Les Rivières du Grand Gaspé par Gérard Bilodeau

Des Rivières Exceptionnelles Grâce à des Gens Engagés

     Tout saumonier qui se respecte doit, au moins une fois dans sa vie, pêcher le saumon dans l’une ou l’autre des rivières de Gaspé. En effet, la Saint-Jean, la York et la Dartmouth jouissent d’une solide réputation auprès des saumoniers québécois et étrangers. Ces rivières qui prennent leur source dans les Chic-Chocs, se déversent dans la baie de Gaspé après avoir traversé des montagnes majestueuses et accueilli les eaux froides et tumultueuses de ruisseaux, offrant ainsi aux saumons qui les fréquentent des habitats de grande qualité.

     Pas surprenant que ces rivières aient été, à un moment de leur histoire, sous la gestion de clubs privés dont les membres ont investi temps et argent pour les découvrir, y aménager des camps et jouir des plaisirs de la pêche dans un contexte d’exclusivité.

     Aujourd’hui, la Société de gestion des rivières de Gaspé gère l’accès public de la pêche dans ces rivières, dont les modalités peuvent être connues en consultant le site internet de cet organisme. C’est grâce à des personnes dévouées et visionnaires que ces rivières sont devenues peu à peu accessibles au public. Je vais donc vous présenter trois personnes qui ont joué, à leur façon, un rôle déterminant dans le développement de la pêche sportive dans les rivières du grand Gaspé, tout en y intégrant la conservation de l’espèce et le développement de la relève.

     Mais avant de vous les présenter, voici une brève description de chacune de ces rivières :

La Saint-Jean

La rivière Saint-Jean Gaspésie
     Elle se distingue de ses soeurs par la limpidité et la couleur vert émeraude de ses eaux. Dans sa partie amont, se trouve le prestigieux Pavillon de la rivière Saint-Jean qui exploite une cinquantaine de fosses que 6 à 10 pêcheurs peuvent se partager selon le moment de la saison. Ce secteur haut de gamme comprend tous les services : guides, pêche en canot, hébergement et expérience culinaire unique. Sur le site internet du pavillon, on peut lire que le Canadian Fly Fisher Magazine, publié en avril 2008, mentionne que la Saint-Jean fait partie des plus belles rivières du monde.

     C’est une expérience unique qui attend le saumonier. J’ai eu la chance d’y pêcher il y a plusieurs années, à l’invitation du gouvernement du Québec qui avait alors la responsabilité de gérer la rivière. Je me revois sur le bord de la fosse Big Indian où se prélassaient plus de deux cent saumons (selon les guides) et des dizaines de truites de mer de grande taille. Avant de lancer ma sèche, un des guides m’a dit que la fosse n’avait pas été pêchée depuis une semaine. À la première passe, une truite de mer géante engloutit ma sèche. La fois suivante, trois saumons se précipitent pour saisir l’Oiseau brun qui dérivait dans le courant. Inoubliable !!!

     La pêche en aval peut être pratiquée dans deux secteurs, eux aussi à accès contingenté mais dont le prix est accessible à toutes les bourses. Il y a de très belles fosses à explorer. Un saumon d’une quinzaine de livres qui avait ramassé rageusement ma Rusty Rat a livré tout un combat à la fosse Flat Rock vers la fin de juin, il y a de cela quelques années. Ce saumon, d’une vigueur exceptionnelle, m’a fait passer par toute la gamme d’émotions.

     La Saint-Jean est une des deux rivières témoins que les scientifiques du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec utilisent, depuis 25 ans, pour assurer le suivi des populations de saumons et effectuer des recherches.

     Selon les statistiques annuelles publiées pour l’ensemble de la Saint-Jean, le taux de succès moyen pour les saisons 2007 à 2010 atteint 0,32, un résultat parmi les meilleurs au Québec.

La York

La rivière York Gaspésie
     J’ai surtout pêché la York du début de la saison jusqu’à la mi-juillet. Je vous l’avoue : c’est ma rivière préférée. Pourquoi ? En raison de la taille de ses saumons et des paysages majestueux qui l’entourent. Mais probablement aussi parce que j’y ai vécu des moments inoubliables, dans les années quatre-vingt et début quatre-vingt-dix, alors que la pression de pêche n’avait rien de comparable à celle d’aujourd’hui.

     La distibution des secteurs de pêche non contingentés sur tout le parcours de la rivière permet au saumonier malchanceux lors des tirages au sort (à l’automne ou à celui de 48 heures) de tirer son épingle du jeu durant presque toute la saison.

