L'Histoire de la Grande-Cascapedia

     « Gesgapégiag », la grande rivière. Voilà comment les Micmacs la nommaient. Ce majestueux cours d'eau, qui prend sa source au lac Cascapédia dans les Chic-Chocs, serpente du nord au sud sur plus de cent kilomètres avant d'atteindre la baie des Chaleurs. Les autochtones qui occupaient la péninsule gaspésienne, des milliers d'années avant la venue des premiers explorateurs européens, la connaissaient bien.

Histoire de la Grande-Cascapedia
     Jacques Cartier rencontre des membres de cette nation alors qu'il est à explorer, en cet été de 1534, ce qu'il croit être un détroit. Une reconnaissance des lieux brisera ses espoirs de trouver là un passage vers la Chine. Il atteint rapidement le fond de cette baie qu'il nomme « Baye des Chaleurs » en raison de la température torride qui y sévit alors.

     La guerre de Sept Ans, ayant scellé le sort de la Nouvelle-France, il faudra attendre le début du XIXe siècle avant que la colonisation de la baie des Chaleurs ne connaisse un essor annuel. L'installation de « Loyalistes » augmente la population, non sans créer certains remous. Peu à peu, des agriculteurs s'installent le long de la rivière. Ces propriétaires terriens détiennent souvent des droits de pêche exclusifs. Les prélèvements ainsi effectués à l'aide de filets et de harpons inquiètent les autochtones de même que certaines personnes en autorité. À partir du milieu du précédent siècle, la pêche sportive s'y pratique.

     Entre 1878 et 1893, le gouvernement du Québec loue, aux différents gouverneurs généraux qui se succèdent, des droits de pêche exclusifs. Le marquis de Lorne pêche ces eaux entre 1878 et 1883. Lord Landsdowne, de 1883 à 1888, puis finalement, Lord Stanley (celui qui a donné son nom à la Coupe Stanley) jusqu'en 1893. Lord Aberdeen, le remplaçant de Lord Stanley, ne s'intéresse pas à la pêche sportive du saumon. Il renonce donc à ses privilèges.

     Un groupe d'Américains qui avait déjà tenté d'obtenir ces droits de pêche par le passé revient à la charge. Les autorités provinciales consentent à louer au Cascapédia Club, nouvellement fondé, plus de quarante milles de rivière avec droits exclusifs de pêche. De plus, les nouveaux locataires jouissent des rives sur une largeur de trois chaînes (180 pieds).

Tracadie
     Le nombre des membres de ce club sélect est limité à dix personnes.

     Quelques années plus tard, le Club rachète, des fermiers habitant le long des rives, leurs droits de pêche de même que des lots riverains.

     En plus du camp principal New Derreen, érigé par Lord Lansdowne, d'autres ont été construits par la suite. Au début du XXe siècle, les camps Chaleur, Lorne Cottage, Horse Island, Salmon Lodge, Red Camp, Middle Camp, Tracadie et Three Islands accommodent propriétaires et invités. L'âge d'or des clubs se poursuivra pendant près de cent ans.

     À la belle époque, les captures sont impressionnantes. Le premier registre de pêche sportive sur la Grande-Cascapédia date de 1879. Au cours de cette saison, une demi-douzaine de pêcheurs capturent 647 saumons pour un total de 16 288 livres. Du nombre total des captures, 135 spécimens pèsent plus de 40 livres.

Histoire de la Grande-Cascapedia, saumon de 60 lbs
     Malgré une faible pression de pêche sportive, les stocks de saumons déclinent grandement entre les années 1930 et 1960. La déforestation intensive, le flottage du bois, les prélèvements illicites, l'utilisation incontrôlée de DDT en 1953 et 1954 mettent en péril les remontées. La célèbre rivière, mondialement réputée pour ses gros saumons, va-t-elle mourir?

     Devant cette situation inquiétante, Bud Campbell de Cascapedia, aidé d'amis, fonde en 1960 l'Association de saumon de la baie des Chaleurs. Un plan de gestion est alors mis de l'avant afin de protéger la ressource saumon. Ces efforts vont porter fruits.

     Puis un vent de démocratisation souffle vers le milieu des années 1970. Il faut rendre plus accessibles au public les rivières à saumon au Québec. Des pourparlers sont entrepris. Cela mène à la naissance de la société Cascapedia.

     Les Micmacs de Maria de même que des résidents des municipalités de Cascapedia et Saint-Jules participent activement. Il est décidé que le conseil d'administration sera composé en parts égales d'autochtones et de Gaspésiens.

     On s'entend, les Micmacs (Micmac Camps) pourront capturer un nombre limité de saumons pour leur besoin. Ils occuperont 50 % des emplois créés.

     L'organisation de la pêche sportive est donc remaniée. Il est maintenant possible d'avoir accès à ce cours d'eau merveilleux.

     Actuellement, près de 125 personnes travaillent sur la rivière. Les retombées économiques directes et indirectes se chiffrent en millions de dollars.

     La survie de cette rivière a été réalisée grâce à la collaboration de tous. Cette association fut donc une grande réussite.

références

» Par François Bouchard
» Photos tirées de « Observations on a salmon river » de Frank Gray Griswold, 1922
» Salmo Salar #45, Hiver 1996.
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