jean-Baptiste, entre 6 et 9 heures du soir. À cet endroit, la viearium a la caractéristique de préférer éclore près de la côte, et le pêcheur attentif peut suivre la migration des brunes qui fendent la surface de l'eau de leurs dorsales à la poursuite des nymphes de viceriums de phryganes.

     Juillet pourrait être excellent pour la pêche à la brune, mais sur les gros plans d'eau que je connais tels que le Richelieu et le Saint-Laurent, la hausse subite de température a un effet négatif sur son appétit. Il ne s'agit pas à ce moment-là de remiser son attirail de pêche, mais plutôt de varier les artificielles et d'entreprendre la troisième saison, celle de juillet, août et septembre.

     Une éphémère fort coopérative éclot tout au long de ces mois, après 19 heures: l'Isonyehia bicolor. Cet insecte, que les moucheurs représentent par la Dun Variant, a empêché bien des pêcheurs d'être ridiculisés par leurs épouses qui les traitaient de fous parce qu'ils pêchaient de la brunante à la noirceur complète.

     La brune est moins active de la mi-juillet à la mi-août, mais elle n'arrête pas de se nourrir. Pendant cette période, le moucheur a tout à gagner à pêcher avec une Muddler, ou même un petit Streamer pendant les deux heures avant et après minuit. C'est à ces heures que les gros monstres, en l'occurrence les brunes cannibales qui atteignent, dans nos eaux, 5,5 kg (12 lb) et plus, entreprennent leur ronde.

     La fin d'août et le mois de septembre ramènent les beaux temps de la sèche, mais pas n'importe laquelle. Le temps des éphémères est passé. Le mordu de la sèche pourra revivre les joies que procure la brune de surface en employant la Muddler sur hameçon no 12, la Adams et toute une gamme de phryganes. La Adams, qui a vu le jour en 1922 dans l'étau de Leonard Halladay, au Michigan, est une combinaison de deux couleurs de base, le brun et le gris. Beaucoup de moucheurs professent que s'ils n'avaient qu'une sèche à utiliser, ce serait la Adams. La Muddler, elle, n'a pas besoin de présentation et, à cette période de l'année, elle imite la sauterelle pour laquelle la brune a une préférence marquée. Les éclosions de phryganes continuent, mais au ralenti; il est toutefois de bonne augure de pêcher avec des imitations de ces dernières.

     Commence alors la quatrième et dernière saison de l'année avec le départ des sarcelles, souchets et chipeaux. Octobre et novembre ne sont pas des mois idéaux pour la pêche à la mouche, mais c'est à ce temps de l'année que les quelques mordus prendront leurs limites sur le Richelieu et le Saint-Laurent. L'eau se refroidit de jour en jour. Elle est également sujette à des hausses de niveau considérables à cause des pluies; cependant, elle est généralement basse et limpide. C'est le temps du frai pour la brune. Les adultes remontent le courant à la recherche d'un terrain propice à l'établissement d'un nid.

Les truites oubliées de l'automne

     Je n'avais pas eu de touche depuis près d'une heure et je commençais à regretter d'avoir refusé l'invitation d'Aimé Leduc d'aller à la chasse au canard en compagnie de chasseurs d'élite du lac Saint-Louis. Confronté à l'idée de rentrer bredouille, sans même avoir réussi une seule touche, je prononçai quelques mots magiques et lançai d'un trait mon artificielle pour la luck .

     Je voulais un lancer délicat, afin que ma mouche flotte sans résistance à la manière d'une sauterelle qui demeure transie lorsqu'elle tombe à l'eau par mégarde. Au diable l'incantation magique, la Muddler piqua du nez dans un petit remous anodin. Ne voulant pas qu'elle s'ancre parmi les débris d'un vieux barrage tout proche, je me mis immédiatement à récupérer de la soie. Mais elle s'immobilisa. Croyant m'être attiré la faveur d'un des morceaux de béton qui jonchent le fond à cet endroit, je me préparai à tout casser quand une secousse soudaine ébranla ma canne. Instinctivement je répliquai et rencontrai une résistance qui m'était familière. La prise gardait le fond, essayant de se défaire de l'artificielle avec de puissantes secousses. Je sentis qu'elle allait m'échapper et je redoublai de prudence, remontant ma canne de deux mètres et demi (huit pieds) au bout de mes bras levés. Cette technique m'avait déjà servi pour le saumon et s'était avéré la meilleure que je connaisse pour fatiguer un poisson.
Après plus de vingt minutes d'un combat à vous couper le souffle, elle se présenta, épuisée mais fière. Elle n'avait pas perdu cet air sophistiqué qui caractérise la truite franche. Elle était belle, brune, pas une femelle, mais un mâle dans toutes ses couleurs de frai: le ventre d'un jaune ocre éblouissant, le dos d'un brun foncé des plus riches et le corps parsemé de points rouge vif. C'était une truite oubliée de l'automne. Je dois vous avouer que j'en étais à ma première expérience de pêche à la brune si tard en saison.

