Un Pêcheur Discret est un Pêcheur Chanceux !

     N.D.L.R. — George Breckenridge, de Sherbrooke, maintenant âgé de 75 ans. a péché à la mouche au cours des 65 dernières années! Il a surtout consacré ses saisons de pêche à récolter des saumons. Breckenridge a été l'un des premiers Québécois à devenir membres actifs de l'A.P. S.S.Q. Il est le propriétaire de la firme Breck's Sporting Goods Company limited, de Sherbrooke, qui fabrique les leurres Mepps de renommée mondiale. Sa compagnie fabrique et distribue aussi des mouches à truites et à saumons de qualité nettement supérieure. George Breckenridge a bien voulu faire part de son expérience de pêcheurs de saumons, au bénéfice des membres de l'A.P.S.S.Q., au cours d'une entrevue accordée à André-A. Bellemare.
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UN PÊCHEUR DISCRET EST UN PÊCHEUR CHANCEUX !
     Je lisais récemment un article sur la pêche du saumon dans une revue internationale de chasse et pêche: l'auteur écrivait que, contrairement à la truite, le saumon n'est pas le moindrement du monde dérangé par la vue d'un pêcheur approchant dans la fosse. L'auteur ajoutait même que ça ne faisait aucune différence que le pêcheur se cache ou non à sa vue. Je ne suis absolument pas d'accord avec pareille déclaration et mon expérience, au cours d'une multitude d'années, me prouve exactement le contraire!

     Voilà une douzaine d'années, je péchais la fosse située immédiatement plus bas que la fosse Métropole dans la rivière Matane, en compagnie de George Fletcher (autrefois de Rangeley, dans le Maine). Ce matin-là, avant de nous rendre à la fosse, nous avions rencontré George Maul (le célèbre monteur de mouches à saumons) qui nous avait bien recommandé de pêcher cette fosse du côté ouest, étant donné que la rive très escarpée empêcherait le soleil de chauffer et d'éclairer la fosse. Mon compagnon avait pourtant décidé d'en faire à sa tête et de pêcher la fosse du côté est, tandis que j'avais décidé de suivre la recommandation de George Maul. Fletcher, de son côté de la fosse, voyait 17 saumons situés à mi-chemin entre lui et moi. Chaque fois qu'il lançait sa mouche, sa canne à pêche scintillait au soleil et il effrayait ainsi littéralement les saumons! Il ne réussit jamais à faire lever un saumon dans cette fosse, ce matin-là. Que croyez-vous que je fis, de mon côté non éclairé et ombragé de la fosse? Pêchant à la mouche sèche, j'ai réussi à piquer quatre saumons et à en "sauver" trois!

     Durant une autre journée tout aussi ensolleillée, vers 10h. le matin, Fletcher et moi étions en train d'approcher la meilleure partie de la fosse Cap-Seize: nous étions à environ 40 pieds du bord quand, tout à coup, nous vîmes les saumons s'exciter et filer à toute vitesse... La même chose arriva sur la rivière Matapédia, voilà environ 25 ans, alors que j'y péchais en compagnie de mon bon ami Austin Adams dans la fosse Alexandre (là où la rivière Assemetquagan se jette dans la Matapédia). Même si nous étions tous deux à quelque distance encore de la fosse et même si nous déambulions sur le sentier, j'ai pu voir un paquet de saumons s'éloigner à toute vitesse! Pas besoin de vous dire que, à ces deux occasions, je n'ai jamais réussi à faire lever un saumon...

     Ces expériences-là, et bien d'autres encore, sont restées gravées dans mon esprit. Elles m'ont appris une leçon que je ne suis pas prêt d'oublier: tiens-toi loin des saumons, fais en sorte ; qu'ils ne te voient jamais et que ta présence soit la plus discrète possible, si tu veux "sauver" quelques saumons!

     Je demeure convaincu que le saumon nous voit bien avant que nous puissions découvrir sa présence dans la fosse, parce que nous sommes bien plus gros que lui et parce que nous nous promenons en plein soleil: c'est pourquoi je ne juge absolument pas essentiel de voir le saumon dans la fosse avant de commencer à pêcher. Je me demande aussi s'il ne serait pas possible que les saumons nous entendent arriver... et c'est pourquoi j'évite de faire du bruit en approchant de la fosse. La seule chose que la truite ou le saumon devrait voir, c'est la mouche qu'on lui lance!

     A force de pêcher la truite, j'avais appris à éviter de faire du bruit dans le canot. Combien de fois n'avez-vous pas vu des truites marsouiner et gober des mouches à la surface de l'eau, loin et hors de portée? Vous avez alors essayé de vous en approcher pour pouvoir lancer vos mouches au-dessus d'elles, mais vous les avez effrayées même en faisant bien attention de ne pas frapper l'eau trop violemment avec votre aviron. La seule solution, dans de semblables circonstances, c'¬est de rester bien tranquille dans votre canot et d'espérer tout simplement que les truites décident de se rapprocher de votre embarcation...ou bien de devenir un "moucheux" capable de "sortir" des longueurs impressionnantes de soie à moucher.

     Au cours des cinq dernières années, sur la rivière Matapédia, en péchant dans les eaux "publiques", j'ai peut-être eu plus de succès que la majorité des pêcheurs du coin et j'ai sauvé quelques gros saumons. J'attribue mon succès à ma capacité de faire de très longs lancers. Je commence habituellement à pêcher une fosse en faisant des lancers courts, que j'allonge à chaque lancer, jusqu'à ce que je puisse déposer ma mouche délicatement sur l'eau avec le plus long possible de soie sortie du moulinet. Au mois de juillet 1974, par exemple, j'ai eu la bonne fortune de récolter les trois plus gros saumons de la semaine lorsque je pêchais la Matapédia (28, 29 et 32 livres). Toutes mes prises ont été réussies avec de très longs lancers. J'ai la nette impression que les gros saumons sont comme des vieux "bucks": plus les chevreuils sont gros et âgés, plus ils sont fins et difficiles à capturer. Loin de moi l'idée qu'il soit impossible de prendre de gros saumons avec des lancers courts : je ne fais que vous relater mes expériences personnelles.