     C’est sur le bord de cette rivière que j’ai rencontré Geneviève Fournier et son conjoint Dave Adams, deux jeunes gaspésiens passionnés de pêche du saumon. Leur enthousiasme est contagieux. Le travail qu’ils font pour faire connaître et aimer la pêche du saumon mérite d’être souligné. Avec des amis de Gaspé, ils assument un véritable leadership dans le développement de la relève.

     Chaque année, surtout en début de saison, de très gros saumons sont capturés dans la rivière York. La pêche se pratique à pied partout. Toutefois, quand l’eau est très haute comme on a connu au début de juin dernier, l’utilisation d’une canne à deux mains devient nécessaire pour couvrir la fosse de façon optimale.

    Le taux de succès moyen des 5 dernières années est de 0,16 sur l’ensemble de la rivière.

La Dartmouth

La rivière Dartmouth Gaspésie
     Cette rivière aux humeurs changeantes quand de fortes pluies surviennent, se pêche facilement à pied tout au long de son parcours. Le secteur des « Falls » est un « must » pour celui qui veut pêcher dans un environnement dont les paysages sont à couper le souffle. Je ne me lasse pas d’y pêcher. Je me surprends parfois à passer de longues minutes à contempler les gorges immenses qui bornent la rivière.

     J’ai une relation particulière avec cette rivière puisque j’y ai capturé mon premier saumon en 1977. Grâce aux judicieux conseils de Lionel Adams, la fosse Stony Brook a été le théâtre de ce moment unique dans la vie d’un saumonier : j’étais connecté pour la vie !

     Le succès de pêche moyen dans la Dartmouth atteint 0,13 pour les cinq dernières années.

Des Gens Engagés

Jean-Paul Duguay

Jean-Paul Duguay rivières de Gaspé
     Originaire de Pabos, Jean-Paul Duguay s’établit à Gaspé en 1951. Travailleur acharné et saumonier passionné, ce comptable de profession maintenant retraité, a consacré une bonne partie de sa vie à la cause du saumon. Jean-Paul s’est impliqué, et il l’est toujours actuellement, dans des organismes voués à la conservation du saumon. Il a aussi joué un rôle clé dans le développement de la pêche sportive du saumon dans sa communauté.

     Engagé dès le début dans la prise en charge des rivières du grand Gaspé par les gens du milieu, Jean-Paul succède à Georges Cabot comme président du conseil d’administration de la société de gestion des rivières York et Dartmouth en 1980. Il occupera cette fonction pendant huit ans. Faisant équipe avec les administrateurs, les employés de la société et les gens du milieu, il démontre hors de tout doute la capacité de la communauté à prendre en charge la gestion d’une rivière, tout en assurant son accessibilité à tous les saumoniers de la province et d’ailleurs. Au fil des années la rivière Saint-Jean s’est ajoutée et la société est devenue Société de Gestion des Rivières du Grand Gaspé. Parmi les gens qui ont apporté leur contribution, Jean-Paul me souligne celle de Jacques Gagnon qui a occupé la présidence de la Société de gestion durant les années quatre-vingt-dix.
 
     Jean-Paul a été un des membres fondateurs de la Fédération québécoise du saumon atlantique et responsable de la région de la Gaspésie pendant plusieurs années. De 1992 à 1996, il a représenté le Canada à l’Organisation pour la conservation du saumon de l’atlantique nord (OCSAN).

     Enfin, Jean-Paul a créé la Fondation du saumon du grand Gaspé dont il est toujours le président après 15 ans. « Tous les fonds que nous recueillons sont investis dans des projets structurants au profit du saumon », me dit-il fièrement.

     Au sujet de l’avenir, Jean-Paul Duguay me souligne que ses préoccupations concernent essentiellement les conditions en mer. Les possibilités de reprise de la pêche commerciale par le Groenland et les effets du réchauffement climatique méritent particulièrement son attention.

     Par ailleurs, Jean-Paul constate que les rivières de Gaspé offrent un habitat exceptionnel au saumon et les conditions nécessaires pour s’y reproduire et se développer. En appui, il m’indique que le taux de déposition des oeufs a atteint une moyenne de 140% au cours des dernières années, dans les trois rivières de Gaspé.

     L’oeuvre de Jean-Paul Duguay est tellement considérable que la Fédération québécoise du saumon atlantique a créé le Salar Jean-Paul Duguay, catégorie conservation.

David McCallum

David McCallum rivières de Gaspé
     David McCallum, de Gaspé, pêche le saumon depuis plus de 20 ans; ça fait même partie des activités familiales. Mais, ça fait plus de 40 ans qu’il pratique la pêche à la mouche. Évidemment, le saumon et la truite n’ont plus de secret pour lui.

