Journée au Grand River Salmon Club
Le son d'une étrange musique, aux accents du sud se répercutait sur les parois rocheuses, tout autour. Des odeurs de saules et de roses sauvages embaumaient l'air. Le long canot remontait péniblement le courant aidé en cela par les bras rouges et musclés des guides. Ces hommes ruisselant de sueur ramenaient leur long esquif.

Ils se rapprochaient du « club ». Le bruit cadencé des « pôles » sur les galets du fond s'entremêlait maintenant à la musique qui sortait du long cornet du gramophone. Les deux « sports » qui prenaient place à bord, commencèrent à agiter des mains puis leurs chapeaux en signe de victoire. Des compagnons les saluaient maintenant de la rive.
Le canot toucha terre et fut entouré d'une dizaine de personnes. Les odeurs de tabac «canadien» et de « habanas » se mêlèrent. Pêcheurs et guides se pressent aux nouvelles. Six saumons, bien à l'abri, sous la fougère gisent au fond de l'embarcation. La journée de pêche a été bonne. Des verres s'entrechoquent. Un petit oiseau sort d'une boîte noire, question de fixer ce moment. On remonte la manivelle, le haut-parleur continu à cracher des airs rythmés. « The voice of the master...» C'est écrit sur le meuble. On y voit même le maître et son petit chien.
Plus tard, dans la soirée, les histoires deviendront des légendes. Pour le moment, la besogne attend encore le personnel domestique. Les journées sont longues. Levé tôt, couché tard. Il faut se presser avant que le soleil couchant ne biffe définitivement de son calendrier cette journée de juillet 1927.
Les saumons éviscérés furent placés dans la glacière. D'ici quelques jours, ils seront transférés dans des boîtes de bois sur lesquelles on inscrira au pochoir, le nom et l'adresse du destinataire. Puis, la voiture à cheval les amènera à la « station ». On « shippera ça » par train. A l'époque, il n'était pas facile de se rendre dans la Baie-des-Chaleurs. Seuls le bateau ou le train permettent une telle aventure. Le réseau routier n'est pas encore des plus fiables, même pour un modèle T.
Le Massachusetts sera la destination la plus courante. Certaines années, l'on verra plus de six cents saumons ainsi quitter Grande-Rivière pour récompenser ou remercier quelques « good fellows »... C'est la mode au pays de l'oncle Sam.
Le club de pêche emploie plusieurs personnes. Un gérant, des guides dont certains Micmacs de Maria, des cuisinières, des hommes de main, des commissionnaires, etc. Une petite cour qui reçoit annuellement une poignée d'Anglo-saxons rougeauds et drôlement vêtus. Ainsi peut-on résumer une journée de pêche au Grand River Fishing Club, en cette période d'entre deux guerres.
L'histoire de ce club de pêche aura débuté en 1919 et ce sera terminé en 1992. Près de soixante-quinze ans au cours desquels une tradition de pêche sportive s'établira. Parallèlement à tout ceci, les domestiques du début relèveront la tête. La rivière Grande-Rivière est maintenant gérée par les gens de l'endroit.
Le précieux passé de la rivière des Américains est conservé sur pellicule. Nous sommes à construire le « bon vieux temps ».
référence
» par François Bouchard
» Salmo Salar #37, Hiver, Décembre 1994.
» Salmo Salar #37, Hiver, Décembre 1994.
