Hommage à François de Beaulieu Gourdeau

Souvenirs de François de Beaulieu Gourdeau

Souvenirs de François de Beaulieu Gourdeau (1915-1980) par André-A. Bellemare
     La médaille François-de-Beaulieu-Gourdeau/Uhitshitun, le plus haut mérite que la Fédération québécoise pour le saumon atlantique FQSA décerne annuellement durant son congrès printanier souligne l'oeuvre accomplie durant sa vie par une personne qui s'est consacrée de façon remarquable à la promotion de la pêche sportive du saumon atlantique à la mouche artificielle dans notre province, mais aussi à la conservation et la mise en valeur de cette ressource naturelle renouvelable du Québec.

QUI EST FRANÇOIS DE BEAULIEU GOURDEAU ?

     Au printemps 2013, cette distinction suprême qui prend la forme d'une lourde médaille de bronze sur socle a été remise à M. Claude Hamel, de Rimouski, un officier retraité des Forces armées canadiennes. Cette reconnaissance a souligné la feuille de route exceptionnelle de Claude Hamel pour la défense du saumon atlantique et pour le développement de la relève. Parmi ses réalisations notables, Claude Hamel a surtout promu l'accessibilité à la pêche au saumon; mais il a aussi participé à la rédaction de nombreux ouvrages et mémoires pour la FQSA, dont il a été l'un des dirigeants élus par ses pairs. Enfin, comme mentor, il a initié des dizaines de novices à la pêche du saumon au cours des dernières années.

     Mais, aujourd'hui, je veux répondre à des questions que posent de jeunes membres, et même de moins jeunes membres de la FQSA concernant l'identité de feu François de Beaulieu Gourdeau, dont un bas-relief du visage orne le recto de la grande médaille en question, à côté d'un bas-relief du visage de feu Philippe Piétacho, célèbre grand chef de la communauté des Innus de Mingan, localité de la Moyenne-Côte-Nord.

     Voilà maintenant 33 ans, le 5 novembre 1980, que François de Beaulieu Gourdeau un grand ami et un maître des saumoniers québécois qui lui avaient donné le surnom de «Monsieur Saumon» nous a quittés, à l'âge de 65 ans seulement. Il s'est éteint au terme d'une réunion du Conseil supérieur de la faune du Québec, le «conseil privé» du ministre responsable de la gestion de la pêche et de la chasse chez nous.

     Avant que le qualificatif d'écologiste ne soit popularisé, François de B. Gourdeau en fut un vrai, voyageant dans la province pendant des décennies pour défendre le territoire violé de toute part, pour protéger le patrimoine faunique tant agressé, puis pour prendre la défense de ses frères pêcheurs et chasseurs, surtout les pêcheurs de Salmo salar à la mouche. Il a usé prématurément son cœur en le portant continuellement sur la main pour défendre tellement de personnes et tant de causes.

     En 1975, alors qu'il n'était âgé que de 60 ans, Gourdeau aurait pu prendre une retraite bien méritée après 35 ans de loyaux services au ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche du Québec. Mais, répondant aux pressions du titulaire du MTCP de l'époque, Claude Simard, et de l'entourage de ce dernier, il a continué pendant cinq ans de conseiller le ministre et de parcourir le Québec pour créer des associations sportives de saumoniers, pour donner des conférences et des cours, pour participer à des congrès, des colloques, des séminaires, etc.

     En 1979, François de B. Gourdeau a accepté la charge de président de l'Association des pêcheurs sportifs de saumons du Québec (A.P.S.S.Q.), dont il avait évidemment été l'un des membres fondateurs trois ans auparavant. L'A.P.S.S.Q est l'ancêtre de la FQSA. Alors qu'il habitait une maison patrimoniale située à Cap-Santé, il avait aussi accepté la charge de président du Comité de restauration de la Jacques-Cartier, comité chargé de ressusciter cette magnifique rivière à saumons.
François de B. Gourdeau
   La photo nous le montre en train d'installer son étau de montage de mouches dans sa maison de la rue Brulart (à Sillery, Québec).

Le Bâtisseur

     En véritable amant de la nature sauvage, François de B. Gourdeau est toujours demeuré sobre et discret. Mais, pour l'avoir accompagné pendant quelques années durant des réunions des dirigeants de l'A.P.S.S.Q. et durant des excursions de pêche du saumon, j'ai appris progressivement qu'il était l'un des «bâtisseurs» d'attraits touristiques gaspésiens aujourd'hui renommés. Il a procédé à l'aménagement du parc provincial du Cap Bon-Ami (qui a été exproprié par le gouvernement fédéral et qui est ensuite devenu l'actuel Parc Forillon. On doit aussi à Gourdeau la création de l'Auberge de Fort-Prével, du Gîte du Mont-Albert, de la Réserve Faunique de Matane, de la réserve faunique de la rivière Petite-Cascapedia... entre autres! Sans compter le déclubage de quelques rivières à saumon, dont la rivière Matane, Sainte-Anne et la Saint-Jean (Saguenay). 