     Tout me porte à croire que le Richelieu, à la hauteur de Chambly, offre un beau potentiel pour cette pêche tardive. Je m'explique: situés au pied d'un barrage qui semble avoir été conçu pour avantager les pêcheurs tout en offrant la protection nécessaire aux poissons, des rapides violents dévalent une pente abrupte pour aller mourir dans un bassin au pied du fort de Chambly.

     La truite brune y est en permanence depuis 1965 et fait de tout ce secteur, son terrain de jeu. Elle séjourne dans les rapides, là où les truites arc-en-ciel se tiennent, et «marsouinent» au nord des îles du bassin, au pied des rapides, ou en aval et en amont de l'ancienne usine hydro-électrique du côté du parc de Richelieu. Elle voyage seule ou en groupe. Après l'âge de trois ans, elle a tendance à faiblir devant les leurres ou les appâts que lui présentent les pêcheurs.

     Les rapides de Côte Sainte-Catherine offrent égaIement d'excellentes possibilités et les truites qui y sont capturées sont généralement plus grosses que celles du Richelieu à cause de l'étendue d'eau, d'un minimum de pression de pêche et d'une abondance de nourriture qui en fait des truites à petite tête et à gros corps.

     Les barrages de la région de Valleyfield et de Beauharnois sont aussi propices à la pêche à la brune et offrent en prime aux chanceux: le saumon Coho et le Chinook.

     Après des temps froids ou pluvieux, une journée chaude et ensoleillée devient des plus intéressantes d'autant que le pêcheur qui y tente sa chance n'y rencontre pas le trafic intense de la belle saison.

     Les truites, à ce temps de l'année, se gavent d'insectes riches en protéines, car elles se préparent pour le frai et la saison hivernale. Bien qu'elles demeurent actives durant la saison froide, leur métabolisme est quand même ralenti. Elles doivent donc emmagasiner durant l'automne les réserves qui leur seront nécessaires.

     L'activité des insectes diminue également durant cette période, autant chez les terrestres que chez leurs cousins aquatiques; ceci avantageant les moucheurs. Il peut imiter une nymphe, un méné ou une sauterelle en employant la Muddler qui, soit dit en passant, atteint son maximum de productivité à cette période-ci de l'année. Le moucheur a aussi souvent recours à de grosses nymphes de perlidés de couleur rouge, brune ou noire telle la «Jac's stonefly» montée par Jacques Authier. Il emploiera également les streamers suivants: la Magog Smelt, la Black Nose Dace ou la Grey Ghost de Paul Leblanc.

     Il y a une théorie qui veut qu'un gros appât intéresse le gros poisson. Elle est fondée en ce qui a trait à la pêche du printemps et de l'automne. Le moucheur aura donc avantage à utiliser des artificielles attachées sur des hameçons numéros 8, 6 et 4. Les techniques de pêche sont les mêmes que celles employées à l'ouverture: mouvement lent et au fond, à l'aide d'une soie calante.

     Soumis aux avances du moucheur, le Salmo trutta se défend bien et toute la gamme des tactiques que les moucheurs utilisent pour le capturer à l'artificielle n'a qu'un but, celui de rendre la confrontation entre la brune et le moucheur plus équitable.

Les maudits saumons ...

Les maudits saumons ...
     Au printemps 1975, je me préparais avec beaucoup d'enthousiasme à entreprendre une nouvelle saison. Je me voyais dans mes rêves dorés attrapant plusieurs saumons avec facilité. Bien documenté, ne négligeant aucun détail pour assurer mon succès, j'avais même tiré les vers du nez à François de B. Gourdeau, Ovila Le François et Roger Desjardins. J'étais sûr de comprendre Salmo salar . Mais, comme il y a loin de la coupe aux lèvres, il y a plus loin encore du pool à la poêle à frire.