D'autres facteurs aussi !

     La façon dont vous présenter vos mouches aux saumons compte aussi pour beaucoup dans le succès de votre pêche. N'imitez pas certains pêcheurs qui lancent leurs mouches comme s'ils jetaient des cailloux à l'eau! Ce n'est qu'en posant délicatement votre mouche à l'eau, en évitant d'ameuter les saumons, que vous réussirez à en sauver. La soie à moucher doit s'étendre bien droite et bien tendue sur l'eau, puis être suivie de l'avançon (leader), qui sera lui-même suivi de la mouche; si vous ne réussissez pas, vos lancers et que votre soie s'emmêle avec l'avançon, vous pourriez avoir des surprises si un saumon décidait, à ce moment-là, de mordre à votre mouche! Au cas où il arriverait que votre mouche se dépose à l'eau à mi-chemin entre vous et l'extrémité de votre soie à moucher, ramenez simplement la soie vers vous en levant légèrement votre canne vers l'arrière.

     Lorsque je pêche avec une mouche calante ou mouillée", je fais presque continuellement vibrer le scion de ma canne, afin de donner une apparence de vie à cette mouche; je suis persuadé que c'est ce qui incite le saumon à mordre et que cette apparence de vie de l'appât est infiniment plus productive qu'un appât mort flottant à la dérive. Je crois aussi que la façon dont vous montez vos mouches est importante: la mouche aura une apparence beaucoup plus naturelle, une fois à l'eau, si vous attachez les plumes et les poils à la hampe de l'hameçon, loin de l'oeil; je juge ce détail très important.

     Mes mouches favorites sont, depuis longtemps, la "RustyRat", la "Black Rat" et la "Silver Rat" dans le cas des mouches calantes. Pour les sèches, je préfère, et de loin, la "White Wulff" et une autre qui n'a pas de nom (avec des ailes faites en poils de chevreuil très foncés ainsi qu'un corps en laine grise).

     Habituellement, lorsque je ferre un saumon, c'est moi qui décide où il me sera le plus avantageux de le "jouer" et de l'épuiser. Si je ferre le saumon à la queue de la fosse et qu'il y a des rapides plus bas, je tenterai de remonter le saumon dans une eau beaucoup plus calme, pour éviter de perdre le saumon dans ces rapides. De façon générale, le saumon pris essaiera de revenir à l'endroit exact où il reposait avant de gober la mouche: lorsque vous voulez l'amener dans une eau plus calme, exercez sur lui une pression délicate et régulière et il vous suivera. Évidemment, il est préférable de faire descendre le saumon plus bas dans la fosse si le courant est plus violent immédiatement en haut de l'endroit où vous l'avez pris. Quoi qu'il en soit, rappelez-vous toujours que vous devez vous tenir le plus loin possible du saumon pour le "jouer" et tenez continuellement votre canne à la verticale et le plus haut possible (la partie la plus fragile du saumon est son cou: la pression vers le haut le fatiguera beaucoup plus rapidement). Lorsque le saumon part en flèche et qu'il s'apprête à sauter au-dessus de l'eau, n'oubliez surtout pas de le "saluer", c'est-à-dire d'abaisser immédiatement l'extrémité de votre canne: en évitant de garder votre ligne tendue, lorsque saute le saumon, vous éviterez aussi de tout casser! Et quand le saumon retombe à l'eau, vous remontez aussitôt l'extrémité de votre canne et vous recommencez à "pomper" votre prise.

     Si vous ne perdez pas votre saumon dans les trois ou quatre premières minutes du combat, vous avez alors neuf chances sur dix ensuite de le "sauver", pour peu que vous respectiez les conseils donnés plus haut. Bien souvent, les pêcheurs et même des guides perdent des saumons parce qu'ils sont trop pressés de leur passer le serre-queue (tailer) ou de les enfiler dans l'épuisette. Mieux vaut "jouer" un saumon un peu plus longtemps dans la fosse que de le voir filer à toute vitesse au moment où vous le croyez prêt à se laisser prendre et au moment où vous êtes débalancé pour lui passer le serre-queue ou l'épuisette! En fait, au cours des 10 dernières années, j'ai réussi à faire atterrir ("beacher") bien des gros saumons en les épuisant au maximum dans la fosse, au lieu de me servir d'une épuisette ou d'un serre-queue. La plupart des saumons devraient être à terre en dedans de 15 ou 20 minutes: autrement, vous serez tout aussi épuisé que votre prise et vous flancherez peut-être avant lui....

     Enfin, une fois que la chance vous aura réussi et que vous aurez "sauver" un gros saumon, transportez-le toujours par la queue surtout si vous avez â marcher dans l'eau sur une assez longue distance. Je vous disais, un peu plus haut, que la partie la plus fragile du saumon est son cou: si vous le transportez en insérant vos doigts dans les branchies, vous risquez tout d'abord de vous blesser aux doigts, puis vous risquez aussi de casser le cou du saumon (ce qui serait regrettable dans le cas d'un trophée que vous désirez faire naturaliser!). Je transporte toujours mes saumons (sauf pour la photographie d'usage...) en leur serrant une grosse corde autour de la queue.

     Et j'ai l'impression que ce qui a été bon pour moi, pendant des dizaines et des dizaines d'années, devrait vous apporter du succès!

référence

» Par George Breckenridge
» Salmo Salar, Décembre 1976.
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