l'Artiste et le Gastronome

François de B. Gourdeau
   La photo nous le montre sur la galerie du camp de pêche du saumon que possédait alors Michael Price (de la célèbre famille des Price Brothers) sur la rivière Saint-Jean, à l'Anse-Saint-Jean.
    Ce qu'il faut savoir, c'est que François de B. Gourdeau était le fils aîné d'une famille jadis fortunée de la région de Québec. Artiste dans l'âme et jusqu'au bout des doigts, il a étudié à l'École des beaux-arts et il s'adonnait au dessin et à la peinture impressionniste. Mais, durant la Grande crise qui a précédé la Deuxième Grande guerre, la peinture ne conduisait pas son homme bien loin... À cause des liens familiaux de sa mère avec feu Louis-Philippe Gagnon, alors sous-ministre en titre du MTCP de l'époque, François fut engagé par ce ministère; son oncle sous-ministre l'éloigna de la jungle urbaine de Québec, remplie d'une foule de tentations, pour l'envoyer en Gaspésie avec mandat de rédiger des projets d'aménagement d'équipements et d'établissements touristiques. François, peu porté sur la paperasse, s'est plutôt consacré à la peinture de tableaux montrant les beautés naturelles de la péninsule gaspésienne. Ces tableaux-là constituaient les «rapports» qu'il transmettait au MTCP...

     Ces tableaux ont tellement charmé le sous-ministre Gagnon et les ministres qui se sont succédé à la direction politique du ministère que François Gourdeau fut chargé, à partir d'un bureau situé à Gaspé, de réaliser les aménagements qu'il avait imaginés dans ses tableaux.

     Puisqu'il était un gastronome, il souhaitait aussi que le gouvernement québécois bâtisse une série d'hôtels dotés de grands restaurants pour attirer plus de touristes en Gaspésie et pour les y garder plus longtemps. François de B. Gourdeau espérait ainsi donner le goût à des entrepreneurs gaspésiens de construire d'autres hôtels et restaurants de qualité dans la péninsule. J'ai compris pourquoi il était si connu et si apprécié par autant de Gaspésiens que j'ai rencontrés, et pourquoi il connaissait si bien ce territoire et ses habitants.

Un Promoteur des Communications

     Une autre de ses réussites fut de susciter la plupart des «vocations» de chroniqueurs de chasse et de pêche dans les médias de masse du Québec, à commencer par celle du regretté Serge Deyglun. Alors qu'il n'existait aucune politique gouvernementale de relations publiques au Québec vis-à-vis des journalistes chroniqueurs spécialisés de chez-nous, au début des années 1960, François décida d'aider ces informateurs à répandre la bonne nouvelle au sujet des richesses fauniques de la province. Il décida de fournir aux journalistes les outils de travail nécessaires au meilleur accomplissement de leur tâche.

     Voilà qui explique pourquoi l'auteur du présent texte écrit sur la pêche et la chasse dans le journal le Soleil depuis avril 1973, depuis 41 ans, déjà... en plus d'avoir écrit dans des dizaines de publications de toutes sortes, d'avoir participé à des milliers d'émissions de radio, d'émissions de télévision et de films sur la pêche et la chasse. Gourdeau était bien fier de son coup : «En te convertissant à la chronique des activités de pêche et de chasse, ce n'est pas seulement un pêcheur et un chasseur de plus que je gagne pour la promotion du Québec, mais des milliers et des milliers de nouveaux adeptes qui liront tes articles!», m'avait-il confessé, le sourire en coin, un jour qu'il était en veine de confidences.

l'origine de son titre honorifique

     Mais pourquoi notre «Monsieur Saumon» national portait-il le titre honorifique de «sieur de Beaulieu»? Sa mère et l'une de ses soeurs m'ont expliqué que leur ancêtre était associé au célèbre explorateur Louis Jolliet dans une compagnie que ce dernier avait fondée pour développer la Nouvelle-France. Le roi de France Louis XIV avait décidé d'ennoblir les associés de Jolliet: le titre de «sieur de Beaulieu» a alors été donné à l'ancêtre Gourdeau, et le titre était transmissible à l'aîné mâle successeur. Le roi avait aussi décidé de donner les îles situées dans le fleuve Saint-Laurent entre l'île d'Anticosti et le cap Diamant à Louis Jolliet et à ses associés. L'ancêtre Gourdeau se vit alors attribuer une partie de l'île d'Orléans, et cette portion de l'île fut baptisée «seigneurie de Beaulieu». Les vieux habitants de l'île d'Orléans peuvent vous en parler. Je me rappelle toute l'émotion de François de B. Gourdeau lorsque nous sommes allés pêcher le saumon pour la première fois dans des rivières de l'île d'Anticosti, après que le gouvernement du Québec eut acheté l'île pour 24,5 millions $ en 1975 à la compagnie d'exploitation forestière Consolidated Bathurst qui la possédait en entier; cette compagnie appartenait à feu Paul Desmarais, un autre grand saumonier. Gourdeau n'avait jamais eu l'occasion de mettre les pieds dans l'île auparavant.

Un Projet à Ressusciter

     Au moment où l'on procède encore à des rénovations majeures du Gîte du Mont-Albert, dans le parc national québécois de la Gaspésie, il me semble qu'on devrait ressusciter le projet de baptiser la grande salle à manger de l'appellation «Salle François-de-Beaulieu-Gourdeau». Ce baptême a passé bien près d'être conféré à cette salle du Gîte du Mont-Albert, après le décès de Monsieur Saumon, mais la cérémonie a été oubliée à la suite d'élections provinciales successives. Il m'apparaît important que le geste soit maintenant posé, malgré ce si grand retard.

Références

» Texte et photos: André-A. Bellemare (2013).
» FQSA.

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