     Le saumon m'a ridiculisé; que dis-je, humilié! D'abord dans la rivière Sainte-Anne, petite mais pittoresque rivière de la Gaspésie, qui coule au pied du mont Jacques-Cartier où erre encore le caribou. Fin juin, elle ouvre son sein aux saumons argentés de l'Atlantique. Armé d'une sélection impressionnante d'artificielles, de trois cannes à mouche et de six moulinets, j'étais fin prêt pour leur «faire la passe»!

     André Bellemare, du Soleil de Québec, George Gruenefeld, de la Gazette, Gilles Richard et Henri Poupart composaient notre groupe conduit par François de B. Gourdeau, pêcheur de saumon émérite. Je me suis acharné sur trois saumons une journée entière, pour n'avoir comme réaction qu'un coup de queue qui me parut aussi large qu'une portière de voiture. Les deux autres jours, les saumons tout simplement m'ignorèrent pendant qu'ils se ferraient sans résistance sur les mouches d'André, de Gilles et de George. Bredouille, mais non défait, je les attendais dans la Matane.

     Armé de la même conviction, j'entrepris le voyage à Matane accompagné de mon frère Roland. Tout au long du trajet, je lui léguai mes secrets et mes tactiques, et ceux des trois experts mentionnés précédemment. En arrivant, le temps d'ériger la tente à la barrière John et nous voilà rendus au Cap-Seize, une magnifique fosse à proximité du camping. Mon frère m'invita à lui enseigner la façon de pêcher dans cette fosse. Sans hésiter, je débutai la rotation en effectuant les lancers aux endroits stratégiques. À la troisième station, je décochai un lancer qui déposa délicatement la petite Bomber qu'Ovila m'avait remise et avec laquelle il avait «sauvé» deux saumons dans l'avant-midi. La soie amerrit avec un angle de 45° et le courant prit soin de la faire tourner à un rythme accéléré. Une masse foncée apparut derrière mon artificielle, puis réintégra son lieu. J'hésitai un moment, stupéfait. Je sentis une légère résistance et ferrai aussitôt. Le majestueux poisson fendit l'eau; j'avais réussi à en attraper un.

     Je suivis à la lettre les principes du jeu entre le pêcheur et le saumon ferré. Au bout de vingt à trente minutes, le croyant à ma merci, je commis une erreur. Il me tourna le dos, sembla me faire un signe d'adieu avec sa queue et se dirigea vers les rapides. Et soudain, avant même que j'esquisse le moindre geste pour contrer cette offensive, je reçus à mes pieds fil de réserve, soie et bas-de-Iigne. Dans ma hâte, j'avais omis de barrer le noeud qui fixait l'artificielle à mon bas-de-ligne. Coûteuse erreur. Les saumons se sont passé le mot car pendant deux semaines ils m'ont ignoré totalement; même pas une petite touche.

     Les pêcheurs de la John, les uns après les autres, m'ont consolé. Plusieurs m'ont même recommandé de lire l'article d'un dénommé Vincent paru dans la revue Québec Chasse et Pêche du mois précédent. Revenu chez moi, c'est exactement ce que j'ai fait. J'ai lu et relu mes écrits, jusqu'à en faire une dépression. J'ai analysé mes notes et j'en suis venu à la conclusion que les fosses d'une rivière à saumon ne sont en réalité que des miroirs de la nature humaine. Salmo salar, ce poisson pédant, dédaigneux et fastueux, me poussait petit à petit, par son arrogance et malgré mon admirable foi en la mouche, à un état de prolétaire braconnier.