     Cet homme d’affaires a été président du conseil d’administration de la société de gestion pendant 9 ans et administrateur pendant 14 ans. Encore aujourd’hui, il agit comme administrateur.

     C’est le goût de développer qui a incité cet entrepreneur régional à travailler bénévolement comme administrateur. « J’avais aussi le goût de redonner au milieu, de m’impliquer socialement » précise-t-il.

      Sans aucune hésitation, il m’indique que sa plus grande fierté est l’instauration de la graciation obligatoire des grands saumons (63 cm et plus) dans la rivière Saint-Jean, à partir de 1997. « Nous avons été les premiers à prendre le virage au Québec », me dit-il fièrement, « et en plus, on a fait la preuve que c’est viable économiquement, malgré le septicisme affiché par plusieurs personnes à cette époque ». D’ailleurs, il mentionne que l’année qui vient de se terminer a été la meilleure sous tous les plans : captures, ventes de droits d’accès et impacts économiques dans le milieu.

     La construction d’un nouveau pavillon dans le secteur amont de la Saint-Jean en 2004 est une autre source de fierté pour David McCallum. C’est là que sont hébergés et restaurés les saumoniers pêchant dans le secteur amont. « C’est une source de revenus importante pour notre organisation ». David est tellement confiant dans la réputation de ce secteur qu’il s’est fixé comme objectif que la prestigieuse revue Forbes le reconnaisse parmi les trois meilleurs au monde.

     Quand on aborde l’avenir, David McCallum réaffirme sa croyance dans la graciation des prises. Pour lui, c’est une orientation incontournable contribuant au maintien des populations de saumons en nombre suffisant. « L’été dernier, mon père âgé de 80 ans a gracié 23 saumons. Pour quelqu’un de sa génération, ça représente tout un cheminement et aussi un exemple à suivre… Pour le bénéfice du saumon et de la jeune relève », de conclure David.

Jean Roy

Jean Roy rivières de Gaspé
     Natif de Pabos, Jean Roy habite maintenant Gaspé. Il est le directeur général de la Société de Gestion des Rivières du Grand Gaspé.

     Dès sa prime jeunesse, il prend contact avec le saumon puisque la rivière Petit Pabos se trouve à quelques minutes de marche de la maison familiale. Durant les années soixante-dix, au cours de ses études universitaires, il travaille comme guide sur la Grande-Rivière à l’époque où un club privé possédait les droit de pêche. C’est là qu’il a acquis la conviction que la pêche du saumon doit être davantage accessible.

     Il a occupé un siège d’administrateur au conseil de la Société de gestion pendant 14 ans pour ensuite devenir directeur général, poste qu’il occupe depuis 9 ans.

     Jean Roy est un homme de conviction. Parmi ses réalisations, il est particulièrement fier d’avoir instauré, la carte de tirage et la non-transférabilité des réservations, assurant ainsi une accessibilité équitable et davantage transparente.

     Sur le plan de la conservation, Jean Roy, à l’instar de David McCallum, me souligne que l’instauration de la graciation obligatoire dans la rivière Saint-Jean fut une excellente décision, ayant contribué hors de tout doute à maintenir le haut niveau de qualité de la pêche. Fort des résultats sur la St-Jean, la graciation obligatoire a aussi été introduite sur la York et la Dartmouth, pour une certaine période de temps en début de saison.

     Enfin, les améliorations apportées aux infrastructures (poste d’accueil et pavillon de la Saint-Jean) soulèvent un sentiment de fierté non seulement au sein de son équipe mais aussi dans l’ensemble de la population. Jean Roy me révèle que l’impact économique dans le milieu généré par la pêche du saumon dans les rivières de Gaspé atteint 5 millions de dollars, tous services confondus. La Société de gestion des rivières de Gaspé est le deuxième plus gros employeur dans le domaine de l’offre touristique, étant devancé par le parc national de Forillon.

     Pour l’avenir, Jean Roy gardera la conservation du saumon au centre de ses préoccupations. Ainsi, il suivra de près l’analyse de certains cas de mortalité rapportés l’été dernier. La relève le préoccupe, non seulement pour la pêche, mais aussi pour l’implication bénévole dans la société et dans sa gestion. Au cours de notre conversation, il m’a appris que la société avait instauré la gratuité pour les jeunes saumoniers de 21 ans et moins; pour l’été dernier, cela a représenté 500 jours pêche. Voilà un geste qui mérite d’être applaudi et reproduit ailleurs au Québec.

Références

» Texte et photos: Gérard Bilodeau (2011).
» FQSA
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