     Un dénommé Van de Water, ayant pris la mesure du saumon, disait que: «Les saumons étaient autrefois des gentlemen de la vieille roche, reculés de plusieurs échelons dans l'échelle hiérarchique de la réincarnation, punis pour la somme d'informations non sollicités qu'ils avaient accumulées sur le compte de leurs inférieurs. Les saumons portaient des lorgnons, retenus par des cordons noirs, des blouses brochées à liséré et un air chronique de condescendance, lorsqu'ils habitaient parmi nous les hommes. » Il poussait plus loin sa pensée en ajoutant «qu'ils occupaient les chaires, les tribunes universitaires ou les fauteuils rembourrés des clubs privés sélect, regardant les petites gens avec des yeux qui présageaient leur châtiment imminent. Ils croyaient que le fin mot de la moralité leur avait été légué sur le Sinaï et que seuls ils étaient les derniers dépositaires de la sagesse.» Van de Water a raison: «C'était des hommes arrogants. Ce sont des poissons arrogants.»

     Le saumon n'a en réalité rien d'autre à faire que de semer la confusion dans toutes les théories que les grands de cette pêche mettent de l'avant. Il a une conduite indéchiffrable et ne respecte en rien le pêcheur. Mais le plus difficile à supporter est son indifférence. Le saumon nous ignore totalement. Il ne m'a offert pendant dix jours de pêche intensive qu'un bâillement occasionnel. Même quand je bataillais contre celui qui devait finalement s'échapper, ses compagnons demeuraient impassibles devant le sort qu'il subissait et ne bougeaient point d'un millimètre.

     Je m'amuse à dire que j'ai « sauvé» un saumon quand je réussis à en ramener un jusque dans ma «lèchefrite» ; mais les Anglais, ces aristocrates de la mouche, préfèrent dire to kill a salmon, tuer un saumon. Serait-ce qu'ils en sont arrivés au point de retirer un plaisir païen chaque fois qu'ils réduisent à l'impuissance cette créature impeccable et fière?

     J'envisagerais sérieusement, à un moment donné, d'employer la technique du pêcheur de la John qui, après avoir fouetté la fosse de la Côte de Glaise pendant toute une matinée, porta sa canne à l'épaule pour traverser les rapides tout en laissant sa mouche se dandiner dans l'eau derrière lui et réussit à ferrer un saumon de plus de 4,5 kg (10 lb). Ou encore la technique de Mme Denis, de Hull, qui scandalisait les nobles moucheurs d'autres pays par ses lancers erratiques, mais qui connaissait le succès à chacune de ses sorties. Son coup de maître, elle le réussit à la fosse Grand Tomogadi. Un saumon s'y reposait depuis plus de dix jours. Toute une pléiade de pêcheurs s'y étaient essayés, mais sans succès. Mme Denis s'assit sur le cap, et dandina son artificielle à la surface. Le saumon explosa alors hors de l'eau, happa la mouche et replongea dans l'abîme, entraînant soie, canne et pour un peu notre héroïne. Aidée de son mari René qui, plutôt que de se payer des permis préférait les payer à son épouse, question de rentabilité!, elle réussit à le capturer, malgré la «perruque» formée dans son petit moulinet à truite.

     J'étais résigné à pêcher le saumon à la «dandinette». Absurde, n'est-ce pas? Je ne le voyais pourtant pas ainsi, car j'avais effectivement perdu 9 kg (20 lb) et contremandé deux voyages aux truites géantes du Grand Nord. Tout cela parce que je n'avais pas capturé de saumon. Je décidai donc de passer ma dernière semaine de vacances à bricoler autour de la maison et à m'apitoyer sur mon sort.

     Pensez-vous que les saumons me laisseraient tranquille pendant qu'ils se doraient au soleil dans les fosses de la Matane? Pas une miette. Ils m'envoyèrent un de leurs pêcheurs les plus mordus, Denis Boucher, qui entreprit de me harceler. À bout de nerfs, j'éclatai. Pour me calmer, il m'enleva et je me retrouvai le lendemain à la fosse LeBreux. Comme dans un rêve, je me mis à pêcher «à la lettre». Le saumon réagissait, petites montées, puis petites touches. René Pétrin arriva le lendemain, offrit sa John Special aux incantations magiques et «sauva» un gros mâle au bec recourbé. Au milieu de la semaine, enfin, un saumon prit la Bomber que je lui présentai, dans le courant en aval de «l'oreille de charrue». Il brisa l'eau à six reprises et, enfin épuisé, se laissa monter sur la grève.

     C'était peut-être seulement un «p'tit grisle», mais quand je l'ai mangé, il goûtait le saumon. Malgré ses 1250 g (2 ¾ lb), il m'a redonné confiance et, pendant la quinzaine qui suivit, je retrouvai toute ma forme. Je peux vous dire que depuis cette année-là, je les attends les maudits saumons ...

Au saumon, un petit rien peut faire la différence

Salar en action
     Le pêcheur réagit spontanément en pêcheur de truite pour la cinquième fois. C'était instinctif et le malheureux n'y pouvait rien lorsqu'il vit la Brown Bomber glisser inoffensivement hors de la gueule tordue d'un magnifique saumon mâle aux flancs argentés. Il étouffa son dépit et entreprit de faire lentement la centaine de pas le séparant de la berge. Arrivé à destination, il jeta son attirail sur le gravier et se mit à le piétiner follement. La moucheuse se brisa vite sous les talons de l'homme en colère. Le moulinet, plus robuste, tint le coup un petit moment, mais ne put résister longtemps aux pierres qui s'abattaient sur lui.

     Réalisant qu'il avait sauvagement « assassiné» son équipement, notre pêcheur humilié ramassa les pièces à conviction et les jeta dans la fosse qui avait été le théâtre de cette tragédie.

     Depuis, il a appris qu'à la sèche, le pêcheur doit donner suffisamment de temps au saumon pour gober l'artificielle et entreprendre sa descente avant de le ferrer.

     Ce soir-là, solidement ancrés dans le hall de l'hôtel Métropole, à Saint-René-de-Matane, Charley, Georges et Stan discutaient des événements de la journée, tout en discutant des techniques et des principes auxquels ils adhéreraient le lendemain. J'ai beaucoup appris d'eux; mais en même temps je me suis rendu compte qu'une semaine de pêche était un laps de temps beaucoup trop court pour expérimenter l'ensemble des théories exposées ce jour-là. Et je ne peux ici en faire connaître que quelques-unes, même si elles sont toutes excellentes.

Erreurs à éviter

     Plusieurs pêcheurs de truites sont également passionnés de pêche au saumon, même si ces deux exercices de la canne sont diamétralement opposés. D'une part, contrairement à la truite, le saumon ne craint pas la présence de l'homme barbotant à proximité et, d'autre part, il n'est pas non plus gêné par le bas-de-ligne.

     Autre aspect important: la présentation de la mouche. Elle n'a pas non plus besoin d'atteindre la perfection pour faire réagir positivement un saumon, tandis que chez la truite, la quasi-totalité du succès en dépend. À mon avis, les pêcheurs attachent, plus que le saumon, de l'importance à la couleur, à la longueur et au diamètre des bas-de-ligne. Il faut cependant porter attention au fuseau de bas-de-ligne (queue de rat), car il a un rôle à jouer en facilitant la flottaison ou la descente naturelle de l'artificielle.

Influence de la température

     Quand l'eau est plus froide que l'air environnant ou que sa température est inférieure à 10°C, les mouches noyées sont à recommander. Si l'eau est basse, claire et à plus de 10°C, les sèches devraient être à l'honneur. Cependant, n'allez pas croire que le saumon est d'accord avec tout ce que l'homme préconise. Ces principes sont posés sous toute réserve; j'ai moi-même capturé deux saumons à la mouche noyée dans une eau à 19°C.

Techniques de la mouche noyée
Techniques de la mouche noyée

     Il est particulièrement avantageux de pêcher avec une mouche noyée qui n'est pas trop fournie. Elle a le double avantage de bien caler et de bien « couler» dans l'eau, tandis qu'une touffue a tendance à flotter. À la mouche noyée, il n'est pas nécessaire de pêcher en profondeur lorsque l'eau n'est pas trouble; par conséquent, une soie flottante vous permettra de bien faire dériver une noyée sobre près de la surface.

     La plupart des moucheurs se servent de la mouche noyée pour pêcher en aval du gîte du saumon. Si cette méthode ne donne pas les résultats escomptés, vous pouvez en essayer une autre, mais comme dernier recours seulement: lancez votre artificielle en amont et récupérez votre soie à grands coups pour lui imprimer une plus grande vitesse. Vous pouvez également accroître la vitesse de descente d'une mouche en corrigeant le déplacement de la soie de façon à la placer dans le fort du courant. Lorsque vous employez cette méthode, utilisez un bas-de-ligne long, car l'ombre que la soie projette en passant au-dessus du saumon pourrait le distraire et le porter à ignorer la mouche qui suit.

Pêche à la sèche

     Plusieurs d'entre nous adhèrent au principe suivant: «Une mouche aux couleurs pâles pour pêcher quand il fait soleil, une aux couleurs foncées quand il fait sombre.» Cette théorie a déjà fait ses preuves, mais ne l'érigez pas en loi. Pêcher à la mouche sèche demeure un jeu dans le cas du saumon. Aussi, lorsque le soir la mouche foncée devient difficile à distinguer, il est possible de choisir une blanche ou une jaune, plus facile à suivre des yeux.

     En sèche, toutes les techniques ont leur place et le moucheur qui se creuse quelque peu les méninges se verra récompensé. Ainsi celui qui réussit à localiser un saumon par l'emploi d'une grosse sèche no 2 ou 4, et change immédiatement pour une semblable sur hameçon no 8 ou 10. Ou encore celui qui n'attirant que des bâillements occasionnels du poisson avec sa mouche en descente naturelle, change de tactique pour la faire patiner sur l'eau en décrivant un V.

Les streamers

     Quand une fosse a été visitée sans succès par plusieurs pêcheurs ayant employé toute la gamme des sèches ou noyées conventionnelles, tentez votre chance avec un streamer. Il peut arriver que ce dernier donne des résultats inattendus. Cette artificielle est particulièrement bonne au printemps et à l'automne lorsque l'eau de la rivière est à moins de 10°C ou lorsqu'elle monte et se trouble à cause des pluies.

     Un jour, je taquinais trois saumons dans une fosse réputée de la Matane, la fosse LeBreux. Soudainement l'eau devint couleur café crème. Le néophyte à mes côtés était découragé par ce phénomène. Inutile de dire que je n'en étais pas plus heureux. Je lui fis pourtant remarquer que sa calante représentait un avantage dans ces conditions et lui suggérai de pêcher plus en profondeur, avec la plus grosse mouche en sa possession. Il monta aussitôt une Mickey Finn 4/0 sur son bas-de-ligne. Il n'eut le temps d'exécuter qu'un seul lancer: un saumon de 4,5 kg (10 Ib) environ attaqua cette grosse bucktail dans une eau boueuse ou nos yeux voyaient à peine à quelques centimètres de profondeur. Le lendemain, sur la Saint-Jean, c'était pire; l'eau était montée de plus de 2,10 m (7 pi) en une nuit et des arbres de 9 m (30 pi) qui avaient été déracinés, descendaient la rivière gonflée et sale; pour autant Salar ne refusa pas la Green Highlander de Paul Leblanc.

La Jean Spéciale

     Dans une fosse renommée de la rivière Matane, douze pêcheurs s'affairaient à présenter des noyées, des sèches et des «Le François» à d'arrogants saumons qui se reposaient au pied d'une « oreille de charrue." dans le rapide et à la grosse roche. C'était un spectacle admirable ne pouvant qu'émouvoir les curieux sur la berge que ces douze acharnés fouettaient sans relâche depuis plus de trois heures sans récompense.

     Futiles semblaient nos efforts, jusqu'à ce que René Pétrin fit son entrée. On échangea quelques mots et je l'invitai à prendre place dans la rotation en vigueur sur les fosses de cette rivière. Il moucha une quinzaine de fois, tout en pratiquant la descente prescrite et s'arrêta de biais par rapport au rapide. Il me tourna le dos, changea de mouche et se mit à prononcer des incantations qui me semblèrent plutôt étranges puisque je n'y compris rien. Mais à son premier lancer, un saumon furieux jaillit hors de l'eau avec, harponnée à sa gencive, une espèce de «bibite» aux ailes jaunes et à la tête verte.

     Cette artificielle, qu'il m'a remise après que je lui eus un peu tordu le bras, était une Jean Spéciale. L'instant d'après elle traversait les airs, reliée cette fois à mon bas-de-ligne. Une heure plus tard, je la remis en précisant qu'il avait eu bien de la chance de capturer un saumon avec un machin semblable. Visiblement piqué par mes propos, il répéta son rituel. Il me tourna le dos, fixa la mouche à son attirail, formula ses incantations et reprit ses lancers. Vingt minutes plus tard, je lui présentai mes excuses. Il venait de capturer un deuxième saumon qui, comme le premier, avait pris la Jean Spéciale à sa première présentation.

     La Jean Spéciale a été très bien décrite par Jacques Fabre dans «Le secret de Ti-Jean», vol. 2 no 7 de la défunte revue Québec Chasse et Pêche. René est un de ces rares pêcheurs qui en ont découvert le secret. L'incantation y est certainement pour beaucoup, mais je persiste tout de même à croire que c'est dans la présentation et la façon de pêcher que réside le succès.

Choix des mouches

     Un amateur me disait, il y a quelque temps, que nous, les pêcheurs de saumon, avons une quantité trop imposante d'artificielles encombrant nos boîtes à mouches.

     C'est peut-être vrai, mais il est tout aussi vrai que le moucheur ne se borne pas à monter, acheter, échanger ou même donner parfois une de ses mouches; il aime encore tout autant les collectionner, les admirer, les comparer et les essayer. Afin de ne pas m'engager personnellement et d'être objectif dans le choix d'artificielles, je me réfère à deux grands de cette pêche: Ovila Le François et François de B. Gourdeau qui nous quitta un soir après une réunion du Conseil de la faune. Je tentai bien l'impossible pour le ranimer mais son coeur ne put supporter la crise qui le terrassa. C'est en parlant de saumon qu'il s'est affaissé dans mes bras.

     Je tiens à lui rendre hommage en vous léguant son choix de neuf des meilleures mouches noyées. Il appréciait une gamme élémentaire de mouches de cette catégorie: Black Dose, Cosseboom, Blue Icelander, Butterfly, Red Abbey, Orange Blossom, Norge, Green Highlander et en Low Water , la Silver ou la Blue Charm.

     J'ai voulu également présenter les sèches et c'est à Ovila que je me suis adressé. Ce pêcheur légendaire de la rivière Matane est décédé lui aussi. Il m'avait, un jour, suggéré ce choix de neuf artificielles particulièrement indiquées pour pêcher en surface: Grey Bomber, Brown Bomber, White Bomber, Whiskers Brown, Whiskers White, Grey Wulff, White Wulff, Royal Coachman Wulff et la Matane Spéciale. Pour sa part, Paul Leblanc, anciennement propriétaire de «La Boîte à mouche» de Montréal, n'hésite pas à me suggérer les streamers, Grey Ghost et Magog Smelt en début de saison.

     Si vous pensez être en mesure de déchiffrer l'énigme de la Jean Spéciale, n'hésitez pas à l'ajouter à vos mouches conventionnelles et classiques.

Visez dans le champ de vision

     Une technique éprouvée, particulièrement efficace avec la mouche sèche, est de présenter l'artificielle dans un rayon bien défini du champ de vision du saumon. Une artificielle inattendue, placée pile dans ce cercle, déclenche une réaction instantanée du saumon qui se précipite sur elle, tout comme il le faisait quand il était tacon ou saumoneau. Cette théorie n'est cependant applicable que si un saumon a été préalablement localisé. On peut toutefois, sans pêcher à l'aveuglette, réussir à prendre un saumon en visant la queue.

Pêchez dans la «queue» de la fosse

     Le saumon qui vient de remonter les rapides et qui prend place à la queue d'une fosse succombe facilement à la tentation d'une artificielle qui lui est présentée dès son arrivée. La noyée ou la sèche peuvent être employées à ce moment-là.

Changement de vitesse

     Toutes les fosses sont différentes les unes des autres, et la vitesse à laquelle l'eau circule détermine la technique à employer. En règle générale, on pêche en aval quand l'eau est rapide et, quand elle est relativement lente, on pêche en travers. Cette technique corrobore ce que les pêcheurs répètent depuis longtemps au sujet de l'inspection de la mouche par le saumon. Précisons qu'en procédant ainsi il est possible de jouer sur la vitesse de la mouche et donc de tromper le saumon qui, voyant sa proie lui échapper, se lance à sa poursuite sans plus l'inspecter.

     Les techniques traitées ici sont certes des techniques éprouvées. Le saumon ne m'a toutefois pas dit qu'il s'y conformerait. C'est un poisson unique qui force le pêcheur à utiliser toutes ses ressources pour réussir à le capturer. Il est cependant incontestable que le moucheur qui sait varier ses méthodes selon les circonstances s'engage dans la voie du succès.
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